Soudain l’été dernier
Soudain l’été dernier de Tennessee Williams mis en scène de René Loyon.
La saison passée avait été celle de La nuit de l’iguane, mise en scène de Georges Lavaudant à Bobigny et de Baby Doll montée par Benoît Lavigne, ( voir les articles précédents du Théâtre du Blog) et cette année arrive le Wooster Group américain avec Vieux carré mis en scène par Elizabeth Lecompte , La Ménagerie de verre mise en scène par Jacques Nichet au Théâtre de la Commune à Aubervilliers, dont on vous rendra compte prochainement , et enfin Un tramway nommé désir dans la mise en scène de Warlikowski bientôt au Théâtre de l’Odéon …Et l’on en oublie sûrement, tant le monde de Tennessee Williams fascine metteurs en scène et public
Soudain l’été dernier n’est sans doute pas l’une des plus jouées des oeuvres de T. Williams, malgré le succès du film réalisé par Mankiewicz The last Summer ( 1959), (mais désavoué par Williams) avec Katerine Hepburn, Elizabeth Taylor et Montgomery Clift. Mais c’est une pièce attachante par bien des côtés. Soudain l’été dernier , comme la plupart de celles du dramaturge américain , a quelque chose à voir avec sa vie personnelle (père absent et haï, soeur adorée en proie à la schizophrénie et qui fut opérée par lobotomie, homosexualité difficilement vécue..)
C’est l’histoire de Violette Venable, très riche bourgeoise qui a une belle et grande demeure à la Nouvelle Orléans; nous sommes en en 1935, à la fin de l’été, dans une atmosphère lourde et poisseuse. Son fils Sébastien est mort l’an passé, dans des circonstances tragiques et mystérieuses à Cabeza de Lobo, que l’on pourrait situer en Amérique du Sud où il était parti avec sa cousine Catherine.
Mais, comme le récit de ce meurtre par Catherine dépasse l’entendement, il est considéré comme peu crédible, et elle est déclarée psychiquement atteinte et internée malgré son obstination à répéter sa version de la mort tragique de Sébastien. Violette Venable, décide alors de demander à un jeune neuro-psychiatre ,spécialiste de la lobotomie ( intervention chirurgicale dans le lobe frontal du cerveau siège de la mémoire, du langage et de certaines notions cognitives qui se révéla sans grande efficacité et qui n’est plus guère pratiquée) mais les choses se compliquent puisque Violette Venable pratique un petit chantage en lui proposant une forte somme d’argent pour l’aider dans ses recherches ,ce qui sous-entend : opérer et interner définitivement Catherine. En fait, l’on va vite comprendre que Violette Venable, atteinte d’une jalousie morbide, n’ a jamais supporté l’amitié que vouait Sébastien à Catherine qu’elle l’ait remplacé auprès d’elle dans ses voyages, en servant de rabatteuse auprès de jeunes hommes que son cousin voulait séduire.
D’après Catherine , Sébastien aurait été tué par une bandes d’adolescents très pauvres et affamés, » horde de petits moineaux noirs déplumés » , prêts évidemment à se prostituer sans difficulté aux riches blancs qui passent des vacances dans leur pays et qui l’auraient ensuite déchiqueté et mangé…
Violence extrême, haine de l’étranger et racisme bien ancrés, en même temps qu’attirance sexuelle et perversité: dans le milieu des riches américains du Sud dont fait partie Violette Venable, on ne semble guère s’embarrasser de scrupules quand le mensonge doit prendre toutes les apparences de la vérité.Et l’argent est la clé qui permet d’installer l’autorité d’un discours officiel, et, au besoin, de pratiquer un internement psychiatrique, comme il a permis aussi à Sébastien de vivre ses amours homosexuels dans des pays dénués de ressources…
Le jeune neuro-psychiatre , que l’on sent amoureux de sa patiente, décide alors d’injecter quelque chose comme un sérum de vérité à Catherine pour essayer de démêler le vrai du faux, pour essayer de faire sortir la vérité de la parole et conclura: « si cette jeune fille disait la vérité. »..Ainsi s’achève cette pièce , à la fois datée mais qui renvoie à l’actualité la plus récente sur fond de racisme et de tourisme sexuel, et d’ homophobie! Bien traduite par Jean-Michel Déprats et Marie-Claire Pasquier, la pièce n’est sans doute pas aussi bien construite que les grands chefs-d’oeuvre de Tennesse Williams.Mais, en grand conteur qu’il est, Williams réussit très bien à créer des images fortes par la voix de ses personnages, comme celle de la plage surchauffée et du restaurant où ont pris place Catherine et Sébastien, ou comme celle des oiseaux qui dévorent les tortues des îles Galapagos. Ce qui touche le public chez Tennessee Williams, c’est sans doute les relations difficiles entre les personnages et cette peur du futur qu’ils ont tous, faute peut-être d’un passé familial à peu près correct; l’écrivain pensait que si le Créateur n’avait pas tout ordonné pour le mieux, du moins , avait-il accordé un don inestimable aux animaux en les privant de la faculté inquiétante de réféchir sur l’avenir…
La mise en scène de René Loyon est sobre et efficace , tout comme sa direction d’acteurs; pas de pathos, pas de grandes envolées lyriques, mais une grande rigueur dans le traitement du texte. Et René Loyon joue aussi avec beaucoup d’habileté avec les lumières de Laurent Castaingt et les sons de Françoise Marchessau. et arrive à recréer un monde d’une cruauté parfaite, surtout quand la petite Catherine arrive sans rien comprendre, prête à être dévorée par sa tante qui la hait et par le jeune neuro-psychiatre qui, au début du moins, ne semble pas avoir de scrupules à traiter Catherine comme il l’entend….Et comme la distribution est d’ un excellent niveau, en particulier Marie Delmarès ( Catherine) qui est tout à fait exemplaire d’intelligence et de vérité , on écoute cette parabole sur l’humanité-même si elle est effroyable- avec beaucoup de plaisir… En dépit des deux monologues/tunnels assez maladroits qui débutent la pièce et que l’on aurait pu élaguer.. Alors à voir ? Oui; cette mise en scène est beaucoup plus convaincante que celle des deux autres pièces jouées l’an dernier.
Philippe du Vignal
Théâtre de la Tempête jusqu’au 13 décembre et Théâtre des Célestins à Lyon du 30 mars au 8 avril 2010.