Médée

Médée,  Bab et Sane : l’Afrique au théâtre des Amandiers de Nanterre.

 

medee1797991.jpgLa légende de Médée fascine : quel “continent noir“ affleure dans l’histoire  de cette magicienne, de cette amoureuse capable de disperser les morceaux de son frère pour retarder les poursuivants, pour que Jason puisse emporter sur le navire Argo la toison d’or volée à son père ? Que pouvons-nous entendre de cette Étrangère absolue, de cette mère qui tue par amour ses enfants, pour qu’ils échappent à une marâtre, à l’esclavage en terre ennemie ? La force de toutes les Médée de la scène est dans cette énigme. On oserait une réponse : Médée serait l’hyper femme, l’hyper autre, dans un monde à domination masculine, et blanche.
Jean-Louis Martinelli est aller cherche cet “autre“ en Afrique, et dans la langue solaire de Max Rouquette. Il fallait retrouver une Grèce brûlante, une Grèce physique et non rationnelle, il fallait surtout manifester cette altérité. Médée est une reprise, et une véritable reprise, dans la mesure où Jean-Louis Martinelli a fait avancer sa mise en scène : il l’a épurée, a fait évoluer le décor vers une scénographie que nous ne connaissons que trop, celle des grillages des lieux de rétention pour étrangers “en situation irrégulière“, comme le disent les pouvoirs sécuritaires. La représentation se passe dans l’atelier de construction du théâtre qui se prête bien à cette vision, avec l’inconvénient d’avaler quelque peu  les voix, en particulier celles, plus graves, des hommes. Ce hasard technique fait plutôt bien les choses, soulignant à quel point Médée est une pièce “de femmes“ : la pièce s’ouvre sur les propos pessimistes et lucides de la nourrice, elle est soutenue par le chœur des femmes chantant en bambara les « psaumes » de Max Rouquette, et illuminée par la présence de Médée, la splendide Odile Sankara. Contre ce soleil noir, les menaces du roi Créon et les supplications de Jason sont sans force. Et la pièce garde toute la puissance de sa contradiction fondatrice : évidente et énigmatique, elle nous laisse, sans jouer sur les mots, émus et muets, pour l’amour de cette monstrueuse (?) figure féminine.
Bab et Sane, de René Zahnd, mis en scène par Jean-Yves Ruf, renvoie à cette Médée un écho beaucoup plus souriant. Quoique… L’auteur (Suisse) s’est inspiré d’un fait réel : deux gardiens se sont trouvés abandonnés dans la luxueuse villa d’un tyran africain, à des milliers de kilomètres de chez eux et de toute information sur la situation de leur pays. La pièce est construite sur un jeu permanent de duos et de renversements : l’auguste (le jardiner) et le “clown blanc“ – si on ose dire-, Dieu et Lui (le tyran), le Pays et Ici, l’ancien et le nouveau gouvernement (supposés)… On est dans un réjouissant ping-pong, avec une bonne dose d’humour noir, si on ose dire. L’attente, le jeu de rôles – le “clown blanc“ endosse la majesté du détrôné – s’étrangle peu à peu en une peur de plus en plus palpable, jusqu’à ce que… Évidemment, on ne racontera pas la fin.
Jean-Yves Ruf retrouve ici le rythme de ses tout premiers spectacle, dans un tac-au-tac qui frise l’absurde. Moi, lui, nous, tout chavire et se fige : à travers ce portrait charge d’une Afrique de “rois maudits“, René Zahnd nous libre une méditation brutale sur la liberté.
Christine Friedel

 

Théâtre Nanterre Amandiers Médée  jusqu’au 13 décembre, Bab et Sane  du 8 au 19 décembre.

 

 

 

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