La Corde, Soif, L’endroit marqué d’une croix
La Corde, Soif, L’endroit marqué d’une croix d’Eugene O ‘Neill, un triptyque mis en scène par Guy Freixe.
Eugene O ‘Neill ( 1888-1953) est maintenant bien connu en France où il a été monté mais on l’oublie souvent, dès 1923 par Gaston Baty, puis par Gerges Pitoëff en 29…. Guy Freixes a choisi de mettre en scène en triptyque trois courtes pièces du grand dramaturge, et, par ailleurs arrière-grand père de l’excellent James Thierrée, lequel est aussi le petit-fils de Charlie Chaplin qui avait épousé la fille d’ O’ Neill. Bon, vous suivez toujours?
Les présentations faites, passons à ces trois oeuvres : dans La Corde qui est une première et courte version du Désir sous les Ormes, un vieux fermier, c’est évident pour tous et il ne cesse de le répéter, a caché sinon un trésor, du moins un bon magot. Il attend depuis cinq ans déjà le retour de son fils qui est parti comme marin, et qui lui a, au préalable , « emprunté » un peu de cet argent qu’il n’avait pas voulu lui donner. Et le vieux fermier lui a prédit une belle malédiction: la corde! si , par hasard, il revenait un jour, et qui pend là, bien visible comme une menace permanente.
Bien entendu, un jour sans prévenir, le fils finit par revenir et se met en tête avec son beau-frère de récupérer le magot. Mais, comme on le sait, la vie est imprévisible, et ce n’est ni l’un ni l’autre mais la belle-fille qui le découvrira grâce à une ficelle dramaturgique de tout premier ordre que l’on ne vous révélera pas. Bien entendu, comme toujours chez O’ Neill, il y a une arrière-plan mythologique, en l’occurrence ici, la fameuse histoire d’Abraham et d’Isaac. Le début de la représentation patinait un peu le soir de la première mais cela devrait se caler, et l’on entre très vite dans l’univers de ces êtres , à la fois simples et compliqués, comme le sont des milliards de représentants de l’humanité; O’ Neill, savait à la fois construire un scénario mais aussi , en quelques répliques, installer, avec un métier très sûr, des personnages tout à fait crédibles , quand un metteur en scène sait les mettre en scène, et ce type de théâtre, qui frappe toujours juste, convient bien à Guy Freixe: quel bonheur après l’interminable Cabaret Hamlet de Langhoff que cette série de trois petites pièces montées sans aucune prétention.
Soif est évidemment plus difficile à mettre en scène: cela se passe en plein océan sur un canot de sauvetage où trois naufragés: une sorte de dandy qui, quelques heures auparavant, devait encore savourer un excellent Bourbon au bar d’un paquebot de luxe, une chanteuse de cabaret et un marin métis, trois pauvre hères qui ont peu chances d’avoir la vie sauve. . Ils ont une obsession commune: une soif impitoyable qui les détruit petit à petit; dès lors toutes les tentations, tous les rêves aussi sont permis, puisque la chanteuse et le dandy croient ou font semblant de croire que le marin a caché de l’eau: bref, la folie est au rendez-vous. La pièce ne manque pas d’intérêt ; reste à savoir comment on peut l’installer sur un plateau, et la marge de manoeuvre est limitée, que l’on aille du côté d’un réalisme- impossible!- ou d’un expressionnisme injustifié.
Il faudrait sans doute situer l’histoire ailleurs que sur cette barque incorporée à l’intelligent décor à transformation de Raymond Sarti à laquelle on a du mal à croire. Et le costume de la chanteuse de cabaret est peu convaincant, surtout quand elle doit séduire le bau matelot pour avoir une chance de survivre… Les costumes dans l’ensemble sont un point faible de ce spectacle et leur créatrice devrait relire Roland Barthes qui, on le sait, a écrit un texte remarquable sur le sujet.
L‘endroit marqué d’une croix parle aussi d’un voyage, mais, cette fois, immobile, celui d’un vieux capitaine, Bartlett, qui a transformé une des chambres de sa maison en cabine . Et il passe son temps à guetter l’arrivée d’un bateau qui doit lui rapporter un trésor enterré dans une île lointaine; même si le dit bateau a depuis longtemps coulé, le capitaine Bartlett continue à croire en ses rêves. Rêves qui en quelque sorte ont déteint sur son fils Nat qui, avec son père, voit aussi le bateau revenir, et des hommes venir et vider des coffres pleins… de poussière.Mais on ne saura jamais si cette obsession commune au père ou au fils tient plus du délire onirique ou d’une réalité peu crédible… Guy Freixe réussit à mettre en valeur cette espèce de connivence qui conduit à la folie le père et le fils, à la fois bien ancrés dans la réalité de la vie quotidienne mais victimes de leur obsession psychique qui va les détruire plus sûrement que n’importe quel virus grippal…
Dans ces trois pièces, on retrouve les thèmes chers au dramaturge américain: l’argent, toujours l’argent : l’argent des autres, l’argent dont on rêve et qui devait être rare chez les premiers émigrants irlandais comme le père du dramaturge, les relations difficiles entre père et fils, ( O’ Neill en savait quelque chose !), la part cachée que chaque être porte en lui et que, même ses plus proches ne peuvent apercevoir, le destin finalement tragique qui poursuit chaque être humain dès son berceau, et le bonheur indicible qu’il éprouve à mener sa petite vie personnelle malgré les les ennuis qui pleuvent. On a souvent dit , et avec raison, qu’ O’ Neill avait été proche des tragiques grecs, lui qui a aussi écrit Le deuil sied à Electre. En voyant ce triptyque fort bien monté et dirigé par Guy Freixe, on pense à cette phrase fameuse des Perses de l’immense Eschyle: « Même dans le malheur, jouissez des joies que la vie vous apporte, car la richesse ne sert à rien chez les morts »….
Philippe du Vignal
Le spectacle a été créé au Pôle culturel d’Alfortville le 5 novembre et est repris du 7 au 12 décembre à 20 h 30 au Café de la Danse à Paris. Puis en tournée: le 19 novembre à Epinal (88); le 24 novembre au Sémaphore de Sébazat ( 63); le 1 er décembre au Théâtre ATP de Poitiers (86); du 7 au 9 janvier à L’apostrophe, scène nationale de Cergy-Pontoise (95); le 21 janvier au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Cyr- sur-l’Ecole; (78) le 26 janvier au Théâtre de Cachan et le 13 février au Théâtre des Sources de Fontenay-aux-Roses (92).