Observer

 Observer, conception, scénographie et réalisation , Bruno Meyssat.

observer.jpgBruno Meyssat qui connaît bien le Japon a entrepris  de nous montrer une sorte de parabole sur l’ un des épisodes les plus horribles et les plus douloureux de la guerre, après l’attaque par le Japonais de Pearl-Harbour, l’extermination cyniquement  programmée, en l’espace de quelques secondes  d’une population civile de quelques 250.000 habitants d’Hiroshima pour l’exemple, le 6 août 1945, et renouvelée, pour faire bonne mesure, trois jours après,  sur Nagazaki! Une grande première, fondée sur une technologie inédite et sophistiquée , et redoutablement efficace,  dans l’histoire de l’humanité….
Soixante après, les quelques objets , vêtements ou jouets d’enfant retrouvés, les ombres sur des murs seules vestiges  des individus qui vivaient là sont visibles dans un petit musée que Bruno Meyssat a vu.

  Il cite Kenzaburo Oé  qui , en 1963, visitait l’hôpital de l’ABCC où les Américains étudiaient les effets  de radiations sur les survivants: et l’on comprend l’horreur  que ressentait l’écrivain japonais pris de vertige quand on lui montrait sur des lamelles quelques gouttes de sang contenant  90.000 leucocytes après l’explosion de la bomba atomique, alors que le taux moyen est de 6.000! Et dans la pièce voisine étaient conservés les corps conservés dans la paraffine et découpés en lamelles !

   Comme si, quarante ans après, cet événement imaginé par le pays le plus puissant de la planète, d’une violence et d’une horreur jamais atteintes continuait à exister, même si les Etats-Unis avaient tout fait , quand ils occupaient le Japon, pour reconstruire au plus vite , pour mieux faire oublier le martyre de cette ville, dont les photos témoignent d’une horreur d’autant plus insupportable que cette opération a été délibérément conçue et exécutée pour exterminer des populations ciiviles   Mais que fait-on, sur le plan dramaturgique et scénique, avec quelques extraits de texte , un grand plateau, et cinq comédiens ?

  D’emblée Bruno Meyssat prévient aimablement: «   Ces événements sont irreprésentables. Pourtant il existe une continuité entre ce monde renversé, hors de ses gonds et le nôtre.J’aime cette idée d’un théâtre quantique.( ???).  Certes il ne comblera pas les attentes car il est la déroute de toute attente. Le temps, le théâtre, les particules, tout avance par bonds déroutants,,illogismes et ruptures de continuité. Regarder, observer le montre (…) Dans ce spectacle, nous choisissons donc d’impliquer l’Histoire contemporaine et un faisceau d’éléments de la culture japonaise. De cette culture d’une cohérence extrême, nous privilégions son rapport au fantastique, celui qui aime à souligner les aspects incertains de l’existence, qui traite aussi d’une continuité entre le monde des morts et celui des vivants, ente les domaines minéral ou végétal et celui où, humains,  nous constatons une âme ». 

  Soit; Bruno Meyssat essaye de se défendre  avant même d’avoir montré, ce qui est toujours à priori un peu inquiétant et cela valait le coup d’y aller voir.  Il y a sur le plateau nu et noir tout un bric à brac  d’objets et de meubles, conçu par ses soins et que Bruno Meyssat prétend être une scénographie: un lave-mains en tôle émaillée avec un robinet en cuivre qui laisse échapper un filet d’eau avec lequel une femme se lave les seins , le sexe , puis les fesses; quelque chaises tubulaires, dont une plus petite d’école maternelle , deux porte-manteaux avec patères en en métal chromé, six bocaux vides à canette de deux litre où une femme placera quelques uns de ses cheveux qu’elle vient de se couper, et un gant de caoutchouc.   Il y aussi, rappel de ce tricycle retrouvé dans les ruines,  une patinette des années 50 que guident avec une ficelle deux comédiens. Des tables métalliques , dont l’une munies de roulettes qui ne sont pas sans rappeler celles des spectacles de Bob Wilson, servent de praticables; plus loin dans le fond,  deux chassis de métal munis d’une vitre que l’on vient casser sans autre forme de procès; deux grandes bâches agricoles posées sur le sol sous laquelle se glisse un des hommes.

Il y a parfois des bruits de moteurs d’avion à l’atterrissage comme au décollage. Une femme qui se remplit le ventre de paille puis monte avec une échelle métallique sur un praticable où se trouve une botte de la même paille. Sur un lit , un médecin en blouse blanche dissèque un corps ou plus exactement découpe minutieusement son imperméable en plastique bleu transparent, citation probable de la Leçon d’anatomie que Tadeusz Kantor réalisa à l’Académie des Beaux-Arts de Cracovie. C’est plutôt le silence qui règne, seulement interrompu, par quelques pas très lents de cinq comédiens qui, parfois se mettent nus  et  disent quelques textes plutôt forts et poétiques sur l’histoire même de cette agression sans précédent, ou par les discours  -non traduits-de Truman, le président des Etats-Unis de l’époque.
Peu de lumière sinon de temps à autre, de gros projecteurs blancs répandant , depuis les cintres, une lumière zénithale  blanche et  agressive.On peut penser- de très loin- à la gestuelle si particulière du nô avec ces très lents déplacements et son rythme si particulier. Mais pas grand chose ne se dégage du spectacle lui-même: nous regardons cette installation plastique qui n’ a rien de particulièrement fort, mais qui , surtout, ne fait pas sens où les comédiens, semblent quelque peu errer à la recherche d’une tâche à exécuter. Tout est d’une lenteur extrême, comme pour montre l’état de torpeur des quelques survivants de cette ville, incapables de ragir à un pareil choc physique et mental, tous grièvement blessés.
L’on regarde au début,avec une certaine sympathie, cette tentative de réalisation qui se revendique des arts plastiques et d’un univers disons théâtral pour faire simple ,n’a pas connu une dramaturgie et un langage scénique suffisamment solides pour parvenir à ses fins, et qu’il y aura malheureusement aucune progression;Dès les premières minutes, l’on comprend bien que Meyssat nous offre quelque chose qu’Il aurait  voulu très novateur, mais qui ne nous touche guère; la plus grande erreur étant ce manque d’adéquation entre les intentions philosophiques de l’auteur et metteur en scène et cette tentative maladroite et brouillonne d’un spectacle, -heureusement court mais quand même pas très passionnant.La quinzaine d’adolescents qui étaient là s’ennuyaient  ferme mais n’avaient pas encore allumé leur portables pour s’envoyer des SMS; quand au reste du pauvre public (35 personnes environ), ils attendaient patiemment la fin de la messe; les applaudissements furent bien maigres et les comédiens pas très heureux de se retrouver là en train de saluer…Et ce n’est en aucun cas de leur fait., Mails ils semblent faire leur travail sans grand plaisir…

  Alors à voir? Non, absolument pas…Un documentaire intelligent sur Hiroshima vous en apprendra plus que ce brouet finalement assez prétentieux, où les comédiens et le public d’une salle aux trois quarts vides sont pris en otage, ce qui n’est quand même pas le but d’un spectacle! Là,  on se dit que la programmation de Pascal Rambert aurait besoin d’une urgente et sérieuse  révision. Comment compte- t-il attirer du public avec ce type de spectacle , celui des habitants de Gennnevilliers? Pourquoi, alors,  ne viennent-ils pas? Considère-t-il que son théâtre, bien vide un vendredi,  pourra-t-il continuer à vivre ainsi? Quant à la navette reconduisant les quelques  Parisiens égarés , elle ne partait que quinze minutes après l’horaire indiqué. Sympathique? Merci, M. Rambert en tout cas d’éclairer notre  lanterne?

  Sans doute  devrait-il concevoir  d’autres propositions artistiques de bon aloi  qui concerneraient davantage les habitants de Gennevilliers – auxquels il prétend s’adresser comme il l’avait dit dans son programme d’intention? Mais  qui cet Observer peut-il concerner? Le directeur du Théâtre Malakoff 71  celui de Fontenay-aux-Roses, ou celui de Cachan, -en faisant preuve de beaucoup plus d’humilité- réussissent beaucoup mieux leur programmation, et leurs théâtres sont pleins. Alors, camarade Rambert, encore un effort!  Il y a bien, dans le hall du théâtre, quelques lycéens qui tripotent les souris devant les beaux écrans que vous leur avez offert  mais faudrait-il encore qu’ils puissent être attirés parce que vous leur proposez, et il y a là ,un sacré effort d’imagination à faire.. Enfin si Observer vous tente, c’est à vos risques et périls mais, au moins, on vous aura prévenus..

Philippe du Vignal

Theâtre de Gennevilliers. Centre dramatique national de Création contemporain, jusq’au 29 novembre.


Archive pour novembre, 2009

La ménagerie de verre

 La ménagerie de verre de Tennessee Williams, mise en scène de Jacques Nichet.

 lamenageriedeverre.jpg Tennessee Williams ( 1911-1983), engagé par la MGM en 43 pour tirer un scénario d’un roman, préféra écrire le sien que la MGM refusa et qu’il transforma alors en pièce… qui fut ensuite adaptée au cinéma… C’était La Ménagerie de verre qui  fit de T. Williams à 34 ans  un auteur  à succès… La pièce  est  largement inspirée de sa vie personnelle: le père, voyageur de commerce disparut très vite et  il vécut chez ses grands parents avec sa mère et sa sœur schizophrène et, à laquelle on a fait subir une lobotomie.
  C’est une tranche de vie bien réelle d’une famille pauvre des années 30, dans le Sud des Etats-Unis, après la grande dépression économique qui fit des ravages aux Etats-Unis; le narrateur Tom  ( le véritable prénom de Williams) fait revivre cette vie faite de travail mal payé dont les personnages, en proie à une profonde solitude s’échappent par le rêve. .Il y a là la mère très possessive, qui veut se mêler de tout et en particulier de l’avenir de sa fille qu’elle voudrait à tout prix marier. Elle demande donc à Tom d’inviter son collègue de travail JIm , qui se révèle être un copain de lycée de Laura; le repas se révèle être vite une catastrophe, puisque Laura ne veut pas y assister, alors que sa mère a mis sa plus belle robe, un peu défraîchie. Malgré tout, Laura ne semble pas indifférente à JIm qui l’embrassera furtivement. Mais il avouera à Armanda,  qui le presse de revenir quand il veut ,qu’en fait il est déjà fiancé et qu’il vas se marier prochainement… Le beau rêve d’Armanda s’écroule. Tennessee Williams  a déjà, même si la pièce n’a pas encore la force de La chatte sur un toit brûlant ou d’Un tramway nommé désir, écrit déjà de superbes dialogues- très bien traduits ici  par Jean-Michel Desprats- et en quelques répliques, tout est dit: le mal-être de Laura enfermée dans une profonde solitude l’exaspération de Tom qui supporte de plus en plus mal  un  travail sans intérêt et qui se réfugie, du moins le dit-il, dans  sa passion pour le cinéma, et la vie banale au jour le jour d’Armanda qui exaspère son fils par ses bavardages et ses illusions…
  Jacques Nichet a réalisé une mise en scène qui rompt avec  tout naturalisme, un peu trop sans doute mais c’est son point de vue: un plateau noir , deux chaises en fer, deux coussins: c’est tout, et en arc de cercle au fond un rideau de fils noirs, avec, par derrière , un écran où son projetées des images de mer démontée d’abord,  puis plusieurs fois de suite le  visage du père définitivement absent, la grande maison à colonnes de l’enfance chez le grand père pasteur, une grande table avec nappe blanche et de beaux couverts  quand on invite Tom, ou encore des phrases tirées du texte que les personnages  vont dire ou sont en train de dire: comme cet  » On me trompe » prononcé par Armanda, dont chacune des lettres tombent par terre, (????),  ou des titres comme Le pain de l’humilité. Et la pièce se terminera par les images du début…
  On ne voit pas bien ce qu’a voulu faire Nichet avec ce genre de projections qui tournent vite au procédé inutile: rompre avec le  réalisme d’une scénographie et le compenser dans  sa mise en scène? Donner un plus au texte de T. Williams qui n’en a nul besoin?  Mieux mettre en valeur le texte alors que ses comédiens le font superbement, introduire une petite louche de néo-brechtisme dans sa mise en scène ?  Et cela étonne d’autant plus que sa direction d’acteurs d’une grande clarté et d’une rigueur  est l’une des plus remarquables et des plus efficaces  qu’il ait jamais faites: Luce Mouchel  surtout ( Armanda) est vraiment formidable, avec de multiples nuances de jeu,  comme Agathe Molière qui joue Laura, et Micahël Abiteboul ( Tom) et Stéphane Facco ( Jim). C’est une distribution exacte et juste, et les comédiens possèdent une unité de jeu trop rare pour ne pas être signalée.
  Alors à voir? Oui, malgré les réserves énoncées plus haut et une lumière très chiche conforme, une fois de plus,  à la mode du temps. Comme si le noir signifiait tout de suite tristesse et tragique!  Ce serait trop simple et Jacques Nichet sait cela depuis toujours….Mais une bonne occasion de voir ou de revoir la pièce  d’un auteur qui, après une vingtaine d’années où il fut peu et mal joué en France, opère un retour en force depuis quelques saisons.

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Commune d’Aubervilliers , jusqu’au  dimanche 6 décembre ; relâche exceptionnelle le 29 novembre.

Sutra

“Sutra” de Sidi Larbi Cherkaoui

      sutra1.jpgSidi Larbi Cherkaoui a conçu une chorégraphie singulière pour ce spectacle qui fait actuellement l’objet d’une tournée mondiale et qui a fasciné le public québécois, grâce aussi à la création visuelle d’Antony Gormley et à la musique de Szymon Brzoska jouée  sur scène. Le danseur et chorégraphe belge d’origine marocaine, maintenant bien connu à Paris et en Europe, et les dix sept  moines du temple chinois Shaolin spécialistes d’arts martiaux en particulier de kung-fu, présentent un spectacle poétique empreint d’imagination et d’émotion .
Selon la légende, c’est  un moine boudhiste Bodhidharno qui  inventa au V ème siècle ce fameux kung fu, pour que les moines  puissent se défendre contre les brigands. Sutra, comme son nom l’évoque, associe  spiritualité et philosophie bhoudiste à la danse contemporaine et  au  Kung-fu, dont les moines sont de grands experts   

     Antony Gormley a créé  dix sept  boîtes en bois, de dimension humaine pour les moines Shaolin, plus une mais en aluminium pour Sidi Larbi Cherkaoui, boîtes qui se trouvent au cœur du spectacle: admirablement manipulées par les danseurs, de façon à construire et déconstruire des architectures  figurant, entre autres, un labyrinthe, des gratte-ciel de New York, des ponts… C’est dire que Sutra constitue aussi, comme on le voit sur les photos, une belle réussite sur le plan plastique.
 Shi Yandong, moine  adolescent, virtuose des arts martiaux, apporte une nuance de douceur et de légèreté au spectacle: le jeune garçon campe un être innocent, capable d’effectuer des aller et retour entre le monde des moines et celui de  Sidi Larbi Cherkaoui qui  incarne, lui, un étranger qui souhaite entrer dans leur univers spirituel. Shi Yandong  conduira Sidi Larbi  Cherkaoui vers l’espace des moines: ils vont alors surgir des boîtes et, grâce au mouvement ( danse et Kung-fu), les barrières seront dépassées. Sidi Larbi Cherkaoui  a fondé son spectacle sur l’idée du perpétuel changement de la vie,  sur l’ouverture,  et le renouvellement des êtres et des choses.

Maria Stasinopolou

Grand Théâtre de Québec

Le Recours aux forêts

Le Recours aux forêts, texte de Michel Onfray, images de François Royet, chorégraphie de Carolyn Carlson, musique de Jean-Luc Therminarias, lumières de Renaud Lagier et mise en scène de Jean Lambert-wild.

 

lerecoursauxforts5.jpg  Ce n’est pas, à proprement dit,  une œuvre « théâtrale » mais une sorte de petit opéra avec images projetées, musique, danse et texte non chanté mais plutôt proclamé par quatre solistes placés sur un  praticable côté cour : deux comédiennes Ela Hourcade, Laure Wolf , Fargass Assandé et Stéphane Pelliciaet , tout de noir vêtus, chacun devant  un micro. Le spectacle a lieu sur la grande scène du théâtre d’Hérouville, où Michel Onfray, bien connu pour son Université populaire dans ce même théâtre tous les lundis  où il dispense une conférence qui fait chaque semaine un véritable tabac..
  Qu’est-ce que Le recours aux forêts?  D’abord, un texte, commandé par  Jean Lambert -wild: «   Le stoïcien  qui souhaitait que moi l’épicurien je réponde à une commande que je n’ai  toujours pas comprise », dit  Michel Onfray . C’est vrai que la recette ne figure pas dans les livres pourtant nombreux de théorie théâtro-culinaire. Pensez à quelques chose qui serait un spectacle à proprement dit théâtral ( même s’il ne comprend pas de personnages) au sens  étymologique du terme  (Theaô en grec ancien= voir) , puis demandez à votre ami et compositeur habituel,  une musique à laquelle des comédiens pourraient associer le texte d ‘Onfray, et à  une chorégraphe renommée de vous concevoir un solo pour un danseur, et  laissez voguer votre inspiration  à partir d’un voyage en Irlande, sur des images que vous avez pu mémoriser puis faire enregistrer, et puis surtout, commandez à un ami philosophe et écrivain, cordialement détesté par ses confrères qui prétendent (les  Dieux savent pourquoi mais dans ces cas-là, c’est plutôt bon signe) qu’il ne fait pas de philosophie. sans doute parce qu’il qui est l’auteur de livres que beaucoup de gens, ont lu, à juste titre, avec passion , parce que sa langue et ses propos  clairs et souvent tranchants, les aident aussi à se comprendre, et à vivre  un peu mieux leur vie, de façon plutôt épicurienne. Ce qui n’est déjà pas si mal dans une vie d’homme qui vient d’avoir cinquante ans
   Miche Onfray concocte donc un poème en deux parties: Permanence de l’apocalypse,et Traité des consolations  dont le sous-titre est La Tentation de Démocrite, ce philosophe grec présocratique ( 460 ?-370  avant J.C.) ,convaincu que l’univers était composé d’atomes enveloppés dans le vide qui leur permettait d’être en mouvement et qui, dit-on, se fit construire une petite cabane dans le fond de son jardin pour fuir un monde qu’il trouvait détestable. Ce qui n’est pas sans déplaire à Michel Onfray , attaché à ses origines normandes, à la fois prolétaires et rurales…
  Donc, laissez reposer le projet plusieurs mois, ou, plutôt, pensez sans cesse à la mise en forme  que vous pourriez lui donner pour que la sauce puisse prendre en faisant autre chose, notamment en continuant à diriger un théâtre…Et cela donne quoi ? Quelques mois après avoir vu les premières images, la tentation était grande d’aller se rendre compte sur place. Ce n’est pas si facile d’en parler mais essayons. A l’entrée de la salle, l’on vous prête des lunettes noires qui permettent de voir le spectacle en trois dimensions (beaucoup de gens n’avaient pas compris comme moi qu’il fallait les mettre dès le début.. mais c’est sans grande importance). Donc, d’un côté les comédiens disant le texte de Michel Onfray, en solo et/ ou en choeur ,suivant une partition très maîtrisée même si, le soir de la première , la balance avec la musique ou  entre chaque soliste était loin d’être parfaite.
lerecoursauxforts7.jpg Le premier des deux textes d’ Onfray, quand il envisage le monde où il vit,  est impitoyable, et sans doute fondé sur une expérience personnelle, qu’il envisage les choses de la guerre, la duplicité des écrivains et des universitaires, ou les passions et la médicorité  des humains qui l’entourent:  » J’ai vu à l’hôpital des médecins de Molière / Prenant leur avis aux pendules, lisant leur diagnostic dans les astres / Disant une chose et son contraire (…)/ Mais toujours pontifiant en blouse blanche tachée de sang, d’urine,d’excréments/ Traînant derrière eux les membres qu’ils venaient de découper faute de savoir et de pouvoir les soigner ».
   La seconde partie  est heureusement plus douce et fait souvent appel à des souvenirs d’enfance: « Je veux prendre le temps de regarder longuement l’étoile polaire Celle que mon père me montrait du doigt sur le devant de la porte ». Seule consolation lucide  de Michel Onfray: planter un chêne, le regarder pousser , débiter ses planches , les voir sécher pour s’en faire un cercueil où il pourra prendre sa place dans le cosmos.
  Sur la scène,un vaste plan d’eau où danse,  seul, le rebelle, le révolté,  comme un frère d’Onfray , Juha Marsalo , tandis que passent derrière , sur un grand écran,  entre autres images:  des nuages, et des arbres squelettiques, et que, côté jardin, Jean-François Oliver joue au vibraphone, une partie de la musique de Jean-Luc Therminarias qui est aussi  diffusée par des baffles. On pourrait, à juste titre se demander quelle est l’unité réelle de ce court spectacle ( 60 minutes) à l’impeccable mise en scène mais après tout qu’importe!
  Les meilleurs et nombreux  moments sont ceux où, entre les images: les irisations fantastiques  dûes à la chute de paquets de colorants dans l’eau  font penser aux toiles de l’ américain Sam Francis, l’espèce de neige glacée qui tombe sur les incroyables contorsions du  danseur nu et qui refroidit très vite la salle…il y a conjugaison avec  le texte d’Onfray d’abord pétri de fureur puis de douceur,  et avec la musique de Therminarias; oui, ces moments-là  sont vraiment de pur bonheur.
   Et cela fait du bien qu’un jeune metteur en scène, au lieu de nous livrer la xième version d’une tragédie antique qu’il ne sait même pas comment traiter , ou de vouloir  à tout prix nous faire découvrir deux heures durant un  dialogue obscur et touffu mais- évidemment génial- d’un de ses amis soi-disant dramaturge, ose dire que le théâtre, peut être aussi une réalisation comme celle-ci.

  L’on pourra toujours reprocher à Jean Lambert-wild un coup médiatique, ce qui reste encore à prouver, mais  le public de Caen ,visiblement curieux et fasciné par la proposition, semblait être reconnaissant d’un pareil cadeau et  ne boudait pas son plaisir devant tant de beauté. Mais, bien sûr , l’on peut toujours aller voir La cage aux folles.
  A voir? Oui, absolument, si le spectacle passe près de chez vous.

 

Philippe du Vignal

 

Le spectacle a été créé par la Comédie de Caen au Théâtre d’Hérouville le 16 novembre et sera présenté le 26 et 27 à Roubaix; puis le 2 et 3 décembre à Limoges; le 8 décembre à Vannes puis en 2010 le 5 janvier à Vannes, le 21 et 22 à Cavaillon; le 28 et 29 à Belfort;enfin le 3 et 4 février à Evry et le 30 mars au Havre.

 

Le recours aux forêts La tentation de Démocrite  de Michel Onfray est publié dans la collection Incises chez Galilée.

LES PLATEAUX DU GROUPE DES 20

LES PLATEAUX DU GROUPE DES 20

Le Groupe des 20 est une association de « d’animateurs » (terme disparu depuis la fin des années 70), directeurs de théâtres de villes d’Ile de France les plus dynamiques, soucieux de s’engager collectivement dans de véritables aventures artistiques. Ce groupe organise deux fois par an depuis plusieurs années, des rencontres où sont présentés des extraits (vingt minutes) de spectacles en cours d’élaboration, afin que les compagnies puissent obtenir des coproductions. Ce 16 novembre, six compagnies se sont mises à l’épreuve, devant une trentaine de professionnels attentifs :

-LES TROIS SŒURS de Tchekov, mise en scène de Volodia Serre, directeur de la compagnie La jolie pourpoise qui se prêtait à une belle mise en abyme, car ses propres sœurs dans la vie interprètent les rôles d’Olga, Macha et Irina. Il jouera lui-même le rôle de leur frère André. Cet extrait joué sur un plateau nu, sans costumes , avec  des extraits de chansons semble prometteur. La compagnie, inspirée par les auteurs russes, avait déjà monté Le Suicidé de Nicolas Erdman au Théâtre Romain Rolland de Villejuif, producteur délégué des deux spectacles. Les trois sœurs seront jouées en particulier au Théâtre de l’Athénée à la rentrée 2010.

-BON GRÉ MAL GRÉ , forme musicale à partir des chansons d’Emmanuel Bemer, accompagnée au piano par Nicolas Ducloux, a été présentée par Julia Vidit. Après une mise en scène de Fantasio et de Mon cadavre sera piégé à partir de textes de Pierre Desproges, elle se propose de revenir avec humour sur le terrain du cynisme et de la mort qui est celui d’Emmanuel Bemer., avec une théâtralisation d’un tour de chant.Le Prisme d’Élancourt et l’ARCAL se sont engagés sur ce projet qui devrait voir le jour à la rentrée 2010.

-PETITES HISTOIRES DE LA FOLIE ORDINAIRE de Petr Zelenka est un projet du Collectif DRAO, d’après Derniers remords avant l’oubli de Lagarce, premier spectacle de la compagnie, qui a beaucoup tourné depuis, avec Push up et J’avais lu ces Petites histoires de Parvidino , pièce onirique ,férocement drôle pour la Maison d’Europe et d’Orient qui a publié le texte. La mise en espace circulaire de cet extrait laisse espérer le meilleur. Le Forum Culturel du  Blanc-Mesnil, l’Espace Jacques Prévert d’Aulnay- sous- bois,  ainsi qu’ACT’ART 77 se lancent dans l’aventure.

-L’ÉGARÉ, théâtre sonore de Jean-Kistoff Camps porte bien son nom, c’est un solo avec un fatras d’objets, mais assez peu convaincant. Il salue Samuel Beckett, Jacques Tati, Tex Avery et Luc Ferrari !

-CYMBELINE de Shakespeare, proposé par Hélène Cinque et sa compagnie L’instant d’une résonance, rassemblait quinze acteurs qui avaient répété cinq jours au Théâtre du Soleil. Après Peines d’amour perdues et Tartuffe qu’elle a monté avec le Théâtre Aftaab en Afganistan, elle s’attaque à cette œuvre rarement montée . Mais après cet extrait ludique et ironique, on peut attendre du grand et du beau théâtre avec cette vraie troupe.

-LA DERNIÈRE LEÇON de Noëlle Chatelet lui a valu le prix Goncourt de la nouvelle; adapté et mis en scène par Gérald Chatelain, ce monologue sera interprété par Catherine Rétoré. Il s’agit  du récit de la fin de sa mère, Madame Jospin qui est aussi la mère de son frère Lionel. A 88 ans, elle décida  de choisir  la date de sa  mort et l’a fit accepter par sa fille. On peut attendre beaucoup de ce récit magnifique et terrifiant qui sera présenté au Athévains dans une co-mise en scène de Jean-Pierre Lescot, avec le Théâtre de la marionnette à Paris.

Edith Rappoport

Théâtre de Fontenay-aux-Roses

DORMEZ, JE LE VEUX

  DORMEZ, JE LE VEUX !  Théâtre de Cachan

 

 

De Georges Feydeau, précédé de Instructions aux domestiques de Jonathan Swift (extraits), mise en scène de Lisa Wurmser.

Lisa Wurmser a réalisé avec sa précision d’horlogerie et un très grand soin plastique, cet étrange montage sur la manipulation mentale, entre deux textes bien différents, celui de Swift qu’elle a  réglé en ballet mécanique masqué, des conseils aux domestiques pour leur apporter la fortune en dormant, puis cette pièce peu connue de Feydeau sur un valet qui hypnotise son patron pour lui faire faire son travail. Valencourt vit avec sa sœur, il veut se marier et attend son futur beau-père et sa promise, mais Justin le domestique voit d’un mauvais œil l’arrivée d’une patronne dans la maison. Les deux hommes tombent d’accord sur l’apport mutuel des fiancés, mais au moment de faire sa déclaration, Valencourt transformé en singe profère des insultes grossières à sa fiancée, pendant que sa sœur transformée en Bayadère danse à en perdre haleine. Tout semble être rompu, mais le beau-père qui est docteur décèle la supercherie et tout rentre dans l’ordre. Malgré une belle distribution homogène, Jean-Louis Cordina en Valencourt, René Hernandez en Boriquet en particulier, l’actualité de ces textes ne me semble pas d’un intérêt majeur, Lisa Wurmser avait mieux choisi ses textes en montant La bonne âme de Se-Tchouan ou Le maître et Marguerite ! Mais la grande salle de Cachan était pleine et les gens attentifs. 

Edith Rappoport

The Righteous Tithe

The Righteous Tithe (La Dîme vertueuse)  de Doug Phillips, mise  en scène de Paul Dervis,

     Ce spectacle, présenté en première mondiale, est l’oeuvre d’un  dramaturge , Doug Phillips, d’origine britannique,  établi à Ottawa depuis longtemps.  Il est aussi l’auteur de Naan Bread, qui traite du racisme insidieux dans  le quartier populaire d’une ville britannique qui a ému les critiques et  lancé la carrière de cet auteur/acteur engagé. Avec  Cette Dîme vertueuse, il s’inspire d’une loi  sur le patriotisme, le « Patriot Act » ,mis en application par G.W. Bush après le 11 septembre 2001. Le drame  est censé avoir lieu à la frontière entre les États-Unis et l’Ontario (Canada), non loin d’Ottawa, dont les habitants dtherighteoustithe.jpge la région, souvent obligés de traverser la  frontière,  vivent régulièrement ce qui est   perçu comme du harcèlement  à cause de la nouvelle loi. La pièce  touche donc à une réalité sensible de la région;  Doug Phillips a adopté  le réalisme cru de la «méthode » américaine, une forme de jeu originaire de l’école de  New York.

  Un couple: David ,un Britannique, et Cyrèse, une citoyenne canadienne d’origine sud-africaine se retrouvent devant un policier américain ,après avoir passé la frontière, canadienne, lors de leur voyage annuel  en Virginie où ils ont l’habitude de passer leurs vacances. Ce qui devait être une banalité,  se transforme  vite en confrontation très désagréable , puisque les lois du nouveau  « Patriot Act »  ont changé la donne. 

 David, qui n’a pas encore, lui,  la citoyenneté canadienne, doit  être photographié et  « traité comme un criminel » selon lui. Il s’énerve, le ton monte, il lâche une remarque provocatrice au sujet de la cocaïne qu’ils auraient fumé dans la voiture. Une  blague bien sûr, mais, tout à fait mal venue , puisque dans ce  climat de tension,  les  policiers n’ont pas du tout envie de faire de l’humour … Le couple est séparé, les questions fusent  sur le passé de David et sur leur récent voyage en Afrique du sud pour rendre visite à la famille de Cyrèse.  L’ambiance s’alourdit, les questions deviennent des menaces et l’interrogatoire , de plus en plus musclé,  met en évidence le casier judiciaire de David.

  En fait ce n’est  pas David ,la véritable cible de ce jeu de pouvoir , mais plutôt sa femme et ses rapports avec sa famille dans son pays natal ,  où les Américains voudraient recruter un espion pour surveiller les cousins de Cyrèse. Le couple est vite  pris au piège de la stratégie des agents américains, et l’histoire  va là où l’on s’y attendait le moins. Doug Phillips sait mener une intrigue, dessiner les personnages et nous tenir en haleine, et Paul Dervis, directeur artistique de la troupe et metteur en scène, a bien dirigé les acteurs.

  C’est surtout Sean Tucker, qui joue l’agent de sécurité  Goldstein , responsable de  l’interrogatoire, qui  fait monter  l’horreur. Habillé d’un  pantalon large, en  baskets, la chemise un peu froissée, et très à l’aise, presque jovial , il parait incapable du moindre mal.. Ce qui, en général , annonce un dénouement   violent, et nous allons vite  découvrir  comment avec un  sadisme assez facile, il dépouille ses victimes par tous les moyens.

  Pris comme des rats ,  David  puis Cyrèse, n’ont alors d’autre choix que de se soumettre aux volontés de l’Etat américain, par monstre interposé. La « dîme  vertueuse  » est plutôt du genre atroce : ils s’engagent à la payer à vie!  David que joue Tucker , garde son calme et son sourire mais un sourire porteur de malaise. De plus en plus froid,  l’agent pose des questions  qui enfoncent  sa  victime  encore plus dans  un passé  douteux qu’il avait cru enterré. Les agents de sécurité savent en effet tout de lui et  sont prêts à exploiter ce savoir par  tous les moyens  jugés nécessaires , disent-ils,  pour maintenir l’intégrité de l’Etat américain…

  Doug Phillips  exprime  sa colère devant cette loi mais nous montre  aussi un homme comme David  qui a tout fait pour provoquer les agents. L’auteur prouve , avec baucoup d’ironie, que la loi , que Bush a fait voter, est absurde, puisqu’elle peut refouler ceux qui sont nés à l’étranger,  alors que toute la population américaine elle-même, comme les personnages de la pièce, sont tous à l’origine,  des immigrés.  Cet  » Acte  » juridique subvertit donc un des principes fondateurs  du pays.

  Il est seulement dommage que la troupe , faute de moyens,  ne puisse jouer ce  très bon spectacle  dans un espace  qui pourrait accueillir un public plus nombreux et où la mise en scène de Paul Dervis  bénéficierait de moyens techniques un peu moins limités.

Alvina Ruprecht

 

Production du New Ottawa Repertory Theatre,  (NORT), présentée au Studio Nathalie Stern de l’École de théâtre d’Ottawa.

Les Démons

Les Démons d’après Fédor Dostoïevski, adaptation et mise en scène Lev Dodine

capturedcran20091119141851.jpgEn décidant d’adapter pour la scène les mille pages des Démons de Dostoïevski, Lev Dodine se confronte au défi qu’il avait déjà relevé pour Frères et sœurs d’Abramov. Résultat: un spectacle  de neuf heures avec entractes qui intéressera avant tout un public motivé et/ou curieux !

L’intrigue, impossible à résumer, se concentre autour du personnage de Stavroguine, homme à femmes ,manipulateur et  capable du pire , et d’une société secrète qui travaille à une réorganisation du pays. Comme nous sommes dans une petite ville de province, les personnages qui gravitent autour de Stavroguine croisent ceux de la société secrète, ou sont les mêmes.
La troupe de Lev Dodine possède une belle énergie  et ses comédiens sont convaincants:  d’autant plus que  les personnages, complexes de Dostoïevski ne se laissent pas facilement appréhender. Ainsi, le révolutionnaire Verkhovenski semble tour à tour, hystérique ou un peu stupide, enthousiaste ou calculateur. Quant à Stravroguine, lui-même possédé par un autre, il paraît d’abord machiavélique et sournois. N’est-il pas responsable du suicide par pendaison d’une jeune adolescente sans défense qu’il avait auparavant violée ? N’a-t-il pas laissé assassiner sa femme, la Boiteuse, qui, comme son frère, l’empêchait de se remarier, ? Mais le suicide de Stravroguine  laisse supposer qu’il était capable d’éprouver du remords…
Dodine réussit parfaitement les scènes de groupe , comme celles d’une réunion de cette société secrète un peu ridicule  à l’atmosphère  houleuse, qui rassemble des êtres médiocres. Et le metteur en scène russe excelle à montrer un univers de faux-semblants et de corruption;  complots et  soupçons planent en permanence et les  scènes de violence physiques (gifles, tabassage), sont  très impressionnantes.
Les personnages apparaissent  tels des revenants , et l’on retrouve l’univers trouble et sombre de Dostoïevski, sur  des planchers qui  s’inclinent vers les cieux ou vers l’Hadès ,plongés dans des clairs-obscurs dignes des peintres flamands. Mais le rythme ,parfois lent, et les longs monologues, un peu pénibles à suivre à cause du surtitrage, exigent une attention soutenue. La mise en scène de Lev Dodine  reste traditionnelle , même si, le spectacle a  été  créé en  1991…  Donc , à conseiller  plutôt aux  seuls fans de Dostoïevski….

 

Barbara Petit
Les 14 et 15 novembre à la MC93 de Bobigny

Rosmersholm et Maison de poupée

Rosmersholm et  Maison  de poupée, mise en scène de Stéphane Braunschweig.

 

  0683436001258031535.jpg Ibsen écrivit Rosmersholm en 1886, sept ans après Maison de poupée, et la pièce fait partie de cette suite de pièces où le dramaturge norvégien s’est intéressé à la vie quotidienne et à l’intimité d’êtres en conflit violent avec l’ordre social et familial. Dans Rosmershom, le dialogue fait souvent place à une sorte de retour en arrière qui permet de mieux situer les personnages. L’histoire se passe dans la grande maison bourgeoise où habite le pasteur Johannes Rosmer, dernier descendant  de la lignée de puissants grands bourgeois , hommes d’affaires ou hauts fonctionnaires rigoureux, dont les cinq grands portraits dans le grand salon imposent une présence presque paralysante. Comme le père d’Ibsen, directeur d’une grande firme qui n’avait pas survécu à sa faillite, alors que le futur dramaturge n’avait que seize ans! Et l’on devine dès le début que la vie de Rosmer, comme celle d’Ibsen,qui épousa la fille d’un pasteur, a été et reste  en fait une lutte intérieure d’un homme contre ses fantômes qui éprouve un besoin constant de voir clair en lui…
  C’est peu de dire que la maison n’est pas drôle, au point que l’on n’a jamais vu d’enfants y rire et les morts même disparus depuis longtemps occupent encore leur place parmi les vivants .Mais Johannes le pasteur, dont Beate l’épouse s’est suicidée l’année passée en se jetant dans la rivière,sans doute parce qu’elle ne pouvait avoir d’enfants et par amour pour lui, a décidé de donner une autre orientation à sa vie. D’abord, en reniant sa foi puis en s’engageant politiquement dans un parti progressiste.:  » Une vie agitée s’ouvre devant moi, maintenant, une vie de combat et de sensations fortes. Et cette vie, je veux la vivre, Rebekka ».Brand lui aussi était pasteur dans le drame de 1866 et lui aussi avait été déçu par le christianisme..
    Cette Rebekka West est  une jeune femme qui fascine le pasteur ; elle était à l’origine une amie de Beate et est entrée comme gouvernante dans la maison mais va vite se révéler une redoutable manipulatrice.Elle avouera à Johannes avoir menti à Beate pour la pousser vers le suicide et pense qu’elle n’a plus rien à faire à Rosmersholm qui, dit-elle, l’a finalement dévorée. Comme le dit Brendel, Rosmersholm « annoblit les âmes mais tue le bonheur ». Et, dans un dernier revirement, elle proposera à Johannes de mourir pour lui.
  Parmi les proches du pasteur, il y a aussi un certain Kroll, proviseur de lycée  dont on va apprendre qu’il est aussi le frère de Beate, et qui a une profonde antipathie pour Johannes; pour lui, Beate s’était persuadée qu’elle devait se suicider pour que Rosmer puisse  enfin épouser Rebekka. Mais Johannes est accablé par le remords, alors qu’il se sentait libre.Ulrich Brendel, autrefois professeur de Rosmer qu’il considère un peu comme son fils, a eu une vie des plus difficiles et  vient le voir pour lui soutirer quelques vêtements et un peu d’argent.

  Quant à Mortensgaard, le rédacteur en chef du Phare, un journal révolutionnaire, il dit avoir reçu une lettre de Beate où elle insinue qu’il pourrait y avoir des relations intimes entre elle et son mari. Personnage assez inquiétant,il se veut progressiste mais en fait, se révèle être un petit arriviste sans beaucoup de scrupules.Et il voudrait bien de la collaboration que Johannes lui propose mais, à condition qu’il reste pasteur pour que Le Phare profite de l’image de marque et de la confiance que la population lui témoigne…Bref, tout du bau monde, avec, en filigrane, les vieilles haines bien recuites, les jalousies et les petits chantages….

  Mais Johannes commencera de plus en plus à douter de lui-même et de Rebekka qui veut quitter Romersholm pour échapper à l’ enfermement qui la guette, avant de changer d’avis et de vouloir mourir pour lui;  le pasteur décidera alors de se délivrer du remords qui l’accable et de se suicider avec elle Et la femme de chambre qui les regarde s’éloigner tous les deux vers le torrent ne pourra rien faire.La fin tragique de cette pièce,quoique bien construite en quatre actes longuets, est assez artificielle, et beaucoup moins convaincante que celle de Maison de poupée, quand Nora quitte mari et enfants  pour essayer de vivre enfin pleinement sa vie.
  Stéphane Braunschweig  qui a  déjà monté plusieurs pièces d’Ibsen s’est attaqué à ce morceau de quelque deux heures  trente cinq qu’il a préféré ne pas couper d’un entracte, et, en cela, il a eu raison, même si les dernières quarante minutes commencent à peser lourd et si les spectateurs commencent à s’impatienter. Sa mise en scène est impeccable, sobre et solide comme d’habitude; mais l’on peut s’étonner qu’il ait adopté une scénographie un  poil prétentieuse et « bavarde »: comme ce faux/vrai salon en angle aux murs presque noirs, avec ces  bouquets de fleurs blanches dans une vingtaine de vases transparents, et ces portraits d’ancêtres accrochés d’abord au mur et que l’on verra ensuite à l’envers posés sur la parquet, ou encore cette très longue et très haute bibliothèque blanche avec des centaines de livres dans le bureau du pasteur. #
  En fait, tout se passe un peu s’il n’avait pas eu totalement confiance dans les dialogues de cette pièce, pour dire tout le tragique et le pessimisme profond d’Ibsen. Dans un récent article d’Alvina Ruprecht du 14 novembre paru dans Le Théâtre du Blog, Thomas Ostermeier qui avait réalisé une mise en scène tout à fait remarquable de Maison de poupée et qui a aussi monté trois autres pièces d’Ibsen semble éprouver quelques difficultés avec sa dramaturgie. On ne sait s’il pensait en particulier à Rosmersholm mais la pièce- ici dans son intégralité-aurait sans doute bénéficié de quelques coupes, ce qui n’aurait pas été un luxe et aurait donné au spectacle un meilleur rythme. Et comme il y a plusieurs baisser de rideau pour modifier le décor, cela contribue encore à allonger les choses.
  0001821001258031101.jpgCe n’est pas un hasard si l’on retrouve aussi cette même sagesse, ce trop grand respect du texte dans Maison de Poupée. On a l’impression que Brausnchweig n’a pas voulu ou pas osé  toucher à Ibsen, alors qu’Ostermeier avait été plus radical dans son adaptation et avait recréé, sans toucher comme il dit au coeur de la pièce, un univers  contemporain, pour le plus grand bonheur du public.
  Du côté de la direction d’acteurs, aucun doute là-dessus, Stéphane Braunschweig sait faire et bien faire, mais, à relire le texte, on ne sent pas toujours, telle que l’interprète Maud Le Grevellec,la manipulatrice sournoise et presque cruelle qu’est finalement Rebekka. Les autres comédiens: Claude Duparfait,( Johannes) Christophe Brault ( Krolle) , Marc Susini (Mortensgaard) et Sylvie Mercier ( la femme de chambre) font un travail précis mais dans le rôle de Brendel, Jean-Marie Winling est tout à fait remarquable et  fait preuve d’une vérité dès la première minute, quand il débarque sans prévenir dans la maison du pasteur…
  Alors à voir? A vous de juger. Vous pouvez éventuellement, avec les réserves indiquées , et si vous êtes vraiment passionné par Ibsen, vous enfiler les deux heures trente cinq de la pièce, soit vous contenter d’ aller voir Maison de Poupée- dont le texte, qu’ on finit par connaître presque par cœur, est vraiment éblouissant. Même si la mise en scène propre comme il faut, et qui reste tout de même beaucoup trop sage, il y a Chloé Rajon ( Nora) qui est excellente  dans son approche du personnage, à la fois inconsciente des efets ravageurs que son faux en écritures privées peut déclencher, puis, déterminée et courageuse  à la fin quand elle comprend qu’elle n’a plus rien à faire avec l’homme qui l’a mis plus bas que terre et Philippe Girard (le docteur Rank) . Mais, actuellement, côté mise en scène,il n’y a pas mieux sur le marché parisien.  En tout cas, conseil d’ami:  évitez l’intégrale: à cause de Romersholm, l’éternité, soit presque sept heures avec l’entracte, c’est  long surtout vers la fin..

Philippe du Vignal

#  Le décor ci-dessus est celui du salon aux murs presque noirs de Rosmersholm où est encastré celui du bureau qui est une des pièces de l’appartement moderne d’ Une Maison de poupée, lequel est aussi peu convaincant.Le cadre de la porte du fond surdimensionnée , avec une boîte à lettre transparente pour que l’on voit bien la lettre de dénonciation que redoute Nora (!) est à l’origine celle de la porte-fenêtre du salon de Rosmersholm: ce genre de bricolage, même techniquement bien maîtrisé, quand il est destiné  à deux pièces différentes n’est jamais vraiment très efficace, et l’on a encore ici la preuve. Il existe pourtant nombre de scénographes maîtrisant bien leur métier auxquels Stéphane Braunschweig pourrait faire appel, au lieu de faire dans l’à-peu-près.Mais bon, tant pis….

 

Philippe du Vignal

Théâtre de la Colline jusqu’au 20 décembre et du 9 au 16 janvier 2010.

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UNE MAISON DE POUPÉE  d’ Henrik Ibsen, mise en scène et scénographie de Stéphane Braunschweig

Nora, jeune épouse apparemment frivole fait irruption dans son appartement les bras chargés de paquets. C’est la veille de Noël, elle a fait des achats, un peu trop tôt au goût d’Helmer son mari, ancien avocat qui sera nommé directeur de banque quelques jours plus tard, ce qui la réjouit au plus haut point. Avec l’arrivée inopinée de Christine, une amie d’enfance démunie à la suite d’un veuvage, on apprend que Nora s’est lourdement endettée pour sauver la vie de son mari en l’emmenant en Italie pour le guérir d’une grave maladie. Et elle a fait un faux en écriture et ne peut donc honorer la reconnaissance de dette qu’elle a contractée auprès de Krogstat, un employé de la banque que son mari s’apprête à licencier pour donner son poste à Christine. Aux abois, elle ne se confie pourtant pas au riche docteur Rank, fidèle ami du couple, amoureux d’elle et mourant.

  Helmer, lui,  ne cesse de proclamer son amour à Nora, son aimée qu’il prend pour une tête de linotte, jusqu’au moment où il découvre sa supercherie et la rejette violemment. Finalement Krogstat retire sa plainte, Helmer se calme, mais c’est Nora,  qui est ulcérée par le comportement de cet homme qu’elle a adulé pendant huit ans ; elle décide de le quitter sur le champ, lui et  leurs trois enfants , l’abandonnant à sa médiocrité,  « je dois , dit-elle penser par moi-même et tâcher d’y voir clair. »

  Chloe Réjon campe une magnifique Nora, légère et primesautière, incapable de comprendre la loi des hommes qui l’aurait empêché de sauver la vie de son mari grâce à un faux en écriture  dont elle ne peut concevoir la gravité. Philippe Girard, fidèle comédien de Braunschweig est un docteur Rank , condamné par la maladie, ironique et grave. Le salon et la chambre immaculée des premiers actes laissent la place dans la dernière partie  au seul bureau et à  la porte grande et sombre de l’appartelment mais celui de Maison de poupée, mise en scène par Thomas Ostermeier  était autrement plus efficace. On est  gêné au début  par la diction un peu sourde d’Éric Caruso en Helmer, mais c’est tout de même de la belle ouvrage !

Edith Rappoport

Candide

Candide, texte d’Yves Laplace, mise en scène d’Hervé Loichemol

   candide.jpgIl était une fois un jeune homme, bâtard, mais bercé par une bonne nature, un philosophe optimiste  et une famille d’accueil pas trop regardante jusqu’à ce que… ses privautés avec la fille de la maison, la belle Cunégonde, jettent Candide sur les routes : guerres, cruautés, tremblement de terre, fanatisme religieux, ingratitude… Lui-même, le jeune homme pacifique, est amené à tuer, bref, le musée des horreurs et de l’inhumanité.

  Voilà le conte qu’il fallait au monde d’aujourd’hui, comme si Voltaire avait pressenti ce « meilleur des mondes possibles », violent à l’image de la terrible “virée“ de Candide d’un continent à l’autre, aujourd’hui global et capitaliste, puisqu’on vous dit que c’est la fin de l’Histoire…. Heureusement, Candide a son moteur – retrouver Cunégonde -, et Voltaire son humour, sa vitalité, vraie forme combative d’un optimisme pragmatique et sans illusions. Et le fameux jardin qu’il faut cultiver, si possible sans pesticides.
Yves Laplace a écrit une adaptation fidèle et moderne, donnant la parole à ce “sans papier“ qu’est Candide. Hervé Loichmol a choisi pour le rôle l’excellent William Nadylam, virtuose et tendre, histoire de radicaliser la chose.
Que dire ? La scénographie est inventive, les acteurs, démultipliés dans tous les rôles, sont en plus de très bons musiciens, tout est bien, et… ça ne marche pas vraiment. Certaines allusions à l’histoire récente (les suites de la seconde guerre mondiale, les casques bleus et l’ONU en ex-Yougoslavie) pèsent sans éclairer. La fin, qui ne voudrait pas s’en tenir au fameux jardin, s’effiloche sans questionner franchement le conte. On applaudit le travail, l’intelligence du propos, et on reste sur sa faim. Le public jeune apprécie cette mise en spectacle et en actualité d’un texte qui lui est familier… Mais ce Candide souffre peut-être de rester entre deux chaises: celle de l’interrogation sur aujourd’hui, et celle de la révérence à Voltaire.

 

Christine Friedel

Nouveau Théâtre de Montreuil-CDN jusqu’au 8 décembre.

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