Merlin ou la terre dévastée
Merlin ou la terre dévastée de Tankred Dorst, mise en scène de Rodolphe Dana
Un Merlin moderne, pour une relecture contemporaine de la quête du Graal. C’est ce que proposent Rodolphe Dana et son collectif les Possédés . En un peu plus de trois heures sont représentés sur scène tous les épisodes de la saga arthurienne, depuis qu’Arthur, jeune écuyer, extrait Excalibur de la pierre où elle était fichée, jusqu’à sa mort, en passant par la création de la table ronde, la bataille d’Arestuel, et les péripéties du couple adultère Lancelot-Guenièvre…
À légende actuelle, adaptation inédite. Le spectacle a de quoi désarçonner : s’il est drôle, et plein d’humour – certaines scènes tiennent de la comédie, de la parodie voire du sketch, et sont parfois grossières – il serait réducteur de n’y voir qu’une farce; les scènes tragiques n’en sont pas absentes et elles sont prenantes. Et la pièce soulève de nombreuses questions et problèmes existentiels sur la condition et les rapports humains. Ainsi les relations père-fils – entre Merlin et son diable de père, entre Mordred et Arthur – sont-elles passées au filtre de l’Oedipe freudien. Nous nous situons après la révolution psychanalytique et les découvertes fondamentales de l’inconscient, de la libido et de la pulsion de mort.
Le spectacle comprend aussi une réflexion sur le théâtre et les enjeux de la représentation : les comédiens se changent ou se maquillent sur scène, devant le public. Quand ils ne jouent pas, ils restent sur le côté, assis sur une chaise, à observer les autres. Le théâtre dans le théâtre nous ramène sans cesse à notre condition de spectateur (impuissant ?), d’observateur ou de voyeur. D’où un décor quasiment inexistant, un espace scénique dépouillé, un pupitre de sonorisation apparent, en somme, les coulisses sur scène. Les beaux vêtements de fourrure sont les seuls indices d’une époque médiévale.
Le spectacle nous montre là où mènent l’idéalisme et les utopies. La réflexion sur la quête des idéaux comme chemin vers la folie, la violence ou la mort est engagée. Merlin ne prédit-il pas les événements tragiques du monde moderne ? Le mal gangrène, le monde se pervertit. La fin de la chevalerie marque l’entrée dans un nouveau monde, où la magie et le merveilleux ont cédé la place au christianisme. Lequel commande l’étendue de son empire par des guerres de religion. Son Dieu vengeur, omnipotent, réclame obéissance, soumission aveugle et à l’origine de la culpabilité, ouvre la voie à un certain sadisme. La donne ne sera plus jamais la même.
Nombre de comédiens incarnent plusieurs rôles et affichent une belle palette de talents et les personnages de Gauvain (Gilles Ostrowsky), et Merlin (Rodolphe Dana) sont particulièrement touchants. Un travail intéressant, facile d’accès, mais riche, original et abouti, qui mérite de rencontrer un large public.
Barbara Petit
Théâtre national de la Colline jusqu’au 19 décembre
En tournée jusque mars 2010 en province