Liliom

Liliom de Ferenc Molnar, mise en scène de Marie Ballet 

fr12581115104889.jpgUne pauvre légende de banlieue (sous-titre donné par Ferenc Molnàr à son Liliom) : la petite “bonniche“ Julie pouvait-elle vivre avec le mauvais garçon, Liliom, le bonimenteur du manège de Madame Muscat ? Ils s’aiment, lui à coups de claques, elle, à force d’encaisser sans se soumettre. Elle attend un enfant, et tout ce qu’il trouve pour faire face, cet imbécile, c’est de monter un coup foireux avec son fascinant et minable copain Dandy, pour se suicider ensuite. Et tant pis pour le rêve d’Amérique. Pas de quoi en faire une légende, et pourtant, à tout juste cent ans, la pièce “marche“ plus que jamais, drôle et poignante.
Socialement, il n’y a pas si loin entre le “vaurien“ et le délinquant, entre la petite bonne  de 1909 à la merci d’un renvoi et la travailleuse précaire d’aujourd’hui. De même pour le “droit au logement“ : si Liliom et Julie n’étaient pas hébergés par la Tante Hollander… Si Liliom et devenu un classique, c’est que Molnar a posé d‘emblée, au début du vingtième siècle, un type de marginaux – ou plutôt des “marginalisés“ -, qui, dans l’orgueil de leurs minuscules révoltes et l’immensité de leur amour impossible  à dire, atteignent à la dignité des rois. Voilà pour la légende.
La saison dernière, Frédéric Bélier-Garcia avait donné un beau Liliom (http://theatredublog.unblog.fr/2009/05/10/614/) dans un décor impressionnant de Sophie Perez et Xavier Boussiron. Un monde à l’image du King Kong crachant les clients du toboggan : voilà le Moloch capitaliste qui vous dévore, mesdames et messieurs. Le personnage du tourneur – le bon ouvrier qui veut bien récupérer Julie, jeunette veuve et enceinte, à condition qu’elle s’occupe de ses propres enfants – incarnait une pesante et triste domination masculine, on était un peu plus du côté d’Horvath et de son Casimir et Caroline de l’amour empêché par le chômage et la crise.
Marie Ballet a pris un autre parti : dans un décor minimal, tout l’accent est mis sur l’histoire d’amour, avec son prolongement chez les “flics du paradis “. Pour la fête foraine : juste une guirlande d’ampoules, un air d’accordéon et une caravane minable qui sera le logement de Julie et Liliom. Costumes minimalistes également : “marcel“, bretelles et casquette pour lui, robettes de toujours – enfin, de tout le vingtième siècle – pour les filles, mais courtes à la mode d’aujourd’hui. Et c’est bien cette façon de foncer droit dans l’attitude, la gestuelle, le parler d’aujourd’hui qui fait la qualité du spectacle : inutile de montrer le social, il est dans les mots, et la façon ultramoderne de les jeter, ou de les garder noués dans la gorge quand il s’agit de mots d’amour.
Dans son texte de présentation, Marie Ballet parle beaucoup du cinéma et de la photographie. Il est vrai que le cinéma s’est très tôt emparé de Liliom. Mais le charme particulier de sa mise en scène , c’est qu’elle mise  peu sur l’image, pas du tout sur l’esthétisme, et tout sur le pur théâtre, à savoir :le jeu et la présence intense, sans failles, d’une bande de comédiens exemplaires, dans une scénographie “réduite“ à l’essentiel, tremplin d’émotion et de lucidité. 
On l’aura compris :  un spectacle à ne pas manquer.

Christine Friedel.

 

Théâtre de la Tempête à la Cartoucherie, jusqu’au 13 décembre.

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Liliom  ou la vie et la mort d’un vaurien de  Ferenc Molnar, mise en scène de Marie Ballet.

Quelques mots pour dire que nous sommes un peu  moins enthousiastes que ne le fut Christine Friedel ( voir Théâtre du Blog de novembre) quand elle vit le Lilom de Marie Ballet. Tout est mis effectivement sur l’interprétation: mais deux choses ne  passent pas vraiment bien: une scénographie assez peu convaincante où une pauvre caravane tient beaucoup de place et ne semble pas remplir une fonction évidente. Et les comédiens la font bouger à plusieurs reprises, puis l’enveloppent d’un rideau noir au moment du Jugement de Liliom quand il se retrouve au Ciel. Quant à la fête foraine… on a, désolé,  un peu de mal à y croire; même avec trois euros et demi, l’imagination aurait pu être un peu plus vivace, et côté costumes, cela manque singulièrement d’unité et tout simplement de qualité.
Quant à la dramaturgie, on ne saisit pas très bien et cela ne ressort ni dans le spectacle ni dans le petit texte de présentation pourquoi Marie ballet a adopté le parti pris de choisir deux actrices d’origine maghrébine  pour jouer Julie et Marie et deux comédiens africains pour jouer Liliom et Le détective. Par ailleurs, Naydra Ayad qui est pourtant une bonne comédienne ne semble pas très à l’aise et on sent peu chez elle l’amour qu’elle ressent pour Liliom, alors que Boutaïna Elfekkak  dans le rome secondaire de marie est elle beaucoup plus  convaincante. Quant à Noémie Develay-Ressiguier qui joue brillamment Louise la très jeune fille de LIliom à la fin de la pièce, il est difficile de croire une seconde à son personnage de fliquette. Jean-Chrisptohe Folly interprète , lui, Liliom , avec beaucoup de nuances et de sensibilité. Et Olivier Bernaux est tout à fait remarquable dans le rôlel pas commode du Secrétaire du ciel. Et Emmanuelle Ramu sait passer du personnage de Madame Muscat à  celui de la tante Hollander avec maestria. Donc en résumé une distribution et une mise en scène un peu inégales et pas vraiment  convaincantes
C’est du travail honnête,  comme on dit, mais qui n’ a pas la solidité de celui d’Opérette imaginaire de Novarina présenté l’an passé au Théâtre de la Cité Universitaire. Alors à voir? A vous de choisir mais nous avons été un peu déçus…

Philippe du Vignal

Théâtre de la Tempête jusqu’au 13 décembre.

Le texte français de Krstina Rady, Alexis Moati et Stratis Vouyoucas est publié aux Editions Théâtrales


Archive pour novembre, 2009

Le rossignol et autres fables

« Le rossignol et autres fables », mise en scène de Robert Lepage

 

 lerossignoletautrescourtesfables.jpg Présenté en première mondiale à la Canadian Opera Company, du 17 octobre au 5 novembre , ce spectacle est à la fois touchant et fascinant, grâce à la musique d’Igor Stravinski et à la scénographie de Carl Fillion. Comme cette fosse remplie de 67000 litres d’eau là où on a l’ habitude de voir un orchestre, qui est placé derrière les solistes et le chœur, comme aussi  la présence de marionnettes, ombres chinoises et acrobates-danseurs.
     Le spectacle commence par le célébre thème Ragtime . Puis, des paysans chantent en russe Pribaoutki ,  Berceuses du chat , Les poèmes de Constantin Balmont et Quatre chansons paysannes russes, accompagnés d’un groupe de performeurs qui, devant une lanterne rouge, font surgir un extraordinaire théâtre d’ombres chinoises sur  grand écran.Le jeu d’ombres se poursuit d’une manière encore plus complexe et délicate dans Le Renard . Derrière l’écran, tendu, cinq acrobates-danseurs  donnent  vie  à des figures d’ombre représentant des animaux : coq, renard, chèvre et chat. A la fin du  Renard , Robert Lepage  utilise une autre technique : les figures d’ombre noires deviennent  blanches, voire tridimensionnelles. Au moment de la danse de victoire ,  les spectateurs  voient à l’écran la face et les traces des animaux.
     Après l’entracte, Le Rossignol, une chinoiserie basée sur le  conte de fées d’Hans Christian Andersen, dont le livret fut écrit par Stepan Mitussov en 1914, développe  encore la magie et l’illusion.. Le Chant du rossignol est si beau qu’il enchante l’empereur de Chine qui  l’invite à demeurer à la cour. Mais, lorsque les officiers font cadeau à l’empereur d’un autre faux rossignol qui chante tout aussi bien, le rossignol est chagriné et s’en va. Alors l’empereur courroucé, chasse le rossignol du palais. Un jour l’empereur tombe malade, en danger de mort. Le rossignol fait alors son apparition et, par son chant, charme la mort, la persuade de partir et sauve ainsi la vie de l’empereur.
     Dans ce spectacle, l’élément liquide constitue une entité scénique dans laquelle baignent les solistes. Ils entrent en scène en manipulant des marionnettes bunraku habillées aussi somptueusement qu’eux. Cette coexistence des chanteurs avec les marionnettes  crée une dualité, un dédoublement corporel qui accentue  le caractère merveilleux de la fable.  De grandes  marionnettes-dragons ( d’inspiration vietnamienne) , comme  la tête de mort géante et les quatre membres de la Mort, sont manipulées par des ninjas immergés et  la musique d’un orchestre  nimbé d’une lumière bleue et  marron  accentue la corporéalité  des musiciens, dont les solistes et le chœur sont placés près du public. Ce qui, on l’a dit, valorise l’aspect théâtral et le lien avec le public ,en axant l’intérêt sur l’intrigue du conte. La richesse d’imagination et l’économie de moyens  de Robet Lepage  rappellent un autre monde : celui de l’enfance et de l’ingénuité.

Maria  Stasinopoulou

 

     Le spectacle sera présenté au Festival Lyrique d’Aix-en-Provence en juillet prochain et à l’Opéra de Lyon à l’automne 2010.

 

 

le Théâtre Toursky

  Face au vilain marchandage du Ministère de la Culture, Richard Martin et le Théâtre Toursky a Marseille ne désarment pas…Situé dans le quartier le plus défavorisé de Marseille, le Théâtre Toursky, dirigé par Richard Martin, ancré profondément dans la vie du quartier et de sa population multiculturelle, a développé en même temps un vaste réseau de travail avec des artistes de la Méditerranée et au-delà. Si son engagement est  désavoué par l’État, Toursky risque de disparaître.

 

En 1995 le Directeur du Théâtre et des Spectacles au Ministère de la Culture, Jacques Baillon, avait déjà supprimé la subvention aux Toursky. Rétablie en partie cette subvention de 185 000 € vient d’être définitivement supprimée en 2009.
Après de multiples tentatives de dialogue avec le Ministère, sourd et muet à ses interpellations, Richard Martin a entamé avec Jean Poncet (Sénateur Maire de Marseille) le 3 octobre dernier une grève de la faim. Il l’a suspendu lorsque le Ministre, Frédéric Mitterrand, a consenti à le recevoir le 23 octobre dans son bureau, rue de Valois. Le directeur de la DMDTS Georges François Hirsch assistait à cette rencontre.
Le Ministre s’est engagé à réparer l’injustice faite au Toursky, en donnant à Richard Martin sa parole d’honneur qu’il mettra tout en œuvre pour qu’une aide immédiate soit attribuée au titre de l’année 2009 et pour qu’une convention pluriannuelle soit établie pour les années 2010 – 2012 pour le projet  global de Toursky, et enfin que  l’aide pour 2009 ne pourrait se limiter au montant indécent de 15 000 € proposé auparavant par François Drouat, directeur de la DRAC /PACA.
La convention pluriannuelle devait correspondre au financement destiné à soutenir le projet global de Toursky, incluant à la fois la politique tarifaire volontariste pour le public défavorisé, une grande ouverture internationale et la poursuite du travail de création. Richard Martin a pris acte de la parole d’honneur donnée par le Ministre. Mais qu’en est-il aujoiurd’hui?
Le 2 novembre,  Georges François Hirsch propose à Richard Martin un bien étrange marché : 15 000 € d’aide pour 2009, somme qui avait été jugée indécente dans le bureau du Ministre. Par ailleurs, en ignorant le projet global de Toursky dont le dossier lui a été remis en mains propres le 15 octobre à Paris, Georges François Hirsch a affirmé que l’État ne soutiendrait en aucun cas ni le fonctionnement ni la programmation du théâtre, mais uniquement le projet des actions en direction du quartier défavorisé où le théâtre est implanté.
En conséquence le 3 novembre M. Hirsch annonce à Richard Martin ses propositions en fonction de  curieux calculs : soit 15 000 € en 2009 et 65 000 € par an pour la période 2010 – 2012: soit 195 000 €: 30 000 € pour 2009 et 50 000 € par an pour la période 2010 – 2012, soit 180 000 € dans cette seconde version!  Certes la direction des Spectacles n’est peut-être pas très forte en arithmétique mais tout cela ressemble fort à un marchandage de tapis.
Le 5 novembre,  Richard Martin en appelle dans une lettre de nouveau au Ministre: il souhaite savoir si la proposition qui lui a été faite était la sienne ou celle de M. Hirsch. Silence du Ministre, et, à sa place, M.  Hirsch confirme qu’il s’agit bien de la proposition de Frédéric Mitterrand.
À la faveur de la politique d’autruche du Ministre, la campagne de discrédit du Toursky menée par le directeur de la DRAC/ PACA s’amplifie, attisée par des propos mensongers du préfet Sappin publiés dans le quotidien  » 20 minutes « du 28 octobre dernier . Contre l’évidence des chiffres,  il affirme que le Toursky est le théâtre le plus subventionné de la région PACA et de Marseille et que c’était le manque de créations au Toursky qui avait justifié l’arrêt des subsides d’État.
Or, pour s’en tenir aux seules années 2008 et 2009,  le théâtre Toursky a présenté 13 créations en production propre, coproduction  ou coréalisation. Quand on compare le montants des soutiens des diverses tutelles aux principaux théâtres de Marseille,  on peut mesurer la fiction des calculs du Préfet Sappin. Richard Martin a réclamé au Ministre une réponse personnelle et claire qui reflète bien son analyse. En attendant cette réponse et la visite de Frédéric Mitterrand à Marseille,  où il doit rencontrer personnellement Richard Martin le 30 novembre, le comité de soutien du Théâtre Toursky est de nouveau en alerte, en appelant les gens de culture et les politiques à apporter leur soutien.

 

Irène Sadowska Guillon

 

Contact
Marc Cohen, Coordinateur du Comité de soutien de Richard Martin
com.toursky@orange.fr

AU FIL D’ ŒDIPE

 

 

AU FIL D’ ŒDIPE
Tentative de démêlage du mythe par les Anges au plafond sous le regard de Camille Trouvé 

 

5oedipedsc1994.jpgLes Anges au plafond sont nés en 1999, ils sont issus de la vaillante compagnie des Chiffonnières qui ont présenté de beaux spectacles de théâtre d’objets dans une joyeuse itinérance et de belles roulottes, parfois avec la compagnie Babylone et avec leurs propres moyens, je garde un beau souvenir du Bal des fous à Aurillac. Les Chiffonnières disposaient d’un atelier à Malakoff, malheureusement vendu à un marchand de biens, elles ont été régulièrement accueillies par le Théâtre 71 pour leurs créations, tout comme les Anges au plafond, dont c’est le 3e spectacle. Camille Trouvé, belle et bonne actrice a d’abord monté Le cri du quotidien, assise à une table manipulant les objets qu’elle avait conçus, l’équipe s’est lancée dans cette tentative de défroissage du mythe dont le premier volet était Une Antigone de papier belle performance de comédiennes manipulatrices et musiciennes, sous l’œil et la plume de Brice Berthoud qui en avait fait un adaptation originale.

 

Ce spectacle reste au répertoire, en alternance avec Au fil d’Œdipe, joué cette fois par une distribution exclusivement masculine dans le même dispositif de petits gradins circulaires spartiates installés sur le plateau du Théâtre 71. On s’arrache les places et les adolescents présents ce soir-là sont restés d’un silence tendu, impossible de décrocher une seconde ! C’est Brice Berthoud qui mène l’épopée sur un radeau environné de cordages, surplombé d’une dizaine de paquets de chiffons blancs qu’il déplie tour à tour pour en faire surgir les protagonistes du drame: Œdipe, Jocaste, Créon, Laïos, Antigone, effrayantes et très humaines marionnettes dont il mène les dialogues avec de surprenantes transformations vocales.

  Il est accompagné de trois superbes musiciens, en particulier Wang Li et Piero Pepin, les effets scéniques sont une merveille permanente,  comme cette montée du radeau sur la mer furieuse dont on peut voir les lames et il y a une  réelle complicité entre les protagonistes de ce drame. Une émotion et une simplicité rare,s rendue possible grâce à l’accueil de la Fabrique des arts, nouveau lieu de répétition du Théâtre 71.

Edith Rappoport

 

Spectacle créé au Festival Marto au Théâtre 71 et un peu partout en Frnce voir www.lesangesauplafond.net.

 

 

 


Soudain l’été dernier

Soudain l’été dernier de Tennessee Williams mis en scène de René Loyon.

 

tenessee.jpg    La saison passée avait été celle de La nuit de l’iguane, mise en scène de Georges Lavaudant à Bobigny  et de Baby Doll montée par Benoît Lavigne, ( voir les articles précédents du Théâtre du Blog) et  cette année arrive le Wooster Group américain  avec Vieux carré mis en scène par Elizabeth Lecompte , La Ménagerie de verre mise en scène par Jacques Nichet au Théâtre de la Commune à Aubervilliers, dont on vous rendra compte prochainement , et enfin Un tramway nommé désir dans la mise en scène de Warlikowski bientôt au Théâtre de l’Odéon …Et l’on en oublie sûrement, tant le monde de Tennessee Williams fascine metteurs en scène et public
Soudain l’été dernier n’est sans doute pas l’une des plus jouées des oeuvres de T. Williams, malgré le succès du film réalisé par Mankiewicz The last Summer ( 1959), (mais désavoué par Williams) avec Katerine Hepburn, Elizabeth Taylor et Montgomery Clift. Mais c’est une pièce attachante par bien des côtés. Soudain l’été dernier , comme la plupart de celles du dramaturge américain , a quelque chose à voir avec sa vie personnelle (père absent et haï, soeur adorée en proie à la schizophrénie et qui fut opérée par lobotomie, homosexualité difficilement vécue..)

  C’est l’histoire de Violette Venable, très riche bourgeoise qui a une belle et grande demeure à la Nouvelle Orléans; nous sommes en en 1935, à la fin de l’été, dans une atmosphère lourde et poisseuse.  Son fils Sébastien est mort l’an passé, dans des circonstances tragiques  et mystérieuses à Cabeza de Lobo,  que l’on  pourrait situer  en Amérique du Sud où il était parti avec sa cousine Catherine.
Mais, comme le récit de ce meurtre par Catherine dépasse l’entendement, il est considéré comme peu crédible, et elle est déclarée  psychiquement atteinte et  internée malgré son obstination à répéter  sa version de la mort tragique de Sébastien. Violette Venable, décide alors de demander à un jeune neuro-psychiatre ,spécialiste de la lobotomie ( intervention chirurgicale dans le lobe frontal du cerveau siège de la mémoire, du langage et de certaines notions cognitives qui se révéla  sans grande efficacité et qui n’est plus guère pratiquée) mais  les choses se compliquent puisque Violette Venable pratique un petit chantage en lui proposant une forte somme d’argent pour l’aider dans ses recherches ,ce qui sous-entend : opérer et  interner définitivement Catherine. En fait, l’on va vite comprendre que Violette Venable, atteinte d’une jalousie morbide, n’ a jamais supporté l’amitié que vouait Sébastien à Catherine qu’elle l’ait remplacé auprès d’elle dans ses voyages, en servant de rabatteuse auprès de jeunes hommes que son cousin voulait séduire.

  D’après Catherine , Sébastien aurait été tué par une bandes d’adolescents très pauvres et  affamés,  » horde de petits moineaux noirs déplumés » , prêts évidemment à se prostituer sans difficulté aux riches blancs qui passent des vacances dans leur pays et  qui l’auraient ensuite déchiqueté et mangé…

  Violence extrême, haine de l’étranger et racisme bien ancrés, en même temps qu’attirance sexuelle et perversité: dans le milieu des riches américains du Sud dont fait partie Violette Venable, on ne semble guère s’embarrasser de scrupules quand le mensonge doit prendre toutes les apparences de la vérité.Et l’argent est la clé qui permet d’installer l’autorité d’un discours officiel, et, au besoin, de pratiquer un internement psychiatrique, comme il a permis aussi  à Sébastien de vivre ses amours homosexuels  dans des pays dénués de ressources…

  Le jeune neuro-psychiatre , que l’on sent amoureux de sa patiente, décide alors d’injecter quelque chose comme un sérum de vérité à  Catherine pour essayer de démêler le vrai du faux, pour essayer de faire sortir la vérité de la parole et conclura: « si cette jeune fille disait la vérité. »..Ainsi s’achève cette pièce , à la fois datée mais qui renvoie à l’actualité la plus récente sur fond de racisme et de tourisme sexuel, et d’ homophobie!  Bien traduite par  Jean-Michel Déprats et Marie-Claire Pasquier, la pièce n’est sans doute pas aussi bien construite que les grands chefs-d’oeuvre de Tennesse Williams.Mais, en grand conteur qu’il est, Williams réussit très bien à créer des images fortes par la voix de ses personnages, comme celle de la plage surchauffée  et du restaurant où ont pris place Catherine et Sébastien, ou comme celle des oiseaux  qui dévorent les tortues des îles Galapagos. Ce qui touche le public chez Tennessee Williams, c’est sans doute les relations difficiles entre les personnages et cette peur du futur  qu’ils ont tous, faute peut-être d’un passé familial à peu près correct; l’écrivain pensait que si le Créateur n’avait pas tout ordonné pour le mieux, du moins , avait-il accordé un don inestimable aux animaux en les privant de la faculté inquiétante de réféchir sur l’avenir…

  soudainletedernier172.jpg La mise en scène de René Loyon est sobre et efficace , tout comme sa direction d’acteurs; pas de pathos, pas de grandes envolées lyriques, mais une grande rigueur dans le traitement du texte. Et René  Loyon  joue aussi avec beaucoup d’habileté avec  les lumières de Laurent Castaingt et les sons de Françoise Marchessau. et arrive à recréer un monde d’une cruauté parfaite, surtout quand la petite Catherine arrive sans rien comprendre, prête à être dévorée par sa tante qui la hait et par le jeune neuro-psychiatre qui, au début du moins, ne semble pas avoir de scrupules à traiter Catherine comme il l’entend….Et comme la distribution est d’ un excellent niveau, en particulier Marie Delmarès ( Catherine) qui est tout à fait exemplaire d’intelligence et de vérité , on écoute cette parabole sur l’humanité-même si elle est effroyable- avec beaucoup de plaisir… En dépit des deux  monologues/tunnels assez maladroits qui débutent la pièce et que l’on aurait pu élaguer.. Alors à voir ? Oui; cette mise en scène  est beaucoup plus convaincante que celle des deux autres pièces jouées l’an dernier.

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Tempête jusqu’au 13 décembre et Théâtre des Célestins à Lyon du 30 mars au 8 avril 2010.

Entretien entre Wajdi Mouawad et Thomas Ostermeier

Cet entretien, entre Thomas Ostemeier, Wajdi Mouawad et Alvina Ruprecht a eu lieu  devant les élèvespo21of1.jpg d’un lycée francophone d’Ottawa qui forme les jeunes artistes. La  Schaubühne de Berlin, dirigée par Th. Ostermeier est en effet à Ottawa cette semaine (10-14 novembre) avec  Hedda Gabler d’Ibsen, mise en scène par  Thomas Ostermeier, spectacle joué  au Théâtre français du Centre national des Arts, dans une adaptation de Marius Von Meyenburg.

 

Wajdi Mouawad : Le contexte de cet événement est d’une  certaine importance et donc, avant de commencer l’entretien avec Thomas, je tiens à  vous donner un aperçu historique du théâtre français du C.N.A. Il y a 40 ans, quand a été créé le Centre national des arts qui comportait un orchestre, un département de danse, un théâtre anglophone et un théâtre francophone, vous pouvez imaginer le contexte politique: théâtre anglais d’un côté, théâtre français de l’autre. (1) Le temps a passé et la notion de théâtre français a changé!  À l’époque, cela  signifiait  théâtre qui se jouait en  langue française, selon les normes du théâtre français. Je dirais que depuis dix ans cette notion  a changé en général mais  aussi pour moi: je ne suis  pas né au Québec, je ne suis pas non plus d’origine canadienne, et je suis arrivé en apportant avec moi, une part d’étranger; si l’on parle en termes sociologiques , on pourrait dire une part d’immigré; en termes politiques,  on pourrait parler de l’« autre », ou de l’inconnu.

  Arrivé comme  directeur artistique, j’ai réfléchi sur cette notion de théâtre en français et  comme je m’étais rendu compte que  je n’avais, moi-même, appris le français que vers l’âge de douze ans,  je fais du théâtre dans  une idée française de ce que c’est le théâtre, idée qui n’est pas fondée sur  la langue seulement mais peut-être aussi sur des  notions éthiques, morales, qui étaient parfois inconnues de moi.  Il y a aussi la notion d’accueil et j’ai eu l’idée de faire venir ici chaque année, un spectacle de l’étranger.

  Cette confession que je viens de vous faire, n’est  au fond qu’une façon de justifier l’invitation de metteurs en scène pour qui j’ai une grande admiration et qui m’ont ému profondément, qui m’ont transformé.  Mais je me suis aussi  demandé comment justifier une invitation, puisque ces metteurs en scène travaillent dans une langue étrangère. Et là,  j’ai commencé à réfléchir et je me suis dit que, si j’invitais ces spectacles,  je devais trouver un fondement éthique. Quand je commence donc à préparer une saison, je ne choisis pas d’abord la langue pour ensuite choisir le metteur en scène.  Je choisis d’abord un metteur en scène que j’ai vraiment envie d’inviter, et  qui travaille dans une autre langue, et  une fois que j’ai pris ma décision, j’invite sa langue. C’est en effet   très important: à la base, il y a un choix qui se fait à partir d’un  choc. L’année dernière, nous avons invité  Krum  de Levin dans la mise en scène de Kristof Warlikowski dont le travail est très différent de celui d’Ostermeier.

  L’année dernière,  j’avais présenté Seul  à la Schaubühne à Berlin. Pendant que je jouais, il y avait un Hedda Gabler  dans la salle  d’à-côté. Un jour de relâche,  je suis allé voir le spectacle et,  tout de suite, j’ai pensé au public du C.N.A.,  et je me disais qu’il fallait absolument qu’on le voie à Ottawa. C’est tellement beau, tellement  puissant,  tellement lié à ce que le théâtre peut être et doit être, dans une relation de  partage.  Le lendemain,  nous en avons  parlé et,  un an plus tard, nous  sommes là…    Quand vous verrez la pièce, vous allez complètement oublier les théories, les concepts  et c’est tant mieux, Vous serez devant un spectacle et vous allez avoir à dialoguer avec lui.
Et je vais poser quelques questions à  Thomas : quels liens  as-tu  avec les œuvres classiques , puisque tu en as monté beaucoup, mais  tu as aussi monté aussi des auteurs contemporains..  Comment passes-tu de l’un à l’autre, comment  le choix se fait-il? En fonction de ce  que tu as vécu ou  d’un choix collectif par rapport au  public allemand?


Thomas Ostermeier
:  Je suis enchanté d’être ici pour parler de mon travail à Berlin.  Je crois que dans tous les autres pays  du monde ou il y a du théâtre, ce n’est  pas si évident de monter un texte classique et de faire semblant de croire  que c’est un texte contemporain. Mais cela fait  partie  de notre qui est d’abord  de répertoire . Il faut savoir que la plupart de nos villes  ont un théâtre en plein centre avec une compagnie permanente  qui travaille avec des contrats de deux ans. On est  donc à la fois dans une  tradition des textes classiques et à la recherche des textes contemporains. Et ce type de situation fait qu’on a aussi une grande tradition de réinvention  de textes classiques.

    Hedda Gabler  est déjà mon quatrième spectacle d’Ibsen mais monter Ibsen, dans la tradition allemande , cela signifie que le spectacle va parler  des  personnages dans une perspective psychologique, que ce  théâtre montre les âmes des  personnages, et possède quelque chose de très intime . Quand j’ai lu ses textes,  j’avais un regard tout à fait différent sur le monde d’Ibsen et sur ses personnages qui étaient bien du 19e siècle. Mais les questions et les problèmes de la société bourgeoise sont encore là, et nous sommes  dans une situation proche de celle de la bourgeoisie norvégienne au XIXe siècle.
Ce fut pour moi un choc !  Je croyais, malgré tout, qu’aujourd’hui, nous étions arrivés dans  un autre monde… mais il y a toujours les mêmes problèmes de famille, d’argent, de peur de perdre son travail, et surtout la relation entre homme-femme, la relation du couple  et l’angoisse   de la femme de ne pas avoir sa place dans la société n’ont guère évolué!
Wajdi Mouawad: Quand tu  dis que  tu étais étonné de voir que  les problèmes sociaux décrits dans les pièces d’Ibsen  étaient  au fond les mêmes que ceux que vit notre  génération,  penses-tu qu’il y a eu une époque où  ils  avaient disparu?

 

Thomas Ostermeier:   Non mais je dirais plutôt que, vers la fin des années 1960 et 70-80, ces questions étaient beaucoup plus problématisées. Alors aujourd’hui surtout en Allemagne, après la chute du mur, surtout pendant les dix premières années suivantes, on a  vécu  une période très conservatrice, voire réactionnaire. L’angoisse de l’individu  est toujours fondée sur un sentiment existentialiste de  l’homme, et a une réponse dans la famille. C’est là où je retrouve encore des moments de bonheur.   Mais dans les années 1970-80, il y avait l’idée importante en Allemagne  de la « communauté « et la génération de 68 a remis en question la famille . À l’époque,  il y avait aussi  le mouvement important  de  l’émancipation des femmes.

  Mais  aujourd’hui, dans ma génération à Berlin,  il y a beaucoup de femmes qui sont prêtes à revenir à la maison, à  ne pas travailler, à faire des études universitaires ,  et à vivre une vie de famille  comme autrefois. Tout cela fait partie d’une  situation globale où le capitalisme fait un retour triomphal.  Il ne s’agit pas  seulement du capital  mais aussi des idées du XIX e siècle.  Pour moi, c’est un peu le lien entre l’œuvre d’Ibsen et  mon travail au théâtre.

Wajdi Mouawad  .M. Qu’est-ce qu’être un artiste en Allemagne,  dans un contexte comme tu viens de le décrire  où les moyens existent,  plus que dans bien d’autres pays, mais où on est héritier d’un siècle où la langue allemande renvoie à un imaginaire lourd  et difficile à porter? Comment créer de la poésie en langue allemande, quand on a affaire à des générations futures?

 

Thomas Ostermeier:Bonne  et difficile question!  Le grand philosophe allemand Adorno  a dit «  Après Auschwitz,  on ne peut plus écrire des poèmes ». Je crois qu’il y a une part de vérité dans cette phrase:  c’est difficile de travailler en  langue allemande . Et au  théâtre, on a perdu  le côté pathétique de cette langue. C’ est une grande différence avec le théâtre français. Par exemple, la déclamation n’existe plus chez nous . Alors le théâtre allemand  dans mon cas, est devenu très réaliste avec un langage et un  traitement des dialogues très subtil sans  moments de « grandes paroles ».Et cela a beaucoup à voir avec ce que nous avons vécu au XXe siècle et  c’est pour cela qu’ à la Schaubühne, nous traitons beaucoup cette question. On vient de créer un spectacle qui s’appelle La troisième génération, avec des acteurs du Moyen-Orient ,   israéliens, palestiniens mais aussi  allemands qui se retrouvent pour se poser la question : qu’ était l’ holocauste? Je ne me sens pas responsable de l’histoire allemande du XXe siècle mais comment traiter ce sujet là,  qui est  aussi  liée  à la question de la langue.

 

Wajdi Mouawad:   Quel sens donnes-tu au fait d’être   directeur de la Schaubühne et quelle en est son histoire ?

T.O. La Schaubühne est une des grandes mais assez jeunes institutions berlinoises, même si elle elle existe quand même depuis 45 ans!  Les autres grands théâtres  institutionnalisés comme le  Berliner Ensemble ou le Deutsches Theater sont beaucoup plus vieux… La Schaubühne a été fondée  par des étudiants, dont,  Gottfried Helnwein,  l’un des fondateurs est encore le directeur administratif. Il a créé  la Schaubühne quand il avait  22 ans . L’idée au début était de faire du théâtre sans moyens, avec ses copains  de l’université, très politique et très engagé. Huit ans après ses débuts, Peter Stein, le grand metteur en scène allemand , en est devenu le directeur artistique, et à ce moment-là, la Schaubühne est devenu un théâtre  célèbre et a eu beaucoup  de succès, surtout en Allemagne mais aussi un peu partout dans le monde. Elle  a beaucoup influencé le paysage théâtral européen. Et depuis, les subventions  de la ville ont  augmenté . Aujourd’hui on reçoit un budget de 12 millions d’euros  par saison et il y a deux cents permanents …

  En 1960-70,  la participation était une idée majeure, à savoir:  tous les acteurs et les   travailleurs du théâtre participaient au choix des textes,  des metteurs en scène, et même de la distribution. Pour ce qui est des salaires, tout le monde gagnait à peu près la même chose. Quand nous sommes arrivés  en 1999, nous étions une  équipe artistique venue d’un petit théâtre qui  s’appelait La Baracke que j’avais dirigé pendant trois ans à Berlin et ensuite on m’a invité à prendre la direction artistique de la Schaubühne.

  J’ai alors essayé de faire revivre cette idée de  participation dans mon travail de directeur,  selon l’idée d’une démocratie de base. On peut revenir aux idées du début de ce théâtre mais dans une situation  très différente:à l’époque en effet, ces idées faisaient  partie de mai 68 en Allemagne, mais aujourd’hui on vit une autre époque et nous ne sommes plus portés  par un mouvement de  société.

Wajdi MouawadPourrais-tu  résumer  l’histoire de Hedda Gabler en quelques phrases?

Thomas Ostermeier:  Une femme  se marie avec un jeune professeur, ou du moins avec  un homme qui  croit qu’il va devenir professeur, et quelques années après se trouve  dans une prison dorée. Elle  choisit  de  ne pas en sortir  mais essaye de détruire tous les gens autour d’elle et cette pulsion destructrice a beaucoup à voir avec le fait qu’elle est mue par une haine de soi. Elle essaye par  des intrigues et des stratégies perverses, de détruire les relations personnelles autour d’elle, parce qu’elle ne supporte pas la médiocrité environnante et va se  trouver dans une situation où tout ce jeu  se retourne contre elle et prise au piège , elle se suicidera.
Wajdi Mouawad: Quelle relation  entretiens-tu  avec les auteurs et leur écriture? As-tu  des contacts réguliers avec eux,  les appelles-tu pour leur parler , ou est-ce une relation qui  distante.?
Thomas Ostermeier: Je dirais qu’une de mes premières idées de base de mon théâtre est de renforcer la relation entre le théâtre et les auteurs. Nous avons  beaucoup perdu avec la perte de l’idée d’ auteur, parce que le lien qu’ils avaient avec et le théâtre n’existait plus. Le théâtre allemand des années 90  était  devenu un théâtre  autoréférentiel,  qui donnait une réponse à une  pièce représentée auparavant. C’était une tour d’ivoire où, pour les artistes, la réalité n’existait plus ou ne jouait plus un rôle important.

  Si le théâtre veut survivre, il est important qu’on réactive ce lien entre nous et la réalité. Et  ce lien est l’auteur qui, seul,  peut apporter des histoires qui ont un rapport direct avec la vie des spectateurs. . Je me souviens encore beaucoup,  jeune spectateur , d’avoir  vu des spectacles où je ne comprenais rien et  qui n’avaient rien  à voir avec ma vie personnelle. C’est notre devoir, je crois,  de réinventer ce rapport et d’inviter les auteurs au théâtre .  Et dans le cas d’ Hedda Gabler , il s’agit d’une  adaptation du texte d’Ibsen que j’ai fait avec l’auteur, dramaturge et traducteur Marius Von Mayenburg qui a déjà écrit beaucoup de pièces, dont Visage de feu (2001), pièce avec laquelle nous étions à Toronto il y a dix ans. Nous  faisons  des adaptations de textes mais on ne touche pas au cœur de la pièce mais on essaie plutôt de l’actualiser  sans banaliser la langue.


Wajdi Mouawad: As-tu envie d’écrire des pièces?


Thomas Ostermeier: Oui, mais je sais que je suis un très mauvais auteur dramatique…


Wajdi Mouawad: Dans ce cas là, si tu es un mauvais écrivain, y-a-t-il  un rapport  avec ta qualité de metteur en scène?  Es- tu es un excellent metteur en scène parce que tu te sens démuni par rapport à l’écriture?  Ou bien,  cela n’a rien à voir ?


Thomas Ostermeier:Toutes les formes d’art, me semble-t-il,  sont des recherches sur la communication mais il y a aussi dans chaque être humain des émotions qu’on ne peut  exprimer par la parole.  Il y a aussi la musique, la peinture et  toutes les autres formes d’art par  lesquelles on essaie de communiquer et de s’exprimer.  Le  langage de la dramaturgie, comme  celui de la poésie, est aussi une manière de  communiquer avec l’autre, et la mise en scène est une sorte  d’art, une façon d’exprimer quelque chose impossible à exprimer avec des mots.
Ma passion est de travailler  sur cette question de communication , d’exprimer des choses que j’observe  dans le comportement des  gens, et de mettre  sur scène de petits gestes, de petits moments  qu’on n’arrive pas à décrire,  mais  qu’on peut très bien reconnaître . Pour moi ,cela est aussi une forme d’art , de communication et surtout, je crois que  le meilleur théâtre  que je connaisse, est fondé sur des clichés du comportement des gens. Ces  clichés et ces  gestes  constituent une sorte de narration scénique qui n’a  rien à voir avec la réalité mais qui a beaucoup à voir avec la tradition théâtrale et ma passion , ma mission est de réinventer l’écriture des gestes sur  scène, influencée par la réalité qui existe autour de moi.
Wajdi Mouawad:  Eprouves-tu quand tu vois  le  paysage devant toi chaque jour quand tu te lèves et que tu vas répéter au théâtre, le sentiment qu’il existe quelque chose de spécifiquement allemand par rapport à ce qui pourrait être surtout européen?  Je ne parle pas des moyens ni de  méthodes mais de quelque chose d’autre  difficile à nommer. Comme je passe beaucoup de temps en France et que je voyage entre la France, la Belgique, l‘Italie et l’Allemagne, je finis par avoir le  sentiment qu’il y a tellement de liens culturels entre ces pays , et  les spectacles voyagent tellement, (tu vas partout en Europe et les autres théâtres viennent souvent en Allemagne), j’ai l’impression  qu’il commence à exister un théâtre européen. Comment te situes-tu par rapport à cette notion de spécificité artistique?

Thomas Ostermeier: Il y a une vieille expression qui dit.  « Think global,  act local » Je crois que c’est vraiment le cas pour mon théâtre.Et quand j’essaie de monter une pièce et de  réfléchir à une nouvelle production, je ne pense jamais à la manière de l’adapter au cirque d’un théâtre global qui tourne tout le temps. J’essaie de parler à mon propre quartier. Je dirais que ce n’est  même pas toute la ville de Berlin mais à ma propre province artistique : je crois qu’ on vient tous d’une province, et qu’on recrée tous  nos  petites communautés artistiques qui sont autant  de petites provinces. Et j’essaie de communiquer, d’être  en contact avec cette communauté allemande de ma génération, dont la situation professionnelle est difficile, et où nous avons  moins d’argent que  nos parents. Nous vivons dans des situations sans travail et cela pour une grande partie de ma génération. C’est ma province à moi, ces gens avec lesquels je veux communiquer, qui ont des problèmes de vie privée, de relations homme/femme, etc….  Je m’adresse à cette communauté et si j’arrive à communiquer avec les autres spectateurs tant mieux, mais je ne pense jamais à créer quelque chose qui fonctionnerait globalement.


Wajdi Mouawad: As-tu un auteur de référence?


Thomas Ostermeier: Oui, mais ce n’est  pas du tout Ibsen, Marius et moi qui  travaillons toujours sur l’écriture scénique,  sommes souvent  d’accord pour trouver qu’Ibsen n’est pas un auteur aussi remarquable que cela. La plupart du temps, il a besoin de deux actes avant que le conflit soit vraiment là. C’est plutôt un auteur d’exposition. Mais j’aime cela aussi : quand on fait une mise en scène,il faut relever le défi de ne pas  être ennuyeux pendant deux actes qui se passent sans conflit…A vrai dire, je viens de mettre en scène Hamlet de  Shakespeare, et cela fait un an et demi que j’y travaillais. Je fais de petits stages, je travaille avec des étudiants parce que j’enseigne un peu la mise en scène,  et je choisis toujours Hamlet pour retravailler la pièce , alors  je pourrais dire qu’Hamlet est ma pièce préférée, et Shakespeare, oui,  n’est pas mal!

Wajdi Mouawad: Penses-tu que le théâtre est là comme  miroir,  et existe-t-il  pour nous donner des pistes de réponses?


Thomas Ostermeier: Pas du tout je suis contre cette idée.  Peux-tu  me citer  une pièce  qui donne une réponse? Non, il n’y en a pas. Ou s’ il y en a,  elles ne sont pas bonnes. Le théâtre qui donne des réponses n’existe pas:  le théâtre n’est pas l’église. À l’église,  on peut avoir des réponses,  mais le théâtre est là pourquoi?, Au Moyen Âge , l’église était contre le théâtre  qui était le lieu du diable et moi  je suis bien d’accord. (rire)


Wajdi Mouawad:. As-tu déjà mis en scène des tragédies grecques?


Thomas Ostermeier: Depuis trois ans, Marius et moi nous sommes en train de chercher  une solution pour  mettre en scène Œdipe et nous y travaillons toujours. Le problème, c’est le destin qui joue un grand rôle dans l’ubris grec?mais l’autre difficulté dans  Œdipe est d’arriver à dire  que  l’être humain est bien d’accord avec son destin, et ne veut pas être ailleurs. . Comment être d’accord avec son destin?  Je ne  sais pas encore répondre et donc traiter cette question. .


Wajdi Mouawad: Tu tournes  tes spectacles dans des endroits  improbables, tu peux te trouver  à Taiwan, en Chine, au Japon, même au Canada.  très loin du « quartier » dont tu parlais tout à l’heure. Comment se passe une  représentation d’Hamlet à Taiwan ? Quelle  relation as-tu avec le quartier, par rapport  à ce que tu as fait , toi, pour ton quartier?  Le spectacle fonctionne-t-il quand tu présentes ton spectacle ailleurs. Par exemple avec Hedda Gabler à Ottawa?  Comment  fais-tu  la transition?
Thomas Ostermeier:Les représentations d’Hedda Gabler sont  une réponse à  cette question,  Existe-t-il  une vraie vie dans la  fausse vie ?, Cette question  posée à personnage féminin traite aussi la question de la femme aujourd’hui: comment vivre, comment trouver  le bonheur dans la vie de couple? Y-a-t-il  des alternatives au réel?  Avoir une jolie maison en banlieue avec un grand jardin,  épouser un homme qui gagne beaucoup d’argent et dont la femme  peut rester à la maison: cela fait partie du rêve des gens un peu partout dans le monde. Mais, en même temps,  cela pose la question du pouvoir dans la société, des relations homme/femme. Je crois que cette question est globale. Je suis  curieux, à chaque fois que l’ on va jouer quelque part de savoir quelles sont les  relations homme /femme.
Avec La Maison de Poupée,  cette question était encore plus évidente, quand nous l’avons joué  en Turquie par exemple. J’étais complètement fasciné par le fait que des jeunes femmes du public étaient très favorables au spectacle, très engagées et même  très émancipées par rapport à l’histoire que nous avons montrée.  Je dirais même que le pays le moins développé en l’occurrence est l’Allemagne  quant aux relations homme/femme.  (rires)


Wajdi Mouawad: Je vous remercie de nous avoir écoutés (applaudissements)

Alvina Ruprecht :Le marathon de cet été à Avignon, avec vos trois spectacles  de suite pendant toute une nuit,  était une réussite à votre avis?  Etait-ce si important de présenter les trois œuvres  sans interruption dans ce contexte-là?  Y avait-il  une raison précise ?

Wajdi Mouawad: . Si cela a réussi, je ne le sais pas et je suis mal placé pour avoir un jugement là-dessus  mais  j’étais habité par une seule question: depuis  longtemps , quand j’avais créé Forêts  2007, je sentais bien qu’il y avait un lien entre  les trois pièces ,mais si je les lisais séparément , je n’arrivais pas à savoir  de quoi il était question et je me suis dit qu’en fait , un jour, il fallait monter ensemble Littoral, Incendies et Forêts, ..pour  avoir la réponse. Et donc,  je l’ai fait, ce qui m’y a amené , outre le désir d’une grande aventure théâtrale avec les acteurs, d’ une expérience ludique,  c’était le désir de voir  comment l’émotion   pouvait voyager d’une  pièce à une autre , puisque les trois pièces présentées seules, provoquaient un rapport à l’émotion  particulier,  dans Littoral, dans Incendies et dans Forêts .

  J’étais curieux de voir comment  comment l’émotion pouvait devenir un espace de création  de spectacle en spectacle. Dans quel état émotif,  le spectateur allait finir cette aventure après Forêts,  par exemple? Mais,  étrangement, je ne l’ai pas vu le spectacle avec le public :  j’étais incapable de m’asseoir dans la salle pendant onze heures avec deux mille personnes autour de moi mais, pendant les répétitions, j’ai été  au fond frappé par la niveau de chagrin qu’il y avait dans ces pièces là. Ce que je ne savais pas . Voilà

Alvina Ruprecht
: Vous avez découvert quelque chose par rapport à ce que vous vouliez exprimer et que vous n’aviez  pas vu auparavant.

Wajdi Mouawad: Oui  j’ai compris des choses qui n’étaient pas bien, d’autres qui étaient très bien et  j’en ai appris sur l’écriture que je n’aurais pas pu apprendre autrement.


Alvina Ruprecht: Je me souviens  bien  qu’à Montréal, il y a un bon moment maintenant,  lorsque j’ai vu la première version de Littoral  présentée au Théâtre d’Aujourd’hui, qui était très longue, c’était extraordinaire.  Je n’ai pas vu la version plus récente, mais il y avait des  musiciens et je me souviens de la caméra qui se déplaçait pour créer cette distance et  je voudrais savoir si cette dernière version de la pièce est très différente de la première.

Wajdi Mouawad: J’ai fait des choix d’écriture et  dramaturgiques: j’ai vu qu’il y avait  des scènes qui n’étaient pas nécessaires , des tics de langage, et parfois le texte était trop long sans raison,  alors j’ai fait  tout un travail de réécriture, l’histoire et la mise en scène sont  toujours un peu les mêmes. Mais  il n’ y a plus qu’un  musicien sur scène,  ce sont les acteurs qui font la musique et il y a la même relation à l’espace , au jeu et au récit. C’est juste plus court.


Alvina Ruprecht: L’espace de la  Cour d’honneur a déterminé vos choix de mise en scène et de formes dramaturgiques?

Wajdi Mouawad: Non;  je savais que pour la Cour d’Honneur , j’allais faire autre chose : ce qui fonctionnait dans un petit théâtre y devenait impossible . Quand est venu le temps de répéter pour la Cour, j’ai tout refait,  En fait, ce qu’on a fait à la Cour ne fonctionne que là…

Alvina Ruprecht : Le Festival a-t-il filmé ce spectacle de 11 heures?

Wajdi Mouawad: Non, c’est trop long (rire)

Alvina Ruprecht : Donc il a disparu.. L’ éphémère devient donc une forme d’esthétique privilégiée. !


Wajdi Mouawad: Oui, mais c’est une aventure comme ça. Il ne fallait pas qu’elle reste. 

Alvina Ruprecht: Même si cela laisse les chercheurs dans le vide…

 

Alvina Ruprecht

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LA FIN D’UNE LIAISON

LA FIN D’UNE LIAISON

De Graham Greene, mise en scène Alain Mollot

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  Alain Mollot qui s’est consacré avec le Théâtre de la Jacquerie depuis plus d’une dizaine d’années à un théâtre issu de la parole des gens ordinaires- on se souviendra avec plaisir de plusieurs épisodes du Roman des familles et plus récemment de La Fourmilière- tourne une page avec l’adaptation de ce roman de Graham Greene, écrivain dont on garde un très lointain souvenir avec La puissance et la gloire . 

  Cette histoire d’un amour fou vécu par Sarah, honorable épouse de Henry fonctionnaire réservé, et Maurice romancier a les couleurs d’un vieux film des années 50. La distribution est impeccable, Yola Buszko  et Emmanuel Depoix en particulier sont justes dans leurs rôles d’amants frénétiques, mais le spectacle s’englue dans des couleurs sombres. Jean-Pierre Lescot et Alain Mollot n’ont pas réussi à donner une actualité à ce texte qui m’a paru démodé. Mais le public assez jeune de Nogent est resté très attentif. Question de génération?

Edith Rappoport

 

 

 

 

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La fin d’une liaison de Graham Greene, mise en scène d’Alain Mollot.

Cela se passe à Londres , pendant la dernière guerre et  quelques années après;  c’est autour du trio: le mari, la femme et l’amant, une variation très subtile autour de l’amour, de la jalousie, et le roman de Graham Green possède  comme toute son oeuvre , une grande qualité d’écriture, et c’est l’occasion de retrouver un romancier qui , malgré sa célébrité, a injustement disparu des écrans radar depuis sa mort survenue en 91 . Mais Graham Greeene  est aussi un un auteur de scénarios  hors pair qui écrivit , entre autres , celui d’un  film culte, Le troisième homme. C’est avec beaucoup d’imprudence qu’Alain Mollot s’est aventuré sur un terrain qui ne lui est pas familier et qui est, on le sait bien, est très dangereux:  l’adaptation scénique d’un épais roman.Et dès le début, nous étions à la même représentation qu’Edith, il ne fallait pas être grand devin pour voir que rien, à part les comédiens superbement dirigés, n’était vraiment dans l’axe.
Un décor simplifié à l’extrême :  de grands châssis de toile noire qui glissent selon les besoins de la scène avec des projections de dessins de J.P. Lescot censés donner une idée des lieux où se passent  les scènes, éclairés par une lumière chichiteuse. mais surtout une dramaturgie qui ne tient pas du tout  la route, faite de petites scènes qui se succèdent  sans vraiment de cohérence, avec des flash-back quelque peu insolites, et une histoire qui n’en finit pas avec de fausses fins,  et du théâtre dans le théâtre  directement hérité du roman dans le roman.

   Bref,  du vieux théâtre, comme on en voit souvent dans le théâtre privé, mais ici superbement joué. On ne comprend pas comment  Alain Mollot , homme d’expérience,  a pu s’embarquer dans un pareil bateau qui a beaucoup de mal à tenir la mer , et ce qui aurait peut-être( et ce n’est même pas sûr) être envisageable sur un temps plus court,  devient ici assez pénible. Mais il n’y a rien à faire les metteurs en scène chevronnés comme les débutants restent toujours aussi fascinés par une aventure romanesque alors que les idées de temps et d’espace ne sont radicalement pas les mêmes… .et de toute façon, doivent au départ s’appuyer sur une dramaturgie solide qui prendrait davantage en compte le temps de la fiction . Comme l’écrivait Benvéniste, la temporalité n’est pas un cadre inné de la pensée ; elle est produite en réalité dans et par l’énonciation . En fait, le véritable obstacle auquel s’est heurté Alain Mollot  a été de savoir comment l’on pouvait inscrire à la fois le temps et l’espace historique  qui se situent toujours hors du temps présent et qui doivent  en même temps, dans ce type de théâtre, rendre crédible l’action présente qui nous est proposée. Mais, à l’impossible, nul n’est tenu….
  A voir? Non, pas vraiment,  et ces deux heures semblaient interminables., que le public semblait pourtant  subir avec une admirable patience!

Philippe du Vignal

Scène  Watteau de Nogent -sur-Marne jusqu’au 15 novembre

 

 

WE ARE L’EUROPE


We are l’Europe de Jean-Charles Massera, mise en scène Benoît Lambert.

Benoît Lambert et sa troupe sont en résidence à Belfort depuis 2005, après avoir travaillé depuis 1993 à Mâcon et au Forum Culturel du Blanc-Mesnil et beaucoup joué leurs différentes créations. Leur troupe, le Théâtre de la Tentative s’intéresse au monde contemporain.

   En exergue du texte, on annonce la couleur : « La visée et la forme du projet WALE résultent de plusieurs mois d’échanges entre Benoît Lambert et Jean-Charles Massera. La rencontre entre Benoît Lambert et Jean-Charles Massera a été initiée sous une pluie battante par Henri Taquet, directeur du Granit, dans une ferme auberge vosgienne située au bout d’un chemin carrossable ».

  Six copains trentenaires sont réunis, ils parlent du monde comme il va, de leurs petites vies de blancs occidentaux à la recherche de valeurs qui leur permettraient d’échapper au vide de leur vie quotidienne dans une novlangue très branchée. L’un exalte les vertus du roller auquel il s’adonne avec rage, l’autre cherche une fuite dans un sexe triste et désabusé, un autre voit son salut dans le tout biologique, quand survient avec retard le septième ami qui raconte l’épopée ratée de l’achat d’une nouvelle cuisine et leur apporte des costumes de super héros en latex bleu, jaune et rouge, qu’ils revêtent avec célérité.

  Ils vont  pouvoir continuer à deviser sur le vide de leur monde, sur fond de comédie musicale qu’ils interprètent avec  savoir- faire, sur un podium circulaire lumineux, où chacun présente un beau solo. L’apogée de cette comédie musicale, au moment où les acteurs commencent à craquer dans leurs costumes, c’est une Ode aux nouvelles béatitudes (fonds de garantie libidinale) au 1er janvier 2009 (…) « Heureux et heureuses les dépouillé(e)s du contrôle d’une partie de leur life, car elles- ou ils -verront que l’I- Phone c’est un téléphone trop bien avec vidéo, MSN, Internet et tout ! » Malgré quelques petites longueurs, c’est un spectacle salutaire.

   

Edith Rappoport

Le spectacle a été créé au Théâtre Granit de Blefort et sera joué du 18 novembre au 5 décembre au Théâtre 71 de Malakoff

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Le texte est publié aux Editions Verticales Gallimard

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Frères et sœurs

Frères et sœurs d’après Fedor Abramov, adaptation et mise en scène de Lev Dodine

 

frereetseur.jpg  La MC93 nous propose d’assister à vingt-cinq ans du répertoire de Lev Dodine. C’est un projet vraiment enthousiasmant: la renommée du théâtre Maly a depuis longtemps pénétré nos frontières. Le travail de Lev Dodine, cette « chère âme russe », est vraiment emblématique d’un théâtre de qualité. Et le compagnonnage de trente ans avec sa troupe a contribué à l’éclat de la scène saint-pétersbourgeoise. A son répertoire: autant des pièces d’auteurs classiques que contemporains, qui permettent aux occidentaux que nous sommes, d’appréhender dans toute sa complexité l’histoire douloureuse du pays et les destins qui s’y sont joué.

  Frères et sœurs de Fedor Abramov ouvrait cette saison russe. Ce spectacle, créé en 1985  au théâtre Maly deSaint-Pétersbourg, a été joué plus de trois cent fois en Russie ! Il raconte les aléas de l’existence de la famille Priasline, habitant le village de Pékachino, dans le Nord de la Russie, près d’une forêt. Nous sommes parmi les paysans, de « pauvres gens », en 1945 : le pays est en proie à la famine. Sur le papier, la guerre est peut-être terminée, mais, à la campagne, la vie ne change pas du jour au lendemain, et les malheurs et la vie de misère continuent. D’ailleurs, les autorités du kolkhoze surveillent et continuent de régenter leur vie….

  Mais des détails nuisent à la vraisemblance de la mise en scène : les acteurs sont bien portants: on peine donc à croire qu’ils ont le ventre vide, et qu’ils sont affamés et souffreteux ; et leurs vêtements ne sont pas si élimés que cela. L’organisation de cette communauté est une régression totale par rapport à notre société. Régression sociale, d’abord : dans le petit village, tout se sait, les ragots vont bon train, et il n’y pas de secret … Ainsi la veuve Varvara est huée, conspuée, parce qu’elle fréquente un « jeune homme », Mikhaïl Priasline. Le système est encore très patriarcal (ou plutôt matriarcal ici, car à cause de la guerre, les hommes sont devenus rares),et la famille est toute-puissante. Chaque membre doit tout lui céder, se sacrifier pour elle. Il n’existe pas en tant qu’individu, n’a pas droit au bonheur, l’honneur de la communauté passe d’abord. Régression économique ensuite : certes, l’économie du village est comme celle de l’Etat : le bilan est désastreux.

  Les communistes ont d’ailleurs mis en place un « plan », douloureux à suivre pour ceux qui n’ont déjà plus rien. Pourtant, on n’y croit pas quand, au tout début du spectacle, les Priasline sont heureux de manger un pain. Dans ce spectacle en fait, il se passe beaucoup de choses et , en même temps, presque rien. Frères et sœurs est l’adaptation d’une trilogie (1958) de Fedor Abramov, un roman-fleuve de plus de mille pages, Chronique de Pékachino, narrant les souffrances et les désillusions de ce village, le retour des soldats après la guerre, etc. Pendant six heures (sans les entractes), nous avons affaire à une somme de petits tableaux descriptifs mais trop peu narratifs. Qui plus est, comme le dit la brochure de la MC 93, la prose d’Abramov est rurale, et force est de constater que le symbolique, la mise en perspective, la hauteur font défaut (comme on peut les  trouver chez Dickens ou Hugo, par exemple). La scénographie est intéressante. Par exemple, un pan de planches de bois  qui peut servir de mur, de palissade, d’écran de projection, de marchepied… est une idée astucieuse.Par ailleurs, il y a un système de barrière, fait avec des poutres fixées à l’horizontale, dont on ne comprend pas toujours où il nous emmène. Mais il fait la transition entre espaces intérieurs (l’isba) et extérieurs (la cour de la ferme, la forêt…)

  Quant à la  direction et à la coordination de la quarantaine d’acteurs, elle sont  irréprochables: on comprend bien comment fonctionne le village et quelles sont les relations entre les gens. Mais le manque d’action et la faiblesse d’un texte qui était à l’origine un roman n’aident pas à fixer l’attention du public. Et quand le surtitrage a parfois des ratés, l’on perd vite le fil. Cela étant, on est concentré sur la diction russe et c’est peu dire que l’élocution est  convaincante, et que les comédiens ont du coffre ! . Mais on n’est pas vraiment captivé par cette histoire  qui devient ennuyeuse, même si l’on conçoit que les Russes aient eu du plaisir à s’y retrouver,. Nous avouons avoir déserté avant la fin, et nous n’étions pas les seuls ! Comme tous les romans, celui-ci est difficile à porter à la scène. On suivra Lev Dodine,mais dans d’autres mises en scène !

 

Barbara Petit

 

Les 7 et 8 novembre à la MC93 de Bobigny

Passion Théâtre de Micheline Boudet

Passion Théâtre de Micheline Boudet

     34262.jpgCe ne sont pas à proprement parler des souvenirs mais plutôt le parcours d’un petit rat de l’Opéra qui y rencontre un autre petit rat, nommée Marie Bellon qui deviendra par la suite Marie Bell dont elle retrace la vie, en même temps que la sienne. Comme les temps de sa jeunesse furent, disons, troublés: la guerre,la débâcle de 40 et l’occupation allemande avec les premier bruits de botte de l’armée du Reich sur les Champs-Elysées, l’antisémitisme avec le départ contraint vers l’étranger de Vera Korène , d’Henri Bernstein et de combien d’autres,  et enfin l’épuration , avec ses règlements de compte pas toujours très propres. Micheline Boudet raconte leur entrée dans le petit univers du théâtre où elle firent une longue et brillante carrière, notamment à la Comédie-Française où elle furent toutes deux sociétaires: Micheline Boudet y joua beaucoup, entre autres : Feydeau , Musset, Molière et Marivaux. Marie Bell, décédée en 85,  y créera le rôle de Dona Prouhèze dans Le Soulier de satin, jouera magnifiquement Phèdre et accueillera Peter Brook avec Le Balcon de Genet dans son Théâtre du Gymnase qui porte aussi maintenant son nom. On croise au fil des pages nombre d’acteurs célèbres et reconnus comme Raimu, Jouvet, Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault, Gérard Philipe, Pierre Dux, Arletty, Robert Hirsch, Jeanne Moreau mais aussi des écrivains comme Céline.

  Micheline Boudet rappelle que c’est grâce à Marie Bell qui intervint auprès de Nordling, consul général de Suède, que Céline put rentrer d’un exil de sept ans, lequel Raoul Nordling avait aussi agi auprès de Von Choltilz pour qu’il ne mette pas à exécution l’ordre d’ Hitler de détruire Paris. Elle évoque  aussi les hommes politiques de l’époque qui, ne dédaignaient pas  de choisir une amoureuse parmi les actrices de théâtre, comme Georges Mandel avec Béatrice Bretty, Mandel qui sera  assassiné par la milice , ou Edouard Herriot. Micheline Boudet dit les choses simplement, ne parle que de ce qu’elle a vécu, avec beaucoup de fraîcheur et d’humilité, ce qui n’est pas si fréquent chez les comédiens , et, comme comme cette petite chronique du théâtre français des années 50, plutôt bien écrite, est aussi un peu celle de la vie politique française de ces années-là, ces deux cent pages se lisent très vite, et l’ on en redemanderait bien une petite louche…

  Même si les noms évoqués, si familiers à Micheline Boudet et à ceux de la génération qui suivit, sont maintenant presque tous inscrits sur des pierres tombales, et risquent de ne rien évoquer aux jeunes gens d’aujourd’hui, ce livre contribue très utilement à la mémoire du théâtre français.

Philippe du Vignal

Editions Robert Laffont; prix : 18 euros

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