Entretien entre Wajdi Mouawad et Thomas Ostermeier

Cet entretien, entre Thomas Ostemeier, Wajdi Mouawad et Alvina Ruprecht a eu lieu  devant les élèvespo21of1.jpg d’un lycée francophone d’Ottawa qui forme les jeunes artistes. La  Schaubühne de Berlin, dirigée par Th. Ostermeier est en effet à Ottawa cette semaine (10-14 novembre) avec  Hedda Gabler d’Ibsen, mise en scène par  Thomas Ostermeier, spectacle joué  au Théâtre français du Centre national des Arts, dans une adaptation de Marius Von Meyenburg.

 

Wajdi Mouawad : Le contexte de cet événement est d’une  certaine importance et donc, avant de commencer l’entretien avec Thomas, je tiens à  vous donner un aperçu historique du théâtre français du C.N.A. Il y a 40 ans, quand a été créé le Centre national des arts qui comportait un orchestre, un département de danse, un théâtre anglophone et un théâtre francophone, vous pouvez imaginer le contexte politique: théâtre anglais d’un côté, théâtre français de l’autre. (1) Le temps a passé et la notion de théâtre français a changé!  À l’époque, cela  signifiait  théâtre qui se jouait en  langue française, selon les normes du théâtre français. Je dirais que depuis dix ans cette notion  a changé en général mais  aussi pour moi: je ne suis  pas né au Québec, je ne suis pas non plus d’origine canadienne, et je suis arrivé en apportant avec moi, une part d’étranger; si l’on parle en termes sociologiques , on pourrait dire une part d’immigré; en termes politiques,  on pourrait parler de l’« autre », ou de l’inconnu.

  Arrivé comme  directeur artistique, j’ai réfléchi sur cette notion de théâtre en français et  comme je m’étais rendu compte que  je n’avais, moi-même, appris le français que vers l’âge de douze ans,  je fais du théâtre dans  une idée française de ce que c’est le théâtre, idée qui n’est pas fondée sur  la langue seulement mais peut-être aussi sur des  notions éthiques, morales, qui étaient parfois inconnues de moi.  Il y a aussi la notion d’accueil et j’ai eu l’idée de faire venir ici chaque année, un spectacle de l’étranger.

  Cette confession que je viens de vous faire, n’est  au fond qu’une façon de justifier l’invitation de metteurs en scène pour qui j’ai une grande admiration et qui m’ont ému profondément, qui m’ont transformé.  Mais je me suis aussi  demandé comment justifier une invitation, puisque ces metteurs en scène travaillent dans une langue étrangère. Et là,  j’ai commencé à réfléchir et je me suis dit que, si j’invitais ces spectacles,  je devais trouver un fondement éthique. Quand je commence donc à préparer une saison, je ne choisis pas d’abord la langue pour ensuite choisir le metteur en scène.  Je choisis d’abord un metteur en scène que j’ai vraiment envie d’inviter, et  qui travaille dans une autre langue, et  une fois que j’ai pris ma décision, j’invite sa langue. C’est en effet   très important: à la base, il y a un choix qui se fait à partir d’un  choc. L’année dernière, nous avons invité  Krum  de Levin dans la mise en scène de Kristof Warlikowski dont le travail est très différent de celui d’Ostermeier.

  L’année dernière,  j’avais présenté Seul  à la Schaubühne à Berlin. Pendant que je jouais, il y avait un Hedda Gabler  dans la salle  d’à-côté. Un jour de relâche,  je suis allé voir le spectacle et,  tout de suite, j’ai pensé au public du C.N.A.,  et je me disais qu’il fallait absolument qu’on le voie à Ottawa. C’est tellement beau, tellement  puissant,  tellement lié à ce que le théâtre peut être et doit être, dans une relation de  partage.  Le lendemain,  nous en avons  parlé et,  un an plus tard, nous  sommes là…    Quand vous verrez la pièce, vous allez complètement oublier les théories, les concepts  et c’est tant mieux, Vous serez devant un spectacle et vous allez avoir à dialoguer avec lui.
Et je vais poser quelques questions à  Thomas : quels liens  as-tu  avec les œuvres classiques , puisque tu en as monté beaucoup, mais  tu as aussi monté aussi des auteurs contemporains..  Comment passes-tu de l’un à l’autre, comment  le choix se fait-il? En fonction de ce  que tu as vécu ou  d’un choix collectif par rapport au  public allemand?


Thomas Ostermeier
:  Je suis enchanté d’être ici pour parler de mon travail à Berlin.  Je crois que dans tous les autres pays  du monde ou il y a du théâtre, ce n’est  pas si évident de monter un texte classique et de faire semblant de croire  que c’est un texte contemporain. Mais cela fait  partie  de notre qui est d’abord  de répertoire . Il faut savoir que la plupart de nos villes  ont un théâtre en plein centre avec une compagnie permanente  qui travaille avec des contrats de deux ans. On est  donc à la fois dans une  tradition des textes classiques et à la recherche des textes contemporains. Et ce type de situation fait qu’on a aussi une grande tradition de réinvention  de textes classiques.

    Hedda Gabler  est déjà mon quatrième spectacle d’Ibsen mais monter Ibsen, dans la tradition allemande , cela signifie que le spectacle va parler  des  personnages dans une perspective psychologique, que ce  théâtre montre les âmes des  personnages, et possède quelque chose de très intime . Quand j’ai lu ses textes,  j’avais un regard tout à fait différent sur le monde d’Ibsen et sur ses personnages qui étaient bien du 19e siècle. Mais les questions et les problèmes de la société bourgeoise sont encore là, et nous sommes  dans une situation proche de celle de la bourgeoisie norvégienne au XIXe siècle.
Ce fut pour moi un choc !  Je croyais, malgré tout, qu’aujourd’hui, nous étions arrivés dans  un autre monde… mais il y a toujours les mêmes problèmes de famille, d’argent, de peur de perdre son travail, et surtout la relation entre homme-femme, la relation du couple  et l’angoisse   de la femme de ne pas avoir sa place dans la société n’ont guère évolué!
Wajdi Mouawad: Quand tu  dis que  tu étais étonné de voir que  les problèmes sociaux décrits dans les pièces d’Ibsen  étaient  au fond les mêmes que ceux que vit notre  génération,  penses-tu qu’il y a eu une époque où  ils  avaient disparu?

 

Thomas Ostermeier:   Non mais je dirais plutôt que, vers la fin des années 1960 et 70-80, ces questions étaient beaucoup plus problématisées. Alors aujourd’hui surtout en Allemagne, après la chute du mur, surtout pendant les dix premières années suivantes, on a  vécu  une période très conservatrice, voire réactionnaire. L’angoisse de l’individu  est toujours fondée sur un sentiment existentialiste de  l’homme, et a une réponse dans la famille. C’est là où je retrouve encore des moments de bonheur.   Mais dans les années 1970-80, il y avait l’idée importante en Allemagne  de la « communauté « et la génération de 68 a remis en question la famille . À l’époque,  il y avait aussi  le mouvement important  de  l’émancipation des femmes.

  Mais  aujourd’hui, dans ma génération à Berlin,  il y a beaucoup de femmes qui sont prêtes à revenir à la maison, à  ne pas travailler, à faire des études universitaires ,  et à vivre une vie de famille  comme autrefois. Tout cela fait partie d’une  situation globale où le capitalisme fait un retour triomphal.  Il ne s’agit pas  seulement du capital  mais aussi des idées du XIX e siècle.  Pour moi, c’est un peu le lien entre l’œuvre d’Ibsen et  mon travail au théâtre.

Wajdi Mouawad  .M. Qu’est-ce qu’être un artiste en Allemagne,  dans un contexte comme tu viens de le décrire  où les moyens existent,  plus que dans bien d’autres pays, mais où on est héritier d’un siècle où la langue allemande renvoie à un imaginaire lourd  et difficile à porter? Comment créer de la poésie en langue allemande, quand on a affaire à des générations futures?

 

Thomas Ostermeier:Bonne  et difficile question!  Le grand philosophe allemand Adorno  a dit «  Après Auschwitz,  on ne peut plus écrire des poèmes ». Je crois qu’il y a une part de vérité dans cette phrase:  c’est difficile de travailler en  langue allemande . Et au  théâtre, on a perdu  le côté pathétique de cette langue. C’ est une grande différence avec le théâtre français. Par exemple, la déclamation n’existe plus chez nous . Alors le théâtre allemand  dans mon cas, est devenu très réaliste avec un langage et un  traitement des dialogues très subtil sans  moments de « grandes paroles ».Et cela a beaucoup à voir avec ce que nous avons vécu au XXe siècle et  c’est pour cela qu’ à la Schaubühne, nous traitons beaucoup cette question. On vient de créer un spectacle qui s’appelle La troisième génération, avec des acteurs du Moyen-Orient ,   israéliens, palestiniens mais aussi  allemands qui se retrouvent pour se poser la question : qu’ était l’ holocauste? Je ne me sens pas responsable de l’histoire allemande du XXe siècle mais comment traiter ce sujet là,  qui est  aussi  liée  à la question de la langue.

 

Wajdi Mouawad:   Quel sens donnes-tu au fait d’être   directeur de la Schaubühne et quelle en est son histoire ?

T.O. La Schaubühne est une des grandes mais assez jeunes institutions berlinoises, même si elle elle existe quand même depuis 45 ans!  Les autres grands théâtres  institutionnalisés comme le  Berliner Ensemble ou le Deutsches Theater sont beaucoup plus vieux… La Schaubühne a été fondée  par des étudiants, dont,  Gottfried Helnwein,  l’un des fondateurs est encore le directeur administratif. Il a créé  la Schaubühne quand il avait  22 ans . L’idée au début était de faire du théâtre sans moyens, avec ses copains  de l’université, très politique et très engagé. Huit ans après ses débuts, Peter Stein, le grand metteur en scène allemand , en est devenu le directeur artistique, et à ce moment-là, la Schaubühne est devenu un théâtre  célèbre et a eu beaucoup  de succès, surtout en Allemagne mais aussi un peu partout dans le monde. Elle  a beaucoup influencé le paysage théâtral européen. Et depuis, les subventions  de la ville ont  augmenté . Aujourd’hui on reçoit un budget de 12 millions d’euros  par saison et il y a deux cents permanents …

  En 1960-70,  la participation était une idée majeure, à savoir:  tous les acteurs et les   travailleurs du théâtre participaient au choix des textes,  des metteurs en scène, et même de la distribution. Pour ce qui est des salaires, tout le monde gagnait à peu près la même chose. Quand nous sommes arrivés  en 1999, nous étions une  équipe artistique venue d’un petit théâtre qui  s’appelait La Baracke que j’avais dirigé pendant trois ans à Berlin et ensuite on m’a invité à prendre la direction artistique de la Schaubühne.

  J’ai alors essayé de faire revivre cette idée de  participation dans mon travail de directeur,  selon l’idée d’une démocratie de base. On peut revenir aux idées du début de ce théâtre mais dans une situation  très différente:à l’époque en effet, ces idées faisaient  partie de mai 68 en Allemagne, mais aujourd’hui on vit une autre époque et nous ne sommes plus portés  par un mouvement de  société.

Wajdi MouawadPourrais-tu  résumer  l’histoire de Hedda Gabler en quelques phrases?

Thomas Ostermeier:  Une femme  se marie avec un jeune professeur, ou du moins avec  un homme qui  croit qu’il va devenir professeur, et quelques années après se trouve  dans une prison dorée. Elle  choisit  de  ne pas en sortir  mais essaye de détruire tous les gens autour d’elle et cette pulsion destructrice a beaucoup à voir avec le fait qu’elle est mue par une haine de soi. Elle essaye par  des intrigues et des stratégies perverses, de détruire les relations personnelles autour d’elle, parce qu’elle ne supporte pas la médiocrité environnante et va se  trouver dans une situation où tout ce jeu  se retourne contre elle et prise au piège , elle se suicidera.
Wajdi Mouawad: Quelle relation  entretiens-tu  avec les auteurs et leur écriture? As-tu  des contacts réguliers avec eux,  les appelles-tu pour leur parler , ou est-ce une relation qui  distante.?
Thomas Ostermeier: Je dirais qu’une de mes premières idées de base de mon théâtre est de renforcer la relation entre le théâtre et les auteurs. Nous avons  beaucoup perdu avec la perte de l’idée d’ auteur, parce que le lien qu’ils avaient avec et le théâtre n’existait plus. Le théâtre allemand des années 90  était  devenu un théâtre  autoréférentiel,  qui donnait une réponse à une  pièce représentée auparavant. C’était une tour d’ivoire où, pour les artistes, la réalité n’existait plus ou ne jouait plus un rôle important.

  Si le théâtre veut survivre, il est important qu’on réactive ce lien entre nous et la réalité. Et  ce lien est l’auteur qui, seul,  peut apporter des histoires qui ont un rapport direct avec la vie des spectateurs. . Je me souviens encore beaucoup,  jeune spectateur , d’avoir  vu des spectacles où je ne comprenais rien et  qui n’avaient rien  à voir avec ma vie personnelle. C’est notre devoir, je crois,  de réinventer ce rapport et d’inviter les auteurs au théâtre .  Et dans le cas d’ Hedda Gabler , il s’agit d’une  adaptation du texte d’Ibsen que j’ai fait avec l’auteur, dramaturge et traducteur Marius Von Mayenburg qui a déjà écrit beaucoup de pièces, dont Visage de feu (2001), pièce avec laquelle nous étions à Toronto il y a dix ans. Nous  faisons  des adaptations de textes mais on ne touche pas au cœur de la pièce mais on essaie plutôt de l’actualiser  sans banaliser la langue.


Wajdi Mouawad: As-tu envie d’écrire des pièces?


Thomas Ostermeier: Oui, mais je sais que je suis un très mauvais auteur dramatique…


Wajdi Mouawad: Dans ce cas là, si tu es un mauvais écrivain, y-a-t-il  un rapport  avec ta qualité de metteur en scène?  Es- tu es un excellent metteur en scène parce que tu te sens démuni par rapport à l’écriture?  Ou bien,  cela n’a rien à voir ?


Thomas Ostermeier:Toutes les formes d’art, me semble-t-il,  sont des recherches sur la communication mais il y a aussi dans chaque être humain des émotions qu’on ne peut  exprimer par la parole.  Il y a aussi la musique, la peinture et  toutes les autres formes d’art par  lesquelles on essaie de communiquer et de s’exprimer.  Le  langage de la dramaturgie, comme  celui de la poésie, est aussi une manière de  communiquer avec l’autre, et la mise en scène est une sorte  d’art, une façon d’exprimer quelque chose impossible à exprimer avec des mots.
Ma passion est de travailler  sur cette question de communication , d’exprimer des choses que j’observe  dans le comportement des  gens, et de mettre  sur scène de petits gestes, de petits moments  qu’on n’arrive pas à décrire,  mais  qu’on peut très bien reconnaître . Pour moi ,cela est aussi une forme d’art , de communication et surtout, je crois que  le meilleur théâtre  que je connaisse, est fondé sur des clichés du comportement des gens. Ces  clichés et ces  gestes  constituent une sorte de narration scénique qui n’a  rien à voir avec la réalité mais qui a beaucoup à voir avec la tradition théâtrale et ma passion , ma mission est de réinventer l’écriture des gestes sur  scène, influencée par la réalité qui existe autour de moi.
Wajdi Mouawad:  Eprouves-tu quand tu vois  le  paysage devant toi chaque jour quand tu te lèves et que tu vas répéter au théâtre, le sentiment qu’il existe quelque chose de spécifiquement allemand par rapport à ce qui pourrait être surtout européen?  Je ne parle pas des moyens ni de  méthodes mais de quelque chose d’autre  difficile à nommer. Comme je passe beaucoup de temps en France et que je voyage entre la France, la Belgique, l‘Italie et l’Allemagne, je finis par avoir le  sentiment qu’il y a tellement de liens culturels entre ces pays , et  les spectacles voyagent tellement, (tu vas partout en Europe et les autres théâtres viennent souvent en Allemagne), j’ai l’impression  qu’il commence à exister un théâtre européen. Comment te situes-tu par rapport à cette notion de spécificité artistique?

Thomas Ostermeier: Il y a une vieille expression qui dit.  « Think global,  act local » Je crois que c’est vraiment le cas pour mon théâtre.Et quand j’essaie de monter une pièce et de  réfléchir à une nouvelle production, je ne pense jamais à la manière de l’adapter au cirque d’un théâtre global qui tourne tout le temps. J’essaie de parler à mon propre quartier. Je dirais que ce n’est  même pas toute la ville de Berlin mais à ma propre province artistique : je crois qu’ on vient tous d’une province, et qu’on recrée tous  nos  petites communautés artistiques qui sont autant  de petites provinces. Et j’essaie de communiquer, d’être  en contact avec cette communauté allemande de ma génération, dont la situation professionnelle est difficile, et où nous avons  moins d’argent que  nos parents. Nous vivons dans des situations sans travail et cela pour une grande partie de ma génération. C’est ma province à moi, ces gens avec lesquels je veux communiquer, qui ont des problèmes de vie privée, de relations homme/femme, etc….  Je m’adresse à cette communauté et si j’arrive à communiquer avec les autres spectateurs tant mieux, mais je ne pense jamais à créer quelque chose qui fonctionnerait globalement.


Wajdi Mouawad: As-tu un auteur de référence?


Thomas Ostermeier: Oui, mais ce n’est  pas du tout Ibsen, Marius et moi qui  travaillons toujours sur l’écriture scénique,  sommes souvent  d’accord pour trouver qu’Ibsen n’est pas un auteur aussi remarquable que cela. La plupart du temps, il a besoin de deux actes avant que le conflit soit vraiment là. C’est plutôt un auteur d’exposition. Mais j’aime cela aussi : quand on fait une mise en scène,il faut relever le défi de ne pas  être ennuyeux pendant deux actes qui se passent sans conflit…A vrai dire, je viens de mettre en scène Hamlet de  Shakespeare, et cela fait un an et demi que j’y travaillais. Je fais de petits stages, je travaille avec des étudiants parce que j’enseigne un peu la mise en scène,  et je choisis toujours Hamlet pour retravailler la pièce , alors  je pourrais dire qu’Hamlet est ma pièce préférée, et Shakespeare, oui,  n’est pas mal!

Wajdi Mouawad: Penses-tu que le théâtre est là comme  miroir,  et existe-t-il  pour nous donner des pistes de réponses?


Thomas Ostermeier: Pas du tout je suis contre cette idée.  Peux-tu  me citer  une pièce  qui donne une réponse? Non, il n’y en a pas. Ou s’ il y en a,  elles ne sont pas bonnes. Le théâtre qui donne des réponses n’existe pas:  le théâtre n’est pas l’église. À l’église,  on peut avoir des réponses,  mais le théâtre est là pourquoi?, Au Moyen Âge , l’église était contre le théâtre  qui était le lieu du diable et moi  je suis bien d’accord. (rire)


Wajdi Mouawad:. As-tu déjà mis en scène des tragédies grecques?


Thomas Ostermeier: Depuis trois ans, Marius et moi nous sommes en train de chercher  une solution pour  mettre en scène Œdipe et nous y travaillons toujours. Le problème, c’est le destin qui joue un grand rôle dans l’ubris grec?mais l’autre difficulté dans  Œdipe est d’arriver à dire  que  l’être humain est bien d’accord avec son destin, et ne veut pas être ailleurs. . Comment être d’accord avec son destin?  Je ne  sais pas encore répondre et donc traiter cette question. .


Wajdi Mouawad: Tu tournes  tes spectacles dans des endroits  improbables, tu peux te trouver  à Taiwan, en Chine, au Japon, même au Canada.  très loin du « quartier » dont tu parlais tout à l’heure. Comment se passe une  représentation d’Hamlet à Taiwan ? Quelle  relation as-tu avec le quartier, par rapport  à ce que tu as fait , toi, pour ton quartier?  Le spectacle fonctionne-t-il quand tu présentes ton spectacle ailleurs. Par exemple avec Hedda Gabler à Ottawa?  Comment  fais-tu  la transition?
Thomas Ostermeier:Les représentations d’Hedda Gabler sont  une réponse à  cette question,  Existe-t-il  une vraie vie dans la  fausse vie ?, Cette question  posée à personnage féminin traite aussi la question de la femme aujourd’hui: comment vivre, comment trouver  le bonheur dans la vie de couple? Y-a-t-il  des alternatives au réel?  Avoir une jolie maison en banlieue avec un grand jardin,  épouser un homme qui gagne beaucoup d’argent et dont la femme  peut rester à la maison: cela fait partie du rêve des gens un peu partout dans le monde. Mais, en même temps,  cela pose la question du pouvoir dans la société, des relations homme/femme. Je crois que cette question est globale. Je suis  curieux, à chaque fois que l’ on va jouer quelque part de savoir quelles sont les  relations homme /femme.
Avec La Maison de Poupée,  cette question était encore plus évidente, quand nous l’avons joué  en Turquie par exemple. J’étais complètement fasciné par le fait que des jeunes femmes du public étaient très favorables au spectacle, très engagées et même  très émancipées par rapport à l’histoire que nous avons montrée.  Je dirais même que le pays le moins développé en l’occurrence est l’Allemagne  quant aux relations homme/femme.  (rires)


Wajdi Mouawad: Je vous remercie de nous avoir écoutés (applaudissements)

Alvina Ruprecht :Le marathon de cet été à Avignon, avec vos trois spectacles  de suite pendant toute une nuit,  était une réussite à votre avis?  Etait-ce si important de présenter les trois œuvres  sans interruption dans ce contexte-là?  Y avait-il  une raison précise ?

Wajdi Mouawad: . Si cela a réussi, je ne le sais pas et je suis mal placé pour avoir un jugement là-dessus  mais  j’étais habité par une seule question: depuis  longtemps , quand j’avais créé Forêts  2007, je sentais bien qu’il y avait un lien entre  les trois pièces ,mais si je les lisais séparément , je n’arrivais pas à savoir  de quoi il était question et je me suis dit qu’en fait , un jour, il fallait monter ensemble Littoral, Incendies et Forêts, ..pour  avoir la réponse. Et donc,  je l’ai fait, ce qui m’y a amené , outre le désir d’une grande aventure théâtrale avec les acteurs, d’ une expérience ludique,  c’était le désir de voir  comment l’émotion   pouvait voyager d’une  pièce à une autre , puisque les trois pièces présentées seules, provoquaient un rapport à l’émotion  particulier,  dans Littoral, dans Incendies et dans Forêts .

  J’étais curieux de voir comment  comment l’émotion pouvait devenir un espace de création  de spectacle en spectacle. Dans quel état émotif,  le spectateur allait finir cette aventure après Forêts,  par exemple? Mais,  étrangement, je ne l’ai pas vu le spectacle avec le public :  j’étais incapable de m’asseoir dans la salle pendant onze heures avec deux mille personnes autour de moi mais, pendant les répétitions, j’ai été  au fond frappé par la niveau de chagrin qu’il y avait dans ces pièces là. Ce que je ne savais pas . Voilà

Alvina Ruprecht
: Vous avez découvert quelque chose par rapport à ce que vous vouliez exprimer et que vous n’aviez  pas vu auparavant.

Wajdi Mouawad: Oui  j’ai compris des choses qui n’étaient pas bien, d’autres qui étaient très bien et  j’en ai appris sur l’écriture que je n’aurais pas pu apprendre autrement.


Alvina Ruprecht: Je me souviens  bien  qu’à Montréal, il y a un bon moment maintenant,  lorsque j’ai vu la première version de Littoral  présentée au Théâtre d’Aujourd’hui, qui était très longue, c’était extraordinaire.  Je n’ai pas vu la version plus récente, mais il y avait des  musiciens et je me souviens de la caméra qui se déplaçait pour créer cette distance et  je voudrais savoir si cette dernière version de la pièce est très différente de la première.

Wajdi Mouawad: J’ai fait des choix d’écriture et  dramaturgiques: j’ai vu qu’il y avait  des scènes qui n’étaient pas nécessaires , des tics de langage, et parfois le texte était trop long sans raison,  alors j’ai fait  tout un travail de réécriture, l’histoire et la mise en scène sont  toujours un peu les mêmes. Mais  il n’ y a plus qu’un  musicien sur scène,  ce sont les acteurs qui font la musique et il y a la même relation à l’espace , au jeu et au récit. C’est juste plus court.


Alvina Ruprecht: L’espace de la  Cour d’honneur a déterminé vos choix de mise en scène et de formes dramaturgiques?

Wajdi Mouawad: Non;  je savais que pour la Cour d’Honneur , j’allais faire autre chose : ce qui fonctionnait dans un petit théâtre y devenait impossible . Quand est venu le temps de répéter pour la Cour, j’ai tout refait,  En fait, ce qu’on a fait à la Cour ne fonctionne que là…

Alvina Ruprecht : Le Festival a-t-il filmé ce spectacle de 11 heures?

Wajdi Mouawad: Non, c’est trop long (rire)

Alvina Ruprecht : Donc il a disparu.. L’ éphémère devient donc une forme d’esthétique privilégiée. !


Wajdi Mouawad: Oui, mais c’est une aventure comme ça. Il ne fallait pas qu’elle reste. 

Alvina Ruprecht: Même si cela laisse les chercheurs dans le vide…

 

Alvina Ruprecht

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