L’Imposture d’Evelyne de la Chenelière, mise en scène par Alice Ronfard
L’Imposture d’Evelyne de la Chenelière, mise en scène par Alice Ronfard
La pièce propose de subtiles variations entre le vrai et le faux, et l’auteure décrit une famille qui paraît être exemplaire. La mère, Eve (Violette Chauveau) écrivaine québécoise réputée, est une sorte de monstre sacré qui sacrifie tout à sa carrière. Le père, Bruno (Erwin Weche) n’est ni méchant, ni absent, ni oppresseur. Mais, à la fois tendre et fort, il accepte les moments agités de la vie de sa femme, et n’est pas jaloux de son succès. Ils ont deux enfants, Léo (Francis Ducharme) et Justine (Sophie Cadieux) et sont entourés d’amis.
La narration de Léo nous fait entrer dans l’univers familial où domine sa mère et ses œuvres. Eve désire que son dernier livre, Le Roman de ma mère, soit publié sous le nom de son fils; aux yeux du public, l’auteur est Léo qui finit par accepter ce projet de sa mère. Par moments, on voit sur grand écran des fragments de l’interview télévisée de Léo sur le livre. Mais peu à peu le spectateur comprend que ce qu’il voit n’est pas vraiment la vie d’Eve, mais l’image que le fils a de sa mère. L’imposture est partout, à tous les niveaux, et les frontières entre fiction et réalité sont vagues: un mensonge peut devenir vérité, selon la façon dont on présente les événements.
Une création fascinante et grâce à son regard observateur, mêlé d’ironie douce, Evelyne de la Chenelière décrit la réalité de façon poétique et humaniste, et propose une beauté du monde, que seule rend possible l’enchantement du présent. Eve, écrivaine mais aussi mère de deux enfants se pose des questions sur l’écriture et son rôle de mère, et vit une dualité humaine et artistique
La mise en scène d’Alice Ronfard charme le public par sa poésie et sa clarté. L’illusion théâtrale est accentuée ici par la conception cinématographique de certaines scènes toutes en nuances qui proposent une vision différente, comme s’il y avait plusieurs caméras sur le plateau où le décor de Gabriel Tsampalieros évoque des espaces abstraits illustrant l’imaginaire des personnages et les différents niveaux de temporalité. Le décor devient parc puis graffitis et brouillons.
Les lettres deviennent ainsi des entités présentes qui s’agrandissent ou se dilatent, suggérant la dimension poétique des livres et de l’écriture. L’ alternance entre réel et métaphore invite le spectateur à entrer dans l’illusion théâtrale, tout en lui proposant une dimension épicurienne de l’existence. Il y a chez l’auteure, l’idée que la vie et le bonheur sont éphémères mais que nous pouvons trouver une consolation dans la douceur et le partage de moments familiaux et amicaux…
Maria Stasinopoulou
La pièce a été jouée au Théâtre du Nouveau Monde, à Montréal (Canada) jusqu’au 12 décembre.