Broadway en Brie
Broadway en Brie d’Anouch Paré et Laurent Serrano, musique de Benoît Urbain et mise en scène de Laurent Serrano.
Cela se passe à La Bergerie, ancienne bergerie reconvertie de salle des fêtes plutôt réussie dans le beau village de Châtelet-en-Brie à une dizaine de kilomètres de Melun, doté de 4.500 habitants. C’est la commune de Donnemarie-Dontilly qui a accueilli la compagnie de Laurent Serrano pour cette création, à l’occasion de Scènes rurales , soutenues par le Conseil général de Seine-et-Marne. Voilà, vous savez tout. Donc , Broadway en Brie, comme son nom le laisse pressentir, est une sorte de théâtre musical qui parodie l’histoire de Macbeth, pièce censée porte la poisse à tous les metteurs en scène qui osent s’en emparer, sans doute et d’abord , parce que ce n’est pas la meilleure des pièces de Shakespeare, même s’il y a des scènes formidables et des répliques cultes comme celle de Macbeth à la fin: « Le vie n’est qu’une ombre en marche, un pauvre acteur qui se pavane et se démène son heure durant sur la scène, et puis qu’on n’entend plus. C’est un récit, conté par un idiot plein de bruit de de fureur, et qui ne signifie rien ». Cela dit, il y a eu de très belles mises en scène comme celles de Matthias Langhoff…
Donc, dans Broadway en Brie, une petite troupe d’amateurs, du type plutôt années cinquante, décident de monter un spectacle pour recueillir des fonds destinées à une oeuvre caritative, et l’instituteur, autoproclamé chef de troupe, dramaturge et metteur en scène, écrit donc un drame historique, inspiré de Macbeth avec des parties musicales et chantées. Mais, à quelques heures de la première, quelques comédiens se sont perdus à 300 kilomètres de là , à cause d’un GPS mal réglé….( On veut bien mais quand même!) Les quatre autres acteurs et le pianiste vont donc devoir faire face à la situation, et jouer aussi les rôles manquants. Le chef de troupe vocifère, les comédiens se trompent dans leurs répliques, se disputent; bref, rien ne va plus et le spectacle, avant même d’avoir commencé, perd ses boulons en route…
I l y a , curieusement, le même nombre d’acteurs que chez Metayer , et bien entendu, il y a du théâtre dans le théâtre, ce qui n’est pas vraiment nouveau ( 1497!) et qui commence à être bien usé ( chaque grand auteur ayant compris l’intérêt du procédé ( Shakespeare, Molière, Marivaux, Pirandello, etc… et c’est même la base de très nombreuses comédies musicales). On assiste à un redoublement de la théâtralité et , comme le dit justement Patrice Pavis, c’est l’illusion de l’illusion qui devient réalité. C’est donc un genre éminemment dangereux à mettre en scène, d’autant qu’ici, cette parodie dure deux heures, et là aussi, on sombre vite dans l’ennui; il y a même quelques scènes de Macbeth sans doute pour faire plus vrai qui sont plantées là, les Dieux savent pourquoi!
A part Philippe Beautier en Macbiff qui reste remarquablement discret et juste, et le pianiste Benoît Urbain , si touchant de maladresse dans ses quelques répliques que l’on croit tout de suite à son personnage , le reste de la distribution en fait des tonnes pour essayer de nous convaincre du bien fondé de l’entreprise à laquelle, de toute façon, on ne croit plus dès les premières minutes. Rien ne fonctionne, tout sonne faux, dans ce catalogue de stéréotypes et de clichés qui se voudraient drôles,et qui tombent à plat :l’on se demande le plus souvent si l’on n’est pas dans le premier degré: dans une représentation de mauvais amateurs, simplement un peu mieux ficelée ; on peut sauver du désastre la dernière scène où Serrano sait enfin jouer habilement de la fiction et de la réalité, au moment du meurtre de Macbeef mais c’est trop tard et l’on s’est ennuyé ferme pendant deux heures!). Rappelons cette magnifique phrase du grand Zeami: « l’art du théâtre se situe dans un espace entre une vérité qui n’est pas une vérité et un mensonge qui n’est pas un mensonge ». Autrement dit, la marge de manoeuvre est plutôt mince et l’entreprise et toujours difficile , mais encore plus et surtout quand on veut se lancer dans la parodie, genre finalement assez casse gueule, sans doute à cause de toutes les facilités qu’il permet…. Cela dit,le public qui n’en demandait pas tant, riait souvent. . Reste un mystère total: comment Laurent Serrano, bon metteur et scène et excellent pédagogue, que l’on a connu mieux inspiré, notamment avec un remarquable Dragon d’Evgueni Schwartz, s’est lancé dans une opération aussi suicidaire, d’abord en écrivant avec Anouch Paré un texte approximatif et en le mettant en scène de façon peu convaincante, comme s’il avait répondu à une commande, sans trop y croire lui-même… Errare humanum est, comme disait Monseigneur Marty, mais quand même!
Philippe du Vignal
Il y aura encore quelques représentations en Seine et Marne mais de toute façon, vous n’irez pas et il y a peu de risques que le spectacle soit acheté…
je tiens à publier la réponse que me fit M. Du Vignal, sur ma boîte mail personnelle. La nocivité de la publication peut être réciproque.
» J’espère toujours venir … J’avoue que j’était particulièrement remonté En effet ) J’aime beaucoup Laurent Serrano 1 bis J’aime beaucoup Philippe Beautier qui est un de mes anciens élèves Mais j’ai dû annuler 1) un spectacle que je voulais voir 2) un dîner qui suivait donc vous comprendrez ma méchante humeur Reconnaissez que j’ai mentionné la satisfaction du public. Mais cela dit, je ne change pas souvent d’avis et je ne crois pas que j’en changerai. Mais je suis toutn prêt à en discuter avec vous. Cordialement, »
Pourvu qu’un bon repas lui soit sous peu servi, afin que soient épargnés des camarades…
Monsieur,
J’aurai le plaisir de vous accueillir Dimanche à venir voir l’Histoire de la fille qui lisait trop d’Histoires, et ce, surtout, du fait que vous êtes expert à la Drac, et assermenté pour juger de la validité ou de l’invalidité d’une proposition de spectacle vivant, selon des critères que j’ignore mais fort sans doute d’une connaissance de cette discipline artistique.
J’ai lu avec un embarras croissant le billet divulgué sur ce blog. Et puisque j’ai le plaisir d’y être citée, je me permets de vous adresser ce mot.
Je relève joyeusement quelques petites correspondances, en raccourci, qui raconte mieux mon sentiment embarrassé devant votre propos cinglant ::
« l’on s’est ennuyé ferme pendant deux heures! (…) Cela dit,le public qui n’en demandait pas tant, riait souvent. »
Je suis friande des raccourcis. Evidemment, l’argument du public-premier critique n’est pas juste : l’art de plaire a été dévoyé, et souvent le public est né mouton… Et Donnemarie est à la campagne. Le public est si mal élevé… Du moins, je suppose que c’est ce que je dois entendre.
Mais oublions : j’ai mon amour propre et, quelque soit le traitement choisi par Laurent Serrano pour cette pièce (il n’est, côté écriture, que responsable de la commande, des coupes et des chansons), votre pique lancée contre le texte « un texte approximatif »m’a touchée et même légèrement blessée. Je vous invite à m’en demander copie et à le lire, ce texte, afin que nous puissions deviser sereinement : je suis l’interlocutrice idéale. La parodie n’est pas mon fort : cela tombe parfaitement, je n’ai pas écrit de parodie. Mais nous pourrons aussi parler de Macbeth: tout comme Orson Welles, j’ai un goût prononcé pour cette pièce, et je serai ravie de vous convaincre de sa lucidité violente.
Qui bene amat, bene castigat : vous parlez latin; et sans doute est-ce pour Laurent Serrano une marque d’affection bienveillante que ce long billet lancinant. Cependant, votre affection touche au sublime lorsqu’on réalise la délicatesse de votre envoi: « mais de toute façon, vous n’irez pas et il y a peu de risques que le spectacle soit acheté… ».
Moi qui aime les avis radicaux, la méchanceté et la verdeur du verbe, je suis servie : mais radicale je le suis si quelque chose de sérieux est en jeu, la méchanceté, je l’aime tendre et le verbe cru : bien sonnant, ébloui.
Vous ne me tiendrez pas rigueur, j’imagine, d’ici à Dimanche, du droit de réponse dont j’use ici. Finement diplomate, j’aurais pu attendre lundi : mais battre le fer… Et échanger…
À vous rencontrer bientôt,
anouch paré