« Scènes de novembre »(2)
« Scènes de novembre » Festival des dramaturgies contemporaines à Madrid
Créé en 2007 par un collectif d’auteurs fondateurs du Teatro del Astillero à Madrid, le Festival « Scènes de novembre », dirigé par Luis Miguel Gonzalez Cruz, a pour but la promotion et une meilleure connaissance des dramaturgies européennes d’aujourd’hui. Il a mis en œuvre et développé dans ses éditions successives, à la fois un réseau de partenaires institutionnels madrilènes et des collaborations avec des institutions et des professionnels étrangers. Et l’ambition du festival était d’être un espace de rencontres entre les professionnels :auteurs, traducteurs, metteurs en scène, acteurs mais aussi critiques et théoriciens de théâtre.
Une collaboration avec la Faculté des lettres de l’Université Carlos III à Madrid, amorcée dès sa première édition, est devenue, avec un cycle de conférences, rencontres, lectures et débats avec les étudiants et le public extérieur, un axe important de ces « Scènes de novembre ». La programmation 2009 des « Scènes de novembre » est accueillie désormais par plusieurs Centres Culturels de la Ville de Madrid. Après son édition 2008, donnant un coup de projecteur sur la dramaturgie actuelle française (textes de Jean-Luc Lagarce et de plusieurs auteurs invités: Enzo Corman, David Lescot, Rémi de Vos, Jean-René Lemoine) l’édition 2009 a réservée une place importante à la jeune dramaturgie de langue allemande, avec des lectures dramatisées de : Angel d’Anja Hilling, Seven seconds de Falk Richter, La Nuit arabe de Roland Schimmelphenig et Aller dormir de Gerhild Steinbuch.
Quant aux auteurs français, un hommage a été rendu à Michel Vinaver, invité d’honneur, avec la présentation à l’Université Carlos III des quatre volumes de ses Œuvres complètes traduites en espagnol par Fernando Gómez Grande et publiés aux éditions du Teatro del Astillero. Il y a eu aussi une conférence sur son théâtre et une rencontre avec l’écrivain, présenté par le metteur en scène Arnaud Meunier. Dans les centres culturels, des mises en espace d’une grande qualité artistique ont vu le jour comme celles des Voisins dirigée par Mariano de Paco Serrano et un excellent montage d’extraits de L’Ordinaire, Par dessus bord, les Coréens, King, L’Objecteur, Les Travaux et les jours dirigée par Raul Guirao, David Martos et Angel Solo.
Lucien Attoun, lors d’une conférence/causerie à l’Université Carlos III, a retracé l’évolution de l’écriture dramatique en France depuis 1970, en y inscrivant la démarche de Théâtre Ouvert et son parcours avec Michel Vinaver et quelques autres auteurs marquants : Koltès, Lagarce, Llamas, Grumberg. Le théâtre de Jean-Luc Lagarce mobilise toujours l’intérêt des traducteurs, comme Juste avant la fin du monde et a fait l’objet d’un atelier de traduction en espagnol dirigé par Cristina Vinuessa à l’Université Complutense de Madrid, conclu par une lecture dramatisée.
Enfin, un regard dans le rétroviseur: l’évocation du Théâtre Panique (Arrabal, Topor, Jodorowsky) avec une conférence de Marcos Malavia à l’Université Carlos III , qui a aussi mis en scène L’Opéra panique de Jodorowski interprétée par le Théâtre Aleph franco-chilien qui a tenté de nettoyer ce théâtre sorti de la naphtaline.
La sélection mise en espace et en spectacle aux Scènes de novembre »2009 n’est pas représentative de toute l’écriture dramatique espagnole mais en livre quelques aspects les plus significatifs. Parmi les pièces mises en espace (souvent poussées assez loin, avec une amorce de jeu, quelques objets ou accessoires, un léger travail d’éclairages et d’effets sonores) Mi cuerpo ajeno (Mon corps étranger) d’Inmaculada Alvear dirigé par Jara Martinez. Belle écriture, rigoureuse, condensée, pour aborder à travers les relations d’une jeune fille avec sa mère, sa copine et son petit ami, l’aliénation des êtres (en particulier dans la jeune génération) et leur totale dépendance des images, des normes, des injonctions tyranniques, qu’ils suivent aveuglément jusqu’au « martyre ». À quel point des modèles, des prescriptions modulent, formatent le corps , l’esprit de l’individu et ses rapports avec les autres ?
Obligacion (Obligation) de Sindo Puche, dirigée par Adolfo Simon, mettant en jeu deux personnages et des marionnettes, annoncée comme la « dernière pièce canonique » superpose plusieurs strates de narration, au point d’égarer l’auditeur-spectateur dans un labyrinthe d’énigmes… dont il n’a pas l’envie de chercher les solutions.
Que no quede ni un solo adolescente en pie (Qu’il ne reste pas un adolescent debout) d’Emilio Pastor Stenmayer (Prix Calderon de Barca 2008 distinguant de jeunes auteurs), mise en espace par Raoul Hernandez Garrido avec des élèves de l’École de Théâtre de l’Université Carlos III, est une vraie curiosité dans le style post Rodrigo-Garcia L’auteur et le directeur de la mise en espace, accumulent jusqu’à l’indigestion tous les clichés sociaux et théâtraux déjà vus jusqu’à l’indigestion.
Dans le noir ( l’obscurité règne pendant une grande partie de la lecture) les acteurs arrivent de la salle puis en repartent à la fin avec des lampes de poche, en chuchotant la même phrase à l’oreille des spectateurs. Deux comédiens assis sur le côté de la scène lisent au micro des parties du texte et de nombreux autres s’agitent sur le plateau et se livrent à toutes sortes d’actions dont le sens nous échappe. Parfois, ils s’assoient à l’avant-scène, mangent des graines de tournesol, en jettent les coques vers le public avec des bouteilles d’eau.
La musique très forte et ininterrompue, recouvre complètement le texte de sorte que l’on n’entend rien, mais comme tout cela n’a aucun sens, on ne perd rien non plus. Dans Algo sigue su curso (Quelque chose suit son cours), dirigée par Pablo Calvo, Gustavo Montes écrit une chronique de l’échec annoncé des rêves de deux jeunes d’aujourd’hui face à la réalité, plus dure encore depuis la crise. Et ils sont réduits à suivre la routine du travail gagne-pain permettant de fonder une famille, d’épargner pour acheter une maison, etc. Une vision lucide de notre société où la seule alternative est de prendre le train ou de rester sur le quai.
Le glorieux et tragique destin de Michael Jackson a inspiré Miguel Morillo pour Michael Jackson, in memoriam , qui en a dirigé la lecture. Une tentative pour débusquer l’homme sous les apparats de la star, victime de l’industrie musicale et des médias prédateurs. Sans manquer d’humour, l’auteur interroge le sens de la vie, de la notoriété, face à la mort, dans notre société du spectacle.
Cabaret Éros de Angel Solo est mise en scène dans une mise en scène efficace d’Antonio Lopes Davila et de Carlos Rodriguez. À travers la vie de deux frères, artistes transformistes dans un cabaret, on se glisse dans l’interstice entre l’image privée et publique, la réalité et l’apparence. Un vieux thème de la dualité humaine dont les aspects sont abordés ici avec pertinence et humour: monde du spectacle, ambivalence sexuelle, rivalité et fidélité, succès et frustration affective. Deux frères, artistes transformistes, Carlos et Gustavo, alias Irma et Ariadna et le présentateur, propriétaire du cabaret. Les scènes des numéros de cabaret, comique avec chansons et danses, d’Irma et Ariadna alternent avec celles qui se passent dans les loges où elles redeviennent Carlos et Gustavo. On bascule sans cesse du théâtre frivole du cabaret dans le tragique d’une vie ratée et la solitude de ces ex-étoiles, aujourd’hui artistes déchus.
Troya ultima de Daniel Martos, mise en scène par Sébastien Langlois, aborde la thématique de la transmission de la mémoire de la guerre et de ses conséquences, à travers la métaphore de la chute de Troie. Un messager s’évade de la cité dévastée par les Grecs, chargé de sauver la mémoire de sa gloire et de sa richesse. Mais le texte, poétique, est bavard, par moments trop explicatif et complaisant.
Une prostituée immigrée russe, ou roumaine ? découvre qu’elle est en permanence espionnée jusque dans le plus intime de sa vie. Elle répond à une invitation téléphonique et se retrouve chez un homme qui sait tout d’elle et qui l’entraîne dans un jeu dangereux de séduction, amour illusoire, sexe, violence, entre la vie et la mort. Et on peut ainsi résumer Juego de dos (Jeu à deux) de Raoul Hernandez Garrido, mise en scène par Juan Jose Villanueva. La pièce s’inspire d’un thriller, multipliant les énigmes et les clichés sur notre société sous surveillance (peur, persécutions, vidéosurveillance, jeunes femmes de l’Est réduites à la prostitution…) Tout cela sonne faux. La mise en scène réaliste, pesante, encombrée d’artifices, fait penser à un mauvais film de série B…
Il faudrait sans doute redéfinir les critères de sélection des œuvres pour les éditions suivantes de ce festival qui s’affirme comme un espace nécessaire d’échanges et de diffusion des textes dont plusieurs présentés dans les éditions précédentes ont déjà été traduits par des auteurs qui viennent chaque année plus nombreux. En 2010 le festival va renforcer ses partenariats avec d’autres Centres Culturels de Madrid et mettre en œuvre des collaborations avec des structures étrangères avec la coproduction d’une pièce de Luis Miguel Gonzalez Cruz au Centre Dramatique d’Evora au Portugal, qui sera jouée par des acteurs espagnols et portugais.
Irène Sadowska-Guillon
Les Scènes de novembre sont organisées par le Teatro del Astillero à Madrid .Centro Cultural el Torito, Avenida Moratalaz 130 28030 Madrid