LA BONNE ÂME DE SE-TCHOUAN

LA BONNE ÂME DE SE-TCHOUAN

De Bertolt Brecht, mise en scène Anne-Margrit Leclerc, dramaturgie Bernard Beuvelot

  Ce sont de belles retrouvailles avec le Théâtre du Jarnisy, compagnie lorraine qui n’a pas baissé la garde depuis les beaux débuts des années 70, née dans le sillage de Jacques Kraemer et du dynamique Théâtre Populaire de Lorraine. C’est un bonheur de voir cette pièce de Brecht, auteur clairvoyant mort en 1956,  dont les personnages sont étrangement d’une  brûlante actualité et dont les représentations ont lieu  devant une salle pleine d’un public mélangé et enthousiaste.

Dans la capitale d’un Se-Tchouan à demi-européanisé, trois dieux sont descendus à la recherche d’une bonne âme qui puisse les héberger. Le porteur d’eau Wang se propose de les secourir, persuadé que les riches propriétaires seront honorés par de tels hôtes, mais toutes les portes se ferment. Seule, la prostituée Chen-Té  qui ne pourra payer son loyer le lendemain en l’absence de la passe nécessaire, accepte de les recevoir pour la nuit. Le cadeau royal qu’elle reçoit lui permet de prendre en location une petite boutique dans son quartier, mais elle devient vite la proie de ses voisins et de sa propriétaire qui profitent de son bon cœur et pillent le peu qu’elle gagne.

  Elle doit donc s’inventer un inflexible cousin, Shui-Ta qui vient mettre de l’ordre dans ses affaires et la protège contre l’aviateur Yang Su dont elle est tombée amoureuse. Ce cousin est une autre face d’elle-même et monte une prospère exploitation de tabac,  grâce à l’argent donné par son vieux voisin devenu amoureux de Chen-Té.

  Stéphanie Farison interprète la double face de ce personnage avec virtuosité, aux côtés de sept  autres comédiens qui font merveille, en sautant d’un personnage à l’autre. Comment rester bon dans une société mauvaise, c’est la question posée par Chen-Té aux dieux à la fin du spectacle, qui  reste d’une terrible actualité !

Edith Rappoport

 

Théâtre de Montbéliard


Archive pour novembre, 2009

The Shipment

The Shipment par Young Jean Lee’s Theater Compagny de New-York

 

        image1.jpgNée en Corée en 1974, Young Jean Lee arrive en 1976 aux États-Unis et vit depuis 2002 à New York où elle devient dramaturge et crée sa propre compagnie Young Jean Lee’s Theater Compagny.
Elle se fait remarquer sur la scène expérimentale new-yorkaise par l’originalité, l’audace, « l’incorrection politique » de sa démarche et le regard critique qu’elle pose, avec un humour corrosif, sur la société américaine, ses composantes identitaires et les diverses formes de racisme toujours à l’œuvre.
Dans Songs of the Dragons flying to heaven , satire sur la communauté coréenne aux États-Unis, Young Jean Lee s’en prend à l’image et aux clichés identitaires.
Dans The Shipment, conçu avant l’arrivée au pouvoir d’Obama, elle s’attaque à la problématique du racisme vécu par les Noirs américains, différent de celui que subisssent les immigrants. Comment aborder ce sujet sans tomber dans l’écueil du discours politico-idéologique et sans s’ enfermer dans un théâtre identitaire ? Comment amener un vaste public vaste à s’impliquer dans le spectacle et à se poser autrement des questions, hors des stéréotypes et des clichés, sur le racisme ordinaire ? Le parti pris de Young Jean Lee était de se servir des stéréotypes du racisme ordinaire, quotidien, des idées reçues déterminant les comportements des Noirs américains, en les décalant, les poussant à la limite de l’étrangeté. De sorte que, tout en restant reconnaissables, ils ne soient pas identifiables. Cette tactique de décalage des stéréotypes devant opérer autant pour le contenu que pour la structure formelle du spectacle. Ainsi , dans la première partie revisite-t-elle, en le décalant, le menestrel show, « divertissement populaire du XIXe siècle, suite de sketches, de danses, de chansons qui étaient interprétés par des Blancs grimés en Noirs. »

La seconde partie est conçue dans le style de la comédie naturaliste. Contrairement à la tradition du genre, ici le menestrel show revisité est interprété par des acteurs noirs, la danse contemporaine stylisée sur les danses des Noirs, mais les chansons n’ont rien à voir avec la culture noire. Sur le plateau nu : au gré des sketches interprétés par des acteurs avec des micros s’égrène l’histoire du jeune Noir Omar qui décide d’être chanteur rapp et dont le parcours, de la rue au star-system, passe par l’univers de la drogue, de la prison, du viol, du sexe, la rencontre d’un évangéliste illuminé délirant sur Dieu, enfin l’ennui, le découragement et l’abandon du rapp. Parcours initiatique, une sorte de conte voltairien noir où les discours stéréotypés, agressifs des Noirs sur les Blancs poussés à bout dans l’exagération, se confrontent en même temps à une vue critique des Noirs.
Le tout est joué dans la convention d’un show, pas d’incarnation des personnages affichés comme figures stéréotypées, caricaturées. Cependant l’ambiguïté subsiste. Point faible de cette première partie : le rythme qui vacille, certains sketches joués sur un ton hurleur et monocorde semblent s’étirer.
Sans pause, une chanson de transition rappelant vaguement le gospel, chantée en chœur, introduit la seconde partie. On apporte un canapé, un tapis, une bibliothèque, des petites tables, un fauteuil, une chaise. On est dans un appartement bourgeois. Une soirée d’anniversaire. Autour de l’hôte, des connaissances. Discussions conventionnelles, banales, décousues; on brasse les clichés, on boit, on sniffe la coke, puis les ressentiments, les mauvaises blagues, les reproches surgissent, le ton monte, la party tourne mal. Les personnages portent costume cravate ou veste et gilet dans le style à la fois soigné et voyant des Noirs américains. Le jeu réaliste contraste avec l’artifice et le décalage de la première partie. Cinq acteurs excellents changent de rôles, passent avec aisance d’un personnage à un autre, d’un code de jeu à un autre. Si Young Jean Lee réussit en grande partie à déstabiliser notre regard, nos certitudes, les idées reçues et les images que les uns se forgent sur les autres, son spectacle manque, par moments, de rigueur et de concision.

 

Irène Sadowska Guillon

 

The Shimpent par Young Jean Lee Theater Compagny
en anglais surtitré en français
du 4 au 8 novembre 2009 au Théâtre de Gennevilliers
tél : 01 41 32 26 26
Dans le cadre du Festival d’Automne à Paris

 

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Arabian Night

Arabian Night de Roland Schimmelpfennig.

  Arabian night, de Roland Schimmelpfennig, traduit de l’Allemand par David Tushingham et mis en scène par Nathalie Joy Quesnel, représentait un défi sérieux  pour la jeune troupe anglophone, Evolution  Theatre,  formée il y a deux ans par d’ anciens élèves  du Département Théâtre de l’Université d’Ottawa. La pièce a été montée dans l’espace étriqué du Cube, une galerie située dans le quartier du Hintonburg, qui esten passe de devenir le nouveau centre  théâtral de la ville qui se développe d’une manière assez chaotique ,puisque des cafés, des restaurants bio des restaurants haut de gamme côtoient des théâtres qui récupèrent des tavernes, et d’anciens ateliers de travail désaffectés; il y  a aussi une école de théâtre (Ottawa School for Speech and Drama) et le nouvel Irving Greenberg Theatre Centre, situé au rez -de- chaussée d’une  élégante copropriété.

  Arabian Night se déroule pendant une nuit de chaleur torride. L’imaginaire occidental transforme un conte de mille et une nuits destiné à distraire un Calife oriental, en récit urbain, marqué par les  violences et  les  dérives psychiques. Cinq familles qui occupent un bâtiment de dix étages , montent et descendent les niveaux de cette  structure (évoquée par des éléments de bois), sous l’impulsion de leurs fantaisies érotiques, désirs inassouvis, inquiétudes, et constructions imaginaires de « l’autre exotique ». Dans ce huis-clos hallucinant, ces personnages s’installent chez les uns, dévalisent les autres ou se transforment en voyeurs pris de panique, dans  un contexte quasi apocalyptique où tout semble se désagréger. C’est , en filigrane, la situation sociale actuelle en Allemagne, peu à peu transformée par l’immigration du Moyen-Orient et par toutes les réactions qu’elle suscite.

  Dans ce lieu  anodin, ces victimes de l’exclusion et de l’aliénation,  qui ont des difficultés de communication, dépouillées de tout, tentent de cerner un monde insaisissable qui se transforme sans arrêt sous leurs regards effarés. Perdu dans ce quasi-vide, les personnages ne se regardent pas : ils sont seuls,  et la metteuse en scène a bien exploité ce parti-pris d’un jeu où  ils semblent s’adresser toujours aux absents.  Ce conte oriental déplacé dans un Occident urbain, est, à la fois réaliste, grotesque et magique, situé dans un ensemble de stratégies théâtrales apparemment contradictoires , que le décor et la mise en scène tenteraient  de réconcilier.

  La scénographie évoque les poutres d’un immeuble  moderne à  dix étages, recouvertes  de tissus qui flottent dans le vent comme des voiles, ou qui se reconstituent pour évoquer des tentes délicates et transparentes dans un désert imaginaire. On devine les rêves, les relations quotidiennes qui  donnent naissance à des  situations où désir et violence fusionnent:la metteuse en scène réussit à évoquer une jeunesse, et une population à la fois fascinées et terrifiées par la «confusion » des origines de la société moderne.

  Nathalie Joy Quesnel, une des metteuses en scènes les plus intéressantes de sa génération à Ottawa, a donc pris des risques en imposant aux acteurs  un travail très chorégraphié. Le texte tient parfois d’ un récit vidé d’émotion, présenté par des narrateurs qui se regardent à distance. Parfois,  nous avons l’impression d’une suite de monologues où les personnages racontent leurs débordements passionnés et violents, alors que  leur émotion reste refoulée chez  des êtres privés d’ émotion. La metteuse en scène semble  avoir voulu  contrôler  un texte qui pourrait paraître un peu froid. Mais cet essai de  danse/théâtre   risque de détourner l’attention  vers les corps en mouvement.

   Cette oeuvre est  surtout une partition sonore, une orchestration de voix et de sonorités, ce que Nathalie Joy  Quesnel  cerne dans les premiers moments du spectacle ,lorsqu’un des acteurs se tape sur les joues pour que son visage devienne un “beat box”. L’activité très physique des acteurs évoque parfois des gestes militaires, ou des mouvements de robots, voire des acrobaties de cirque, et semble imposer un autre langage scénique, parfois au risque d’un  contre-sens. Pourtant les spectateurs semblent  très impressionnés.et Évolution Theatre est en train de secouer le public anglophone d’ Ottawa ….

 

Alvina Ruprecht

 

Le Bout du Monde

Le Bout du Monde de la Danoise Astrid Saalbach : une première mondiale en français.

 boutdumonde.jpg Dans la capitale du Canada, première mondiale : la création française de Le bout du monde, une pièce d’Astrid Saalbach, traduite du danois par Catherine-Lise Dubost.La metteure en scène,  Anne-Marie White, est aussi la nouvelle directrice artistique du Théâtre du Trillium, une des quatre  troupes franco-ontariennes qui se partagent la programmation de la Nouvelle Scène; le lieu sert aussi de Maison de la Culture pour les francophones d’ Ottawa.

  La pièce est une sorte d’ allégorie sur le monde actuel avec une orientation apocalyptique évoquée par la jeune héroïne Xenia, qui finit malgré toutdans l’optimisme grâce à la présence d’une femme mystérieuse , afro-bohémienne ,qui se matérialise dans le désert devant ses yeux. Celle-ci indique  le bon chemin à l’héroïne, épuisée par ses journées d’errance, dans ce pays de sable écrasé de chaleur. L’auteur capte un monde en plein mutation et   Astrid Saalbach mène sa réflexion jusqu’au bout de sa logique écologique, frappée d’un darwinisme revu par une esthétique de science-fiction et de bande dessinée. Xenia, un des membres d’équipage,  jouée avec beaucoup de passion par Magali Lemèle, est de retour sur terre après un long voyage en avion, Serait-ce un aterrissage normal ou un accident d’avion?  Le moteur gisant sur la scène, à moitié recouvert de sable pourrait peut-être fournir un début de réponse. N’importe.  Les changements de décors sont multiples et tout d’un coup, la jeune femme se retrouve dans une forêt devant un être hybride  cheval/humain, produit de ce monde où les  hommes, les animaux et toutes les espèces vivantes de la terre existent en une symbiose assez inquiétante.

  Xenia  doit vivre dans une sorte de colonie où ,peu à peu ,l’harmonie écologique apparente est en plein déliquescence: La femme/cheval est manipulée par un sadique; la femme /mère qui a peur de vieillir, passe d’une intervention de chirurgie esthétique à une autre jusqu’à ce que son corps soit un seul grand artifice en matière synthétique. Les plus forts exploitent les plus faibles, la structure victime/bourreau se réinstalle sur la terre et la vie se tribalise. C’est le monde de la précivilisation rousseauiste après l’apocalypse.

   Pourtant, sans reconnaître ce dysfonctionnement,  Xenia poursuit son bavardage habituel de femme aisée et un dialogue de sourds s’ensuit. On dirait, dans un premier temps, la jolie blonde Hélène qui cherche son collier dans la pièce de Carole Fréchette,  enfermée dans son discours de femme occidentale gâtée. Mais on est ici davantage sur l’idée d’une dégradation de l’humain. Des  hommes presque sauvages manient ces « caprices de la nature »,  ces êtres féminins  qui deviennent des objets interchangeables :  et les rapports affectifs sont désormais impossibles.

  Xénia erre dans ce lieu cauchemardesque et rencontre une communauté de ceux qui rejettent ce type de vie. Dirigée par le fils « KA »  aux allures christiques et totalitaires vêtus de blanc, cette communauté s’organise à partir de ses rituels quotidiens. Par la suite, de nouvelles formes d’affection  émergent et un nouvel ordre du monde semble s’installer avec des relations  intimes entre le chef « Ka » et Xenia. Toutefois, ceci n’est qu’un mirage. Mais un  bébé  adopté, parce que sa mère refusait de vivre sa maternité, annonce un avenir prometteur et des chances d’amour   qui n’ont pas tout à fait disparu de ces nouveaux êtres vivants. Le magnifique paysage sonore  contribue beaucoup à la soirée, mais  la lourdeur du dispositif scénographique :  poulies, praticables  et rideaux qu’il faut déplacer,  entrave le jeu. Mais cette réflexion dramatique sur les rapports entre les êtres  humains  et le monde, dans un avenir  qui n’est peut-être pas si éloigné,  était sans doute utile…. 

Alvina Ruprecht

 

 

LA TÊTE VIDE

LA TÊTE VIDE Théâtre de l’Aquarium
D’après Raymond Guérin, mise en scène Gilles Chabrier Collectif 7

Le collectif 7 né en 2000 d’un noyau d’anciens élèves de l’école de la Comédie de Saint- Étienne, est la première compagnie invitée par François Rancillac qui vient de prendre les commandes de l’Aquarium. Le hall d’entrée a été rafraîchi, on nous guide sur le plateau où un dispositif quadri-frontal a été installé. Nous sommes environnés par des bancs d’images, huit plans sur chaque mur encerclent le plateau, avec des personnages, hommes, femmes, enfants, sans doute des personnages de la petite ville concernée par ce drame dont on va nous livrer des éléments à travers un jeu de rôles. Un matin, un cultivateur découvre dans un bois jouxtant son champ, deux corps nus, enlacés, morts d’une balle dans la tête. Suzanne femme mariée sans profession et Gustave, huissier consciencieux et bon père de famille étaient amants, ils se sont donné la mort. Autour du médecin légiste, des amis vont se substituer aux protagonistes du drame pour éluder le mystère. Deux armes ont été retrouvées sur les cadavres, qui a tiré le premier, comment  en sont-ils arrivés à cette extrémité ? Éric Challier, Muriel Coadou, Frédéric Huiné et Nathalie Ortega se livrent à cette énigmatique danse de mort avec une grande finesse, des montées violentes, de belles images sur ce plateau qui se couvre d’eau sans qu’on n’y prenne garde, où un grand et bel acteur nu vient s’étendre à la fin du spectacle.

Edith Rappoport

CORPS A CORDES

CORPS A CORDES  Théâtre des Variétés
Le Quatuor, mise en scène Alain Sachs

Voilà trente ans que ce quatuor qui jongle avec toutes les musiques, réjouit des hordes de spectateurs enthousiastes, des plus grands aux plus petits. Jean-Yves Lacombe que j’avais reçu au Théâtre Paul Éluard de Choisy avec Jean-Claude Asselin, en est toujours l’inénarrable violoncelliste après quelques échappées, Laurent Vercambre y est toujours présent, Pierre Ganem  et Jean-Louis Camors complètent le quatuor. De la ridicule leçon de maintien du maître de musique emperruqué aux jongleries de chaises, en passant par des ballets avec leurs instruments, les quatre virtuoses ne reculent devant aucune pitrerie. Il faut faire rire vite et à tout prix, un peu trop à mon avis car ces excellents musiciens ne laissent jamais l’émotion monter, pendant les deux heures vingt de spectacle. Le public est ravi, moi j’éprouve une déception. Mais il faut bien faire rire pour payer la location de ce magnifique théâtre privé où on ne peut pas retrouver les artistes à la sortie.

Edith Rappoport

SexAmor

SexAmor, projet de Pierre Meunier, fabrication collective, texte et jeu de Pierre Meunier et Nadège Prugnard.

sexmor.jpgDans un décor hétéroclite, fait de métaux et de matériaux, un homme trompe son ennui en jouant de la musique. On dirait du Georges Aperghis : à l’aide d’une baguette ou de ses doigts, il fait vibrer des fils métalliques à l’extrémité desquels pendent des blocs de béton ou des poids.

  D’emblée, nous nous situons dans l’univers du sensible : le visuel, le tactile et l’auditif. Cet homme se met à raconter une histoire, celle d’un capitaine de navire pris un jour dans une tempête. De fait, une partie du décor évoque une ambiance portuaire, maritime : une hélice de bateau est accrochée au mur, un moulin à eau repose sur des tréteaux.
Une femme apparaît, prise au piège dans une poche en plastique qui ressemble à un cerf-volant, où elle baigne dans un liquide, à moitié nue. Est-elle un alien en mutation, un fœtus dans le ventre de sa mère, un poisson dans un filet ? Elle tente de s’extraire du sac mais retombe toujours au fond. Jusqu’au moment où elle voit l’homme, qui la voit à son tour. Regards croisés, échangés puis rencontre. Les mains se touchent à travers cette membrane et l’homme aide la femme à en sortir. La voici qui surgit,  telle Eve, naissante. Bien qu’elle soit  choquée, elle pose  aussitôt ses exigences : elle veut mourir d’amour mais veut aussi  de la violence dans l’amour…

  Et cet homme et cette femme sans nom, archétypes de leur sexe, vont jouer à une course poursuite et/ou à un chassé-croisé: ils passent ensemble ou séparément, dessus, dessous ou à travers d’ anneaux suspendus. Un jeu dangereux, celui du chat et de la souris. Leur interrogation fondamentale porte sur l’amour, la mort, le sexe, le rapport à l’autre, le désir. Mais les mots comme les mouvements semblent insuffisants. À question existentielle, réponse vertigineuse: le couple traverse  plusieurs épreuves, où  s’affirment leurs différences : la femme s’imagine en mère d’adorables chérubins, tandis que lui , se voit cerf ou élan tout-puissant ( il en revêtira d’ailleurs le masque et les bois).
Parfois, ils dansent ensemble un slow  ou  la femme, seule, essaie de bouger au rythme de la guerre ou de la nature.Il y a plus de gestes et de mouvements que de paroles dans ce  spectacle, qui oscille entre implicite et explicite, premier et second degré, et qui  renvoie surtout aux symboles et à la rêverie. Le ton est , tour à tour,  grave, ou provocant et plein d’humour, quand , dans le jeu de la séduction, l’homme fait le coq ; ou, quand  la femme  revêt un harnais et  s’élève dans les airs. Machinerie et jeux de lumière se déchaînent. La force de la nature s’exprime dans un port imaginaire, où l’on entend les mouettes, les cornes de brume, le souffle du vent et le bruit des vagues qui s’écrasent contre les rochers.
Erotisme et trivialité, poésie et vulgarité, abandon et séduction, attraction et répulsion,: les sexes se livrent bataille et se cherchent jusqu’à l’épuisement. Le couple formé par Nadège Prugnard, vorace, charnelle, assoiffée, et par Pierre Meunier, clownesque, fonctionne bien et le spectacle a de bons moments, malgré quelques longueurs qui nuisent à sa dynamique.

Barbara Petit

 

Théâtre de la Bastille jusqu’au 28 novembre

Que d’espoir, cocktail theatro-musical corrosif

Que d’espoir, cocktail theatro-musical corrosif, textes d’Hanokh Levin regroupés en recueil par Laurence Sendrowicz, mise en scène de Serge Lipszic.

 

 f8864aded587523ac.jpg On connait depuis longtemps en France l’oeuvre d’Hanokh Levin, écrivain israélien décédé en 1999 qui est l’auteur de nombreuses pièces- de chansons et de recueils de poésie. Mais  surtout de Kroum, l’ectoplasme qui avait été brillament monté par Warlikowski en 2005 puis par Guy Freixes.
  Que d’espoir avait déjà été créé par Laurence Sendrowicz au Théâtre de la Tempête en 2005; ce sont des petits sketches mis bout à bout et parfois entrecoupés de chansons  qui parlent des petits riens qui constituent l’existence de personnages qui ont du mal avec leur vie comme avec celle des autres; on peut penser souvent à Tchekov, comme à Pirandello ( celui des nouvelles surtout),  parfois aussi à Beckett.

  L’humour est cinglant et Levin n’ hésite pas à appeler un chat un chat :  c’est lui qui, en 68, un  an après la victoire de 67 sur l’Egypte, n’hésitait pas,  en bon visionnaire,  à dénoncer , avec beaucoup de provocation, le danger que représentait l’occupation des terres conquises. .. L’un des ses spectacles avait d’ailleurs pour titre:  » Toi, moi et la prochaine guerre » ! et avait été vite interdit.
   Et c’est peu de dire que cet humour ravageur ne lui procurait pas que des amis. Mais, dans ce recueil de sketches,  c’est plutôt la vie des petites gens qui l’intéresse, avec tout ce qu’elle peut avoir de dérisoire , quand ils se trouvent confrontés à des situations qu’ils ne peuvent pas assumer,  que ce soit sur le plan familial ou politique, et qui seraient vite  tentés par la pire des solutions. Bien entendu, ce qui est très ancré dans la société  israëlienne, pourrait aussi l’être à Paris , ou à Naples dans une pièce de Filippo. C’est parfois d’une rare insolence  mais ce recueil de petits  textes  n’a pas du tout les qualités d’écriture de Kroum, et l’on s’ennuie un peu…
  Serge Lipszic  fait jouer sa  bande de  dix comédiens  sur une tournette munie d’un étage que l’un d’eux entraîne grâce à la force motrice de son  petit vélo: du côté plastique, c’est plutôt bien vu, d’autant plus que tout le monde s’entasse sur quelques mètres carrés , comme si cela allait de soi,  avec une gestuelle tout à fait convaincante. Ils parlent de tout: de Dieu, de guerre et de paix mais aussi d’amour et d’amitié. Et il y a de très beaux moments, comme celui où un ministre  dérape sans arrêt dans le discours qu’il prononce à un enterrement : malgré les circonstances, c’est d’une force comique inégalable. Mais l’ensemble de ces petits sketches mis bout à bout dans une mise en scène très statique- comment faire autrement sur un espace aussi petit ?- ne forcent pas l’admiration, d’autant plus que la lumière est  mesurée, souvent noyée dans la brume de fumigènes ( est-ce pour évoquer la fumée des cabarets d’autrefois?),  même si les comédiens font adroitement leur métier…
   Lipszic adopte une scénographie qui ne peut  pas fonctionner avec ce type de dramaturgie et il aurait du s’en apercevoir avant ; même si les scènes de cabaret ont la réputation d’être plutôt  de petite dimension, il est évident que cette tournette gadget, au début assez drôle, finit vite par lasser. On sourit parfois mais « le rire noir, métaphysique ou énorme selon l’occasion » que nous promet le metteur en scène,  n’est pas vraiment au rendez-vous. Alors, à voir? Pas si sûr! Lypszic prétend que le théâtre de Levin ne fait que répondre à la crise qui nous submerge. Peut-être ,mais ici nous avons affaire à une sorte de cabaret qui n’en est pas vraiment un et qui, de toute façon, n’est pas estampillé Levin.
   Alors, vous pouvez éviter d’aller jusqu’à la rue Georgette Agutte….peintre et sculpteur qui se suicida, en 1922,  après le décès brutal  de son époux Marcel Sembat en disant cette phrase non dénuée d’humour: « Voilà douze heures qu’il est parti, je suis en retard ». C’était déjà du Levin…..

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de l’Etoile du Nord jusqu’au 21 novembre à 21 heures et le samedi 7  à 16 heures; le 24 novembre au Théâtre du Vésinet et le 28 janvier à Saint-Germain en Laye

PAROLES D’ACTEURS : MEETING MASSERA

PAROLES D’ACTEURS : MEETING MASSERA Un essai proposé par Jean-Pierre Vincent et sa compagnie sur des textes de Jean-Charles Massera.

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Pour la quatrième année L’Adami et le Festival d’Automne proposent à un maître de théâtre de transmettre son savoir pendant quatre semaines à un groupe d’acteurs qu’il n’a pas choisis et d’ouvrir en fin de parcours cet atelier au public . Il s’agit d’être ailleurs que dans le schéma classique de la répétition et de la création d’un spectacle. Plutôt d’explorer l’univers d’un auteur, de faire entendre une écriture, de partager une matière textuelle. Après Jöel Jouanneau, Julie Brochen, Ludovic Lagarde, c’est Jean-Pierre Vincent qui est le meneur de jeu cette année.
Chaque aventure reflète la personnalité de ce meneur de jeu. Jean-Pierre Vincent dont on connaît le goût pour les textes qui disent quelque chose de notre monde et pour les textes  qui sortent des chemins balisés du théâtre, a rencontré Jean-Charles Massera, écrivain hors catégories qui a touché à la fiction , aux drames politiques, sociaux et agricoles ! aux pièces radiophoniques , qui parle aussi d’art et de cinéma. Les titres de ses œuvres en disent long. « Amour, gloire et CAC 40 », « A cauchemar is born » « United emmerdements of new order »…publiés chez P.O.L
Ses chroniques de la catastrophe semblent intriguer les metteurs en scène, Benoit Lambert, après « We are la France » a travaillé avec Jean- Charles Massera sur une prochaine bombe « We are l’Europe ».
Mais Jean-Pierre Vincent a choisi des textes résolument non théâtraux écrits il y a quelques années déjà , des textes pour la page blanche  que l’auteur avait donnés en lectures performances. Trois textes courts précédés d’un prologue que les dix acteurs sous sa direction se sont partagés. De quoi s’agit-il ?
Dans le programme salle on trouve un questionnaire :  « Etes vous provençalophobe ? » Tiens ! et les formules habituelles : Répondez au questionnaire suivant en cochant la réponse qui vous semble appropriée. 1 Pas du tout, 2 un peu, 3 la plupart du temps, 4 toujours.
Voyons les questions : 1 Je me sentirais mal à l’aise de savoir qu’une personne de Provence me trouve attirant (attirante). Etc..
Ce questionnaire est révélateur de la méthode Massera, appliquer les codes d un langage connu à un sujet inattendu .Les questions nous serons posées pendant le spectacle qui commence.
 Dans un décor impersonnel de salle de réunion, ce genre de lieu où l’on ne fait que passer, des hommes et des femmes nous lancent des informations : nous sommes en Février 2016, des avions chinois et irakiens ont bombardé des objectifs près de Paris. Les dépêches se succèdent, réactions internationales, évolution de la situation. Sensation de connu et d’inconnu, langage journalistique, politique, chargé d’informations et vide de sens. Comme pour la guerre d’Irak où le bombardement de mots remplaçait les images .Un langage qui finit par prendre la place de notre langage, qui envahit la pensée ?
Ce n’était qu’un prologue, voici maintenant les trois sujets qui nous feront mieux entrer dans la méthode Massera :
Des  français qui veulent passer en Italie dont ils rêvent comme un eldorado, mais sont bloqués en Suisse car le Grand Saint Bernard est fermé et qui, infortunés du taux de change, subissent toutes les humiliations réservés aux ressortissants des pays pauvres, sont traqués, montrés du doigt, reconduits à la frontière.
Un couple français, la bonne conscience en bandoulière, ému par la tragédie des Kosovars, qui veut accueillir une jeune fille kosovar au pair est soumis au questionnaire et au règlement du Haut commissariat aux personnes emmitouflées.
 Des clandestins tyroliens d’origine italienne,  ont traversé le lac Léman,  et se livrent bien sûr à des délits, la  traite des Tyroliennes par exemple, tandis que la police austro hongroise commet des exactions  au Tyrol et que le  National Catholicisme y gagne du terrain.
Pas de personnages, une parole qui circule, une parole étrangement familière faite de ces discours qui parlent pour nous , qui nous traversent et que nous redonnons sans y prêter attention. Les effets d’actualité sont involontaires mais nous savons bien, nous qui écoutons ces textes, ce qu’ils éclairent du monde qui nous entoure. Jean-Charles Massera  prête l’oreille à toutes les langues, celle de la rue comme celle de la loi, il nous montre en miroir notre aliénation  par ce langage prémâché.
Jean-Pierre Vincent a distribué le texte à ses comédiens  tantôt de façon chorale,  tantôt en créant des mouvements, des échanges qui lui font prendre vie. Ils se sont emparés du texte avec une énergie joyeuse qu’ils nous communiquent . On rit, on s’étonne de rire de cette accumulation de banalités qui nous renvoie à notre incapacité à parler du monde avec des mots à nous. Mais , une fois la surprise passée, lorsqu’on a compris le procédé d’écriture, le temps s’étire, c’est sans doute la limite de cet  «  essai ».

 

Françoise du Chaxel

MOTUS et BOUCHE COUSUE

MOTUS et BOUCHE COUSUE

Compagnie Le petit théâtre :Ecriture d’Anne-Marie Collin, composition sonore, Claude Clin , mise en scène et jeu, André Loncin

motus.jpgUn homme est là, assis dans la salle d’attente d’une petite gare . Nous le savons , puisque c’est écrit au-dessus de l’écran qui ferme cette salle d’attente, mais  qui s’ouvre sur l’imaginaire. Nous reconnaissons ces sièges:  pas d’erreur,  c’est une gare, entourée de rails d’un train miniature.Un homme attend donc, il nous le dit, et  nous lit une lettre de sa chérie qui doit venir le rejoindre  et qui a quelque chose d’incroyable à lui dire.
C’est  pour lui un jour extraordinaire et  il s’est habillé comme un roi, ou à peu près.
Le train a du retard, il va donc attendre, bien sûr, et nous avec. Dans une gare, des gens passent, c’est bien connu, ça meuble,  le temps qui s’étire. L’homme téléphone à sa mère, dialogue avec son père perdu dans les nuages, observe le jeu cruel d’une mère avec son enfant, essaye d’apprivoiser un pigeon. Dans un castelet reproduisant le décor de la salle d’attente, il nous raconte ses rencontres, mais çà, c’était avant ce jour extraordinaire.
En attendant sa chérie, il s’endort et son ange gardien qui lui ressemble beaucoup accompagne ses rêves. Le train arrive enfin, sa chérie descend, mais il ne voit que son ventre sur lequel elle pose sa main. Le castelet, l’écran, les images et  les dessins d’animation, ont eu du mal à meubler cette attente pour lui comme pour nous.
L’histoire est mince. Cet homme plutôt enfantin, est joué par André Loncin mais ses problèmes d’adolescent attardé intéressent-ils les enfants  de trois ans auxquels il s’adresse ?
La compagnie est reconnue pour son travail en direction du jeune public mais le spectacle nous a laissé sur la  faim, avec une impression de décalage entre les préoccupations d’adultes mal préparés à devenir pères et les attentes d’un très jeune public qui ne demande qu’à comprendre et qu’à s’étonner. Peut-être les enfants y trouvent- ils un reflet d’images parentales qu’ils connaissent bien? Un spectacle finalement assez sage qui  laisse  peu de traces…

 

Francoise du Chaxel

Au  Théâtre Dunois, 108 rue du Chevaleret, 75013 Paris jusqu’au 7 Novembre
01 45 84 72 00, puis en Seine-et-Marne, à Collégien le 10 novembre, 01 60 35 90 81, à Pontault-Combault du 3 au 17 décembre, dans les écoles maternelles, à Thorigny-sur -Marne les 12, 13 et 14 janvier, 01 60 07 89 65

 

 

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