Lorenzaccio
Lorenzaccio
Pire que le tyran, le complice de ses débauches : il n’a pas l’excuse du pouvoir, mais la bassesse du courtisan. On peut le mépriser, Lorenzaccio, ce sale et minable Lorenzo. Seules, sa mère et sa douce cousine croient encore en lui et se souviennent du jeune homme droit, de l’étudiant modèle qu’il a été. Lorenzo aussi s’en souvient, et regarde autour de lui : compromis, corruption, la ville de Florence est sale, mais la disparition d’Alexandre de Médicis la laverait peut-être de sa honte… Il n’y croit pas beaucoup, mais ce meurtre le blanchirait, lui, à ses propres yeux, même s’il sait qu’on ne joue pas les cyniques et les débauchés impunément, qu’on en reste imprégné, et que rien ne peut vous innocenter. Autour de lui, ce n’est pas très beau non plus : le cardinal Cibo met toute son onction au service de la plus laide des politiques, sa belle-sœur, la marquise avec sa naïveté à céder au désir d’Alexandre et à se croire capable de le ramener sur le droit chemin, et quant aux “républicains“ Strozzi , ils mettent leur énergie à récupérer leur ancien pouvoir oligarchique, noblement, pour le père, avidement pour le fils…
La mise en scène d’Yves Beaunesne est d’une remarquable efficacité : les lieux, les scènes circulent à toute vitesse, dans une sorte d’excitation politico-érotique, le tout clair comme une épée. Une belle distribution fait fonctionner la machine : Mathieu Genet donne à Lorenzo le charme de sa fragilité cruelle, l’ambiguïté de sa provocation perpétuelle, Thomas Condemine fait un Alexandre plutôt attachant d’irresponsabilité, Philippe Faure, dans le rôle du cardinal et Océane Mozas dans celui de la femme vertueuse tombée par désir et par politique sont tous les deux parfaits. Evelyne Istria et Jean-Claude Jay sont un peu laissés à leur fonction de mère et père nobles, avec ,pour chacun, un beau moment près de la mort. Les autres rôles sont bien en place, mais peu fouillés. On imagine ce qu’aurait été le spectacle avec une direction d’acteurs encore plus fine et plus riche…
Yves Beaunesne a choisi deux partis originaux : placer Lorenzaccio dans la Russie du XIXe siècle – ça ne gêne pas, mais on est plutôt dans l’intemporel – et utiliser de grandes marionnettes, qui jouent en effet les “ marionnettes du pouvoir“ (et l’on en connaît aujourd’hui qui tirent elles-mêmes leurs propres ficelles ou leurs tringles), mais pas seulement ; cette liberté est la bienvenue, comme la grâce indiscutable de ces poupées à taille presque humaine (créées par Damien Caille-Perret). Mais la voix de ces délicates créatures n’est pas à la hauteur de leur présence, et c’est dommage. Mais quelle mise en scène pourrait tout résoudre ? À l’image du personnage de Lorenzo, il reste une place pour l’insatisfaction, les questions, le désir d’aller plus loin.
Christine Friedel
Spectacle vu à Cergy-Pontoise Pontoise, Théâtre des Louvrais. En tournée en France jusqu’en avril 2010.