Sin Sangre

Sin Sangre par la compagnie chilienne Teatrocinema, adapté du roman d’Alessandro Baricco par Juan Carlos Zagal et Laura Pizarro, mise en scène Juan Carlos Zagal

sinsangre.jpg   Issus de la compagnie chilienne La Troppa dont le mémorable spectacle Gemelos d’après Le grand cahier d’Agota Kristof a tourné en Europe pendant des années, Laura Pizarro et Juan Carlos Zagal ont créé en 2006, avec l’auteur et scénariste Dauno Totoro Taulis, Teatrocinema qui a pour ambition de faire fusionner théâtre et le cinéma. « Un laboratoire esthétique qui réunit dans une même unité graphique les effets narratifs d’un vocabulaire de l’image propre au cinéma et ceux, propres au théâtre, d’une troupe incarnant les personnages en live sur le plateau ».
Cette hybridation des arts est mise en œuvre dans Sin Sangre: « Nous cherchons de nouveaux langages dramatiques et de nouvelles formes pour mettre en scène des œuvres où les personnages héroïques ou anonymes sont des phares, des points de référence » explique Juan Carlos Zagal. Le roman d’Alessandro Baricco a en effet à la fois la dimension politique et métaphorique de toutes les guerres, guerres civiles ou dictatures qui produisent des enchaînements sans fin de violence, de vengeance meurtrière perpétrées souvent au nom de la justice ou de la lutte pour un monde meilleur.
Même si le spectacle ne se réduit pas cela, le thème de la mémoire des crimes  qui ont ensanglanté le Chili,  de la vengeance et du pardon nécessaire à la cohabitation, au sein d’une  même société, des victimes et de leurs bourreaux, est ici clairement lisible. Quand on situe les choses dans une perspective de générations et de liens du sang,  les vengeurs des crimes, les justes, ne sont-ils pas devenus à leur tour des assassins ? La vengeance est-elle toujours juste et justifiable lorsqu’elle répond au crime par le crime, perpétuant ainsi la chaîne meurtrière ?
Le docteur Manuel Roca, ancien tortionnaire réputé pour sa cruauté et surnommé « la hyène », recherché pour ses crimes, qui vit paisiblement dans sa ferme de Mato Rujo, est débusqué et tué par trois hommes, vengeurs de ses victimes. Avant de mourir criblé de balles, il cache sa petite-fille Nina sous le plancher. Témoin de l’assassinat de son père et de son jeune frère, Nina, épargnée par un des assassins, est la seule rescapée du massacre.
Cinquante ans après elle reconnaît dans un vendeur de billets de loterie, qu’elle croise dans la rue, le dernier survivant des trois tueurs de sa famille, celui qui lui a laissé la vie sauve. Au gré du dialogue qui s’engage entre eux, les faits ignorés par Nina apparaissent, et son histoire, tel un puzzle, se recompose. Elle a été recueillie en effet par un pharmacien, complice des crimes de son père, et, pour ne pas être dénoncé, il la met en jeu dans une partie de poker qui sera gagnée par un comte mêlé à l’assassinat du père de Nina. Au lieu de supprimer le témoin de ce meurtre,  le comte l’épouse.

  À sa mort, désavouée par ses trois enfants, Nina, déclarée folle par sa belle-famille, est enfermée dans un asile dont elle s’évade.  Et sa  vie est  désormais vouée à la recherche des tueurs de son père. Elle en exécute deux d’entre et  le troisième, à qui , paradoxalement, elle doit la vie, est face à elle. Mais à mesure qu’ils se parlent, que leurs points de vue, leurs versions des faits, se confrontent, se contredisent, leurs certitudes , à cause du temps passé,  se relativisent, voire perdent leur sens.
Pour Nina, au vu de l’histoire de sa vie, la distinction entre bourreaux et victimes, vengeurs et assassins, n’est plus possible à faire. Le présent ne dément-il pas les belles utopies du monde meilleur qui justifiaient pour Tito et ses camarades la violence et le meurtre ? Leur soif de justice n’était-elle pas en réalité une rage de vengeance pour des motifs personnels ? Vaste question
Mais qu’en est-il de son traitement théâtro-cinématographique ? L compagnie chilienne fait preuve d’un art consommé du langage et des moyens filmiques: flash-back, flash forward, ellipse, gros plan, panoramique, coupe fondue, plongée et contre-plongée, changement instantané de l’axe de la caméra, etc. Les plans spatio-temporels, comme les visions mentales obsessionnelles du passé, interfèrent en permanence,avec  le présent ou apparaissent parfois simultanément.
Un grande toile transparente sur laquelle on projette un film en trois dimensions où s’encastre, bien  synchronisé, le jeu des acteurs  qui, derrière,  interprètent plusieurs personnages. Les éléments réels du décor : rambarde de balcon, fragment de voiture, pistolets-mitrailleurs, tables, chaises, mur de la maison, apparaissent sur le plateau,  s’intègrent et complètent les images réalistes des lieux filmés (route, forêt, ferme de Roca, rue, café, hôtel) où parfois s’impriment des images mentales qui hantent les personnages, comme la  vision obsessionnelle de meurtres ou des  scènes  regardées d’un autre point de vue. Ainsi, la partie de poker entre le pharmacien et  le Comte, racontée par Nina, apparaît dans une image simultanément  jouée sur scène et projetée.
Certaines situations du récit fait par Tito et  Nina apparaissent seulement en projection et la condensation du temps s’opère parfois par  le biais d’une tournette qui réunit les personnages des différents plans temporels. Mais, si cette performance est  éblouissante, le théâtre devient souvent le faire-valoir de la narration filmique. Et les acteurs  qui ont des micros HF donnent l’impression d’être devant une caméra, avec un jeu outré, et caricatural, finalement peu convaincant,  qui rappelle  le cinéma muet., le tout sur  un rythme inégal, parfois étiré sans raison.

  Les scènes du début  où  les tueurs font la route en voiture, l’attaque de la ferme et la tuerie avec abondance de cris, de gémissements et  de coups de feu, s’étirent à n’en plus finir. Même chose dans le final englué dans le pathos. Quant à la musique,  qui ressemble à une bande-son de film, elle ne sert en rien la dramaturgie et couvre  un dialogue monotone; bref,  cette apparente fusion du théâtre et du cinéma ressemble fort à un mariage blanc…

Irène Sadowska Guillon

Sin Sangre (en espagnol avec surtitrage)
Théâtre des Abbesses
jusqu’au 19 décembre  T: 01 42 74 22 77

 

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