Cirque contemporain : Traces

traces.jpg Traces, par les Sept doigts de la main conception: Shana Caroll et Gypsy Snider.

    Sept, comme les sept nains, et peut-être qu’ils étaient sept au départ.  Sept aussi pour rire, car en fait ils sont cinq, quatre garçons et une fille, sortis de l’école de cirque de Montréal (Québec), l’une des plus prestigieuses du monde, et des plus exigeantes, il faut bien le dire. Au pays (des neiges) où le cirque du Soleil offre à son patron les moyens de tutoyer les étoiles, les vraies, vues d’un vaisseau spatial, le moins qu’on puisse demander est une qualité extrême des performances. Et là, parfait : mine de rien, par petites approches inattendues la troupe de jeunes virtuoses, pratiquement toujours en scène, nous offre en toute modestie du jamais vu, plein d’humour et de tendresse. 

  Ces danseurs de basket, acrobates de la planche à roulettes, promeneurs sur mât chinois, ballerine de corde verticale, musiciens s’amusent à nous faire attendre, à nous surprendre, à désarticuler avec une suprême astuce le rituel du “numéro“. Il y en a pourtant d’ irrésistibles : comment la jeune acrobate-danseuse, sur son fauteuil culbuto, cherche la position la plus confortable pour lire, où l’on voit son corps rivaliser avec le dessin animé… Et un numéro de cerceaux plus qu’original et audacieux.

  C’est huilé comme une mécanique de précision, et parfaitement frais et spontané.Il y a bien un prétexte –quelles traces allons-nous laisser après une (supposée) catastrophe ? -, il y a bien un décor – trash et urbain, faut faire moderne - : on s’en fiche un peu, attaché à la présence pleine de charme de ces gamins vaillants et inventifs. Petites interventions vers le public maladroites, une chanson folk superflue : ces minuscules critiques sont balayées par le spectacle…

  Une grosse critique, en revanche, concernant le prix des places : au Casino de Paris, ce sera entre 59 et 39 euros ! S’il n’y avait pas les tarifs  offerts par les comités d’entreprise et le tarif enfant, ce serait pour qui, ce jeune cirque ?

Christine Friedel

Au Casino de Paris jusqu’au 4 janvier. Ensuite, en tournée dans toute la France avec (sous réserve : blessure, remplacement…) Antoine Auger, Antoine Carabinier, Lépine, Geneviève Morin, Philip Rosenberg, Nael Jammal.

Photo: © S. Boisvert


Archive pour 15 décembre, 2009

Innocence

Innocence de Dea Loher, mise en scène de Brigitte Barilley

       innocence.jpgDea Loher est maintenant une auteure allemande bien connue dans son pays mais aussi en France, où des pièces  comme Manhatttan Medea, Barbe-Bleue, espoir des femmes et Tatouage- fort  bien monté par Jean-Claude Durand à Théâtre Ouvert il y a cinq ans – ont été jouées depuis maintenant une dizaine d’années. Innocence est une sorte de chronique en dix neuf courtes  séquences de plusieurs destins individuels: celui de  Eliso et Patoul, deux émigrés africains, d’ Absolue, une jeune aveugle très belle qui gagne sa vie comme stripteaseuse  dans un cabaret minable, et d’un  couple: Frantz et Rosa, en proie à une mère abusive , diabétique ,  que l’on va bientôt amputer d’un pied et qui vient s’installer dans leur petit studio,  et enfin d’une autre femme qui prétend être la mère d’un meurtrier, sans que l’on sache très bien  si elle fabule ou non.

  Et il y  a comme une sorte de choeur de sept jeunes gens- le plus souvent muet -qui commente parfois l’action. Ce que nous avons pu voir hier , c’est une étape de travail, un chantier accueilli par Christian Benedetti dans son Théâtre-Studio. Aucun décor, rien que les murs nus de cet ancien  entrepôt muni de passerelles en bois seulement éclairé par quelques projecteurs, mais du vrai théâtre solide et bien foutu.

  C’est,  comme le dit justement Brigitte Barilley,  une sorte de fresque au quotidien, un état des lieux de nos vies, servi par une dialectique implacable et une écriture jubilatoire; Dea Loher peint ici un univers assez glauque où la maladie de la mère de Maria qui réagit avec un parfait cynisme à la dégradation de son corps ( cela tombe bien ,dit-elle, que son gendre ait trouvé un travail aux Pompes Funèbres! )  résonne comme un écho à l’infirmité d’Absolue et à la misère physique et morale des deux émigrés sans papiers qui survivent dans un tour amiantée. Dea Loher tisse habilement  sa fresque en faisant revenir certains personnages parmi d’autres, alors que l’on ne s’y attend pas , et avec un humour ravageur.

  La metteuse en scène a proposé à des habitants d’Alfortville de travailler avec elle sur des scènes chorales, et, ce qui était généreux mais pouvait être risqué, se justifie tout à fait et se révèle être le plus souvent d’une bonne efficacité. Certes, il y a parfois des longueurs dans le texte de Dea Loher qui a été pourtant été élagué;  le  rythme  gagnerait encore à être revu et  certaines séquences comme celles de cette philosophe à la télévision auraient pu être supprimées sans dommage. 

  A ces réserves près, cette mise en scène en chantier,  qui fait preuve d’une belle rigueur et d’une excellente direction d’acteurs, tient déjà bien la route et  devrait normalement  trouver son aboutissement quand le spectacle sera joué d’abord à Orly puis à Paris.

  C’est un bon exemple de théâtre populaire, à la fois exigeant et qui  interroge chacun de nous sur le rapport que nous pouvons avoir avec la société  qui nous entoure, y compris et surtout quand il s’agit comme ici de marginaux auxquels  nous n’avons pas tellement envie d’être confrontés au quotidien, alors qu’ils font les plus sales et/ou les plus ingrats des boulots… Sous une forme à la foi simple et facile d’accès, en réalité beaucoup moins simple quand on va y voir de plus près! Un petite leçon de philosophie dispensée avec beaucoup d’élégance et de savoir-faire par Brigitte Barilley .

 

Philippe du Vignal

Innocence a été joué au Théâtre-Studio d’Alfortville le 14 et 14 décembre, et sera repris du 23 au 29 janvier à Orly, puis au Théâtre de L’Atalante à Paris  (dates à confirmer)

L’Imposture d’Evelyne de la Chenelière, mise en scène par Alice Ronfard

 L’Imposture d’Evelyne de la Chenelière, mise en scène par Alice Ronfard

 La pièce propose de subtiles variations entre le vrai et le faux, et  l’auteure décrit une famille qui paraît être exemplaire. La mère, Eve (Violette Chauveau) écrivaine québécoise réputée, est une sorte de monstre sacré qui sacrifie tout à sa carrière. Le père, Bruno (Erwin Weche) n’est ni méchant, ni absent, ni oppresseur. Mais, à la fois tendre et fort, il accepte les moments agités de la vie de sa femme, et n’est pas jaloux de son succès. Ils ont deux enfants, Léo (Francis Ducharme) et Justine (Sophie Cadieux) et sont entourés d’amis.
   

La narration de Léo nous fait entrer dans l’univers familial où domine sa mère et ses œuvres. Eve désire que son dernier livre, Le Roman de ma mère, soit publié sous le nom de son fils; aux yeux du public, l’auteur est Léo qui finit par accepter ce projet de sa mère. Par moments, on voit sur grand écran des fragments de l’interview télévisée de Léo sur le livre. Mais  peu à peu le spectateur comprend que ce qu’il voit  n’est pas vraiment la vie d’Eve, mais l’image que le fils a de sa mère. L’imposture est partout, à tous les niveaux, et les frontières entre fiction et  réalité sont vagues: un mensonge peut devenir vérité, selon la façon dont on présente les événements.

Une création fascinante et grâce à son regard observateur, mêlé d’ironie douce, Evelyne de la Chenelière décrit la réalité de façon poétique et humaniste, et propose une beauté du monde, que seule rend possible l’enchantement du présent. Eve, écrivaine mais aussi mère de deux enfants se pose des questions sur l’écriture et son rôle de mère, et vit une dualité humaine et artistique

La mise en scène d’Alice Ronfard charme le public par sa poésie et sa clarté. L’illusion théâtrale est accentuée ici par la conception cinématographique de certaines scènes toutes en nuances qui proposent une vision différente, comme s’il y avait plusieurs caméras sur le plateau où le décor de  Gabriel Tsampalieros évoque des espaces abstraits illustrant l’imaginaire des personnages  et  les différents niveaux de temporalité. Le décor devient parc puis graffitis et brouillons.

Les lettres deviennent ainsi des entités présentes qui s’agrandissent ou se dilatent, suggérant  la dimension poétique des livres et de l’écriture. L’ alternance entre réel et métaphore invite le spectateur à entrer dans l’illusion théâtrale, tout en lui proposant une dimension épicurienne de l’existence. Il y a chez l’auteure, l’idée que la vie et le bonheur sont éphémères mais que nous pouvons trouver une consolation dans la douceur et le partage de moments familiaux et amicaux…

Maria Stasinopoulou

 La pièce a été jouée  au Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal (Canada) jusqu’au 12 décembre.
    

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