Graves épouses / Animaux frivoles
Graves épouses / Animaux frivoles d’Howard Barker
Création en France par Guillaume Dujardin
Le Théâtre de l’Atalante où, la saison dernière, nous avons vu la création mondiale par Agathe Alexis de Loth et son dieu d’Howard Barker, accueille la création d’une pièce inédite en France du même auteur Graves épouses / Animaux frivoles dans la mise en scène de Guillaume Dujardin qui a fondé en 2003 à Besançon sa compagnie Mala Noche avec laquelle il a créé depuis plusieurs pièces d’Howard Barker. Graves épouses / Animaux frivoles fait partie du « théâtre de catastrophe » de Barker. Comme souvent dans son théâtre, on est ici dans un après-guerre, une révolution, où l’ordre ancien a été balayé. Dans un espace ravagé où toute vie a disparu, où les valeurs et les repères n’ont plus cours, deux femmes : Strassa, qui a été la maîtresse, de Card, jadis sa servante, et la figure énigmatique d’un chien.
Un no man’s land désert, une sorte de laboratoire où le désir libéré est à l’œuvre; quant au mari de Card, c’est un peu une figure hypothétique, et le chien robot (un prototype d’une « humanité » à venir ?) est capable d’effectuer diverses actions : japper, lever la patte, sortir, rentrer, quémander, attraper et emmener des vêtements de Strassa. Dans un lieu délabré en demi-cercle, Card en blouse stricte grise qui monte jusqu’au cou, Strassa en vêtements déchirés et sales et un chien, une grande marionnette manipulée avec une longue tige et des ficelles, apparaît parfois. Card déclare à son ex-maîtresse que son mari veut la posséder.Et elle doit vite apporter à son mari la réponse de Strassa. Le chien robot, figure du désir brut, animal, quémandant les chaussures puis les vêtements de Strassa, relaye les injonctions de Card et son désir de voir son mari posséder Strassa, de la soumettre et ainsi de l’avilir. D ans cette opération de séduction, le mari de Card représente l’ enjeu d’un rapport de force, d’un désir de possession…
Comme souvent chez Barker, la frontière entre le politique, le social et l’intime s’efface ici. Erotisme et sexe deviennent ici l’ instrument du pouvoir dont Card veut s’emparer . On retrouve ici le thème barkérien du sacrifice, la possession de Strassa par le mari de Card devant être un gage du changement. La tentative de Card va échouer mais, en même temps, Barker nous montre sa nature cyclique. A la fin , Card toujours en blouse grise, renonce au changement, et Strassa, en robe noire élégante, chapeau à voilette et gants: distinguée, rigide, sûre d’elle, reprend son rôle de maîtresse. Le rapport de force et l’ordre sont restaurés en apparence. mais semblent plus fragiles, après cette mise à l’épreuve.
La traduction de Pascal Collin rend le caractère dépouillé, condensé, de l’écriture de Barker, en soulignant le ton raffiné, rigide des dialogues dans le rapport de force qui s’assouplit et qui s’érotise à l’instant où la séduction opère. La mise en scène de Guillaume Dujardin est sobre, et le jeu très retenu dans l’expression et la gestuelle: le moindre geste, regard ou rapprochement physique, crée des tensions et semble violer la distance fragile entre les deux protagonistes.Mais les comédiennes, Odile Cohen (Strassa) et Léopoldine Hummel (Card) ont, par moments, du mal à être à la hauteur des enjeux du texte.
Irène Sadowska Guillon
Au Théâtre de l’Atalante à Paris jusqu’au 27 novembre 2009; le spectacle sera repris au Nouvel Olympia CDR de Tours du 16 au 20 mars 2010