L’Age d’or du théâtre polonais
L’Age d’or du théâtre polonais
De Mickiewicz à Wyspianski, Grotowski, Kantor, Lupa, Warlikowski…
Dirigé par Agnieszka Grudzinska et Michel Maslowski
Publié dans le cadre des travaux du Centre de recherche sur les cultures et les littératures de l’Europe centrale, orientale et balkanique à l’Université de la Sorbonne Paris-IV, cet ouvrage rassemble un certain nombre de contributions au colloque organisé en 2006 autour du rituel dans le théâtre polonais. Il aborde à travers les articles des spécialistes du sujet polonais, français, italiens et slovaques, les divers aspects de la ritualité et ses manifestations dans les courants esthétiques qui ont marqué la création théâtrale polonaise depuis le XIXe siècle.
Faisant remonter, quelque peu arbitrairement, l’origine du théâtre polonais à la première moitié du XIXe siècle, et notamment à l’œuvre patriotique Les aïeux d’Adam Mickiewicz, poète et écrivain, émigré à Paris après l’échec de l’insurrection de 1830 contre l’occupant russe, on inscrit ainsi d’emblée ici les principales et les plus marquants créateurs du théâtre polonais dans l’héritage ou dans le sillage du drame romantique mickiewiczien.
« Tout est parti des Aïeux, quant au développement original du théâtre polonais, sans parler de son poids dans la culture et la spiritualité. » déclare Michel Maslowski, codirecteur de l’ouvrage. Ainsi le théâtre polonais sortirait-ils Des Aïeux, telle Athéna de la cuisse de Jupiter.
Structuré en sept parties, l’ouvrage aborde d’abord les questions de la méthodologie et de la tradition à travers des articles de Leszek Kolankiewicz sur l’approche du rituel, de Jean-Marie Pradier analysant le rituel dans le contexte de l’ethnoscenologie et de Michel Maslowski donnant en quelque sorte, à partir de son étude de la structure rituelle Des Aïeux et de ses conséquences esthétiques, une grille de lecture du théâtre polonais. De sorte que Les Aïeux serait à la fois l’équivalent de la « structure œdipienne » littéraire et la scène primitive du théâtre polonais.
Le point de vu ainsi orienté, on passe dans la deuxième partie de l’ouvrage à l’exploration de la mise en scène du drame romantique, prise en charge par Jacek Popiel, Marina Fabbri et Malgorzata Dziewulska.
Suive en troisième partie « Constellation Grotowski » les réflexions de Ludwik Flaszen sur les bases théoriques du travail de Grotowski, la mise en relation de l’acte de théâtre total de Grotowski et d’Artaud par Monique Borie, enfin un regard sur l’enseignement de Grotowski au Collège de France par Grzegorz Ziolkowski.
Au chapitre quatre « Constellation Kantor » Zbigniew Osinski enquête sur les postures de Kantor et de Grotowski face au théâtre symboliste de Stanislaw Wyspianski, Amos Fergombé questionne le rituel kantorien comme poïetique de dépassement de la mort et Gérard Conio brosse un pertinent tableau de la scène plastique polonaise comme métaphore du futur antérieur depuis Witkiewicz à Kantor et à Znorko.
La partie suivante regroupe diverses recherches rituelles dont celle de Leszek Madzik, avec sa compagnie Scena Plastyczna (par Dominika Larionow), les divers traitements scéniques de la ritualité dans Le Dibbouk (par Agnieszka Grudzinska), la démarche, entre anthropologie et art, de la compagnie Gardzienica (par Joanna Pawelczyk), le parathéâtre de Rena Mirecka, issue du théâtre laboratoire de Grotowski (par Magdalena Dos).
On enchaîne dans la partie suivante avec les approches des rapports au rituel et de ses formes dans la création actuelle chez Krystian Lupa et les créateurs dits « Brutalistes » : théâtre comme lieu de connaissance pour Krystian Lupa (par Grzegorz Niziolek) théâtre rimbaldien de Krzysztof Warlikowski (par Georges Banu), quête du rituel aujourd’hui (par Piotr Gruzczynski), le rituel de la mémoire au théâtre (par Mateusz Borowski et Malgorzata Sugiera).
En guise de conclusion, quelques témoignages français de Pierre Guicheney sur l’héritage de Jerzy Grotowski, de Katharina Seyferth, ancienne élève de Grotowski et de Charles Tordjman qui, affirmant que « le rituel est un jeu » met le point final à cet ouvrage apportant des analyses percutantes de certaines démarches et de leurs liens avec la ritualité mais aussi irritant par moments par la tendance coutumière des Polonais a s’auto admirer et à dresser des piédestaux aux grands génies de la patrie. L’importance attribuée à Mickiewicz et à son héritage me semble exagérée, tout comme la célébration de son génie et de son œuvre.
Cela me rappelle le « catéchisme littéraire » seriné aux écoliers polonais, les enjoignant d’admirer le grand poète polonais Adam Mickiewicz qui est grand puisque nous l’admirons, cela va de soi. Witold Gombrowicz, qui lui aussi curieusement se trouve ici inclu parmi les héritiers de Mickiewicz, met justement en dérision cette dévotion patriotique vouée au grand poète dans son roman Ferdydurke.
Parmi les héritiers « paradoxaux » des Aïeux de Mickiewicz figurent aussi Witkiewicz (sa révolte contre la tradition romantique étant considérée comme une forme de continuité), les metteurs en scène Jerzy Grzegorzewski, Krystian Lupa (pour la spiritualité qui imprègne ses spectacles), Krzysztof Warlikowski abordant l’homosexualité et les pulsions morbides de l’homme, Jan Klata montrant, dans une esthétique néoréaliste, la misère humaine dans les bas-fonds de la société.
La conception de l’acte théâtral comme « messe esthétique », la recherche de la ritualité seraient une spécificité du théâtre polonais selon Maslowski qui reconnaît tout de même que les Polonais n’en ont pas le monopole. Ils se distinguent en revanche par l’esprit mystique voire messianique, la religiosité exacerbée et un catholicisme sclérosé, obscurantiste, qui reprend d’ailleurs aujourd’hui du poil de la bête.
La spiritualité imprègne profondément le théâtre polonais, souligne à gros traits Maslowski, qui ne peut s’empêcher d’évoquer à cet égard les exploits théâtraux d’un certain Karol Wojtyla, alias Jean-Paul II, lui aussi évidemment héritier de Mickiewicz.
Et ce n’est pas tout. Rappelant la célèbre mise en scène des Aïeux par Kazimierz Dejmek en 1967 qui stigmatisait l’oppression soviétique et dont l’interdiction par le pouvoir communiste a provoqué des émeutes d’étudiants et les protestations des intellectuels, Maslowski fait remonter à cet événement la création du Comité de Défense des Ouvriers puis en 1980 le syndicat « Solidarnosc ».
De là on pourrait dire que les vers des Aïeux retentissants tels les trompettes qui ont fait tomber les murs de Jéricho, ont fait choir le mur de Berlin. Bref, il est grand temps de couper ce cordon ombilical enchaînant le théâtre polonais au poète, père de la nation et aux Aïeux.
Si le théâtre tire son origine du rite, du rituel, celui-ci n’est pas pour autant sa finalité.
« Dans le monde moderne, la ritualité apparaît de plus en plus comme un refuge de la vérité humaine face au mensonge du discours. Et au temps de la mort de Dieu elle est le lieu de la présence du sacré » dit Maslowski. Et si au lieu de se réfugier dans le rite on allait affronter, combattre, le mensonge du discours politique, idéologique, économique mais aussi celui des pseudo intellectuels et des guides spirituels, qui empoisonnent le monde dans lequel nous vivons ? Amen.
Quatre cahiers de photos intégrés dans le livre retracent l’histoire scénique de certaines œuvres fondamentales du théâtre polonais. Ainsi diverses mises en scène des Aïeux de Mickiewicz, de Libération et des Noces de Wyspianski, de Tango de Mrozek, du Mariage de Gombrowicz, plusieurs photos de spectacles de Grotowski, Kantor, Lupa, Warlikowski, etc.
Pas d’index qui serait pourtant utile, en revanche on y trouve d’amples notes biographiques des participants au colloque et des auteurs des articles avec une longue liste de leurs publications, titres et décorations.
Irène Sadowska Guillon
L’âge d’or du théâtre polonais de Mickiewicz à Wyspianski, Grotowski, Kantor, Lupa, Warlikowski…
Sous la direction d’Agnieszka Grudzinska et Michel Maslowski
Éditions de l’Amandier, Paris 2009
452 pages, prix 20 €