Archive pour 26 octobre, 2009
La Panique
La Panique de Rafael Spregelburd, mise en scène de Pierre Maillet et Marcial di Fonzo Bo.
Rafael Spregelburd est cet écrivain argentin dont La Estupidez (La Connerie) avait connu un succès certain l’an passé au Théâtre national de Chaillot; le second opus : La Paranoïa, créé en octobre dernier dans ce même théâtre, bien ficelé par Marcial di Fonzo Bo et Elise Vigier n’était quand même pas très convaincant, en partie à cause d’un d’un scénario difficile et d’un texte disproportionné (deux heures vingt sans entracte! ) par rapport au propos.
La Panique a été initialement écrit pour et avec les élèves du Conservatoire de Buenos Aires; cette panique est la cinquième d’une série de sept pièces indépendantes groupées sous le nom de Hepatlogie de Hieronymus Bosch qui est censée s’inspirer de La Ronde des sept péchés capitaux.. On prend soin de nous prévenir que » fasciné par son caractère ludique et par le fait que les clés de sa compréhension ne soient pas immédiatement accessibles, Rafael Sregelburd a conçu l’idée d’une heptalogie de pièces indépendantes mais qui, comme le tableau, peuvent être parcourues dans l’ensemble. Chaque pièce est associée à un péché, mais comme dans le tableau, sa lecture n’est pas immédiate. » (Sic! ). Nous voilà prévenus de ce qui nous attend; en fait, ce sont des petites scènes , sans beaucoup de chair ,de la vie quotidienne, assez bien jouées par de jeunes comédiens , même si cela criaille beaucoup ( sept filles et seulement quatre garçons, ce qui déséquilibre un peu les choses) issus de l’Ecole du Théâtre des Teintureries de Lausanne.
Mais on ne remarque vraiment qu’Olivier Magnenat, ses autres camarades ne semblent pas toujours convaincus du bien-fondé de cette entreprise finalement assez prétentieuse, et on ne peut que leur donner raison, vu la pâleur des personnages imaginés par Rafael Spregelburg. . Et, comme l’auteur a une imagination débordante, on a encore droit à une bonne ration de théâtre dans le théâtre! Avec l’apparition ponctuelle mais maladroite d’une metteuse en scène-chorégraphe.
Pas de décor, sinon un canapé transformable vert pâle des années cinquante, pas de costumes non plus sinon des habits courants: jeans, basket, tee-shirts, etc… Bref, on l’aura compris, nous ne sommes pas dans la grande métaphore! Ce n’est pas franchement désagréable à regarder du moins pendant une petite demi-heure, mais cela sent un trop l’exercice de style et la présentation ennuyeuse de travaux de fin d’année où il faut bien caser tout le monde, sous l’habillage d’une création de théâtre contemporain …De ce côté là, on est un peu loin du compte!
Philippe du Vignal
Représentations données au Théâtre de la Bastille du 22 au 25 octobre.
DEMOCRATIE (S)
DEMOCRATIE (S) Collectif 12 Mantes la Jolie de Harold Pinter, compagnie La louve aimantée, Jeunes Zé Jolie
Encore une fois, c’est un tableau juste et terrifiant de notre monde en déroute, brossé par cette compagnie de cinq comédiens venus de différents coins du monde , à partir d’extraits de Pinter. On assiste aux brutalités insoutenables dans des camps de réfugiés, humiliation d’une femme la main arrachée par un chien, interdiction faite à une vieille femme de parler sa langue alors qu’elle n’en connaît aucune autre, viol d’une femme par deux hommes en même temps, soirée cynique des grands de ce monde. C’est bien joué par de bons acteurs, jamais schématique ou caricatural. On en sort abasourdi !
Edith Rappoport
EST-CE QUE LE MONDE SAIT…?
EST-CE QUE LE MONDE SAIT…? Collectif 12 Mantes la Jolie Compagnie Ktha, Festival Jeunes Zé Jolie.
Cette fois, le spectacle se joue dans un container où deux acteurs énoncent toutes les interdictions dont sont victimes les pauvres gens qui cherchent un refuge dans notre égoïste et riche Europe. Au fur et à mesure de ces terrifiantes énonciations, du plafond tombent des mannequins blancs, grands, petits ou minuscules, symbolisant des dizaines et des dizaines de cadavres qu’on doit finir par entasser au fond du container. On est saisi par la vérité humaine de cette compagnie, bien supérieure à celle de Tim Etchells présenté par le Festival d’Automne à la Bastille. Ici, on n’est pas dans le non sense, mais dans la force théâtrale d’une tragédie humaine.
Edith Rappoport
SI CE MONDE VOUS DÉPLAÎT
Si ce monde vous déplaît…. mise en scène de Mirabelle Rousseau
Quatrième édition de cette rencontre de compagnies organisée par le dynamique Collectif 12 où chaque équipe prend en charge le parrainage d’une plus «jeune » au sens économique du terme. Mirabelle Rousseau, en résidence au Collectif 12, qui avait monté un étonnant Turandot de Brecht, que nous avions vu à Avignon, présente Si ce monde vous déplaît, vous en devriez en voir d’autres. Une sorte de conférence sur la science-fiction en plein air, au milieu d’une grande et splendide friche industrielle en cours de destruction. Il fait frais, on nous distribue des couvertures mais, même bien emmitouflés, nous avons du mal à fixer notre attention sur le discours de l’acteur, au demeurant excellent, tant la présence de cette énorme usine à la dérive est fascinante sous un ciel où des pigeons volent en ligne. Et nous avons perdu la fascination pour Ray Bradbury et la science-fiction que nous avions à dix-huit ans ! Merci tout de même à la compagnie de nous avoir fait faire ce voyage!
Edith Rappoport
Le père Tralalère
Le père Tralalère, de la compagnie D’ores et déjà, mise en scène de Sylvain Creuzevault.
Le spectacle avait été conçu à Alfortville chez Christian Benedetti pendant l’été 2007. C’est un peu La Noce chez les petits bourgeois, de nos jours, à partir d’improvisations, sur un thème proposé par Sylvain Creuzevault: la chute des origines ou comment les générations se passent le relais , la chose étant concrétisée par une repas pris en commun, avec une scénographie qui n’est pas sans rappeler celle qu’avait adoptée Antoine Vitez pour son très beau spectacle Catherine d’après Les cloches de Bâle d’Aragon.
Deux gradins qui se font face, et au milieu une grande table de pin, et sur l’un des petits côtés, un praticable également en pin, avec une trappe. Cela se passe dans une maison au bord de la mer en Bretagne; c’est un repas de mariage; le père ( il n’y a pas de mère) reçoit les amis de sa fille Lise qui se marie avec Léo. Il y a aussi Samuel, un associé du père, etle frère de la mariée, un autre couple: Caroline est enceinte, et va accoucher prochainement… Et un journaliste de télévision , très imbu de lui-même, à la diction trop parfaite et absolument ridicule. Autour d’ une immense table dépourvue de nappe des bouteilles de vin rouge , des corbeilles de pain et un vague hors-d’œuvre déjà servi dans les assiettes.
Les conversations sont d’une banalité à pleurer, d’une justesse absolument cruelle, comme dans n’importe quel repas de fête, où les gens ne se connaissent pas vraiment: on parle de surfaces d’appartement et de quartiers parisiens, de trajet du TGV, et le père annonce la promotion du jeune Samuel, Lise et Léo annoncent les projets d’ouverture d’un restaurant à thème: l’école primaire par le jeune couple près du cimetière du Père Lachaise. Le projet ,de toute évidence, ne tient pas la route , et va rapidement être fusillé par le père qui se met en colère et qui refuse de leur avancer l’argent nécessaire.On discute d’argent et d’emprunts. Mais le père leur apprendra peu de temps après autour de la table où ils sont à nouveau réunis qu’il est atteint d’un cancer. Dès lors, il semble prêt à réviser ses positions.
De temps à autre, les jeunes mariés s’échappent discrètement pour aller se mettre nus et faire l’amour sur le praticable devant tout le monde. La joyeuse bande chante aussi une petite comptine: Pirouette, cacahuète…. comme pour conjurer la mort du père à la fois souhaitée et redoutée, et le marié entonne un air d’opéra. Mais il y a déjà du divorce dans l’air…
La bande de jeunes comédiens qui se connaissent depuis longtemps fait ici un travail remarquable; ils sont tous parfaitement crédibles à la fois dans l’oralité et dans une gestuelle des plus élaborées, même si elle peut paraître « naturelle » et la direction de Sylvain Creuzevault est impeccable et tout à fait rare chez une jeune metteur en scène; ils sont tous à l’aise dans ce dispositif qui présente des risques évidents, puisque le moindre erreur de jeu est ici visible. Il y a bien parfois un peu de brouhaha et suivant l’endroit des gradins où l’on se trouve, on n’entend pas toujours bien ce qui se dit, alors que, de l’autre côté les spectateurs rient déjà. Et la fin patine: une petite coupe d’une douzaine de minutes ne serait pas un luxe, mais quelle intelligence de la chose théâtrale, quelle humilité dans le jeu! . Avec la reprise de ce spectacle et la création dans ce même théâtre de la Colline de Notre Terreur, Sylvain Creuzevault et son équipe entrent dans la cour des grands. Alors à voir? Oui, ce serait dommage de rater un spectacle de cette dimension.
Philippe du Vignal
Théâtre national de la Colline jusqu’au 31 octobre, et ensuite au Théâtre du Nord du 5 au 15 novembre.