Un soir à Montparnasse, Au cabaret des années folles
Un soir à Montparnasse, Au cabaret des années folles, spectacle musical conçu par Hélène Delavault et Vincent Colin.
Sur scène, un paravent avec des motifs vaguement Arts Déco, une table qui se voudrait table de peintre, puisqu’il y a un pot avec des pinceaux, les deux pas très réussis, et côté jardin, un pianiste accompagnateur devant un piano à queue noir, le tout éclairé par deux abat-jours en tôle avec ampoule à grands filaments comme autrefois les ampoules des wagons de métro…. Le spectacle est un montages de textes et de phrases empruntées aussi bien à des écrivains comme Desnos, Aragon, Colette,Tzara, Cocteau, Radiguet, Artaud,Peret, Soupault et Breton dont paraissent en 1919 Les Champs magnétiques, première tentative d’écriture automatique, dans le sillage du mouvement Dada, il y a déjà presque un siècle et le Manifeste du Surréalisme, bombe littéraire et artistique en 1924 .
Il y a aussi dans ce spectacle des chansons écrites par des compositeurs maintenant des plus « classiques » comme Darius Milhaud, Poulenc, Gabriel Fauré , Erik Satie, Willemetz ; Et tout cela se passe dans ce petit territoire , comme le dit le peintre André Masson, qui va du carrefour Vavin à la Gare Montparnasse, et qui était comme un salon en plein air sous les étoiles. La guerre de 14 était enfin finie, et il y avait sans doute dans l’air une formidable volonté de revanche sur la vie; et, dans son sillage une bombe, celle-ci bien pacifique, celle de l’art moderne: arrivèrent ainsi, parfois de province ou de l’étranger, des peintres et sculpteurs inconnus au bataillon- Picasso, Léger, les deux frères Duchamp, Zadkine, Foujita venu de son Japon natal, Braque, Modigliani, Derain, Soutine, Giacometti, Man Ray, Picabia, Brancusi , etc… Cela suffit à donner le vertige!
Soit la plus forte concentration au monde d’artistes, d’écrivains, et compositeurs dont certains font parfois l’aller et retour entre le Front et leur quartier préféré qui devait ressembler encore un peu à la campagne; Hemingway raconte que , rue Notre-Dame des Champs où il habitait, il achetait des fromages de chèvre à une dame qui passait avec son petit troupeau… Quant au théâtre, cela aussi a été un peu oublié, mais c’est Baty qui accueillit dans son Théâtre Montparnasse dès 1930 l’Opéra de Quat’sous de Brecht et Weill. Côté music-hall,les formdidables: Mayol , Yvette Guilbert, Damia, Fréhel dont Hélène Delavault reprend aussi quelques chansons.
La France était encore traumatisée par l’hécatombe de la guerre où, en quelques années, 600.000 femmes se retrouvèrent veuves et où nombre de combattants comme Apollinaire furent gravement blessés ou amputés. C’était aussi l’époque où, on l’oublie trop souvent, il y eut, même si cela ne concernait qu’un petit milieu parisien, comme un frémissement de libération sexuelle et une volonté affichée d’homosexualité féminine et de refus du mariage. Etre mariée, disait Colette, c’est se voir reprocher que la côtelette est trop cuite… Et La Garçonne,roman de Victor Marguerite, connut un succès retentissant …comme quelque 70 ans plus tard , La vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet.. Margueritte, à cause du scandale provoqué se fit retirer la Légion d’Honneur, ce qui suffit à prouver que le but avait été atteint.
Bref, une époque où Montparnasse, quartier très populaire qui n’avait rien à voir avec ce qu’il est devenu, devait rassembler à un bouillon de culture exceptionnel dans ses cafés et était la figure de proue d’une contestation réelle de l’ordre établi. Hélène Delavault et Philippe Blancher font alterner chansons, et extraits de textes dont le nom de l’auteur apparaît fugitivement en projection sur la table de peintre; ce sont d’excellents professionnels comme Cyril Lehn, pianiste accompagnateur, et pourtant quelque chose ne va pas.
On ne s’ennuie pas vraiment mais c’est tout juste; la faute à quoi? Sans doute Vincent Colin et Hélène Delavault auraient-ils eu intérêt à simplifier cette course-poursuite de petits textes, voire d’aphorismes qui n’ont pas vraiment de relation avec les chansons et donnent au spectacle un ton assez monotone, sans beaucoup de rythme, qui se termine plutôt qu’il ne finit. Sans doute la matière était-elle trop abondante, pour la traiter en une heure et quart avec deux comédiens-chanteurs, et il y a un côté un peu bcbg, là où il aurait fallu plus de violence et plus de folie pour traduire toute l’effervescence de cette époque.
Comment faire quand on veut parler de tous ceux qui avaient comme dénominateur commun ce quartier de Paris, et qui ont construit , et la littérature, et l’art moderne, mais dont la plupart des spectateurs ne connaissent sans doute que le nom et encore…Il y a un beau moment à la fin quand Hélène Delavault et Philippe Blancher énumèrent , comme sur un monument aux morts, tous ces artistes disparus depuis longtemps maintenant mais bon pour le reste… A mission presque impossible, nul n’est tenu; le thème est sans doute le type même du faux bon sujet et le spectacle, même bien fait, est décevant…
Alors à voir? Si vous y tenez…mais on vous aura prévenu. Si vous avez envie d’en savoir plus sur le Montparnasse de l’époque, offrez-vous ou empruntez la merveilleuse série cultissime des films de Jean-Marie Drot…
Philippe du Vignal
L’image ci-dessus est un détail d’un tableau de David Schneuer (1905-1988); d’origine polonaise, il séjourna quelques mois à Paris puis trvailla à Munich avec Bertold Brecht, comme décorateur et affichiste, puis après avoir été détenu à Dacha émigra en Israël jusqu’à sa mort.
Théâtre du Lucernaire jusqu’au 23 janvier.