Raoul

  Raoul, mis en scène et interprété par James Thierrée.200910011258w350.jpg

   James Thierrée, à 35 ans, est devenu depuis une dizaine d’années unes des valeurs les plus sûres d’un théâtre visuel  et poétique, (La Symphonie du hanneton, La Veillée des Abysses ou Au revoir parapluie) et son travail d’une qualité exceptionnelle a été couronné en 2006 de 4 récompenses aux Molières.
  Cette fois, il est seul sur scène  avec, par moments, une sorte de double qui vient le hanter. Sur le  plateau du Théâtre de la Ville, de grandes toiles blanches rapiécées suspendues à des perches évoquent les voiles des navires d’autrefois.

  James Thierrée arrive dans le noir,par la salle , un casque en cuir sur la tête muni d’une lampe. Un peu sur le côté de la scène, une espèce de petite cabane  faites de longues perches métallique posées verticalement; comme un refuge avec, au sol, un tapis et sur le côté, un rideau rouge usé jusqu’à la corde; dans le fond,un vieux fauteuil et une petite table où trône un phonogramme au pavillon en cuivre, et  un tonneau métallique d’où il tirera différents accessoires dont un violon. Mais pour le moment, il « se contente » de monter aussi vite qu’un écureuil sur les parois de cette cabane. Dès le début,  la grâce et l’énergie qu’il déploie sont impressionnants. D’un seul coup, les perches métalliques tombent, tandis qu’il s’apprête à voler dans les  airs. Bref, juque dans la scénographie, il a de la magie dans l’air…

  Le vent souffle dans les grandes voiles blanches, et il y a des images fabuleuses où on le voit passer comme une sorte d’elfe bondissant. Mais, quand il rentre dans sa cabane ,une sorte de double un peu mystérieux et inquiétant l’attend. Puis face à lui-même, il se met à esquisser quelques pas de danse, puis un phoque essaye de pénétrer dans son refuge, et il va employer toute sa force à le refouler. L’histoire de ce Raoul , en fait, si on a bien compris, n’est que peu d’importance , puisqu’il dit lui-même qu’il ne va pas la raconter…
   Mais  James Thierrée-et c’est l’essentiel-sait utiliser comme personne toute les ressources d’un théâtre à l’italienne: le vent souffle de nouveau dans les grandes voiles:  « J’utilise, dit-il, jusqu’à la moelle épinière, la machinerie théâtrale, ses poulies, ses cintres , je suis friand  des effets manuels. Je ne suis pas versé dans les nouvelles technologies ». Effectivement,il n’y pas la moindre vidéo, qui est devenue un des stéréotypes du théâtre contemporain,  pas le moindre effet spécial,  même les animaux qui viennent le hanter sur scène sont faits de roulettes et de simple tissu tissu , comme cet étrange insecte  qui émerge du mur de la cabane, comme aussi cette incroyable et très poétique méduse ou et cet éléphant à la lourde démarche,  plus vrai que nature.

  Et, pendant une heure vingt que dure ce spectacle sans paroles, il est là, avec une présence  et une virtuosité incroyables: il passe d’ acrobaties aériennes à un air de violon puis à une petite chorégraphie  ou à une marche sur place, sans le moindre à-coup. Les gags visuels et/ou sonores se succèdent, et c’est toujours aussi brillantissime.
Et petit à petit, la cabane va se déconstruire sans que personne n’y ait touché, et le vieux  tapis disparaîtra avec ses meubles absorbé sous les grandes voiles blanches; quant à lui, enfin seul et, débarrassé de son double encombrant, il montera, dans le noir, la tête enveloppée de son casque à lumière, verticalement vers le ciel. Etonnant et splendide à la fois.
   L’ovation de la salle a été unanime; pourtant, l’on peut sentir à quelques  détails- entre autres, certaines longueurs et un manque évident  de fil rouge- que James Thierrée est peut-être arrivé à un tournant de son aventure artistique, et il est aussi évident que, malheureusement, les années auront raison  de  cette  force physique indispensable à de telles acrobaties. Mais il faut avoir vu ses précédents spectacles pour s’en rendre compte; et  comme James Thierrée est aussi , par ailleurs, un excellent comédien et metteur en scène , il est sans doute capable de concevoir d’autres spectacles d’un genre différent.

  En tout cas, si vous avez le bonheur de trouver une place, n’hésitez pas, et on ne peut que remercier Emmanuel Demarcy-Motta  pour le beau cadeau qu’il  nous  offre  en le programmant à nouveau au Théâtre de la Ville.

Théâtre de la Ville, jusqu’au 5 janvier.


Archive pour 21 décembre, 2009

Tour Babel

Tour Babel, texte de Matthieu Malgrange, mise en scène de Bruno Thircuir.

  2009bagnoletbabel.jpg L’Atelier du Plateau et La fabrique des petites Utopies   ont  réuni leur savoir-faire et l’énergie de leurs équipes pour construire cet sorte de conte urbain autour du mythe de Babel et qui rassemble des artistes de cirque , surtout acrobates , funambules , comédiens  et musiciens,  plus d’une douzaine  sur le petit plateau  entouré de gradins dans un chapiteau pouvant accueillir quelque quatre cent personnes. Dehors , près des petites caravanes , il y a deux  fûts métalliques avec du feu de palettes et un camion bar.
 Il y a de nombreuses familles et beaucoup d’enfants; cela commence par un dialogue sur un banc qui fait penser bien sûr au fameux Godot, et puis les numéros se succèdent avec beaucoup de virtuosité, accompagnés par quelques musiciens. Grâce à la remarquable mise en scène de Bruno Thircuir, très précise, et à la  moins remarquable scénographie de François Gourgues  qui a conçu un plateau avec des  praticables qui se soulèvent , un escalier en métal qui se déplie et des trappes un peu partout: cela ressemble à un jeu de construction  pour enfants, et  le spectacle commence plutôt bien. Et il y a souvent des images d’une grande qualité comme cette fusion érotique de deux amants autour d’une corde, juste éclairés par le pinceau d’un projecteur ou cette funambule qui colle des roses rouges  sur la rampe où elle monte lentement. Tout cela fonctionne  sans à-coups malgré le nombre important d’acrobates et de  comédiens qui investissent cette petite scène.
 Oui, mais… il y a un manque d’unité flagrant avec le texte de Matthieu Malgrange, écrivain associé depuis près de dix ans à l’Atelier du Plateau. « Ici, on entend les larmes, la tendresse, la bêtise, le désir insatiable de vivre ensemble, et le rire des gosses qui font des doigts pleins d’honneur et de rage. » On veut bien mais ce texte que l’on perçoit mal à cause d’une mauvaise balance avec la musique  assez prégnante,  ne parait pas être d’une qualité exemplaire et susceptible d’entrer en relation réelle avec ce que l’on voit sur scène. Comme s’il y avait une frontière entre les images et les mots; Et ce n’est sûrement pas ce que Bruno Thircuir a voulu. C’est  dommage, vu le capital d’énergie dépensé et l’évident savoir-faire de ces circassiens qui prennent souvent de grands risque physiques.
 Alors à voir?  C’est selon: oui, pour le travail des acrobates  qui mérite un grand respect; non ,pour la conception de ce spectacle beaucoup trop long et  qui aurait dû être beaucoup mieux pensé pour arriver à être vraiment convaincant.

Philippe du Vignal

Le spectacle a été créée au printemps dernier et s’est posé dans le Parc de Bagnolet pendant dix jours. A suivre en tournée…

Désiré

   Désiré de Sacha Guitry, mise en scène de Serge Lipszyc.

   iris2918977901836683774.gifSacha Guitry,  mis au au placard dans le théâtre public depuis sa mort en 57 , qui a écrit quand même plus de cent pièces-sans doute inégales et plus de trente films dont beaucoup d’adaptations des dites pièces,  a réapparu ces dernières années, notamment avec une mise en scène de Daniel Benoin à Nanterre. Mais une pièce comme Désiré, créée en 1937,  a continuée à être jouée dans le théâtre privé et a fait l’objet de plusieurs films,  dont un avec Jean-Paul Belmondo réalisé par Bernard Murat.
   Désiré, c’est l’histoire d’une belle jeune femme, Odette Cléry qui vit plus ou moins avec le ministre des Postes,  Félix Montignac qui l’entretient  luxueusement. Ils dînent dans leur appartement parisien, servis par deux domestiques, Madeleine, une belle femme de chambre et la cuisinière. Et Sacha Guitry en profite pour faire une peinture  assez  cruelle des rapports entre domestiques et patrons. Sûrement des plus justes, puisque sa propre femme de chambre, sidérée par tant de précisions dans l’écriture,  l’avait soupçonné d’écouter aux portes!
 Et les conversations en cuisine ne manquent en effet ni de piquant ni de cynisme  » çà fait ma neuvième place et je peux dire sans mentir que je n’ai jamais entendu mes patrons parler d’autre chose que d’argent ou de domestiques, à moins qu’ils ne s’engueulent ». « Ah! la la , et en plus, ils voudraient qu’on les aime! Ou encore:  » « Quelquefois, ils finissent tout de même par vous épouser. Pour ne plus avoir à vous payer du tout, ou bien quand ils deviennent gâteux », remarque finement la femme de chambre qui, elle, malgré de bons et loyaux services en tout genre, n’a pas réussi à se faire épouser par son précédent patron…   

  Deux mondes en fait,  qui vivent très proches l’un de l’autre et qui n’ont pas ni grand chose à se dire ni à faire ensemble, sauf l’amour en général quand les femmes de chambre doivent déniaiser les adolescents ou passer quelques nuits  dans le lit de leur patron, et elles n’avaient sans  doute pas intérêt à refuser … La société a bien changé, encore que…mais l’analyse de Guitry reste des plus fines et des plus pertinentes. 
  Donc Odette- comme c’est affreux! -n’a de  plus de valet de chambre, et cela tombe d’autant plus mal qu’elle et son amant  doivent partir le lendemain pour Deauville. Il est près de 23 heures quand, heureusement le hasard fait bien les choses,  arrive Désiré Tronchais, envoyé par une agence de placement malgré l’heure tardive. C’est un jeune et bel homme, bien habillé et aux manières raffinées,  qui fait forte impression sur la femme de chambre et la cuisinière qui  vont lui prodiguer des conseils pour obtenir l’emploi convoité; il est,  bien entendu, c’est l’usage aussi courant qu’hypocrite, muni de certificats forts élogieux de ses précédents employeurs. Dont se méfie aussitôt Odette Cléry.. qui en  a sans doute vu d’autres et  qui s’empresse-méfiance oblige- de leur téléphoner aussitôt. C’était un usage, régulier à l’époque, dans la grande bourgeoisie quand il s’agissait d’engager un de représentants de ce que l’on appelle les « gens de maison ». Et l »une des anciennes patronnes de Désiré  l’informe  d’un « geste déplacé » , élégante traduction pour dire qu’il l’a séduite. Désiré  avoue mais s’empresse d’ajouter habilement qu’il y a eu provocation et qu’il a succombé, et il lui jure que l’on n’y reprendra plus! Odette , impressionnée par sa franchise, finit par l’engager. Mais Désiré, dans sa petite chambre aux minces parois , fait des rêves érotiques à voix haute à propos d’Odette,  que  Félix Montignac a bien entendu et dont il  finit par prendre  ombrage, d’autant plus qu’Odette en a  aussi de similaires et qu’elle ne semble pas du tout insensible à ce Désiré fraîchement débarqué.
  Le couple parti pour Deauville reçoit leurs amis: la femme est sourde,le mari pas encore arrivé  et le dîner  ( l’on mange souvent au théâtre, quel que soit l’heure et le milieu et l’heure mis en scène) est d’une drôlerie exceptionnelle et  Sacha Guitry fait ici preuve d’un génie comique qui fait penser à Feydeau. Le mari leur apprend, avant même qu’on ne le sache- que le gouvernement  était tombé et que son ami le Ministre des Postes  n’était plus Ministre, ce qui ne l’empêche pas , en attendant de draguer sans scrupule la belle Odette… Ce qui  poussera Montignac à rentrer d’urgence à Paris pour essayer de garder  son poste, pour ne revenir  que le lendemain.

  Odette devra donc rester seule avec Désiré et les deux autres domestiques. Mais ce qui devrait normalement arriver n’aura pas lieu, et  Désiré,  par prudence et par sagesse sans doute, préférera quitter son emploi, laissant Odette à sa solitude et à sa tristesse. C’est sur cette dernière réplique de Désiré: « Le bon Dieu a dû me foutre le coeur d’un autre à moi, c’est pas possible  » que finit cette comédie  douce-amère…
  Serge Lipszyc, dont on avait pu voir récemment  Que d’espoir , à partir de textes d’Hanockh Levin , ( voir notre compte-rendu dans Le Théâtre du Blog d’octobre dernier)  a réalisé ici une mise scène à la fois impeccable et savoureuse de la pièce de Guitry ; et c’est un parcours sans faute; d’abord, grâce à une direction d’acteurs de très haut niveau: Robin Renucci, est un  interprète remarquable de ce Désiré qui est presque tout le temps sur scène:  élégant et  tour à tour séduisant, habile et fin stratège mais aussi cyniquement lucide quant à son travail: « Servir, c’est quelque chose de merveilleux. C’est avoir le droit d’être sans volonté ».
    Marianne Bassler  joue Odette avec beaucoup de nuances et de virtuosité et  le reste de la distribution possède une belle unité : Nathalie Krebs, Jean-Philippe Puymartin, Alcya, Marion Posta, Jean-Christophe Barc font preuve d’un solide métier, et chaque personnage est absolument crédible. La scénographie très réussie  n’a rien du côté trop luxueux que l’on voit souvent dans le théâtre privé, et les costumes, ce qui est assez exceptionnel pour être signalé,  sont  précis et justes. Que dire d’autre: les bonheurs de théâtre comme celui-là , où on rit à ce point, se comptent sur les doigts dans une année de théâtre… Seule petite ombre au tableau: les places sont au tarif du théâtre privé: de 10 euros – et il ne doit pas y en avoir beaucoup- à 98,90 euros (sic)…Aïe! Mais en cherchant bien, il doit bien y avoir quelques tarifs de groupe ou de comité d’entreprise.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Michodière, jusqu’au 31 janvier.
 

La Ronde

La Ronde, d’Arthur Schnitzler, adaptation et mise en scène.

Vienne, à la veille de la grande guerre. Le soldat ne pense à rien d’autre qu’à  rentrer à l’heure à la caserne… Alors, avec la « fille » Léocadia, il n’y aura pas beaucoup de temps pour les sentiments… Et,  ainsi du suite, la main passe de l’un à l’autre, on retrouvera le soldat avec une petite bonne puis  la petite bonne avec un « monsieur » … De grisette en actrice, de poète en Monsieur le comte, pour finir, ce Monsieur le Comte qui traitera la « fille » un peu mieux que le soldat, la ronde tourne, « danse sur un volcan », comme le rappelle la note d’intention de la metteuse en scène, Marion Bierry. Le bruit des canons  ouvre et ferme La Ronde. Un « oui à la vie » avant le grand carnage ?

  Le spectacle s’ouvre sur une vision de cadavres exquis, encore troussés par les jouissances de la chair, saisis dans le déshabillé de la débauche. Il s’anime ensuite dans le plaisir réciproque et la déception féminine; pour Schnitzler – et il n’est pas le seul – « post coïtum »,  le mâle est un « animal triste » et la femelle une sentimentale frustrée : « Tu m’aimes ? »  « Tu ne l’as pas senti ? » , répond le soldat, ou l’homme quelconque : sans commentaires. Les actrices et acteurs – parité à saluer – sont joliment déshabillés,  mais ce libertinage est exempt de  vulgarité. Ils jouent plutôt bien, un peu trop en force parfois pour ce petit lieu, emmenés par Philippe Noël au piano – et quelques musiques enregistrées utilisées avec humour – avec  un bon rythme.

  On oubliera une scénographie a priori astucieuse mais les châssis  coulissants sans doute commodes, sont d’un assez  triste effet) . Mais La Ronde reste un classique: alors,  à voir…
Christine Friedel

Théâtre de Poche-Montparnasse à 21h.

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