LEONTINE en BRASSIERE
De l’impossible retour de LEONTINE en BRASSIERE, texte de Benoît Paiement-Bernard Dion, mise en scène de Robert Reid.
Cela se passe au deuxième étage du Théâtre d’aujourd’hui, situé au 3900 ( sic ) de la rue Saint-Denis à Montréal, bien connue pour ses centaines de restaurants en tout genre, dont le Commensal, , un libre service végétarien très fréquenté des Montréalais ,où l’on paye en fonction du poids de l’assiette que l’on a remplie… Donc, le Théâtre d’aujourd’hui programme cette saison une adaptation des Essais de Montaigne, une comédie musicale d’après la pièce culte de Michel Tremblay Les Belles soeurs mais aussi l’an passé des oeuvres de l’incontournable Wajdi Mouawad et de Normand Chaurette bien connus en France) . Le théâtre possède une grande salle et, au sommet d’un escalier assez rude, une petite salle de quelque soixante places avec une scène toute en longueur plutôt destinée à des réalisations expérimentales.. . et qui accueille le Groupe de Poésie moderne qui reprend cet Impossible retour de Léontine en brassière( soutien-gorge en québécois).
Il s’agit des malheurs supposés d’une actrice Félixe Ross jouée par l’actrice… Félixe Ross, que l’on ne trouve plus vraiment assez jeune pour jouer cette fameuse Léontine, mais on le comprend vite, c’est un aimable prétexte pour parler de tout et de n’importe quoi, mais aussi de la peinture de Paul-Emile Borduas, peintre québécois ( 1905-1960) qui aurait fait le portrait de Félixe Ross. Il a peint nombre de tableaux non figuratifs fondés sur un certain automatisme mais il est surtout connu pour une remarquable toile à la fin de sa vie L’Etoile noire.
Mais Borduas est aussi l’auteur, avec son ami Riopelle et quelques autres, de Refus global ( paru en 48 !) ,un Manifeste visionnaire et courageux qui dénonçait la tyrannie morale de l’Eglise catholique au Québec. Ce dont parle ce spectacle avec des extraits de textes authentiques assez édifiants; mais on y discute aussi pratique artistique en avec, en vrac: un certain Picasseur, Seurat, Gauguin, mais aussi Klee et un clin d’oeil au pop art et à Roy Lichenstein, quand les comédiens se coiffent de perruques d’un blond agressif.
Tout cela est simplement et finement évoqué par quelques coups de pinceaux lumineux sur un grand écran pivotant , seul élément scénique, avec lequel jouent les comédiens. Mais il est aussi question dans la soixantaine de petits textes juxtaposés, de Jacques Cartier qui écrit au général de Gaulle pour lui signaler un certain nombre de collines d’où il pourrait prononcer ses prochaines allocutions… et des citations de politiques importants comme René Lévesque, le grand défenseur de la minorité québécoise et de la langue française et son adversaire René Trudeau contre lequel avait eu lieu une gigantesque manifestation! Mais là, il vaut mieux être de la paroisse pour bien comprendre les choses.
Les quatre comédiens, très solides, qui ont une diction absolument parfaite, sont habillés en collants noirs, et établisssent vite une réelle connivence avec leur publicdemandent au public auquel ils demandent de se lever pour écouter l’hymne national mais oublient de les faire se rasseoir! Les phrases se bousculent , et les mots sont déchirés puis reconstruits, en tout cas, très souvent malmenés, voire passés à la moulinette de l’absurde, de la dérision et du télescopage sémantique: bref, on l’aura compris, cela tient à la fois de la poésie sonore de gens comme Bernard Heidsieck, Henri Chopin, ou François Dufrêne, mais ce délire verbal participe aussi de la poésie de Jean Tardieu, avec une petite goutte d’Eugène Ionesco.
Côté gestualité, c’est tout aussi raffiné et cela fait un peu penser aux Frères Jacques , admirable quatuor des années cinquante qui chantait notamment la fameuse Truite de Schubert sur des paroles de Francis Blanche. Il y a cette même précision du verbe et du geste, ce même décalage tout en nuances, non pour donner corps à un personnage mais pour alimenter une machine à délires verbaux et à loufoqueries qui fonctionne à merveille avec le public de Montréal qui les suit fidèlement depuis des années. Mais la dramaturgie qui avance par à-coups montre quelques faiblesses qu’il faudrait éliminer d’urgence : à certains moments, le spectacle part un peu dans tous les sens, et n’est sans doute pas aussi caustique qu’on lesouhaiterait. Malgré la mise en scène très rigoureuse de Robert Reid qui dirige ses quatre comédiens avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité…
A voir? Oui si vous passez par Montréal l’an prochain,car le spectacle devrait y être repris et si vous voulez vous rendre compte de ce qu’un groupe québécois de recherche peut produire d’original; en effet ,on connaît davantage en France Lepage, Mouawad, Chaurette ou Fréchette. Viendra-t-il aux Francophonies de Limoges? Ce ne serait peut-être pas un luxe…
En tout cas, c’est toujours émouvant d’entendre à des milliers de kilomètres de l’hexagone, des comédiens qui se font visiblement plaisir à jouer aussi finement avec cette langue française à laquelle ils tiennent tant, et avec juste raison..
Philippe du Vignal
Merci, je n’y aurais pas comprit grand chose sans votre aide!