Le Cerceau
Le Cerceau de Victor Slavkine, mise en scène de Laurent Gutman.
Les présentations: Slavkine, qui a 74 ans, ci-devant ingénieur des transports, puis journaliste dans l’ex URSS a été propulsé sur le devant de la scène théâtrale avec La fille adulte du jeune homme montée par le grand Vassiliev il y a trente ans puis, en 82, écrivit Le Cerceau que monta aussi Vassiliev dans une mise en scène exemplaire et que nous avions pu voir à Bobigny. Depuis, c’est devenu une sorte de pièce culte en Russie qui est aussi souvent jouée en Europe.
L’histoire est simple: Petouchok, un ingénieur, célibataire d’une quarantaine d’années, a hérité de sa grand-mère d’une belle maison de campagne, et il y a emmené pour un week-end, cinq amis qui ont à peu près le même âge que lui: une femme qui, autrefois, a été son amante passionnée, et trois hommes, et une autre jeune femme de 26 ans. Petouchok a envie de transformer cette maison dont il ne sait finalement pas trop quoi faire en un lieu où pourrait se rassembler une communauté d’amis, vieux rêve utopique qu’il doit porter depuis des années sans se l’avouer à lui-même, dans le but de ne plus être en proie à la solitude, même si les choses ne sont pas aussi évidentes à réaliser. Après tout, qu ‘ont-ils en commun sinon un même regard sur le passé? Pour le moment, ils sont là , autour d’une grande table ovale, et tout est paisible dans cette maison, il y a de beaux chandeliers qui dispensent une lumière douce, et ils s’amusent à lire des paquets de lettres de la grand-mère de Petouchok à son amoureux qui est devenu un vieux monsieur et qui, justement, comme si c’était dans l’ordre naturel des choses, arrive dans cette maison où il vécut autrefois. Et tous l’écoutent , avec beaucoup d’attention, raconter des pans de sa vie.
Quant à Petouckok qui retrouve son amante, il semble réaliser que leur amour commun avait sans doute besoin d’une rupture initiale, pour prendre vraiment vie , et que cette attente leur a été plutôt bénéfique à tous deux. Mais, en même temps, comme si aucun d’eux n’avait rien à cacher, elle lui confie publiquement qu’elle trouve leur vie si vide et si odieuse qu’elle éprouve un profond besoin d’être aimée.
Le passé à jamais disparu, le présent sans intérêt, la nostalgie toujours aux aguets, la société soviétique qui a été emportée dans le grand vent de l’histoire et le besoin qu’ils ont tous de se rapprocher, même s’ils ne semblent pas se faire trop d’illusions sur les chances réelles de voir se créer une communauté, sont les thèmes essentiels de cette pièce où il y a finalement peu d’action mais dont on écoute pourtant chaque dialogue avec gourmandise pendant trois heures … Sans doute, comme on l’a dit souvent, parce que son univers rappelle encore et toujours, celui des personnages de Tchekov. Mais, trente ans plus tard après qu’elle ait été écrite, la pièce sonne toujours aussi juste et semble même s’être encore bonifiée…
Il faut dire que la mise en scène et la direction d’acteurs de Laurent Gutman , qui a choisi de ne plus assurer la direction du Centre Dramatique de Thionville, sont d’une rare efficacité, si bien que l’on entre tout de suite en connivence avec les personnages de Victor Slavkine. D’autant plus qu’il a su créer des images et d’une grande beauté qui font parfois penser à celles qu’imaginait le grand Klaus-Michael Gruber disparu l’an passé. Aucun pathos, aucune déclamation mais une grande proximité de la parole que l’on perçoit parfois comme dans un murmure, toujours en osmose avec une remarquable gestuelle, et toujours aussi en accord avec les silences qui prennent ici une importance capitale , surtout quand ils sont soulignés de lointains échos musicaux.
Et la bande d’acteurs que Laurent Gutman a fait travailler ( Jade Colinet, qui joue magnifiquement la jeune naïve de 26 ans, Bruno Forget, Daniel Laloux qui possède une présence imposante dans le rôle du vieux monsieur, Marie-Christine Orry, avec son humour corrosif, Eric Petitjean, François Raffenaud et Richard Sammut, ) possède une unité de jeu tout à fait rare et chaque personnage est toujours à l’écoute de l’autre. Et ce genre de performance est vraiment exceptionnel dans le paysage théâtral contemporain
On ne voudrait pas dire ( mais on le dira quand même) : les distributions de théâtre importants comme par exemple, la Comédie-Française, avec des acteurs qui passent trop souvent d’une pièce à l’autre, n’ont pas toujours cette qualité de jeu scénique.Au chapitre des inévitables réserves: quelques longueurs, notamment dans les longs monologues de Lars, et la mauvaise répartition du spectacle: 40 minutes/ entracte/ 100 minutes / entracte/ 40 minutes, rendue nécessaire (?) par un changement de décor, qui aurait pu nous être épargnée, tout comme cette stupide invasion de fumigène dans la dernière partie dont on peine à voir la raison. Mais ce sont des défauts mineurs et facilement réparables.
Le spectacle est actuellement présenté au Studio-Théâtre que Daniel Jeanneteau a bien eu raison d’accueillir; c’est donc à Vitry encore pour quelques jours mais le RER C, lui, fonctionne bien, et le Studio-Théâtre est à six minutes de la gare; oui, cela dure trois heures mais qui passent vraiment très vite; oui, c’est jusqu’au 15 novembre seulement; oui, il n’y a qu’une cinquantaine de places mais si vous pouvez y aller, vous ne serez pas déçus…
Philippe du Vignal
Le 14 novembre à 19 heures et le 15 à 16 heures, seulement au Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine ; puis le 27 janvier au Théâtre Anne de Bretagne de Vannes; le 11 février à la Passerelle de Saint-Brieux; le 26 mars à la Scène nationale de Chateauroux et le 30 mars au Théâtre Gallia de Saintes.
Le Cerceau est publié dans la traduction de Simone Sentz-Michel aux Editions Actes-Sud Papiers.