Que d’espoir, cocktail theatro-musical corrosif
Que d’espoir, cocktail theatro-musical corrosif, textes d’Hanokh Levin regroupés en recueil par Laurence Sendrowicz, mise en scène de Serge Lipszic.
On connait depuis longtemps en France l’oeuvre d’Hanokh Levin, écrivain israélien décédé en 1999 qui est l’auteur de nombreuses pièces- de chansons et de recueils de poésie. Mais surtout de Kroum, l’ectoplasme qui avait été brillament monté par Warlikowski en 2005 puis par Guy Freixes.
Que d’espoir avait déjà été créé par Laurence Sendrowicz au Théâtre de la Tempête en 2005; ce sont des petits sketches mis bout à bout et parfois entrecoupés de chansons qui parlent des petits riens qui constituent l’existence de personnages qui ont du mal avec leur vie comme avec celle des autres; on peut penser souvent à Tchekov, comme à Pirandello ( celui des nouvelles surtout), parfois aussi à Beckett.
L’humour est cinglant et Levin n’ hésite pas à appeler un chat un chat : c’est lui qui, en 68, un an après la victoire de 67 sur l’Egypte, n’hésitait pas, en bon visionnaire, à dénoncer , avec beaucoup de provocation, le danger que représentait l’occupation des terres conquises. .. L’un des ses spectacles avait d’ailleurs pour titre: » Toi, moi et la prochaine guerre » ! et avait été vite interdit.
Et c’est peu de dire que cet humour ravageur ne lui procurait pas que des amis. Mais, dans ce recueil de sketches, c’est plutôt la vie des petites gens qui l’intéresse, avec tout ce qu’elle peut avoir de dérisoire , quand ils se trouvent confrontés à des situations qu’ils ne peuvent pas assumer, que ce soit sur le plan familial ou politique, et qui seraient vite tentés par la pire des solutions. Bien entendu, ce qui est très ancré dans la société israëlienne, pourrait aussi l’être à Paris , ou à Naples dans une pièce de Filippo. C’est parfois d’une rare insolence mais ce recueil de petits textes n’a pas du tout les qualités d’écriture de Kroum, et l’on s’ennuie un peu…
Serge Lipszic fait jouer sa bande de dix comédiens sur une tournette munie d’un étage que l’un d’eux entraîne grâce à la force motrice de son petit vélo: du côté plastique, c’est plutôt bien vu, d’autant plus que tout le monde s’entasse sur quelques mètres carrés , comme si cela allait de soi, avec une gestuelle tout à fait convaincante. Ils parlent de tout: de Dieu, de guerre et de paix mais aussi d’amour et d’amitié. Et il y a de très beaux moments, comme celui où un ministre dérape sans arrêt dans le discours qu’il prononce à un enterrement : malgré les circonstances, c’est d’une force comique inégalable. Mais l’ensemble de ces petits sketches mis bout à bout dans une mise en scène très statique- comment faire autrement sur un espace aussi petit ?- ne forcent pas l’admiration, d’autant plus que la lumière est mesurée, souvent noyée dans la brume de fumigènes ( est-ce pour évoquer la fumée des cabarets d’autrefois?), même si les comédiens font adroitement leur métier…
Lipszic adopte une scénographie qui ne peut pas fonctionner avec ce type de dramaturgie et il aurait du s’en apercevoir avant ; même si les scènes de cabaret ont la réputation d’être plutôt de petite dimension, il est évident que cette tournette gadget, au début assez drôle, finit vite par lasser. On sourit parfois mais « le rire noir, métaphysique ou énorme selon l’occasion » que nous promet le metteur en scène, n’est pas vraiment au rendez-vous. Alors, à voir? Pas si sûr! Lypszic prétend que le théâtre de Levin ne fait que répondre à la crise qui nous submerge. Peut-être ,mais ici nous avons affaire à une sorte de cabaret qui n’en est pas vraiment un et qui, de toute façon, n’est pas estampillé Levin.
Alors, vous pouvez éviter d’aller jusqu’à la rue Georgette Agutte….peintre et sculpteur qui se suicida, en 1922, après le décès brutal de son époux Marcel Sembat en disant cette phrase non dénuée d’humour: « Voilà douze heures qu’il est parti, je suis en retard ». C’était déjà du Levin…..
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Etoile du Nord jusqu’au 21 novembre à 21 heures et le samedi 7 à 16 heures; le 24 novembre au Théâtre du Vésinet et le 28 janvier à Saint-Germain en Laye