Le Cerceau

capturedcran20091112220435.jpgLe Cerceau de Victor Slavkine, mise en scène de Laurent Gutman.

   Les présentations: Slavkine, qui a 74 ans, ci-devant ingénieur des transports, puis journaliste dans l’ex URSS a été propulsé sur le devant de la scène théâtrale avec La fille adulte du jeune homme montée par le grand Vassiliev il y a trente ans puis, en 82, écrivit Le Cerceau que monta aussi Vassiliev dans une mise en scène exemplaire et que nous avions pu voir à Bobigny. Depuis, c’est devenu une sorte de pièce culte en Russie qui est aussi souvent jouée en Europe.

  L’histoire est simple: Petouchok, un ingénieur, célibataire d’une quarantaine d’années, a hérité de sa grand-mère d’une belle maison de campagne, et il y a emmené pour un week-end, cinq amis qui ont à peu près le même âge que lui: une femme qui, autrefois, a été son amante passionnée, et trois hommes, et une autre jeune femme de 26 ans. Petouchok a envie de transformer cette maison dont il ne sait finalement pas trop quoi faire en un lieu où pourrait se rassembler une communauté d’amis, vieux rêve utopique qu’il doit porter depuis des années sans se l’avouer à lui-même, dans le but de ne plus être en proie à la solitude, même si les choses ne sont pas aussi évidentes à réaliser. Après tout, qu ‘ont-ils en commun sinon un même regard sur le passé? Pour le moment, ils sont là , autour d’une grande table ovale, et tout est paisible dans cette maison, il y a de beaux chandeliers qui dispensent une lumière douce, et ils s’amusent à lire des paquets de lettres de la grand-mère de Petouchok à son amoureux qui est devenu un vieux monsieur et qui, justement, comme si c’était dans l’ordre naturel des choses, arrive dans cette maison où il vécut autrefois. Et tous l’écoutent , avec beaucoup d’attention, raconter des pans de sa vie.  

  Quant à Petouckok qui retrouve son amante, il semble réaliser que leur amour commun avait sans doute besoin d’une rupture initiale, pour prendre vraiment vie , et que cette attente leur a été plutôt bénéfique à tous deux. Mais, en même temps, comme si aucun d’eux n’avait rien à cacher, elle lui confie publiquement qu’elle trouve leur vie si vide et si odieuse qu’elle éprouve un profond besoin d’être aimée.

  Le passé à jamais disparu, le présent sans intérêt, la nostalgie toujours aux aguets, la société soviétique qui a été emportée dans le grand vent de l’histoire et le besoin qu’ils ont tous de se rapprocher, même s’ils ne semblent pas se faire trop d’illusions sur les chances réelles de voir se créer une communauté, sont les thèmes essentiels de cette pièce où il y a finalement peu d’action mais  dont on écoute pourtant chaque dialogue avec gourmandise pendant trois heures … Sans doute, comme on l’a dit souvent, parce que son univers rappelle encore et toujours, celui des personnages de Tchekov. Mais, trente ans plus tard après qu’elle ait été écrite, la pièce sonne toujours aussi juste et semble même s’être encore bonifiée…

   Il faut dire que la mise en scène et la direction d’acteurs de Laurent Gutman , qui a choisi de ne plus assurer la direction du Centre Dramatique de Thionville, sont d’une rare efficacité, si bien que l’on entre tout de suite en connivence avec les personnages de Victor Slavkine. D’autant plus qu’il a su créer des images et d’une grande beauté qui font parfois penser à celles qu’imaginait le grand Klaus-Michael Gruber disparu l’an passé. Aucun pathos, aucune déclamation mais une grande proximité de la parole que l’on perçoit parfois comme dans un murmure, toujours en osmose avec une remarquable gestuelle, et toujours aussi en accord avec les silences qui prennent ici une importance capitale , surtout quand ils sont soulignés de lointains échos musicaux.

  Et la bande d’acteurs que Laurent Gutman a fait travailler ( Jade Colinet, qui joue magnifiquement la jeune naïve de 26 ans, Bruno Forget, Daniel Laloux qui possède une présence imposante dans le rôle du vieux monsieur, Marie-Christine Orry, avec son humour corrosif, Eric Petitjean, François Raffenaud et Richard Sammut, ) possède une unité de jeu tout à fait rare et chaque personnage est toujours à l’écoute de l’autre. Et  ce genre de performance est vraiment exceptionnel dans le paysage théâtral contemporain

   On ne voudrait pas dire ( mais on le dira quand même) : les distributions de théâtre importants comme par exemple, la Comédie-Française, avec des acteurs qui passent trop souvent d’une pièce à l’autre, n’ont pas toujours cette qualité de jeu scénique.Au chapitre des inévitables réserves: quelques longueurs, notamment dans les longs monologues de Lars, et  la mauvaise répartition du spectacle: 40 minutes/ entracte/ 100 minutes / entracte/ 40 minutes, rendue nécessaire (?) par un changement de décor, qui aurait pu nous être épargnée,  tout comme cette stupide invasion de fumigène dans la dernière partie dont on peine à voir la raison. Mais ce sont des défauts mineurs et facilement réparables.

 Le spectacle est actuellement présenté au Studio-Théâtre que Daniel Jeanneteau a bien eu raison d’accueillir; c’est donc à Vitry encore pour quelques jours mais le RER C, lui, fonctionne bien, et le Studio-Théâtre est à six minutes de la gare; oui, cela dure trois heures mais qui passent vraiment très vite; oui, c’est jusqu’au 15 novembre seulement; oui, il n’y a qu’une cinquantaine de places mais si vous pouvez y aller, vous ne serez pas déçus…

 

Philippe du Vignal

 

Le 14 novembre à 19 heures et le 15 à 16 heures, seulement au Studio-Théâtre de Vitry-sur-Seine ; puis le 27 janvier au Théâtre Anne de Bretagne de Vannes; le 11 février à la Passerelle de Saint-Brieux; le 26 mars à la Scène nationale de Chateauroux et le 30 mars au Théâtre Gallia de Saintes.

 

Le Cerceau est publié dans la traduction de Simone Sentz-Michel aux Editions Actes-Sud Papiers.


Archive pour novembre, 2009

Les petits cadeaux de départ de Madame Albanel.

Les petits cadeaux de départ de Madame Albanel.

   Le Bulletin officiel des Décorations,  Médailles et Récompenses daté du 30 octobre 2009 nous apprend que Monsieur Christophe Tardieu, ancien directeur adjoint  du cabinet de madame Albanel a eu le privilège  de se voir promu Chevalier dans l’Ordre  des Arts et Lettres… Le nom ne vous dit rien? Allez,  un petit  effort de mémoire: c’est ce monsieur qui, avec beaucoup d’élégance  avait, au printemps dernier,  retransmis un courriel de Jérôme Bourreau Guggenheim, employé de TF1,  adressé à sa députée Françoise de Panafieu  qu’il prévenait des méfaits de la loi Hadopi, laquelle l’avait envoyé à la Ministre. Et Tardieu, n’écoutant que son bon coeur, l’avait fait très gentiment suivre à  son ami J. M. Cournillon, secrétaire général et directeur des affaires juridiques  de TF1… en accusant au passage Jérôme Bourreau Guggenheim de tirer contre son propre camp » ( sic)
  La sanction n’avait pas traîné: le gêneur avait été viré sur le champ. Devant les protestations et les injures qui fleurissaient dans la presse et  sur Internet, l’Albanel de service, un peu  embêtée par la tournure que prenait l’affaire, avait essayé de camoufler le truc, en précisant:  » que l’e-mail avait été envoyé sans aucune demande de sanction mais pour information », dixit Le canard enchaîné généralement très bien informé…
   On croit rêver: le Ministère de la Culture  aurait pu  demander une sanction! En vertu de quel texte  juridique ? Jusqu’à nouvel ordre,  TF1 n’ a pas encore  été intégré au Ministère de la Culture; ( il existe en revanche une  loi qui protège la correspondance privée, ce que M. Tardieu n’ a sans doute pas appris à l’E.N.A.) . Madame Albanel avait alors reculé et avait  fini par mettre à pied pour un mois seulement ( avec maintien de son salaire, rassurez-vous) ce délicat personnage, par ailleurs Inspecteur des Finances.
  Pour se faire sans doute  pardonner de ne pas avoir été gentille avec l’un de ses collaborateurs les plus proches,  Madame Albanel (qui n’a quand même pas fait une conférence de presse pour annoncer l’événement ) vient donc de lui offrir ce petit hochet. Et , pour faire bonne mesure, ( quand on aime,  on ne compte pas! ),  elle a aussi décoré Thomas Tanzi, son maître d’hôtel et Dominique Bédier, son « conducteur d’automobile « (sic) !
   On avait connu Madame Albanel moins généreuse, quand elle avait, sans aucun état d’âme, rayé d’un trait de plume la nomination de Guy Freixes, metteur en scène- à qui les services de son Ministère avaient déjà annoncé la bonne nouvelle -à la tête du  Centre dramatique de Vire en Normandie, en méprisant complètement l’avis du jury, pour nommer quelqu’ un d’autre… Mais c’est vrai que le Ministère n’en est pas à son coup d’essai en la matière,  puisque  Dominique Pitoiset, dont l’arrêté de nomination à la tête du Théâtre national de Chaillot n’avait pas encore paru au Journal Officiel , avait aussi été débarqué sans ménagement pour faire place aussi à un personnage  qui n’a pas fait tellement de merveilles, c’est même le moins que l’on puisse dire, puisqu’il a  fini par être lui aussi débarqué..
   Pathétique et scandaleux… Vous avez dit pathétique et scandaleux ? Que les gens à qui on a remis ce genre de grelot, et qui ne souhaitent pas faire partie de la même tribu que ce merveilleux Inspecteur des Finances à qui l’E.N.A. n’a pas du prodiguer beaucoup de cours de morale, n’ hésitent pas à  renvoyer le dit grelot, ou du moins le beau papier qui vous donne le droit de le porter, à  Madame Albanel qui fera suivre… Liberté, Egalité et Fraternité! Et vive la France

Philippe du Vignal

MON GOLEM

MON GOLEM  texte et mise en scène de Wladyslaw Znorko, Cosmos Kolej

L’une de mes fiertés, c’est d’avoir accueilli le Cosmos Kolej au Théâtre 71 de Malakoff dès 1985 avec Der Zug, un spectacle de rue dans le cadre des Stars du trottoir, puis en 1986 avec La petite Wonder pendant un mois. Znorko a parcouru un long chemin depuis, avec La cité Cornu, La maison du géomètre, L’Attrapeur de rats, De la maison des morts, un opéra de Janacek, Les Boutiques de cannelle entre autres…J’en ai bien peu raté, car je suis tombée en amour avec son univers onirique et enfantin.
Le spectacle a été créé au mois d’octobre au Théâtre Toursky de Marseille par Richard Martin, pris dans le tourbillon de son combat pour ses subventions d’État.
Mon Golem ne déroge pas à la règle : « Le Golem s’est échappé de mon enfance, personne n’a pu le retenir ! » Les huit comédiens musiciens, vieux complices pour la plupart, Jean-Pierre Hollebecq, Florence Masure, Irina Valilova, Philippe Vincenot, William Schotte merveilleux violoncelliste entre autres, font merveille dans la folle peinture de « ce qui n’est pas une vraie histoire », avec un splendide ballet des maisons de guingois, un voyage en train sans gare, (l’obsession de Znorko), une jeune fille réfugiée dans une armoire trop petite, telle Alice au pays des merveilles, un flot d’images oniriques et désarticulées toujours très polonaises…

Edith Rappoport

 

THÉÂTRE DES CÉLESTINS DE LYON

 

 

 

 

 

 

Graves épouses / Animaux frivoles

Graves épouses / Animaux frivoles d’Howard Barker
Création en France par Guillaume Dujardinf9c84ae9bab81643c.jpg

    Le Théâtre de l’Atalante où, la saison dernière, nous avons vu la création mondiale par Agathe Alexis de Loth et son dieu d’Howard Barker, accueille la création d’une pièce inédite en France du même auteur Graves épouses / Animaux frivoles dans la mise en scène de Guillaume Dujardin qui a fondé en 2003 à Besançon sa compagnie Mala Noche avec laquelle il a créé depuis plusieurs pièces d’Howard Barker. Graves épouses / Animaux frivoles fait partie du « théâtre de catastrophe » de Barker. Comme souvent dans son théâtre, on est ici dans un après-guerre, une révolution, où  l’ordre ancien a été balayé. Dans un espace ravagé où toute vie a disparu, où les valeurs et les repères  n’ont plus cours, deux femmes : Strassa, qui a été la maîtresse, de Card, jadis sa servante, et la figure énigmatique d’un chien.

  Un no man’s land désert, une sorte de laboratoire où le désir libéré est à l’œuvre; quant  au mari de Card, c’est un peu une figure hypothétique,  et le chien robot (un prototype d’une « humanité » à venir ?) est capable d’effectuer diverses actions : japper, lever la patte, sortir, rentrer, quémander, attraper et emmener des vêtements de Strassa. Dans un lieu délabré en demi-cercle, Card en blouse stricte grise qui monte jusqu’au cou, Strassa en vêtements déchirés et sales et  un chien, une grande marionnette manipulée avec une longue tige et des ficelles, apparaît parfois. Card déclare à son ex-maîtresse que son mari veut la posséder.Et  elle doit vite  apporter à son mari la réponse de Strassa. Le chien robot, figure du désir brut, animal, quémandant les chaussures puis les vêtements de Strassa, relaye les injonctions de Card et son désir de voir son mari posséder Strassa, de la soumettre et ainsi de l’avilir. D ans cette opération de séduction,  le mari de Card représente l’ enjeu d’un rapport de force, d’un  désir de possession…
Comme souvent chez Barker, la frontière entre le politique, le social et l’intime s’efface ici. Erotisme et sexe deviennent ici l’ instrument du pouvoir dont Card veut s’emparer . On retrouve ici le thème barkérien du sacrifice, la possession de Strassa par le mari de Card devant être un gage du changement. La tentative de Card va échouer mais,  en même temps, Barker nous montre sa nature cyclique. A  la fin , Card toujours en blouse grise, renonce au changement, et Strassa,  en robe noire élégante, chapeau à voilette et  gants: distinguée, rigide, sûre d’elle,  reprend son rôle de maîtresse. Le rapport de force et  l’ordre sont restaurés en apparence. mais semblent  plus fragiles,  après cette mise à l’épreuve.
La traduction de Pascal Collin rend le caractère dépouillé,  condensé, de l’écriture de Barker, en soulignant le ton  raffiné, rigide des dialogues dans le rapport de force qui s’assouplit et qui s’érotise à l’instant où la séduction opère. La mise en scène de Guillaume Dujardin est sobre, et le  jeu très retenu dans l’expression et la gestuelle: le moindre geste, regard  ou rapprochement physique, crée des tensions et semble violer la distance fragile entre les deux protagonistes.Mais les  comédiennes, Odile Cohen (Strassa) et Léopoldine Hummel (Card) ont, par moments, du mal à être à la hauteur des enjeux du texte.

Irène Sadowska Guillon
Au Théâtre de l’Atalante à Paris jusqu’au  27 novembre 2009; le spectacle sera repris au Nouvel Olympia CDR de Tours du 16 au 20 mars 2010

Le dernier cri de Constantin

Le dernier cri de Constantin
Par le Théâtre sans toit, mise en scène Pierre Blaise

constantin.jpgQui ne connaît Constantin Stanislavski ? Tout le monde, et finalement personne, car c’est la méthode, et non l’homme lui-même que nous apprécions. Rencontrer ce grand théoricien du théâtre et directeur d’acteurs, qui plus est à l’œuvre, c’est ce que propose Pierre Blaise avec Le dernier cri de Constantin. Un spectacle dont les personnages sont Stanislavski et ses élèves. Ces derniers sont aussi les manipulateurs, cachés ou visibles, de marionnettes qui les représentent, telles des doublures.
Le spectacle commence par une répétition d’Othello : les deux marionnettes sont peu convaincantes, le maître reprend celle qui joue Othello, lui montre comment faire : il répète des dizaines de fois cette réplique à Desdémone : « Ce mouchoir que j’aimais tant et que je t’avais donné, tu l’as donné à Cassio. » jusqu’à trouver le ton juste.
Ainsi, sous nos yeux, Stanislavki fait faire à ses élèves de nombreux exercices, tous fondés  sur l’authenticité des sentiments. C’ est en effet la vérité du jeu de l’acteur que cherchait le maître. Et l’une de ses pratiques était de faire « comme si » : « Et si vous étiez… comment agiriez-vous ? »La belle Maria et le jeune Kostia apprennent en multipliant les épreuves et les expériences. De même, les marionnettes improvisent et inventent. D’ailleurs, la marionnette rend peut-être davantage visible le travail pédagogique, par son mouvement et son expressivité. D’autant que l’acteur-manipulateur n’est pas forcément caché, il agit aussi  devant nous. Il y a donc double travail et redistribution des rôles : qui est  manipulateur ? Qui est manipulé ? Qui est le maître ? Qui est l’élève ?
Ce spectacle dégage beaucoup d’énergie et de plaisir : un maître charismatique, une élève  – Maria – charmante avec son accent slave, des marionnettes infatigables et amusantes, des exercices nombreux, différents et jamais lassants, puisque l’on peut  voir la célèbre méthode en application : ce n’est pas tous les jours qu’on assiste à une répétition d’acteurs et de marionnettes ! L’ensemble est donc riche en propositions.
La fin, plus expérimentale, ne livre pas toutes ses clés. Mais la reprise du dernier acte d’Othello, avec Desdémone s’exprimant en russe, est touchante : même si l’on ne comprend pas la langue, on saisit en  toute l’émotion et toute la force…

Barbara Petit

Le 6 novembre au Théâtre des Arts, L’Apostrophe, Cergy-Pontoise

Je meurs comme un pays

Je meurs comme un pays de Dimitris Dimitriadis
mise en scène Michael Marmarinos

image11.jpgDimitris Dimitriadis (né en 1944) dramaturge grec mais aussi poète, romancier et traducteur , est une voix singulière de la littérature européenne que le Théâtre de l’Odéon met à l’honneur à travers un cycle de trois spectacles, des lectures, des tables rondes et rencontres avec l’auteur. Avec, en ouverture , la mise en scène de Je meurs comme un pays par Michael Marmarinos.

L’oeuvre peut constituer une bonne introduction à l’oeuvre de Dimitris Dimitriadis. C’est en effet une sorte de requiem pour un pays , en état de la mort physique et spirituelle, la Grèce , berceau de notre culture européenne et pour une apocalypse annoncée de notre civilisation : « la mort de toutes les valeurs humaines et de l’homme lui-même ». Pas d’espoir d’un monde meilleur à venir, pas d’avenir pour « l’humanité désormais stérile où les femmes ne peuvent plus faire d’enfants ».Si on reconnaît dans l’œuvre, écrite en 1978, la référence à la situation immédiate de la Grèce de l’époque, écrasée par l’Église et la dictature des Colonels, elle est placée dans une perspective plus universelle : de toutes les atrocités, des horreurs, des barbaries passées, présentes et à venir.

Bref, à 34 ans, Dimitris Dimitriadis peint le bruit et la fureur d’un monde tout en criant, tel un Philoctète enragé, trompé, sa haine de la Grèce, « patrie qui se nourrit de la chair de ses enfants ». La Grèce, non pas source des lumières mais « des tromperies et des désillusions ». L’expérience personnelle d’une réalité débordant dans le général, dans une vision d’une catastrophe émergente, de la fin d’une époque historique pressentie mais pas encore visible. Venons en au spectacle. Le texte de Dimitris Dimitriadis est, semble-t-il, d’une grande beauté et d’une richesse, d’une violence inouïe, d’une fulgurance poétique , ce que la traduction française surtitrée ne répercute d’aucune façon. Les surtitrages se faisant sur des projections de figurants , de sorte que la traduction est illisible ou difficilement lisible , et par endroits tronquée. Le texte long, répétitif, souvent complaisant, parfois affligeant, truffé de références simplistes à notre actualité sociale et politique.

On est perplexe devant la mise en scène démesurée, prétentieuse, tape-à-l’œil, de Michael Marmarinos qui dirige le Theseum Ensemble, soit une trentaine d’acteurs et presque cent figurants. Dans le hall de la salle Berthier, une demi-heure avant le spectacle, on voit une file de personnes qui attendent (on comprend vite qu’il s’agit de figurants) et on entend la voix d’une comédienne qui, dans la salle, au micro, débite un texte incompréhensible en anglais avec quelques phrases en français. On entre alors en longeant toujours la file des figurants jusqu’au plateau où, pendant que la comédienne continue à déverser son texte pêle-mêle sur tout et n’importe quoi, un acteur balaye des vieux journaux. Sur le plateau quasiment nu, un micro au milieu,et, au fond, sur une petite estrade, un canapé, et à droite une table avec une lampe et un ordinateur, le balayeur s’y installe pendant le spectacle, puis se lève pour arroser copieusement avec un tuyau d’arrosage le plateau et les vitres du fond.

La salle reste allumée pendant une partie du spectacle. La longue file de figurants est filmée en permanence,et les images projetées sur les panneaux du fond. Une trentaine d’acteurs sonorisés, mêlés à la file, en sortent pour dire leur texte puis y reprennent leur place. Le texte fragmenté, pour la majeure partie en grec avec des passages en français, en anglais, en russe, est délivré sur divers modes : proféré, hurlé, chuchoté, scandé, chanté… Les acteurs interviennent tantôt en solo, tantôt en groupe. Quant aux figurants , ils forment un chœur de gens aux  » existences fragiles dispersées dans la grande ville à l’ombre des grands événements » qui, face à la catastrophe, seuls ou ensemble à quelques uns, se répandent en commentaires ironiques, slogans scandés, rires, blagues, chansons, ou hurlements de désespoir. Comme dans une sorte d’oratorio étrange et délirant, où mythes, histoire ancienne et actualité se télescopent.

De quoi nous parle-t-on ? D’un désastre, d’une disparition d’un pays, y compris sa langue et son nom et, plus généralement d’une civilisation. Images de guerre avec le catalogue de toutes ses horreurs détaillées et décrites de façon très crue, massacres, viols, meurtres etc…. vision apocalyptique d’une société : suicides, perversions, folies, atrocités inimaginables, éloge de la masturbation , écroulement des institutions, paranoïa de la peur, transsexualité, mondialisation, anéantissant pays entiers.

Bref, une vision qui dépasse sans doute celle de Saint-Jean : ici pas de jugement dernier, point de salut possible. Des figurants en file se passent un ours bleu en peluche assis sur une chaise, un groupe fume des cigarettes, un autre traverse le plateau, et, à un moment, Dimitris Dimitriadis en personne apparaît, longe la file des figurants qui répètent: « c’est l’auteur… c’est l’auteur »…! Il leur serre alors la main, deux acteurs viennent le saluer, et il sort. S’agit-il d’une caution personnelle du spectacle ? La musique enregistrée et en live : violon, violoncelle sur le plateau et trompette au fond de la salle « agrémente » ce chaos. Le spectacle s’achève sur un long monologue d’une femme assise sur le canapé au fond (figure de la Grèce profanée, anéantie ?) qui, sur le ton de Prométhée jeté aux vautours, nous dit : « Je hais ce pays… Il m’a rongé les entrailles… Je suis stérile… Je meurs comme un pays ».

Nombre de spectateurs quittent le spectacle, en traversant courageusement le plateau. On reste en effet coi devant cette catastrophe ,et l’on pense à des pièces d’Edward Bond ou d’Howard Barker qui, sans guère nous épargner les horreurs et les violences, en parlent avec intelligence, et nous amènent du choc à la réflexion. On regrette qu’un tel luxe de moyens,( entre autres et surtout cette foule d’acteurs et de figurants…) , ait été mis au service de cette entreprise catastrophique!

Irène Sadowska Guillon

Je meurs comme un pays de Dimitris Dimitriadis, mise en scène Michael Marmarinos
Du 7 au 12 novembre 2009 au Théâtre de l’Odéon – Théâtre de l’Europe,
Aux Ateliers Berthier
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

La Corde, Soif, L’endroit marqué d’une croix

La Corde, Soif, L’endroit marqué d’une croix  d’Eugene O ‘Neill, un triptyque mis en scène par Guy Freixe.

Eugene O ‘Neill ( 1888-1953) est maintenant bien connu en France où il a été monté mais on l’oublie souvent,  dès 1923 par Gaston Baty, puis par Gerges Pitoëff en 29…. Guy Freixes a choisi de mettre en scène en triptyque  trois courtes pièces du grand dramaturge, et,  par ailleurs arrière-grand père de l’excellent James Thierrée, lequel est aussi le petit-fils de Charlie Chaplin qui avait épousé la fille d’ O’ Neill. Bon, vous suivez toujours?

  Les présentations faites, passons à ces trois oeuvres : dans La Corde qui est une première et courte version du Désir sous les Ormes, un vieux fermier,  c’est évident pour tous et il ne cesse de le répéter, a caché sinon un trésor, du moins un bon magot.  Il  attend depuis cinq ans déjà le retour de son fils qui est parti comme marin, et qui lui a, au préalable , « emprunté » un peu de cet argent qu’il n’avait pas voulu lui donner. Et le vieux fermier lui a prédit une belle malédiction: la corde! si , par hasard, il revenait un jour, et qui pend là, bien visible comme une menace permanente.

  Bien entendu, un jour sans prévenir, le fils finit par revenir et se met en tête avec son beau-frère de récupérer le magot. Mais, comme on le sait, la vie est imprévisible, et ce n’est ni l’un ni l’autre mais la belle-fille qui le découvrira grâce à une ficelle dramaturgique de tout premier ordre que l’on ne vous révélera pas. Bien entendu, comme toujours chez O’ Neill, il y a une arrière-plan mythologique, en l’occurrence ici, la fameuse histoire d’Abraham et d’Isaac. Le début de la représentation patinait un peu le soir de la première mais cela devrait  se caler, et l’on entre très vite dans l’univers de ces êtres , à la fois simples et compliqués, comme le sont des milliards de représentants de l’humanité; O’ Neill, savait à la fois construire un scénario  mais aussi , en quelques répliques, installer, avec un métier très sûr,  des personnages  tout à fait crédibles ,  quand un metteur en scène sait  les mettre en scène, et ce type de théâtre, qui frappe toujours juste, convient bien à Guy Freixe: quel bonheur après l’interminable Cabaret Hamlet de Langhoff que cette série de trois petites pièces montées sans aucune prétention.

Soif est évidemment plus difficile à mettre en scène: cela se passe en plein océan sur un canot de sauvetage où trois naufragés: une sorte de dandy  qui, quelques heures auparavant, devait encore savourer un excellent Bourbon au bar d’un paquebot de luxe, une chanteuse de cabaret et un marin métis, trois pauvre hères qui ont peu chances d’avoir la vie sauve. . Ils ont une obsession commune: une soif impitoyable qui les détruit petit à petit; dès lors toutes les tentations, tous les rêves aussi  sont permis, puisque la chanteuse et le dandy croient ou font semblant de croire que le marin a caché de l’eau: bref, la folie est au rendez-vous. La pièce ne manque pas d’intérêt ; reste à savoir comment on peut l’installer sur un plateau, et la marge de manoeuvre est limitée, que l’on aille du côté d’un réalisme- impossible!-  ou d’un expressionnisme injustifié.

  Il faudrait sans doute  situer l’histoire ailleurs que sur cette barque incorporée à l’intelligent  décor à transformation de  Raymond Sarti à laquelle on a du  mal à croire. Et le costume de la chanteuse de cabaret est peu convaincant, surtout quand elle doit séduire le bau matelot pour avoir une chance de survivre… Les costumes dans l’ensemble sont un point faible de ce spectacle et leur créatrice devrait relire Roland Barthes qui, on  le sait, a écrit un texte  remarquable sur le sujet.

  L‘endroit marqué d’une croix  parle aussi d’un  voyage, mais,  cette fois, immobile, celui d’un vieux capitaine, Bartlett, qui a transformé une des chambres de sa maison en cabine .  Et il passe son temps à guetter l’arrivée d’un bateau qui doit lui rapporter un trésor enterré dans une île lointaine; même si le dit bateau a depuis longtemps coulé, le capitaine Bartlett continue à croire en ses rêves. Rêves qui en quelque sorte ont déteint sur son fils Nat qui, avec son père,  voit aussi le bateau revenir, et des hommes venir et vider des coffres pleins… de poussière.Mais on ne saura jamais si  cette obsession commune au père ou au fils tient plus du délire onirique  ou  d’une réalité peu  crédible… Guy Freixe réussit  à mettre en valeur cette espèce de connivence  qui conduit à la folie le père et le fils, à la fois bien ancrés dans la réalité de la vie quotidienne mais victimes de leur obsession psychique qui va les détruire plus sûrement que n’importe quel virus grippal…

  Dans ces trois  pièces, on retrouve les thèmes chers au dramaturge américain: l’argent, toujours l’argent : l’argent des autres, l’argent dont on rêve et  qui devait être rare chez les premiers émigrants irlandais comme  le père du dramaturge,   les relations difficiles entre père et fils, ( O’ Neill en savait quelque chose !),  la part cachée que chaque être porte en lui  et  que, même ses plus proches ne peuvent apercevoir, le destin finalement tragique  qui poursuit chaque être humain dès son berceau, et le bonheur indicible qu’il éprouve à mener sa petite vie personnelle malgré les les ennuis qui pleuvent. On a souvent dit , et avec raison, qu’ O’ Neill avait été proche des tragiques grecs, lui qui a aussi écrit Le deuil sied à Electre. En voyant ce triptyque fort bien monté et dirigé par Guy Freixe,  on pense à cette phrase fameuse  des Perses de l’immense  Eschyle: «   Même dans le malheur, jouissez  des joies que la vie vous apporte,  car la richesse ne sert à rien chez les morts »….

 

Philippe du Vignal

 

Le spectacle a été créé au Pôle culturel d’Alfortville le 5 novembre et est  repris du 7 au 12 décembre à 20 h 30 au Café de la Danse à Paris. Puis en tournée: le 19 novembre à Epinal (88); le 24 novembre au Sémaphore de Sébazat ( 63); le 1 er décembre au Théâtre ATP de Poitiers (86); du 7 au 9 janvier à L’apostrophe, scène nationale de Cergy-Pontoise (95); le 21 janvier au Théâtre Gérard Philipe à Saint-Cyr- sur-l’Ecole; (78) le 26 janvier au Théâtre de Cachan et le 13 février au Théâtre des Sources de Fontenay-aux-Roses (92).

 

 

UN CABARET HAMLET

hamlet1.jpgEn manteau rouge, le matin traverse la rosée qui sur son passage paraît du sang ou HaM. AND EX BY WILLIAM SKAKESPEARE UN CABARET HAMLET de Matthias Langhoff sur une musique d’Olivier Dejours, traduction Irène Bonnaud mise en scène et décor de Matthias Langhoff (sic)

   Cela se passe au Théâtre de l’Odéon, vénérable théâtre à l’italienne aux stucs dorés et aux fauteuils en velours rouge, dont le parterre a été vidé aux trois quarts de ses sièges pour que l’on puisse y mettre des petites tables rondes avec des chaises en fer noir , où est assise une partie du public; sur le devant de la scène, de longues tables qui servent de praticables aux comédiens et autour desquelles sont assis d’autres spectateurs . A jardin, est installé sur une tournette, un petit orchestre( dont un altiste, un pianiste, un trompette, un saxo et une batterie et parfois un accordéon , devant une grande coquille Saint-Jacques comme celle du fameux tableau de Botticelli, et côté cour, une autre tournette- la manie du jour!- dont les toiles peintes représentent un salon bourgeois et autre lieux et; côté pile,  les portes de loges d’un théâtre à l’italienne. Il y a un cadre de scène en tubes fluo bleu et , au-dessus, une bande où défilent les traductions les textes de chansons en allemand ou en anglais, c’est selon.      

  Entre les deux tournettes, une petite scène surélevée où se passent quelques scènes qu’on peut deviner à travers un store à lamelles qui, refermé, donne à voir une grande affiche des années 40 vantant les mérites du fromage danois…. Je pense au décor avant de penser à la mise en scène, disait autrefois Brecht, le maître de Langhoff… Encore faudrait-il que la, mise en scène veuille bien suivre, ce qui n’est malheureusement pas le cas ici. On ne va pas vous raconter le scénario de la célébrissime pièce du théâtre occidental, d’autant plus que la traduction/ adaptation/ montage d’Heiner Muller et de Langhoff, retraduite de l’allemand par Irène Bonnaud ( cela fait peut-être un peu beaucoup de strates!) est une sorte de réinterprétation/ déconstruction , où l’on voit surtout la figure d’Hamlet magistralement incarnée par François Chattot en pantalon noir et chemise blanche ,un chausson rouge à un pied et une grande botte à l’autre qui nous fait entendre le texte. Surtout,  quand il est au balcon en train de dire à une spectatrice le fameux : « Etre ou ne pas être »… à la seule lumière d’une torche électrique . Sur le plan plastique, il y a reconnaissons-le, de très belles images) ,( c’est toujours l’un des  atouts de Langhoff qui a un œil de peintre, comme l’enterrement d’Ophélie, on voit mal la totalité du spectacle ( et pourtant nous n’étions qu’au deux tiers du parterre), à cause d’un sous-éclairage permanent et , comme la plupart des comédiens ont un diction disons assez approximative pour être poli, on ne perçoit pas grand chose de ce texte.

  Il y a bien quelques moments agréables de chansons en anglais et en allemand ( dont les célèbres standards Hello Dolly et Summertime , et des chansons tirées des fameux sonnets de Shakespeare de que l’on a cru bon de faire surtitrer en couleurs, ce qui parasite encore les choses, on se demande, comme dit lucidement notre consoeur Barbara Petit, ce que l’on vient voir. Et, comme la chose en question dure plus de quatre heures, très vite , malgré l’apparition ponctuelle d’un beau cheval gris qui vient montrer sa tête parmi les musiciens, une chappe d’ennnui tombe sur la salle déjà pas très pleine ; inutile de préciser qu’à l’entracte, nombre de spectateurs avaient déjà déserté…
En fait, le plus grand défaut du spectacle vient d’abord d’une inadaptation scénographique majeure: le dispositif scénique installé au Théâtre du Parvis à Dijon quand il y a été créé en décembre dernier et qui fonctionnait ans doute beaucoup mieux, arrivé dans la grande salle de l’Odéon, ne signifie plus grand chose. D’autant plus que Langhoff, qui adore se moquer du naturalisme, nous ressert ses vieilles recettes de théâtre dans le théâtre qui semble, en ce moment surtout, la dernière tarte à la crême: les toiles peintes manipulées à vue, quelques sièges de la salle sur la scène tournante elle-même pourvues de portes de loges) et l’on offre ,sans doute pour faire plus cabaret, un gobelet de bière à quelques spectateurs , avec sur un écran , bien en vue, en guise de remerciements à la marque, le logo  de la dite bière, laquelle a sans doute financé les opérations… Pourtant, vu ce qu’ a du coûter le spectacle, (19 personnes en scène) non ne devait pas en être à cela près…
Il y a aussi un véritable problème avec le temps qui n’en finit pas ( quatre heures trente! avec un petit entracte ) que Langhoff n’ a pas voulu ou pas su gérer, mais , de toute façon, sur une durée aussi longue et , dans une perspective dramaturgique aussi hybride, c’était presque mission impossible, et le rythme de cette représentation s’en ressent , et ce qui aurait pu, en une heure et demi, dans une espèce de vérité théâtrale à la Livchine, avoir une véritable force, paraissait ici de peu d’intérêt .
Pour faire bref: un texte déguisé et morcelé,  peu convaincant, un plateau que l’on peine à voir à cause d’une disposition maladroite, et en tout cas inadaptée  au lieu, des lumières trop faibles, la diction approximative de la plupart des comédiens qui ne semblaient pas croire à ce qu’ils faisaient, et le manque de rythme de l’ensemble; rien ne semblait vraiment dans l’axe ce soir-là ,même et surtout s’il y avait quelques rares bons moments , grâce au grand François Chattot, qui était bien le seul à donner une véritable dimension au texte. Mais, pour le reste, l’on restait sur sa faim.
Vouloir traduire quelques idées majeures par une scénographie singulière a toujours été un des principaux  soucis de Langhoff, qui y avait, par le passé, le plus souvent réussi et qui  nous  proposé de grands et magnifiques spectacles : avec , entre autres, Le Prince de Hombourg Le Roi Lear , ou plus maîtrisé encore un Macbeth remarquable à Chaillot ou encore Les Trois soeurs au Théâtre de la Ville ou Le Désir sous les ormes d’O’ Neill à Nanterre. Il savait nous parler de ses angoisses et de son obsession de la guerre avec beaucoup de sensibilité. Mais ici, on a l’impression que, s’il a toujours cette même maîtrise rigoureuse des moyens scéniques, la machine, cette fois,semble tourner à vide, et cet hybride d’un  cabaret et de scènes d’Hamlet était sans doute une fausse bonne idée qui ne nous concerne pas vraiment. D’autant que Langhoff , s’il n’avait pas été à l’étranger ces jours-ci, aurait  peut-être  redonné un peu d’élan et de vie à un spectacle qui, arrivé à Paris, semblait à bout de souffle…
Désolé, tout se passe comme si l’on avait  affaire à un  théâtre poussiéreux qui croit encore jouer les avant-gardes, fondé sur des recettes personnelles qui ont déjà trop servi.Et, comme le public, surtout la petite frange de jeunes gens, n’était pas dupe, les applaudissements furent bien maigres…   

  Alors à voir? Si vous êtes un fanatique de Langhoff, vous y trouverez peut-être un peu et encore  votre compte mais, conseil d’ami, évitez surtout d’y emmener votre petit(e) ami(e), votre bon et vieux copain, ou des adolescents ou de jeunes gens qui voudraient découvrir Skakespeare: ils ne vous le pardonneraient pas …
Matthias Langhoff, rendez-nous Mattthias Langhoff…

Philippe du Vignal

 

Théâtre de l’Odéon jusqu’au 12 décembre.

Philoctète

Philoctète de Heiner Müller mise en scène Jean Jourdheuil
À un mois de décalage, après Philoctète d’après Sophocle dans la variation de Jean-Pierre Siméon jouée au Théâtre de l’Odéon, voici Philoctète, version Heiner Müller au Théâtre des Abbesses Théâtre de la Ville.

Heiner Müller écrit son Philoctète en 1964, en pleine guerre froide, le mur de Berlin est là, érigé en 1961, l’Allemagne, l’Europe, voire le monde, scindés en deux blocs communiste et capitaliste qui s’affrontent, tels les Troyens et les Grecs.
La trame de Philoctète d’Heiner Müller est extrêmement radicale par rapport à son prototype grec : pas de chœur, juste trois protagonistes, Philoctète abandonné sur l’île de Lemnos par les chefs grecs, Ulysse responsable de cet exil qui, dix ans après, vient chercher le vieux guerrier, son arc et les flèches d’Héraclès, sans lesquels Troie ne peut être vaincue, enfin Néoptolème, fils d’Achille, dont Ulysse se sert pour convaincre Philoctète de les suivre à Troie.
Alors que dans la pièce de Sophocle l’intervention d’Héraclès décide Philoctète à aller à Troie, chez Heiner Müller pas de deus ex machina, pas de happy end final : Néoptolème tue Philoctète. Son cadavre sera encore instrumentalisé par Ulysse dans sa version des faits.
C’est un univers sans Dieu dans lequel opère le langage et la nécessité, le mensonge au service d’un « idéal » qui justifie tout.
On ne peut aujourd’hui réduire la lecture de la pièce de Heiner Müller au contexte historique et politique de l’époque de son écriture ni à l’autobiographie de l’auteur. Même si elle pouvait être interprétée ainsi, Heiner Müller nous avertit dès le départ « ici et maintenant, notre pièce se joue ailleurs et autrefois ».
Jean Jourdheuil déplace dans sa mise en scène ces vers dans la partie finale du spectacle. Et Heiner Müller ajoute au début de la pièce : « avouons le d’emblée, c’est chose fatale, ce que nous racontons ignore la morale, apprendre à vivre mieux vous ne le ferez pas chez nous ».
Il est clair qu’il s’agit désormais d’un conflit « archétypal » que chaque époque lit avec ses propres clefs. C’est cet univers hors catégories morales, qui n’a rien à faire du jugement moral, pas plus que de la justice ni des notions de bien et de mal, que met en scène Jean Jourdheuil. Un univers où seule opère la logique de la nécessité, c’est-à-dire de la « cause » servie par Ulysse : vaincre Troie.
Était-ce son choix ? Il y est entraîné par la force des choses. « Nous sommes allés trop loin dans cette affaire, il ne reste qu’à continuer ». Dès lors tous les moyens, tous les mensonges sont bons pour servir la cause mais tirant son épingle du jeu et en se préservant avant tout, car la voie est glissante.
Ainsi le tragique se déplace-t-il ici de Philoctète à Ulysse, pragmatique, homme de circonstances, qui multipliant les mensonges les transforme en raisons du moment, en vérité d’ici et maintenant. Pour lui il n’y a pas de vérité définitive. C’est un acteur et donc personne. C’est un artiste du langage, maître en sophismes, au point que la frontière entre vérité et mensonge s’efface. Face à lui Philoctète dans son rôle de victime, criant vengeance et justice, blessé davantage dans son orgueil, dans son moi, que physiquement dans son corps, son pied pourrissant. Il se détruit par son obstination, son refus de collaborer. Son drame, même s’il provoque la pitié de Néoptolème croyant encore à la vérité, sa mort et même son cadavre seront instrumentalisés comme preuves de la vérité d’Ulysse.
Néoptolème, déchiré d’une part entre la pitié, la compassion pour Philoctète, l’indignation pour l’infamie des ruses d’Ulysse et d’autre part la nécessité d’aller au but, finira sans conviction par se subordonner et, chargé de l’arc, des flèches et du cadavre de Philoctète, suivra Ulysse à Troie.
Sur un plateau nu, avec juste au centre une plate-forme inclinée qui tourne à certains moments. La mise en scène de Jean Jourdheuil, radicale, dépouillée, sans aucun effet, se concentre sur le combat que se livrent les trois protagonistes dans une situation d’urgence.
Un combat où trois attitudes s’affrontent avec pour seule arme le langage. La magnifique traduction de Jean Jourdheuil et de Jean-Louis Besson restitue à la fois une concrètude triviale par moments, un humour percutant et une puissance poétique du texte de Müller.
Trois acteurs virtuoses pour jouer cette partition magistrale. Marc Berman met en jeu la stratégie d’Ulysse avec fermeté et naturel, sans appuyer sur les mécanismes de la ruse à l’œuvre. Le mensonge d’Ulysse une fois mis en branle, va de soi. Il trouve instantanément de nouveaux ressorts, parant aux revirements imprévisibles de Néoptolème (Marc Barbé). Sa stratégie se heurte au jeu de Philoctète interprété avec maestria par Maurice Bénichou, d’une ironie suprême, à la fois terrible dans sa détresse et manipulateur froid qui, n’ayant rien à perdre, utilise une tactique de retournement, fait jouer le temps, déstabilise sans cesse Néoptolème, face à l’urgence dans laquelle est Ulysse.
Paradoxalement Philoctète en amenant Néoptolème à le tuer, gagne et Ulysse tragiquement échoue, incapable de convaincre Philoctète de rejoindre avec son arc Troie. Un échec, pourtant Ulysse a toujours de la ressource : Philoctète mort n’est plus utile mais son cadavre est utilisable.
Une mise en scène d’une exceptionnelle maîtrise du tempo, de la tension dramatique. Un moment rare d’intelligence et de théâtre.

Irène Sadowska Guillon

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Philoctète de Heiner Muller mise en scène de Jean Jourdheuil.

  Juste quelques mots , puisqu’ Irène Sadowska en a déjà rendu compte. Nous n’avons pas vu la même représentation: elle à la première, et moi à la troisième.  Certes,le texte de Muller possède de réelles beautés mais aussi, et cela , on le dit moins , beaucoup d’obscurités qui  plombent les choses, notamment quand Muller évoque des personnages qui ne disent quelque chose qu’aux  hellénistes et encore…. Si bien que  le spectacle tient davantage d’un travail de recherche qui aurait du rester… à l’état de recherche. Les enjeux de l’histoire de Philoctète n’apparaissent pas clairement ,et au bout de vingt minutes, l’on décroche, comme ce spectateur qui nous a écrit. et il a raison.

  La faute à qui? Probablement  déjà à Muller qui a brodé à partir du texte de Sophocle mais qui n’ a pas vraiment pris la juste mesure de la légende , en opérant une relecture assez conventionnelle de cette pièce mineure du grand dramaturge grec, puisqu’il en a supprimé le choeur et le  personnage du dieu Héraclès. Certes , l’on sent par moments, toute la puissance du langage et des joutes verbales..

  Mais Hélène Weigel , la formidable actrice et épouse de Bertolt Brecht et qui était aussi une femme de théâtre très lucide,  trouvait que la pièce manquait de matière, et elle avait bien raison. En effet, ce ne sont pas des personnages au sens réel du mot mais des porte-parole de Muller qui sont  devant nous. A la lecture, pourquoi pas mais sur la scène  déjà pas très chaleureuse du Théâtre des Abesses pendant une heure et demi, dans un décor froid et sans grand intérêt….tous aux abris!

  Quant à la mise en scène de  Jean Jourdheuil  qui a  impressionné Irène. On veut bien   mais nous ne sommes pas du tout d’accord…Ce travail est  d’une grande rigueur sans doute,  mais aussi d’une sécheresse absolue et  distille un ennui  de première qualité;  et si les comédiens font honnêtement leur travail, ils  ne semblent quand même pas avoir  l’air  très passionné. Il manque à cette mise en scène  et à cette direction d’acteurs un pouvoir de conviction:, comme si Jean Jourdheuil lui-même n’avait pas trop cru à l’opération! Comment s’étonner alors que des spectateurs quittent la salle, et que les applaudissement soient des plus chiches!  La tragédie grecque ou ses avatars n’est pas facile à maîtriser, et ce Philoctète ne restera pas dans les mémoires… En tout cas, à éviter, 

Philippe du Vignal
Philoctète de Heiner Müller, mise en scène Jean Jourdheuil
Théâtre de la Ville – Théâtre des Abbesses
du 5 au 21 novembre 2009
tel 01 42 74 22 77

« Le texte de la pièce est publié aux Éditions de Minuit »

LEONTINE en BRASSIERE

De l’impossible retour de LEONTINE en BRASSIERE, texte de Benoît Paiement-Bernard Dion, mise en scène de Robert Reid.

 

dsc0362.jpgCela se passe au deuxième étage du Théâtre d’aujourd’hui, situé au 3900 ( sic ) de la rue Saint-Denis à Montréal, bien connue pour ses centaines de restaurants en tout genre, dont le Commensal, , un libre service végétarien très fréquenté des Montréalais ,où l’on paye en fonction du poids de l’assiette que l’on a remplie… Donc, le Théâtre d’aujourd’hui programme cette saison une adaptation des Essais de Montaigne, une comédie musicale d’après la pièce culte de Michel Tremblay Les Belles soeurs mais aussi l’an passé des oeuvres de l’incontournable Wajdi Mouawad et de Normand Chaurette bien connus en France) . Le  théâtre possède une grande salle et, au sommet d’un escalier assez rude, une petite salle de quelque soixante places avec une scène toute en longueur plutôt destinée à des réalisations expérimentales.. . et qui accueille le Groupe de Poésie moderne qui reprend cet Impossible retour de Léontine en brassière( soutien-gorge en québécois).
Il s’agit des malheurs supposés d’une actrice Félixe Ross jouée par l’actrice… Félixe Ross, que l’on ne trouve plus vraiment assez jeune pour jouer cette fameuse Léontine,  mais on le comprend vite, c’est un aimable prétexte pour parler de tout et de n’importe quoi, mais aussi de la peinture de Paul-Emile Borduas, peintre québécois ( 1905-1960) qui aurait fait le portrait de Félixe Ross. Il  a peint  nombre de tableaux non figuratifs fondés sur un certain automatisme mais il est  surtout connu  pour une remarquable toile  à la fin de sa vie L’Etoile noire.

  Mais Borduas est aussi l’auteur, avec son ami Riopelle et quelques autres,  de Refus global ( paru en 48 !) ,un Manifeste visionnaire  et courageux qui dénonçait la tyrannie morale de l’Eglise catholique au Québec. Ce  dont parle  ce spectacle avec des extraits de textes authentiques assez édifiants; mais  on y discute aussi pratique artistique en  avec, en vrac: un certain Picasseur, Seurat, Gauguin, mais aussi Klee et un clin d’oeil au pop art et à Roy Lichenstein, quand les comédiens se coiffent de perruques d’un blond agressif.
Tout cela est simplement et finement évoqué par quelques coups de pinceaux lumineux sur un grand écran pivotant , seul élément scénique, avec lequel jouent les comédiens. Mais il est aussi question dans la soixantaine de petits textes juxtaposés, de Jacques Cartier qui écrit au général de Gaulle pour lui signaler un certain nombre de collines d’où il pourrait prononcer ses prochaines allocutions… et des citations de politiques importants comme René Lévesque, le grand défenseur de la minorité québécoise et de la langue française et son adversaire René Trudeau contre lequel avait eu lieu une gigantesque manifestation! Mais là, il vaut mieux être de la paroisse pour bien comprendre les choses.
Les quatre comédiens, très solides, qui ont une diction absolument parfaite, sont habillés en collants noirs, et établisssent vite une réelle connivence avec leur publicdemandent au public auquel ils demandent de se lever pour écouter l’hymne national mais oublient de les faire se rasseoir! Les phrases se bousculent , et les mots sont déchirés puis reconstruits, en tout cas, très souvent malmenés, voire passés à la moulinette de l’absurde, de la dérision et du télescopage sémantique: bref, on l’aura compris, cela tient à la fois de la poésie sonore de gens comme Bernard Heidsieck, Henri Chopin, ou François Dufrêne, mais ce délire verbal participe aussi de la poésie de Jean Tardieu, avec une petite goutte d’Eugène Ionesco.
Côté gestualité, c’est tout aussi raffiné et cela fait un peu penser aux Frères Jacques , admirable quatuor des années cinquante qui chantait notamment la fameuse Truite de Schubert sur des paroles de Francis Blanche. Il y a cette même précision du verbe et du geste, ce même décalage tout en nuances, non pour donner corps à un personnage mais pour alimenter une machine à délires verbaux et à loufoqueries qui fonctionne à merveille avec le public de Montréal qui les suit fidèlement depuis des années. Mais la dramaturgie qui avance par à-coups montre quelques faiblesses qu’il  faudrait  éliminer d’urgence : à certains moments, le spectacle part un peu dans tous les sens, et n’est sans doute pas aussi caustique qu’on lesouhaiterait. Malgré la mise en scène très rigoureuse de Robert Reid qui dirige ses quatre comédiens avec beaucoup d’intelligence et de sensibilité…
A voir? Oui si vous passez par Montréal l’an prochain,car le spectacle devrait y être repris et si vous voulez vous rendre compte de ce qu’un groupe québécois de recherche peut produire d’original; en effet ,on connaît davantage en France Lepage, Mouawad, Chaurette ou Fréchette. Viendra-t-il aux Francophonies de Limoges? Ce ne serait peut-être pas un luxe…
En tout cas, c’est toujours émouvant d’entendre à des milliers de kilomètres de l’hexagone, des comédiens qui se font visiblement plaisir à jouer aussi finement avec cette langue française à laquelle ils tiennent tant, et avec juste raison..

 

Philippe du Vignal

 

dsc0331.jpg

 

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