Désiré

   Désiré de Sacha Guitry, mise en scène de Serge Lipszyc.

   iris2918977901836683774.gifSacha Guitry,  mis au au placard dans le théâtre public depuis sa mort en 57 , qui a écrit quand même plus de cent pièces-sans doute inégales et plus de trente films dont beaucoup d’adaptations des dites pièces,  a réapparu ces dernières années, notamment avec une mise en scène de Daniel Benoin à Nanterre. Mais une pièce comme Désiré, créée en 1937,  a continuée à être jouée dans le théâtre privé et a fait l’objet de plusieurs films,  dont un avec Jean-Paul Belmondo réalisé par Bernard Murat.
   Désiré, c’est l’histoire d’une belle jeune femme, Odette Cléry qui vit plus ou moins avec le ministre des Postes,  Félix Montignac qui l’entretient  luxueusement. Ils dînent dans leur appartement parisien, servis par deux domestiques, Madeleine, une belle femme de chambre et la cuisinière. Et Sacha Guitry en profite pour faire une peinture  assez  cruelle des rapports entre domestiques et patrons. Sûrement des plus justes, puisque sa propre femme de chambre, sidérée par tant de précisions dans l’écriture,  l’avait soupçonné d’écouter aux portes!
 Et les conversations en cuisine ne manquent en effet ni de piquant ni de cynisme  » çà fait ma neuvième place et je peux dire sans mentir que je n’ai jamais entendu mes patrons parler d’autre chose que d’argent ou de domestiques, à moins qu’ils ne s’engueulent ». « Ah! la la , et en plus, ils voudraient qu’on les aime! Ou encore:  » « Quelquefois, ils finissent tout de même par vous épouser. Pour ne plus avoir à vous payer du tout, ou bien quand ils deviennent gâteux », remarque finement la femme de chambre qui, elle, malgré de bons et loyaux services en tout genre, n’a pas réussi à se faire épouser par son précédent patron…   

  Deux mondes en fait,  qui vivent très proches l’un de l’autre et qui n’ont pas ni grand chose à se dire ni à faire ensemble, sauf l’amour en général quand les femmes de chambre doivent déniaiser les adolescents ou passer quelques nuits  dans le lit de leur patron, et elles n’avaient sans  doute pas intérêt à refuser … La société a bien changé, encore que…mais l’analyse de Guitry reste des plus fines et des plus pertinentes. 
  Donc Odette- comme c’est affreux! -n’a de  plus de valet de chambre, et cela tombe d’autant plus mal qu’elle et son amant  doivent partir le lendemain pour Deauville. Il est près de 23 heures quand, heureusement le hasard fait bien les choses,  arrive Désiré Tronchais, envoyé par une agence de placement malgré l’heure tardive. C’est un jeune et bel homme, bien habillé et aux manières raffinées,  qui fait forte impression sur la femme de chambre et la cuisinière qui  vont lui prodiguer des conseils pour obtenir l’emploi convoité; il est,  bien entendu, c’est l’usage aussi courant qu’hypocrite, muni de certificats forts élogieux de ses précédents employeurs. Dont se méfie aussitôt Odette Cléry.. qui en  a sans doute vu d’autres et  qui s’empresse-méfiance oblige- de leur téléphoner aussitôt. C’était un usage, régulier à l’époque, dans la grande bourgeoisie quand il s’agissait d’engager un de représentants de ce que l’on appelle les « gens de maison ». Et l »une des anciennes patronnes de Désiré  l’informe  d’un « geste déplacé » , élégante traduction pour dire qu’il l’a séduite. Désiré  avoue mais s’empresse d’ajouter habilement qu’il y a eu provocation et qu’il a succombé, et il lui jure que l’on n’y reprendra plus! Odette , impressionnée par sa franchise, finit par l’engager. Mais Désiré, dans sa petite chambre aux minces parois , fait des rêves érotiques à voix haute à propos d’Odette,  que  Félix Montignac a bien entendu et dont il  finit par prendre  ombrage, d’autant plus qu’Odette en a  aussi de similaires et qu’elle ne semble pas du tout insensible à ce Désiré fraîchement débarqué.
  Le couple parti pour Deauville reçoit leurs amis: la femme est sourde,le mari pas encore arrivé  et le dîner  ( l’on mange souvent au théâtre, quel que soit l’heure et le milieu et l’heure mis en scène) est d’une drôlerie exceptionnelle et  Sacha Guitry fait ici preuve d’un génie comique qui fait penser à Feydeau. Le mari leur apprend, avant même qu’on ne le sache- que le gouvernement  était tombé et que son ami le Ministre des Postes  n’était plus Ministre, ce qui ne l’empêche pas , en attendant de draguer sans scrupule la belle Odette… Ce qui  poussera Montignac à rentrer d’urgence à Paris pour essayer de garder  son poste, pour ne revenir  que le lendemain.

  Odette devra donc rester seule avec Désiré et les deux autres domestiques. Mais ce qui devrait normalement arriver n’aura pas lieu, et  Désiré,  par prudence et par sagesse sans doute, préférera quitter son emploi, laissant Odette à sa solitude et à sa tristesse. C’est sur cette dernière réplique de Désiré: « Le bon Dieu a dû me foutre le coeur d’un autre à moi, c’est pas possible  » que finit cette comédie  douce-amère…
  Serge Lipszyc, dont on avait pu voir récemment  Que d’espoir , à partir de textes d’Hanockh Levin , ( voir notre compte-rendu dans Le Théâtre du Blog d’octobre dernier)  a réalisé ici une mise scène à la fois impeccable et savoureuse de la pièce de Guitry ; et c’est un parcours sans faute; d’abord, grâce à une direction d’acteurs de très haut niveau: Robin Renucci, est un  interprète remarquable de ce Désiré qui est presque tout le temps sur scène:  élégant et  tour à tour séduisant, habile et fin stratège mais aussi cyniquement lucide quant à son travail: « Servir, c’est quelque chose de merveilleux. C’est avoir le droit d’être sans volonté ».
    Marianne Bassler  joue Odette avec beaucoup de nuances et de virtuosité et  le reste de la distribution possède une belle unité : Nathalie Krebs, Jean-Philippe Puymartin, Alcya, Marion Posta, Jean-Christophe Barc font preuve d’un solide métier, et chaque personnage est absolument crédible. La scénographie très réussie  n’a rien du côté trop luxueux que l’on voit souvent dans le théâtre privé, et les costumes, ce qui est assez exceptionnel pour être signalé,  sont  précis et justes. Que dire d’autre: les bonheurs de théâtre comme celui-là , où on rit à ce point, se comptent sur les doigts dans une année de théâtre… Seule petite ombre au tableau: les places sont au tarif du théâtre privé: de 10 euros – et il ne doit pas y en avoir beaucoup- à 98,90 euros (sic)…Aïe! Mais en cherchant bien, il doit bien y avoir quelques tarifs de groupe ou de comité d’entreprise.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Michodière, jusqu’au 31 janvier.
 

 

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