La petite Catherine de Heilbronn
La petite Catherine de Heilbronn de Kleist, mise en scène d’André Engel.
De Kleist qui fut à peu près méconnu durant sa courte vie (1777-1811), on connaît souvent davantage son Essai sur le théâtre de marionnettes, tout à fait prohétique prophétique, et bien sûr, Le Prince de Hombourg, révélé par Vilar au grand public il y a déjà plus de cinquante ans avec Gérard Philipe ( voir article récent d’Irène Sadowska dans le théâtre du Blog, et qu’avait superbement monté Peter Stein, puis Large et Langhoff en 84, puis plus récemment La Marquise d’O, en 2006 mise en scène par Lucas Hemleb. La Petite Catherine de Heilbronn l’avait été autrefois par Eric Rohmer puis l’an passé déjà par André Engel dans cette même mise en scène au Théâtre de l’Odéon.
La pièce n’est pas du genre facile, puisqu’elle tient à la fois d’une sorte de conte fantastique et du récit fabuleux , écrite par un jeune écrivain, méprisé par Goethe, et qui ne fut reconnu qu’à la fin du XIX ème siècel obsédé par le jugement de Dieu et par l’intervention possible d’une puissance absolue dans les affaires des pauvres humains. C’est, pour faire vite, l’histoire de Catherine, une jeune orpheline, fille d’un pauvre armurier qui va tout quitter , sans aucune explication plausible,pour suivre sur les routes le Comte Wetter von Strahl. Son père, le vieux Théobald va alors demander à un tribunal religieux de juger le Comte qu’il soupçonne de sorcellerie. Celui-ci déclare qu’il n’avait jamais vu le visage de Catherine, sauf par hasard en présence de son père. Mais alors pourquoi Catherine, comme doudroyée, s’est elle jetée aux pieds du Comte? Pourquoi a-t-elle sauté par la fenêtre. Comme si le Comte et Catherine s’étaient connus dans un ailleurs spatial et temporel. Comme deux êtres qui devaient un jour se retrouver , après avoir subi leur lot d’épreuves. Ce qui arrivera, puisque le Comte doit se marier à un personnage inquiétant: la très belle et très mauvaise Cunégonde. Catherine est-elle ne fait une jeune fille possédée par le démon et la folie, ou incarne-t-elle l’innocence absolue? Catherine ne pourra confier ses secrets au Comte qu’au moment où elle se s’endormira. Le château du Comte sera incendié mais Catherine aura quand même réussi sur l’ordre de la méchante Cunégonde à aller chercher des documents secrets dans sa chambre… L’ordre réapparaîtra après cette série d’épreuves infligées aux jeunes gens; en effet Catherine se révèlera être la fille de l’Empereur qui accordera sa main, avec son père adoptif au jeune comte.
Oui, mais voilà, que fait-on avec ce genre de pièce qui pourrait vite mal …tourner . Ici, nous sommes, à condition de bien vouloir se laisser entraîner un tout petit peu dans cet univers fantastique, dans la beauté absolue. Les Dieux savent qu’en général, la scénographie dans le théâtre contemporain est essentielle. Et le travail d’Engel et celui de son vieux complice Nicky Rieti sont indissociables. Rieti a conçu, pour cette Petite Catherine de Heilbronn des éléments d’architecture de palais qui, au gré des scènes ,tournent en silence sur eux-mêmes pour représenter le dehors ou l’intérieur: Comme dans un livre pour enfants: absolument sublime de précision mais aussid’intelligence et de beauté plastique, sans aucune erreur de proportions ni de couleurs. Une vraie leçon pour les futurs scénographes, et ce qui n’aurait eu aucun sens sur une scène à l’italienne, devient ici évident, simple et magistralement efficace. Rieti, depuis quelque vingt ans, qu’il collabore en parfaire osmose avec Engel, nous a prouvé sa maîtrise d’une dramaturgie et d’un lieu parfois complexe ( entre autres exemples, le sublime décor qu’il avait conçu, à Strasbourg, pour Kafka, Hôtel moderne) mais là, Et comme la mise en scène et la direction d’acteurs d’André Engel sont des plus remarquables (Jérôme Kircher et Julie-Parmentier en tête d’une distribution de haut niveau où rien, absolument rien n’est laissé au hasard) , on se laisse vite prendre au jeu de cette légende, même si cela dure plus de deux heures. C’est un travail qui est d’une telle précision, d’une telle rigueur – et ce n’est pas un paradoxe mais c’est au contraire tout à fait logique- qu’il ouvre les portes au rêve éveillé, même si parfois le récit est quelque peu obscur, comme il convient à ce type de spectacle légendaire au meilleur sens du terme. Si vous n’aviez pas eu l’occasion d’y aller l’an passé, trouvez-vous une soirée, et emmenez-y même de jeunes adolescents, cela vaut vraiment le coup.
Théâtre de l’Odéon- Ateliers Berthier jusqu’au 27 décembre.