Observer, conception, scénographie et réalisation , Bruno Meyssat.
Bruno Meyssat qui connaît bien le Japon a entrepris de nous montrer une sorte de parabole sur l’ un des épisodes les plus horribles et les plus douloureux de la guerre, après l’attaque par le Japonais de Pearl-Harbour, l’extermination cyniquement programmée, en l’espace de quelques secondes d’une population civile de quelques 250.000 habitants d’Hiroshima pour l’exemple, le 6 août 1945, et renouvelée, pour faire bonne mesure, trois jours après, sur Nagazaki! Une grande première, fondée sur une technologie inédite et sophistiquée , et redoutablement efficace, dans l’histoire de l’humanité….
Soixante après, les quelques objets , vêtements ou jouets d’enfant retrouvés, les ombres sur des murs seules vestiges des individus qui vivaient là sont visibles dans un petit musée que Bruno Meyssat a vu.
Il cite Kenzaburo Oé qui , en 1963, visitait l’hôpital de l’ABCC où les Américains étudiaient les effets de radiations sur les survivants: et l’on comprend l’horreur que ressentait l’écrivain japonais pris de vertige quand on lui montrait sur des lamelles quelques gouttes de sang contenant 90.000 leucocytes après l’explosion de la bomba atomique, alors que le taux moyen est de 6.000! Et dans la pièce voisine étaient conservés les corps conservés dans la paraffine et découpés en lamelles !
Comme si, quarante ans après, cet événement imaginé par le pays le plus puissant de la planète, d’une violence et d’une horreur jamais atteintes continuait à exister, même si les Etats-Unis avaient tout fait , quand ils occupaient le Japon, pour reconstruire au plus vite , pour mieux faire oublier le martyre de cette ville, dont les photos témoignent d’une horreur d’autant plus insupportable que cette opération a été délibérément conçue et exécutée pour exterminer des populations ciiviles Mais que fait-on, sur le plan dramaturgique et scénique, avec quelques extraits de texte , un grand plateau, et cinq comédiens ?
D’emblée Bruno Meyssat prévient aimablement: « Ces événements sont irreprésentables. Pourtant il existe une continuité entre ce monde renversé, hors de ses gonds et le nôtre.J’aime cette idée d’un théâtre quantique.( ???). Certes il ne comblera pas les attentes car il est la déroute de toute attente. Le temps, le théâtre, les particules, tout avance par bonds déroutants,,illogismes et ruptures de continuité. Regarder, observer le montre (…) Dans ce spectacle, nous choisissons donc d’impliquer l’Histoire contemporaine et un faisceau d’éléments de la culture japonaise. De cette culture d’une cohérence extrême, nous privilégions son rapport au fantastique, celui qui aime à souligner les aspects incertains de l’existence, qui traite aussi d’une continuité entre le monde des morts et celui des vivants, ente les domaines minéral ou végétal et celui où, humains, nous constatons une âme ».
Soit; Bruno Meyssat essaye de se défendre avant même d’avoir montré, ce qui est toujours à priori un peu inquiétant et cela valait le coup d’y aller voir. Il y a sur le plateau nu et noir tout un bric à brac d’objets et de meubles, conçu par ses soins et que Bruno Meyssat prétend être une scénographie: un lave-mains en tôle émaillée avec un robinet en cuivre qui laisse échapper un filet d’eau avec lequel une femme se lave les seins , le sexe , puis les fesses; quelque chaises tubulaires, dont une plus petite d’école maternelle , deux porte-manteaux avec patères en en métal chromé, six bocaux vides à canette de deux litre où une femme placera quelques uns de ses cheveux qu’elle vient de se couper, et un gant de caoutchouc. Il y aussi, rappel de ce tricycle retrouvé dans les ruines, une patinette des années 50 que guident avec une ficelle deux comédiens. Des tables métalliques , dont l’une munies de roulettes qui ne sont pas sans rappeler celles des spectacles de Bob Wilson, servent de praticables; plus loin dans le fond, deux chassis de métal munis d’une vitre que l’on vient casser sans autre forme de procès; deux grandes bâches agricoles posées sur le sol sous laquelle se glisse un des hommes.
Il y a parfois des bruits de moteurs d’avion à l’atterrissage comme au décollage. Une femme qui se remplit le ventre de paille puis monte avec une échelle métallique sur un praticable où se trouve une botte de la même paille. Sur un lit , un médecin en blouse blanche dissèque un corps ou plus exactement découpe minutieusement son imperméable en plastique bleu transparent, citation probable de la Leçon d’anatomie que Tadeusz Kantor réalisa à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie. C’est plutôt le silence qui règne, seulement interrompu, par quelques pas très lents de cinq comédiens qui, parfois se mettent nus et disent quelques textes plutôt forts et poétiques sur l’histoire même de cette agression sans précédent, ou par les discours -non traduits-de Truman, le président des Etats-Unis de l’époque.
Peu de lumière sinon de temps à autre, de gros projecteurs blancs répandant , depuis les cintres, une lumière zénithale blanche et agressive.On peut penser- de très loin- à la gestuelle si particulière du nô avec ces très lents déplacements et son rythme si particulier. Mais pas grand chose ne se dégage du spectacle lui-même: nous regardons cette installation plastique qui n’ a rien de particulièrement fort, mais qui , surtout, ne fait pas sens où les comédiens, semblent quelque peu errer à la recherche d’une tâche à exécuter. Tout est d’une lenteur extrême, comme pour montre l’état de torpeur des quelques survivants de cette ville, incapables de ragir à un pareil choc physique et mental, tous grièvement blessés.
L’on regarde au début,avec une certaine sympathie, cette tentative de réalisation qui se revendique des arts plastiques et d’un univers disons théâtral pour faire simple ,n’a pas connu une dramaturgie et un langage scénique suffisamment solides pour parvenir à ses fins, et qu’il y aura malheureusement aucune progression;Dès les premières minutes, l’on comprend bien que Meyssat nous offre quelque chose qu’Il aurait voulu très novateur, mais qui ne nous touche guère; la plus grande erreur étant ce manque d’adéquation entre les intentions philosophiques de l’auteur et metteur en scène et cette tentative maladroite et brouillonne d’un spectacle, -heureusement court mais quand même pas très passionnant.La quinzaine d’adolescents qui étaient là s’ennuyaient ferme mais n’avaient pas encore allumé leur portables pour s’envoyer des SMS; quand au reste du pauvre public (35 personnes environ), ils attendaient patiemment la fin de la messe; les applaudissements furent bien maigres et les comédiens pas très heureux de se retrouver là en train de saluer…Et ce n’est en aucun cas de leur fait., Mails ils semblent faire leur travail sans grand plaisir…
Alors à voir? Non, absolument pas…Un documentaire intelligent sur Hiroshima vous en apprendra plus que ce brouet finalement assez prétentieux, où les comédiens et le public d’une salle aux trois quarts vides sont pris en otage, ce qui n’est quand même pas le but d’un spectacle! Là, on se dit que la programmation de Pascal Rambert aurait besoin d’une urgente et sérieuse révision. Comment compte- t-il attirer du public avec ce type de spectacle , celui des habitants de Gennnevilliers? Pourquoi, alors, ne viennent-ils pas? Considère-t-il que son théâtre, bien vide un vendredi, pourra-t-il continuer à vivre ainsi? Quant à la navette reconduisant les quelques Parisiens égarés , elle ne partait que quinze minutes après l’horaire indiqué. Sympathique? Merci, M. Rambert en tout cas d’éclairer notre lanterne?
Sans doute devrait-il concevoir d’autres propositions artistiques de bon aloi qui concerneraient davantage les habitants de Gennevilliers – auxquels il prétend s’adresser comme il l’avait dit dans son programme d’intention? Mais qui cet Observer peut-il concerner? Le directeur du Théâtre Malakoff 71 celui de Fontenay-aux-Roses, ou celui de Cachan, -en faisant preuve de beaucoup plus d’humilité- réussissent beaucoup mieux leur programmation, et leurs théâtres sont pleins. Alors, camarade Rambert, encore un effort! Il y a bien, dans le hall du théâtre, quelques lycéens qui tripotent les souris devant les beaux écrans que vous leur avez offert mais faudrait-il encore qu’ils puissent être attirés parce que vous leur proposez, et il y a là ,un sacré effort d’imagination à faire.. Enfin si Observer vous tente, c’est à vos risques et périls mais, au moins, on vous aura prévenus..
Philippe du Vignal
Theâtre de Gennevilliers. Centre dramatique national de Création contemporain, jusq’au 29 novembre.