Arabian Night
Arabian Night de Roland Schimmelpfennig.
Arabian night, de Roland Schimmelpfennig, traduit de l’Allemand par David Tushingham et mis en scène par Nathalie Joy Quesnel, représentait un défi sérieux pour la jeune troupe anglophone, Evolution Theatre, formée il y a deux ans par d’ anciens élèves du Département Théâtre de l’Université d’Ottawa. La pièce a été montée dans l’espace étriqué du Cube, une galerie située dans le quartier du Hintonburg, qui esten passe de devenir le nouveau centre théâtral de la ville qui se développe d’une manière assez chaotique ,puisque des cafés, des restaurants bio des restaurants haut de gamme côtoient des théâtres qui récupèrent des tavernes, et d’anciens ateliers de travail désaffectés; il y a aussi une école de théâtre (Ottawa School for Speech and Drama) et le nouvel Irving Greenberg Theatre Centre, situé au rez -de- chaussée d’une élégante copropriété.
Arabian Night se déroule pendant une nuit de chaleur torride. L’imaginaire occidental transforme un conte de mille et une nuits destiné à distraire un Calife oriental, en récit urbain, marqué par les violences et les dérives psychiques. Cinq familles qui occupent un bâtiment de dix étages , montent et descendent les niveaux de cette structure (évoquée par des éléments de bois), sous l’impulsion de leurs fantaisies érotiques, désirs inassouvis, inquiétudes, et constructions imaginaires de « l’autre exotique ». Dans ce huis-clos hallucinant, ces personnages s’installent chez les uns, dévalisent les autres ou se transforment en voyeurs pris de panique, dans un contexte quasi apocalyptique où tout semble se désagréger. C’est , en filigrane, la situation sociale actuelle en Allemagne, peu à peu transformée par l’immigration du Moyen-Orient et par toutes les réactions qu’elle suscite.
Dans ce lieu anodin, ces victimes de l’exclusion et de l’aliénation, qui ont des difficultés de communication, dépouillées de tout, tentent de cerner un monde insaisissable qui se transforme sans arrêt sous leurs regards effarés. Perdu dans ce quasi-vide, les personnages ne se regardent pas : ils sont seuls, et la metteuse en scène a bien exploité ce parti-pris d’un jeu où ils semblent s’adresser toujours aux absents. Ce conte oriental déplacé dans un Occident urbain, est, à la fois réaliste, grotesque et magique, situé dans un ensemble de stratégies théâtrales apparemment contradictoires , que le décor et la mise en scène tenteraient de réconcilier.
La scénographie évoque les poutres d’un immeuble moderne à dix étages, recouvertes de tissus qui flottent dans le vent comme des voiles, ou qui se reconstituent pour évoquer des tentes délicates et transparentes dans un désert imaginaire. On devine les rêves, les relations quotidiennes qui donnent naissance à des situations où désir et violence fusionnent:la metteuse en scène réussit à évoquer une jeunesse, et une population à la fois fascinées et terrifiées par la «confusion » des origines de la société moderne.
Nathalie Joy Quesnel, une des metteuses en scènes les plus intéressantes de sa génération à Ottawa, a donc pris des risques en imposant aux acteurs un travail très chorégraphié. Le texte tient parfois d’ un récit vidé d’émotion, présenté par des narrateurs qui se regardent à distance. Parfois, nous avons l’impression d’une suite de monologues où les personnages racontent leurs débordements passionnés et violents, alors que leur émotion reste refoulée chez des êtres privés d’ émotion. La metteuse en scène semble avoir voulu contrôler un texte qui pourrait paraître un peu froid. Mais cet essai de danse/théâtre risque de détourner l’attention vers les corps en mouvement.
Cette oeuvre est surtout une partition sonore, une orchestration de voix et de sonorités, ce que Nathalie Joy Quesnel cerne dans les premiers moments du spectacle ,lorsqu’un des acteurs se tape sur les joues pour que son visage devienne un “beat box”. L’activité très physique des acteurs évoque parfois des gestes militaires, ou des mouvements de robots, voire des acrobaties de cirque, et semble imposer un autre langage scénique, parfois au risque d’un contre-sens. Pourtant les spectateurs semblent très impressionnés.et Évolution Theatre est en train de secouer le public anglophone d’ Ottawa ….
Alvina Ruprecht