Minetti

minettiss1.jpgMinetti de Thomas Bernhard mise en scène Gerold Schumann.

Dans la pénombre, un hôtel , qui tient autant d’une vieille demeure hanséatique que d’un manoir gothique, se dresse, lugubre, imposant, interrogatif. Il semble d’un genre particulier: ses murs n’ont pas de limites, s’élevant vers le ciel comme pour s’y perdre, nous indiquant la direction d’un au-delà qui pourrait bien être l’Enfer.
Dans cet hôtel d’Ostende, en ce soir de la saint-Sylvestre, une femme entre deux âges, à l’allure bourgeoise mais vulgaire, trompe sa solitude en se soûlant au champagne. Ni le portier ni le serveur ne semblent porter attention à ses élucubrations insignifiantes. Et de fait, il s’avère que tromper l’Autre est plus difficile qu’il ne paraît. D’ailleurs, c’est peut-être ce soir que les masques tombent.
Tout à coup, surgit de nulle part un homme, à moitié couvert de neige – dehors, une tempête a éclaté – affublé d’un bonnet ridicule et d’un manteau miteux. Échevelé, le visage blême et émacié, ce vieillard prétend s’appeler Minetti et avoir rendez-vous avec le directeur du théâtre de Flensburg. Dès ce moment et jusqu’à la fin de la pièce, cet homme décrépi va ressasser son histoire : ancien acteur, il a connu le succès, au début de sa carrière mais  a rapidement déchu pour avoir refusé d’interpréter le répertoire classique. Retranché en exil pendant trente ans, dans un village isolé du nom de Dinkelsbühl, il revient aujourd’hui affronter le monde et le public, qu’il dit ne guère estimer, pour interpréter Lear, le seul personnage qui trouve grâce à ses yeux — Par sa bouche, Thomas Bernhard nous fait part de ses considérations sur l’art, sur celui de l’acteur et sur son public — . Minetti est impatient,  et comme un enfant, ne tient pas en place. Après des années de solitude et d’exclusion, d’angoisse et de peur, il ne veut plus de cette souffrance. Il vient vivre le grand soir de sa vie. Mais en  même temps  son aveuglement  prendra fin, et la vie va se présenter dans sa douloureuse et inacceptable vérité.
L’humanité n’est guère mieux lotie que notre vieillard à moitié fou : des créatures étranges, ivres, éclopées, estropiées, naines ou géantes, en errance, traversent le hall de l’hôtel, ne provoquant que l’indifférence. Chez Bernhard, le monde est dégénéré mais immuable. Et, si Minetti incarne une vieillesse livide et terne, frigorifiée, en voie d’extinction, la jeunesse ne possède pas sa sensibilité : les jeunes gens fêtant le nouvel an avec leurs ballons multicolores, courant et riant aux éclats, symbolisent le mouvement, le bruit, l’effusion de la vie. Mais peut-être ne jouent-ils qu’un jeu ? Ce soir, la jeunesse est masquée, et la vieillesse démasquée.
Serge Merlin joue de façon impressionnante l’artiste hanté, ravagé par sa minute de gloire et ses décennies de honte. Il interprète un Minetti aussi pathétique qu’attachant, mythomane profondément désespéré, passant du râle à l’enthousiasme, du dégoût au regret. Avec une élocution incroyable, il vocifère et délire, dans un souffle, un murmure, un éclat de rire,  ou des pleurs. Serge Merlin jouant Minetti enfile un costume sur mesure, et , comme l’affirme Gerold Schumann, aucun doute : si Thomas Bernhard l’avait connu, il aurait écrit un rôle pour ce grand acteur.

Barbara Petit

 

Théâtre de l’Athénée-Louis Jouvet jusqu’au 24 octobre


Archive pour 11 octobre, 2009

Trahisons

  Trahisons d’Harold Pïnter, mise en scène de Mitch Hooper.

La pièce d’un des plus célèbres dramaturges anglais disparu le 24 décembre dernier est maintenant bien connue et c’est l’une des celles où il se montre le plus brillant, à travers des dialogues d’une virtuosité tout à fait remarquables. C’est un pan de l’histoire de deux couples qui ont chacun deux enfants : il y a Emma, directrice d’une galerie d’art, Jerrry, agent littéraire devenu son amant , Robert son éditeur et ce qui n’est pas incompatible le meilleur ami de Jerry; Edith, l’épouse de Jerry , est souvent évoquée  mais n’est pas présente; c’est la pièce invisible mais très présente de cette partie truquée d’échecs. Jerry et Emma ont connu une passion érotique fulgurante mais absolument secrète, croit du moins Jerry, jusqu’à louer un appartment pour pouvoir y faire tranquillement l’amour  l’après-midi mais Emma, très vite , a tout révélé à son mari. mais Robert n’a absolument rien dit à  Jerry alors qu’ils déjeunent souvent et travaillent ensemble. Il n’en a pas évidemment parlé à Emma ni à son épouse Judith. Quand la pièce commence, Emma a voulu revoir Jerry pour lui parler de la décision qu’elle et son mari, après une longue nuit de discussion, ont prise de se séparer. Pinter sait peindre avec une grande virtuosité toute la palette de sentiments qui animent ces trois personnages; profonde tendresse mais aussi désir de l’autre, ivresse de l’érotisme et fascination pour l’autre, ambiguïté des relations entre époux et par ailleurs parents, nostalgie des soirées passées avec les enfants, amitié réelle entre les deux hommes…

  Par petites touches, sans avoir l’air d’y toucher , Pinter , à coups de flash-back sait dire le passé comme le présent de cette relation triangulaire , en mettant habilement  le doigt là où cela fait mal, sans jamais porter aucun jugement moral, avec une sorte de regard froid d’entomologiste regardant ces pauvres humains s’aimer et se déchirer à la fois, sans trop finalement savoir pourquoi, et en essayant de trouver dans le vin et le whisky un petit réconfort. Comme le disait son compatriote Oscar Wilde: « Personne n’est parfait ».  Pourquoi ce désir et cette fascination sexuelle  de l’autre? Pourquoi cette impossibilité de choisir et cette souffrance qu’elle engendre? Pourquoi ces mensonges qui n’en sont pas vraiment, comme si l’autre savait sans vouloir l’admettre. Il n’y a aucune indulgence chez Pinter mais pas non plus de moquerie: il constate et c’est tout et,  depuis les années 60, il sait bien que c’est l’un des ressorts dramatiques les plus efficaces, et en cela c’est un maître incontestable: il livre le matériau brut de décoffrage, mais avec beaucoup de soin et de retenue,  et c’est ensuite au public de se débrouiller avec… Ce que le dit public sait  parfaitement faire  et relier ce que se dit sur scène, y compris les silences, à sa propre expérience: c’est tout le grand art de Pinter….

  On avait déjà vue la saison passée la très brillante mise en scène de Philippe Lenton; celle de Mitch Hooper n’a sans doute pas le même poids mais, avec une scénographie de rien du tout, il réussit très bien à situer les différents lieux de l’action et  à nous faire sentir le poids de chaque mot, sans effet inutile, sans esbrouffe. Delphine Lalizout n’était peut-être pas tout à fait à son aise le soir  et où nous avons vu le spectacle mais les trois interprètes, Anatole de Bodinat,  Sacha Petronijevic et elle,  sont à la fois justes et touchants, même si l’érotisme n’est pas  vraiment au rendez-vous de la liaison entre Emma et Jerry, quand ils se mettent au service du texte avec beaucoup d’humilité et ils sont tout à fait crédibles jusqu’au bout. Alors à voir? Oui, en une heure vingt,  la messe est dite, sans bavardage inutile, sans bavure, avec  précision et  honnêteté.

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire jusqu’au 28 novembre

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