Effroyables Jardins
Effroyables Jardins de Michel Quint, adaptation et mise en scène de Marcia de Castro.
C’est, tiré du roman paru en 90, une sorte de conte moderne: un haut fonctionnaire de la commission européenne des finances qui n’aimait pas les clowns parce que son père , instituteur de province allait régulièrement dans la famille faire le clown mais un jour son cousin Gaston lui raconte comment leurs deux pères qui étaient entrés dans la Résistance, sont arrêtés à la suite d’un sabotage contre un transformateur électrique. Ce qui provoqua immédiatement leur arrestation musclée dans la cave où ils s’étaient réfugiés, et la proclamation d’otages-et leur rapide exécution, si aucun d’eux ne se dénonçait.
Enfermés avec deux de leurs copains dans une fosse qui alimentait en argile une ancienne briquetterie, ils n’ont aucun moyen d’arriver à remonter à la surface, d’autant plus qu’ils sont gardés en permanence par un soldat allemand. Bien entendu, sans nourriture et les pieds baignant dans un fond d’eau froide… Mais le soldat allemand se révèle plus compatissant que prévu et fait tomber « par hasard » des tartines de pâté…Et cela pendant deux jours, en attendant qu’un des leurs se dénonce. Il espèrent un miracle très peu probable qui leur permettrait enfin de sortir épuisés mais vivants de cet antichambre de la mort.
Et impossible, ce miracle va quand même arriver mais de l’extérieur, grâce à une femme intelligente et bigrement solide pour affronter ce type d’épreuves mais nous n’en dirons évidemment rien; souvent dans nos articles , on vous embête avec des appréciations du genre » dramaturgie qui ne tient pas la route », « scénario mal ficelé » ou « histoire peu crédible » mais, là , c’est vraiment du béton et les dieux savent bien que les vieux routiers du théâtre que nous sommes devenus , à force de voir une pièce presque chaque soir , ne s’en laissent pas facilement conter.. Mais, hier Edith Rappoport commençait à pleurer et nous avions, nous, les larmes aux yeux...Et ces soirs-là, du côté émotion, il n’y en a pas tellement!
Sur scène , pour fabriquer ce moment très fort de théâtre, un seul comédien : André Salzet, une table et une chaise. Le début est un peu trop lent , comme une sorte de prologue au récit qui va suivre mais André Salzet qui a acquis, depuis une bonne dizaine d’années, une parfaite maîtrise de ce que l’on pourrait appeler un « conte dramatique », emmène ensuite le public là où il veut, avec rien dans les poches et rien dans les mains, et sans musique. Gestuelle et diction impeccable, sens du rythme , intelligence du texte: il donne à entendre de façon magistrale cet épisode de la Résistance exceptionnel de vérité. André Salzet sait, comme peu de comédiens, installer des personnages, à petites touches, avec beaucoup de sensibilité et sans jamais tomber dans le pathos.Avec, humour et pudeur aux moments les plus durs du récit.
Salzet à la fin, précise qu’en hommage à son instituteur de père disparu,-et c’est , dit-il, authentique-le jeune garçon s’est rendu plus tard, déguisé en clown, à Bordeaux, au procès de Papon, l’ancien fonctionnaire de Vichy…La mise en scène de Marcia de Castro est sobre et efficace; elle aurait sans doute pu faire l’ économie de quelques effets lumineux sans intérêt et répétitifs , mais c’est une broutille. Le spectacle avait remporté un beau succès en Avignon et cela devrait se poursuivre.
En tout cas, on ne vous le répétera pas, mais allez voir ce pur moment de bonheur; théâtral c’est vraiment rare de voir un texte juste et fort ,servi par un interprète aussi discret qu’exemplaire. Si vous n’êtes pas d’accord, dites-le nous mais cela nous étonnerait , ou bien le charme et le savoir-faire de Salzet auraient disparu , ce qui nous étonnerait encore plus!
Philippe du Vignal
Théâtre du Lucernaire jusqu’au 24 janvier 2010.