Les joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare, mise en scène Andres Lima.
Cette comédie de Shakespeare est peu jouée en France. Elle conte les mésaventures de John Falstaff, roi des tavernes, jouisseur à la grosse bedaine, célèbre par ses beuveries et ses coups fourrés, qui arrive à Windsor la bourse vide, et en quête de ressources, va faire la cour à deux riches bourgeoises dégourdies : Madame Duflot et Madame Lepage.
Mais les dames ne sont pas tombées de la dernière pluie et ne tardent pas à découvrir que Falstaff s’intéresse plus à leur argent qu’à leurs charmes. Elles font front et, avec la complicité de Madame Pétule, tendent un piège au fourbe, l’humiliant cruellement. Fuyant le mari jaloux de Madame Duflot, Falstaff, caché dans un panier de linge sale, sera jeté dans la Tamise puis, déguisé en vieille femme, prendra des coups de bâton, enfin attiré dans la forêt de Windsor, assailli par des fausses fées et des esprits malicieux, il sera démasqué par les deux maris, et devient la risée de tout le monde.
À cette intrigue se greffe celle d’Anne Lepage qui aime le jeune Fenton et que ses parents veulent marier par intérêt et contre sa volonté, sa mère avec le Docteur Caius, son père avec le niais Maigreux. À la faveur de la mascarade nocturne dans la forêt les deux amants, Anne et Fenton, s’enfuient et se marient grâce à la complicité de l’aubergiste. Andres Lima, metteur en scène réputé en Espagne, qui a déjà fait l’expérience de la Comédie-Française en montant la saison dernière au Vieux-Colombier Bonheur ?, propose une lecture singulière des Joyeuses commères de Windsor. Soit, il s’agit d’une comédie farcesque où il est question de l’amour, de la séduction, du sexe, mais, nous dit-il, replacée dans le contexte historique de la société anglaise du XVIe siècle, la pièce met en jeu le conflit entre l’hédonisme pratiqué par Falstaff et ses compagnons et la morale puritaine des bourgeois de Windsor. Une bourgeoisie insatisfaite qui a remplacé le plaisir par le confort mais qui ne s’embarrasse pas pour autant de scrupules quand il s’agit d’intérêt et d’argent.
Andres Lima donne à la pièce une tonalité mélancolique, mais noircit le tableau : Windsor qui n’est plus le siège de la royauté perd sa splendeur, les soldats qui gardaient le château se retrouvent au chômage, l’aristocratie qui suit la Cour a laissé le peuple sans ressources, Falstaff est mélancolique, les joyeuses commères ne sont plus jeunes et leurs maris sont en train de les perdre. Tout cela pour forcer le parallèle avec notre société en crise où les pauvres deviennent toujours plus pauvres et qui se puritanise, s’interdisant de fumer, de boire, d’être gros, de se laisser aller à toutes sortes d’excès. « Dans Les joyeuses commères de Windsor – dit André Lima – tout est tromperie, jeu, représentation, théâtre. L’hypocrisie bourgeoise s’y exhibe avec un double visage l’un publique, l’autre secret. » Et Lima d’adopter le parti pris du théâtre dans le théâtre, de la mise en abîme de la pièce comme si c’était une histoire racontée par Falstaff dans une taverne. Mais Andres Lima surligne inutilement ce procédé , en faisant annoncer à plusieurs reprises par un personnage l’acte, la scène et son titre. L’option scénographique de Beatriz San Juan est de faire évoluer le décor du réalisme de la taverne vers une dimension féerique, magique, de la forêt, le lieu de métamorphose, du théâtre.
Sur scène, un grand carré de planches légèrement surélevé. Et des deux côtés du plateau ,juste des ossatures de constructions en bois, au fond, un genre de fronton d’une maison à deux étages avec porte et fenêtres. Ici et là , des bancs et tables de taverne. Petit à petit les éléments de la taverne vont disparaître et l’espace, où il ne restera que le carré central, sera envahi par des arbres, des troncs aux branches sans feuilles, représentant à la fin la forêt.
Le passage d’un monde réel au fantastique est pris en charge par les costumes, très laids, de Renato Bianchi, inspirés par les costumes d’époque, datés mais caricaturaux soulignant certains éléments, par exemple les braguettes saillantes, etc., et dans la scène de la forêt des déguisements de pacotille, eux aussi assez réalistes, Falstaff couronné de cornes de cerf, des fées avec des petites ailes sur les bras qui font penser plutôt à des personnages de bande dessinée. Dès le départ, la mise en scène manque de rythme, et les répliques sont parfois suivies d’inexplicables pauses, comme si Andres Lima voulait retirer à tout prix de la pièce son énergie, sa folie délirante pour la rendre plus sombre, pesante. Les joyeuses commères de Windsor « comédie polyglotte » est un défi à la traduction. On y parle gallois, italien, latin, français, allemand, flamand et plusieurs niveaux d’ anglais : corrompu par la classe sociale la plus basse, un anglais pédant pour la classe moyenne, un anglais soigné pour la bourgeoisie. Shakespeare multiplie les jeux de mots, déforme et détourne les mots. Plusieurs personnages massacrent l’anglais, s’exprimant avec un accent particulier ou dans leur propre idiome, par exemple le docteur français Caius.
Dans leur traduction très inventive, Jean-Michel Déprats et Jean-Pierre Richard transposent magistralement ces divers niveaux, la diversité des langues, les couleurs, les tonalités, les écarts linguistiques. Mais le résultat sur le plateau est décevant. Tout sonne faux, les accents étrangers et régionaux, le charabia en russe du Docteur Caius, sont soulignés, appuyés avec insistance jusqu’à la caricature. Le jeu réaliste tombe souvent dans une gesticulation grand-guignolesque ou une gestuelle stéréotypée. Le comique est réduit à l’enfilage de gags et d’effets grand-guignolesques répétitifs, outrés: le Pasteur tonsuré brandit tout le temps la croix, le galant Fenton en culottes bouffantes se promène en sautillant, annoncé de temps en temps (on ne sait pas pourquoi) par des clochettes. Bruno Rafaelli s’efforce de rendre la truculence, la bouffonnerie, la friponnerie mais aussi l’humanité de Falstaff, et son personnage rappelle souvent le brave sergent Garcia des aventures de Zorro. Andrzej Severyn, en Docteur Caius, saute, court de tous les côtés, gesticule, grimace, tel un clown grotesque. Christian Hecq en Duflot s’agite et copie Louis de Funès; on l’a connu bien meilleur … Seule, Catherine Hiegel (Madame Pétule) s’en sort avec une certaine crédibilité dans cette mascarade invraisemblable!
Il y a une absence d’invention dans les scènes collectives quand les clients de la taverne écoutent le récit de Falstaff, assit sans bouger,poussent quelques cris d’étonnement ou de curiosité tout aussi artificiels que les rires forcés qui ponctuent abondamment l’actions Les chansons de taverne manquent d’entrain et de conviction, et font penser à une chorale tristounette. À court d’idées fortes ,Andres Lima charge sa mise en scène d’effets ressassés, de clins d’œil, de trucs en ajoutant par exemple dans des répliques, en donnant un accent belge ou cite Brel « ce plat pays qui est le mien » ou « je vous ai apporté des bonbons ». Ou cite Satisfaction (I can get no satisfaction) des Rolling Stones pour souligner la frustration des bourgeois puritains. Bref, une mise en scène vraiment peu glorieuse pour faire entrer cette pièce au répertoire de la Comédie-Française!
Irène Sadowska Guillon
Comédie-Française Salle Richelieu , jusqu’au au 2 mai 2010.
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Les joyeuses Commères de Windsor de Shakespeare, mise en scène d’Andres Lima.
Que dire , puisqu’Irène a tout dit ou presque; la première partie est du genre laborieux et distille un ennui d’ une incomparable qualité! Certes, ce n’est sans doute pas la meilleure des comédies shakespeariennes mais comment peut-on faire pour en arriver là? Andres Lima choisit une scénographie qu’il croit inventive et qui a peu d’intérêt ( sauf les arbres projetés sur écran à la fin de la pièce), ensuite il croit encore aux vertus de la mise en abyme dont les metteurs en scène intelligents se méfient encore plus que de la grippe A: le procédé a beaucoup servi à tout et à n’importe quoi., et le théâtre dans le théâtre on a beaucoupo donné ces temps-ci! Et qui ne se justifie pas du tout ici .
Ensuite, il réunit vingt des meilleurs acteurs de la Comédie-Française et leur laisse faire n’importer quoi, c’est à dire jouer -mal et chacun pour soi, les situations, et jamais les personnages, le tout sans aucune unité et sans aucun rythme , bref sans intelligence scénique. On est tout proche de la caricature: cela seul peut être utile aux élèves des cours de théâtre de voir comment on peut arriver à un tel gâchis! Et ce n’est pas un hasard si nombre de spectateurs ne reviennent pas après l’entracte….
La seconde partie-soyons honnêtes- est tout un petit peu meilleure et , à l’extrême fin, Bruno Raffali, en quelques répliques, réussit à être émouvant, quand le pauvre Falstaff comprend un peu tard et très amer qu’il a été complètement berné. Et il y a une bien belle image quand il reste seul assis avec son vieux valet magnifiquement interprété par Pierre Vial.
Alors à voir? Non, surtout pas et n’y emmenez surtout pas non plus des adolescents qui seraient à jamais dégoûtés de Shakespeare; si vous avez déjà acheté des places, essayez de les refiler à quelqu’un qui ne serait pas du tout de vos amis; quant à Muriel Mayette, on n’a pas de conseils à lui donner; de toute façon, le spectacle a déjà été programmé mais ce que l’on peut souhaiter, c’est qu’il n’y ait pas trop de représentations… Quand on pense que la pièce fait son entrée au répertoire dans de telles conditions, enfin n’en parlons plus.
Pendant ce temps-là, le père Noël était passé à la Comédie-Française: Isabelle Gardien, Michel Robin, Pierre Vial et Catherine Hiegel, (qui jouent tous les deux dans ce dernier spectacle) et tous excellents comédiens, étaient priés sans ménagement de vider les lieux. Le responsable: le comité-élu-de comédiens. Dans le petit monde du théâtre parisien, cette lamentable chose a fait l’effet d’une bombe. Que ce genre de pratiques médiévales puisse continuer à perdurer dans le premier des théâtres nationaux qui est subventionné avec l’argent des contribuables, cela fait froid dans le dos! Même si c’est légal, ce n’est moralement pas bien…
Du côté du Ministère, toujours courageux mais pas téméraire, c’est silence radio; on ose espérer qu’il y aura des suites mais sans trop d’illusions. De toute façon, on vous tiendra au courant dans la mesure du possible. Cela serait bien que Murielle Mayette se fende d’une petite conférence de presse : enfin, ne rêvons pas trop…
Philippe du Vignal