Amphitryon

Amphitryon, de Molière – Mise en scène Bérengère Jannelle.

    amphitryon.jpgUn divertissement, une farce cruelle des dieux : parce que Jupiter a repéré Alcmène et décidé qu’elle serait la mère du futur  – et malheureux – Hercule, il prend la figure du général Amphitryon et retarde la nuit pour s’offrir une merveilleuse et unique nuit d’amour. D’amour, il voudrait bien… : malgré son plaidoyer fort plaisant pour l’amant, c’est le mari qu’aime et désire la fidèle Alcmène. Du moins, c’est ce qu’elle croit : peut-être est-elle plus séduite qu’elle ne veut bien l’avouer par la fougue inhabituelle de celui qui a la figure de son mari…La pièce, bien imitée de Plaute, joue sur l’effet comique garanti en principe par les quiproquo entre jumeaux, ou sosies, et sur l’effet de trouble d’un adultère consommé « à l’insu de son plein gré ». Elle envoie un coup de chapeau un peu ambigu à Louis XIV en Jupiter. Et pour aujourd’hui, et sur nous, que dit-elle ? Bérengère Jannelle et ses comédiens l’ont  gentiment modernisée, mais, faute de choix précis et forts, ne nous en livrent que quelques éclats et laissent Amphitryon au rang des pièces secondaires.

Pourtant , on sent l’idée, on sent qu’il y aurait quelque chose à faire : quand des milliers de “sosies“ rejouent éternellement leur “dieu“ Claude François, il pourrait être plaisant de voir, à l’inverse, le désir d’un dieu de descendre sur terre, dans notre misérable condition, tout en gardant sa puissance divine. De même, le trouble d’Alcmène, frôlant une rencontre avec son inconscient, aurait pu aller bien plus loin : Audrey Bonnet joue mieux la douleur que lui infligent les soupçons du mari que le plaisir partagé ave l’amant…  Arnaud Churin se tire bien de la jalousie instinctive du “vrai“ Amphitryon, de son côté Othello capable de tuer pour un mouchoir, mais est plus embêté que troublé par le côté surnaturel de l’affaire. Olivier Balazuc, en Sosie, s’approche d’un bon Arlequin, il nous convainc de sa lâcheté systématique, mais pas de sa peur. Bref, on attend plus et mieux d’une bonne réflexion sur la pièce qui ne passe pas assez sur le plateau, encombré d’une machine tournante en plan incliné, avec miroirs et trappes, elle non plus pas complètement assumée.
Il faut ajouter la diction du vers, gâtée par des liaisons “hyper-correctrices“ (donc fautives) du genre « la maison-n-elle-même… ».
Nous, le public, en demandons plus : un Amphitryon qui nous émeuve, et qui nous fasse rire franchement et dire que jusque-là  on était passé à côté d’une grande pièce. Qu’en pense Kleist ?

Christine Friedel

Théâtre de la Ville – Les Abbesses,  jusqu’au 12 février


Archive pour janvier, 2010

Quoi de neuf dans les théâtres privés ?


seznec.jpgEn présentant la seconde partie de la saison 2009 / 2010 des théâtres privés, Georges Terrey, président du Syndicat national des directeurs et des tourneurs du théâtre privé, a constaté les répercussions de la crise sur la fréquentation des spectacles. “Paradoxalement, dit-il, ce sont les spectacles aux places les plus chers qui marchent très bien.
« Ceci s’explique – a-t-il dit – par les choix drastiques des spectateurs qui tendent à évacuer la notion de risque et se dirigent vers des valeurs clairement identifiées, la présence d’une vedette, la nouvelle pièce d’un auteur à la notoriété établie qu’ils apprécient, ou la reprise d’une pièce du répertoire qu’ils connaissent. »
Comment susciter la curiosité des spectateurs face à la concurrence croissante ? Les directeurs des théâtres privés relèvent le défi. Il s’agit de s’adapter aux mutations de la société actuelle. Proposer, par exemple,  aux particuliers de participer à la coproduction de spectacles, ce qui est déjà  courant dans le domaine musical ou au cinéma. poupe.jpg« Pourquoi ne pas faire émerger un cercle d’amateurs éclairés qui puissent, au théâtre, soutenir nos choix ? » dit  Georges Terrey. Des solutions de ce type sont en effet urgentes, d’autant plus que les relations avec les pouvoirs publics deviennent de plus en plus tendues.
Un  certain nombre de « seul en scène », forme plus abordable pour un producteur mais aussi très demandée par le public,est programmée, qu’il s’agisse de spectacles comiques, comme Arthur,  ou encore, Abraham de, par et avec Michel Jonasz au Théâtre de la Gaîté-Montparnasse; Et Pas une ride avec Michèle Bernier au Théâtre de la Renaissance, Gaspard Proust enfin sur scène et Vous avez quel âge ? de Françoise Dorin avec Jean Piat au Studio et à la Comédie des Champs-Élysées, ou Extinction de Thomas Bernhard avec  Serge Merlin au Théâtre de la Madeleine.
imageparadisgde.jpgAvec des stars, des valeurs sûres, des acteurs et des metteurs en scène de renom, populaires grâce au cinéma et à la télévision, devraient remobiliser et consolider le public du privé. On verra ainsi au Théâtre de l’Atelier Je l’aimais adapté du roman d’Anna Gavalda et mis en scène par Patrice Leconte avec Irène Jacob, Gérard Darmon et Noémie Kocher. Et parmi les classiques , Maison de poupée  d’Ibsen, mise en scène de Michel Fau au Théâtre de la Madeleine.
La part belle est faite aux auteurs contemporains: à Édouard VII,  Audition de Jean-Claude Carrière, mise en scène par Bernard Murat avec Jean-Pierre Marielle; au Théâtre Marigny, Face au paradis de Nathalie Saugeon, mise en scène de Rachida Brackni et, au Théâtre de l’Œuvre, Marcel Bluwal met en scène David et Edward de Lionel Goldstein avec Michel Aumont et Michel Duchaussoy.
Et  Robert Hossein monte Seznec, un procès impitoyable, qu’il a réalisé et qu’il présente lui-même sur scène avec 26 comédiens au Théâtre de Paris.

Irène Sadowska Guillon

Pour plus de détails : www.theatreprive.com

Carte postale de Londres : time out

De passage à Londres, nous avons rencontré  David Furlong, acteur, metteur en scène et directeur artistique de l’Exchange Theater Company qui nous a expliqué comment il voyait le théâtre anglais. C’est aussi dense que précis…

    davidfurlong.jpg« À Paris, et en France, le théâtre est soit subventionné donc public soit privé, bien qu’il bénéficie quand même de certaines subventions. En général les Anglais , et pour cause, les Anglais ne comprennent pas bien ce fonctionnement! C’est une spécificité bien française.
En effet en Angleterre, il y a très peu d’argent public pour le théâtre, et il n’existe pas de centres dramatiques nationaux. Ce sont donc majoritairement des spectacles privés, des superproductions très commerciales et rentables, comme on peut en voir dans le West End. Et ces théâtres n’ont pas de ligne artistique très claire.
En revanche, ce qui n’est pas commercial, mais relève du mécénat privé (trust ou fondation), peut être d’autant plus intéressant que l’offre est réduite… et le filtrage qualitatif important. C’est la ligne de théâtres comme le Barbican, le Royal Opera House, ou  le National Theater.
À Londres, on joue beaucoup de théâtre contemporain.Mais si les thèmes traités sont relatifs à la société , on ne peut pas vraiment parler d’engagement politique. Quand on sollicite une subvention pour monter une pièce auprès de l’Art Council – organisme qui correspond au  ministère de la Culture , parmi les critères retenus figure d’ailleurs le lien avec la communauté.
Par ailleurs, il y a indéniablement  en Angleterre, un  côté « conservateur »  : et seulement 3% seulement des pièces de  théâtre proviennent  de l’étranger, contre 40% en France. En règle générale, les Anglo-Saxons sacralisent l’auteur, et il y a beaucoup de nouveaux dramaturges. À l’inverse, on peut parfois découvrir un physical theater ( qui serait un peu l’héritier de l’enseignement de Jacques Lecoq), et qui privilégie davantage la performance d’acteur que le texte.
La plupart des mises en scène de théâtre  restent assez « classiques », et  il n’y a pas vraiment d’écriture scénique comme en France. Mais les Anglais excellent dans  la narration et dans ce que l’on appelle ici le « storytelling ». C’est sans doute ce qui explique le succès d’une pièce comme War Horse de Michael Morpurgo, adapté par Nick Stafford qui  est actuellement à l’affiche du National Theater, et qui doit se jouer prochainement aux Etats-Unis »

Propos recueillis par Barbara Petit

Ensorcelés par la mort

Ensorcelés par la mort d’après le livre éponyme de Svetlana Alexievitch mise en scène de  Nicolas Struve

Un charme opère. Nous nous laissons envoûter. Mais un jour, le mythe est pulvérisé par la réalité. Notre monde de croyances s’écroule. Pourrons-nous survivre ? Quel sens aura désormais notre vie ?
ensorcel.jpgCes questions, Nicolas Struve les met en scène dans Ensorcelés par la mort, un spectacle douloureux, implacable, bouleversant.  Pour parler de ce qui l’obsède, ce qui nous permet de (sur)vivre : les espérances, les promesses, le metteur en scène s’est appuyé sur des expériences extrêmes, racontées par Svetlana Alexievitch. Journaliste, cet auteur biélorusse a écrit de nombreux récits fondés sur des témoignages, et dédiés aux tragédies du monde contemporain. Ici, elle fait parler ceux qui n’ont pas pu survivre à la chute du communisme, un régime qui donnait sens à leur vie.
Nicolas Struve met donc en scène l’impensable, l’improbable pour les Occidentaux que nous sommes : trois personnages viendront tour à tour se confesser, raconter au spectateur comment un Lénine ou un Staline a pu les séduire, au point de diriger leur vie. Qu’il s’agisse de l’adoration d’un personnage ou d’une adhésion totale à une idéologie, tout vaut le sacrifice de soi, l’abnégation pour l’amour de la patrie.
Pénombre. Un ciel illuminé par la Grande Ourse. Assis dans  un fauteuil, solitaire, un vieillard. Vassili Pétrovitch N., né au tout début du XXe siècle, a vécu les soixante-dix ans du régime communiste. Militant bolchévique de la première heure, il a consacré sa vie à enrôler les esprits et à purger le pays des opposants. Après la chute du régime, il n’est plus qu’une âme errante, rongée par la culpabilité. Les fantômes de ces enfants qu’il a tués reviennent le hanter. Inlassablement, il s’interroge sur son absence d’émotion quand il était bourreau et qu’il exécutait.
Et le communisme ne séduisait que les misérables ou les imbéciles : Margarita P., la cinquantaine, est médecin, fille d’un agronome et d’une lettrée. Petite Stalinienne, elle était mue par sa foi dans le lendemain. Mais aujourd’hui, malgré ses habits bourgeois, dans cet hôpital où elle travaille, sa vie s’est vidée de son sens : elle ne sait pas vivre pour elle-même.
Toute petite, perdue dans sa pauvre datcha, voici Anna M. Esclave moderne, elle a toujours vécu en groupe, dans « la zone », derrière les barreaux : dans un camp au Kazakhstan, puis dans un orphelinat. Enfant de l’union soviétique, sa seule mère est la patrie. Elle dit ne pas aimer ses enfants, qui eux la haïssent car elle leur a inoculé  sa servitude. Elle ne sait pas vivre seule, le présent est haïssable.
Le dépouillement du décor correspond à la simplicité de la collectivisation communiste. Quelques rengaines russes, ancestrales ou modernes, rythment les scènes. Mais toute l’attention est portée sur les personnages. Le jeu des comédiennes (Christine Nissim et Stéphanie Schwartzbrod)  est vraiment exceptionnel. Mais le vieillard (Bernard Waver) est moins convaincant.
Nicolas Struve concrétise une abstraction : derrière une idéologie, il y a des destins et des milliers de vies  arrachées à elles-mêmes. Obsédés par le passé, ces êtres ne trouvent refuge et apaisement que dans les souvenirs. Vassili, Margarita et Anna nous tendent un miroir : et nous, jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour donner du sens à nos vies ?
Si leurs témoignages soulèvent de nombreuses questions, ils n’apportent pas de réponses. N’est-ce pas la force du théâtre que de pousser le spectateur à interroger sa conscience sans lui délivrer de vérités premières ?
Un spectacle subjuguant, basé sur un texte rare et précieux. À voir de toute urgence.
Barbara Petit
Du 25 janvier au 19 février  au Nouveau théâtre de Montreuil, salle Maria Casarès. Puis  en mars au Théâtre des Quartiers d’Ivry et en juin à L’Apostrophe à Cergy-Pontoise.

Pris de cours

Pris de cours, texte et réalisation de la Compagnie Gravitation, mise en scène de Jean-Charles Thomas.

 rock.jpg Cela se passe à Courcelles-lès-Lens ; comme son nom l’indique, c’est une petite ville proche de Lens, où l’activité minière s’arrêta en 1948.
Maisons basses en brique et anciens crassiers à l’horizon. Nous sommes précisément au collège Adulphe Delegorgue. Vous ne connaissez évidemment pas ce personnage natif de la ville qui-notre science est de fraîche date- est né en 1814 et mort en 1850; ce fut un ethnologue et botaniste amateur passionné par l’Afrique australe dont il rapporta nombre de pièces, et de témoignages sur la vie des habitants. Et  très connu dans le monde anglo-saxon, mais peu chez nous.
Le collège, comme beaucoup d’autres  collèges, n’est  pas richement doté: l’architecte ne s’est pas tué à la tâche et les peintures datent de la construction ou presque..Mais la bienveillance et le calme semblent régner dans les salles de classe, comme celle de quatrième où nous sommes, celle de madame X , enseignante de Français.  Elle accueille aujourd’hui un professeur-stagiaire M. Xérès,  qui vient faire un cours.
Le conseiller d’éducation le présente aux élèves , ainsi que l’Inspecteur chargé de…l’inspecter. Le jeune professeur se présente lui aussi  , écrit son nom au tableau, puis  dit d’un un ton sec: « Sortez de quoi noter ». Silence  dans les rangs, cela ne moufte pas!  L’inspecteur- en costume gris,  chemise blanche et  cravate,   demande que soient rangés sacs et cartables , de façon à laisser les allées libres pour qu’il  puisse se déplacer, et   vérifie que les classeurs  sont bien disposés au bord de chaque table pour qu’il  y jette un coup d’œil.  Et il demande que les élèves  fassent comme s’il n’était pas là… Exécution immédiate: l’autorité paye…
Le professeur stagiaire  écrit habilement au tableau  le nom du village où  se passe le roman: Thunder ten Tronckh  puis commence à lire un extrait du Candide de Voltaire, en le commentant et en posant quelques questions. Il s’agit des péripéties amoureuses de Candide et de Cunégonde; cela glousse dans la salle quand, assis  au bureau , il extraie de sa petite valise une poupée Barbie pour illustrer la leçon de physique expérimentale, comme dit Voltaire,  entre Cunégonde et son amoureux.
Quelques minutes plus tard, le conseiller d’éducation entre- tous les élèves se lèvent poliment- et introduit une nouvelle élève: Sonia Simon,  assez timide, pâle jeune fille au visage  fermé; on voit qu’elle attend un heureux événement, sur lequel le conseiller demande aux élèves de ne pas faire de réflexions désobligeantes.
Quand même peu éberlués, filles et garçons ne disent rien et  prennent alors une feuille de copie pour commencer la dictée: un extrait des Trois Mousquetaires  dont M.  Xérès, toujours très pédagogique, présente les noms des héros qu’il écrit au tableau, puis  donne au passage la définition du mot laquais et enfin prend l’ accent pour incarner les personnages anglais. Fou rire dans la classe: il y a bien longtemps sans doute qu’une séance de dictée n’a pas été aussi drôle mais,  très vite, le jeune stagiaire bafouille d’émotion, quand il  s’aperçoit qu’il a oublié un dossier ; il quitte alors la salle pour  aller le chercher dans sa voiture. ..
L’Inspecteur n’est pas content et critique  cette faute professionnelle:  pour meubler le temps, il  lit le célèbre poème de Rimbaud : « Par les soirs bleus d’été… en s’accompagnant  d’une  guitare qu’avait apportée , on ne sait pourquoi, M. Xérès. Ravis de ce cours de français un peu hors-normes, les élèves applaudissent . Mais la professeur, dont ce sera la seule intervention leur fait remarquer un peu sèchement qu’ils auraient pu dire quelque chose, puisque- le hasard fait bien les choses!-ils ont récemment appris le poème.
Puis l’Inspecteur demande à  la nouvelle élève s’il peut voir son classeur où il remarque,  écrites à la main, les premières pages de Je ne se suis pas un singe de Virginie  Lou, dans la collection Pockett Jeunesse. « Vous allez lire votre devoir devant les élèves, lui demande-t-il, et je vais vous accompagner à l’accordéon pour vous aider. Elle annonne un peu au début,  puis  prend vite de l »assurance, et trouve le ton juste. Ce qui ne semble pas troubler les élèves, même si l’exercice est inhabituel…
Puis,  l’Inspecteur exaspéré par l’absence de M. Xéres, décide alors de parler de Victor Hugo. né en en 1802, mort en 1885, dit-il. « Vous connaissez Victor Hugo ?  » Les réponses ne sont pas très fournies; en revanche quand il demande combien de temps l’écrivain a vécu, le calcul mental est impeccable: 83 ans , proclament aussitôt nombre de collégiens. Le calcul du nombre de pages des Misérables écrites chaque année par Hugo se révèle plus ardu, et pour cause. L’inspecteur commence alors le récit:  » Au même moment,  un homme entre.. Et le hasard faisant décidément bien les choses, Jean Valjean, la casquette sur la tête entre aussi dans la classe- c’est bien sûr, M. Xéres- et  il interprète avec l’Inspecteur  la célèbre scène de l’aubergiste qui accueille l’ancien bagnard… Les élèves, cela se voit,  sont très troublés,  et  il y a pas mal de petites  gorges qui se nouent, dans un silence absolu.
La jeune nouvelle élève propose alors de lire un passage de  De la tendresse de Robert Cormier et M. Xeres, à la suite , perruque et lunettes noirs,prend alors sa guitare électrique , en imitant un chanteur rock des années cinquante…. Les élèves se mettent à rire et  applaudissent. Fin de cette heure de cours.
Comme c’est remarquablement mis en scène par Jean-Charles Thomas, et  joué à la perfection par  Max Bouvard, Martin Lardé et Natalia Wolkowinski, le faux vrai-cours de français fonctionne à plein régime. Grande question: jusqu’à quand les élèves sont-ils dupes?
D’après ce que l’on pu entendre après coup: jusqu’au moment où l’Inspecteur prend sa guitare, et encore peut-être plus tard, puisqu’ une élève a demandé si sa nouvelle camarade allait rester avec eux… Mais l’opération est assez subtilement menée( rigueur absolue de la dramaturgie et  de la mise en scène, costumes très crédibles, interprétation hors pair), pour que le doute persiste jusqu’au bout ( c’est une quatrième),  d’autant plus que tout est dans l’axe: les textes sont très bien  choisis, puisqu’ils posent les questions que se posent eux-même les adolescents sur l’amour, le sexe, la violence, la justice, etc…  Le conseiller d’éducation fait son travail  habituel, le professeur est un vrai professeur et intervient discrètement pour calmer le jeu quand  les élèves  s’enflamment, le stagiaire parait plein de bonne volonté mais vraiment inexpérimenté, et  l’Inspecteur, malgré sa queue de cheval,  n’ a pas l’air bien commode.
Quant à leur nouvelle camarade, même si elle a 31 ans, elle en parait seize, ce qui, après tout, est logique, puisqu’elle a redoublé deux fois . Et le décor est plus vrai que nature, puisque c’est leur lieu de vie… L’opération se répète en général trois fois dans la journée, et l’on demande à la première classe de garder le silence. Nous ressortons de là assez bousculés par cette mise en abyme du théâtre qui a fortement perturbé , au meilleur sens du terme, chacun des élèves, et  par cette intelligence et ce manque total de prétention:  ce qui est la plupart du temps, la marque reconnue des moments de théâtre les plus marquants.
Attention! Les représentations vont continuer dans divers collèges du département, réalisée en partenariat avec La Ligue de l’Enseignement du Pas-de-Calais mais  ne sont évidement pas publiques. Mais bon, si vous êtes enseignant, vous pouvez peut-être vous arranger avec le collège où elles auront lieu. en tou cas, si vous avez la possibilité de voir Pris de cours, ne le ratez pas…

Philippe du Vignal

Contact de la compagnie Gravitations: gravit.org

Note à benêts: notre consoeur et néanmoins amie Barbara Petit a longtemps vécu dans la petite ville voisine de Leforest. C’éyait une raison de plus d’aller revoir ces drôles de paysagesque sont les crassiers…

Le ciel est pour tous

Le ciel est pour tous
Texte et mise en scène de Catherine Anne.

 

Au moment où le débat sur l’opportunité de légiférer sur l’interdiction du port de la burqleciel.jpga divise la société française, Catherine Anne monte sa pièce Le ciel est pour tous où elle interroge le sens de la religion, sa place dans une famille, dans la société. Il ne s’agit guère d’une pièce de circonstance, sa visée est plus vaste. « Le projet est né autour de 1989, quand commençaient les discussions sur le port du voile islamique – explique-t-elle -. Je me suis engagée dans cette écriture car la présence du religieux dans la vie civile est de plus en plus sensible. (…) Je me suis étonnée de constater combien la dimension religieuse est présente dans la vie des jeunes. Cette évolution de la vie civile ne me plaît pas. » Catherine Anne situe son interrogation de la foi, du dogmatisme, du fanatisme, du conflit entre le respect de la laïcité et le respect de la religion, cristallisé aujourd’hui dans l’affaire de la burka, dans la perspective historique de l’affaire Calas de 1762, dénoncée par Voltaire et décrite dans son Traité sur la tolérance. Elle distancie ainsi le propos de la pièce de l’actualité immédiate et de son contexte islamique en articulant la relation entre le religieux et le politique sur l’implication de la religion dans la vie sociale française aujourd’hui et sur son emprise sur l’esprit des individus, générant l’intolérance, la violence. Toulouse, 1761. Jean Calas, bourgeois paisible et sa famille, dînent dans l’appartement au-dessus de leur boutique. Son fils aîné Marc Antoine s’en va après dîner. On le retrouvera étranglé dans la boutique. À l’époque les protestants étaient persécutés, la pratique de leur culte interdite et punie par des peines très lourdes. La famille Calas, bien qu’en apparence convertie, était connue pour son passé huguenot. La rumeur se répand que le fils, Marc Antoine, allait se faire baptiser et que pour l’en empêcher sa famille l’aurait assassiné. Le juge, entraîné par le fanatisme de la populace, condamne le père, Jean Calas, qui est exécuté.
Grâce au combat mené par Voltaire on reconnaîtra l’erreur judiciaire : Jean Calas est innocenté, trop tard.
Dans Le ciel est pour tous Catherine Anne met en scène une famille ordinaire dans notre société actuelle, « démocratique et laïque, rattrapée par la religion ».
Le père, Abdel, professeur de philosophie, d’ascendance musulmane mais lui-même athée, Hélène, la mère, d’ascendance catholique, athée elle aussi tout comme leurs enfants : Selim, adolescent à problèmes, et Lucie, l’aînée qui écrit un livre inspiré par le Traité sur la tolérance de Voltaire.
La pièce se passe en trois époques, au début du XXIe siècle : à la mort du père d’Hélène, 18 mois après et s’achève 18 mois plus tard, nous projetant dans un futur très proche, possible et inquiétant.
Hélène, dont la mère décédée a été incinérée, décide d’organiser pour son père qui vient de mourir, pourtant un anticlérical radical, des funérailles religieuses, ce qui déclenche le conflit. « J’ai besoin de croire à quelque chose, à quelque chose après la mort » dira Hélène.
Malgré l’opposition d’Abdel, de Selim et de Lucie, la cérémonie religieuse à l’église aura lieu. Mais la relation qui se noue à cette occasion avec le curé et la rencontre des jeunes jumeaux : Joël, un illuminé mystique, Jonas, catholique pratiquant enfin l’arrivée de Barbara, sœur d’Hélène, indépendante, féministe, réalisatrice de films documentaires, refoulée d’un pays intégriste où elle faisait un reportage sur le sort fait aux femmes, vont générer de nouveaux conflits.
Selim, jeune homme très instable, à tendance machiste, jaloux et agressif vis-à-vis de sa sœur et hostile à son projet d’écriture, influencé et manipulé par le curé, se fera baptiser et se laissera entraîner dans un groupe de militants catholiques fanatiques.
Lucie tombe amoureuse de Jonas et, malgré les conseils d’Abdel, son père, va l’épouser avec une bénédiction à l’église, cédant à l’insistance de son fiancé très attaché à la foi catholique.
Nous sommes dans un futur immédiat. Une loi qui vient de sortir oblige chaque citoyen à déclarer son appartenance religieuse. Lucie refuse de se déclarer catholique, comme son mari.
Malgré les chicanes orchestrées par le curé son livre, inspiré par l’affaire Calas, est enfin publié mais aussitôt attaqué, brûlé par de jeunes fanatiques dont son frère fait partie. Lucie elle-même est victime d’une agression.
Le père, Abdel, prend le parti de sa fille, la mère, Hélène, tente de ne pas se mêler au conflit, sa sœur Barbara se confronte au refus des chaînes de télévision de programmer son documentaire dérangeant sur l’intégrisme qui pourrait heurter les sensibilités et découvre que l’intolérance, le fanatisme religieux qu’elle traquait ailleurs, sont à l’œuvre dans son propre pays.
Selim, convaincu toujours de l’unique vérité de la foi catholique, se sentant en même temps responsable de l’agression de sa sœur, se suicide. Mais son père que son prénom Abdel et ses origines musulmanes désignent comme suspect, présumé coupable idéal, sera jeté à la vindicte des fanatiques. Le curé qui pourrait venir à son aide s’en remettra hypocritement à la justice.
Voici comment, deux siècles et demi après, l’affaire Calas pourrait se reproduire. De fait, ne se reproduit-t-elle pas assez fréquemment, sous diverses formes, plus ou moins médiatisées, dans notre société soucieuse de tolérance et de laïcité ? Ne désigne-t-on pas facilement certaines personnes prioritairement coupables en raison de leur origine, de la couleur de peau, de leurs convictions politiques ou confessionnelles ou de leurs tendances sexuelles ?
Ce sont ces démons du fanatisme, de l’intolérance, de l’exclusion, qui œuvrent autour de nous, que dénonce Catherine Anne. Et pas seulement cela. Par petites touches, sans jamais rien souligner, elle fait apparaître des failles dans la belle image que nous avons de notre société et de ses acquis : liberté d’expression, émancipation et égalité des femmes, tolérance religieuse et idéologique, etc.
Les mots « respect » (respect de la religion par exemple) « vérité », ne peuvent-ils devenir un instrument d’oppression ?
Une mise en scène d’une extrême simplicité et économie de moyens qui s’inscrit dans un espace métaphorique (décor non réaliste de Raymond Sarti) : un grand cadre délimité au sol, un cercle en haut évoquant la voûte céleste d’où pendent, sur toute la profondeur, de grandes bandes de tissu peintes, telle une succession de portes à traverser, de chemins à prendre. Ces bandes permettant des changements instantanés de scènes, de lieux, tombent l’une après l’autre, au fur et à mesure que l’action avance, il n’en reste qu’une seule au fond du plateau.
Quelques objets nécessaires au jeu : chaises, petite table basse, pupitre figurant la chaire du curé, en plastique transparent, guide chant, sac de voyage, apparaîtront dans certaines scènes. Rien d’illustratif, juste quelques signes qui avec les éclairages, modulent l’espace, suggèrent les divers lieux : rue, appartement, église.
La mise en scène décale l’action du réalisme et lui confère une dimension métaphorique en tissant avec finesse des parallèles entre l’histoire des protagonistes de la pièce et l’affaire Calas évoquée par Lucie citant des passages de son livre ou du Traité de Voltaire.
De même l’ironie, l’image poétique, se substituent à la représentation de la violence, du tragique, en les rendant d’autant plus saisissants. Ainsi par exemple la magnifique scène évoquant une pietà où Abdel, tenant son fils mort dans ses bras, entame une sorte de mélopée douloureuse, entouré de sa famille.
Même parti pris du décalage dans le jeu des acteurs, sans psychologie, relevant avec justesse les contradictions, les revirements, les ruptures dans le corps et l’esprit des personnages. Pas de clichés ni de stéréotypes dans le dessin des personnages auxquels les acteurs confèrent une authenticité bouleversante.
Alors que notre dramaturgie actuelle se complaît dans le nombrilisme, l’anecdotique, la monstration compassionnelle et politiquement correcte de la misère, peu d’auteurs se risquent, comme le fait Catherine Anne, à aborder, sans tomber dans la provocation ou la dénonciation simpliste, des sujets « sensibles » qui dérangent notre bonne conscience et notre cécité consensuelle face au cancer qui ronge notre société.
Voilà pourquoi la pièce de Catherine Anne, à la fois en tant que création théâtrale et réflexion sur notre société, sur la démocratie et ses valeurs, sur les dangers qu’elles courent, est une priorité pour tout amateur de théâtre et citoyen.

 

Irène Sadowska Guillon

 

Théâtre de l’Est Parisien, jusqu’au 19 février 2010
téléphone 01 43 64 80 80
Tournée fin février 2010 à Bayonne et Saint-Étienne.
Le texte de la pièce est publié aux Éditions Actes Sud Papiers.

Paroles, pas de rôles

Paroles, pas de rôles de Matthias de Koning, Damian de Schrijever et Per Van de Eede.

    Les auteurs sont trois des comédiens des collectifs belges et néerlandais Tg stan, De Loe et Discordia,  que l’on avait déjà pu voir au  dernier Festival d’Automne ( My Dinner with André) et, notamment en novembre dernier au Théâtre de la Bastille ( voir l’article de Barbara Petit dans le Théâtre du Blog). Et c’est une sorte de carte blanche que Muriel Mayette  leur a donné en leur confiant un atelier de création, pendant plusieurs semaines avec cinq acteurs du français: Coraly Zahonero, Laurent Natrella, Nicolas Lormau, Julie Sicard et Léonie Simaga. Avec une proposition: relire, 20131.jpg des morceaux de textes classiques,- Molière, Diderot, Racine, Tchekov entre autres, en se lançant de temps en temps dans quelques improvisations

 Cela se passe dans la salle du Vieux-Colombier, créé par Jacques Copeau en 1913,  avec une scénographie bifrontale; peu d’éléments sur le plateau: une pannière qui fait office de baignoire où Léoni Simaga fera trempette avec  des fumigènes pour figurer la vapeur de l’eau chaude (!!!!!!!),  une porte qui bascule avec au-dessus un seau en zinc qui se renverse, quelques chaises, une table …Et des batteries de projecteurs en quantité… Et, bien sûr autant de fils qu’il est nécessaire sur le côté Jardin pour manipuler à vue les pendrillons blancs.
Les comédiens sont très à l’aise, même si on ne croit pas une seconde à ce théâtre dans le théâtre qui est une des plaies du spectacle contemporain-tous genres confondus-Les Flamands font en général  preuve de plus d’innovation! Donc , ici, l’on a donné soi-disant priorité à l’acteur,et à une volonté de faire dans la création collective… Cela nous rajeunit mais Ariane Mnouchkine et Le Théâtre du Soleil  pour 1789, 1793 ou l‘Age d’or, sans vouloir jouer les grands-pères donneurs de leçons, y mettaient une autre imagination.
Au début, ce n’est pas la peine de se le cacher, les cinq compères arrivent à nous faire rire mais, c’est un peu comme une machine qui n’arrive pas à vraiment fonctionner, on commence à s’ennuyer, alors que le spectacle ne dure que 75 minutes…  Non, cela n’a rien à voir avec le théâtre de tréteaux  comme annoncé,  que  l’immense Jacques  Copeau pratiquait à une centaine de mètres du théâtre sur la Place Saint-Sulpice…
L’insolence, le jeu fait d’immédiateté et de relation directe avec le public ne sont pas au rendez-vous, même si Nicolas Lormeau offre gentiment  des chocolats au premier rang du public. Certes les cinq acteurs ont une diction irréprochable et quand ils disent quelques vers de Racine, tout d’un coup, il se passe quelque chose: sans doute alors  se sentent-ils davantage dans leurs univers. Léonie Simaga est tout à fait charmante comme Coraly Zahonero et Julie Sicard, mais il y a, dans tout le spectacle, un côté bcbg difficilement supportable. Comme si les trois auteurs du spectacle, sans doute flattés de l’invitation qui leur avait été faite de jouer dans le plus important  des théâtres officiels français avaient eu du mal à trouver leurs repères.  Comme s’ils avaient-fait un petit copié/collé des méthodes   politiques actuelles- et confondu apparence de l’efficacité et efficacité. Et les gags ne sont pas très fameux: comme ce roulage sans fin d’une pâte à tarte qui finit en boule que les comédiens se renvoient comme un ballon.
Et, à écouter ces dialogues bien propres sur eux, on a  du mal à croire un instant qu’il s’agit  de véritables impros: surtout quand on a vu celles des fameux kapouchnik ( cabarets politiques) du Théâtre de l’Unité qui doivent en être à leur soixantième édition mensuelle, là-bas très loin à Audincourt près  de Montbéliard…
et qui se  jouent à chaque fois à bureaux fermés;
Allez, Muriel Mayette, prenez le TGV pour Montbéliard, Jacques Livchine viendra vous chercher à la gare , il vous offrira de la bonne soupe dans la grande salle à manger du théâtre  et vous ne regretterez pas votre soirée , cela vous sortira de vos ors et de vos velours rouges! Bref, le mariage était sans doute impossible entre deux univers radicalement différents; et pour reprendre la célèbre formule de Brecht, l’eau ne se mélange pas à l’huile!
Le public semble malgré tout passer quelques bons instants ( c’est le mot « instants » qui vous choque, braves amis lecteurs!) mais,  rapport qualité/prix, payer 28 euros pour une série d’impros , que bien des théâtres offrent en guise de remerciements à la fin d’une saison., c’est un peu cher. Alors à voir? A vous de juger,  mais on n’a guère envie d’y retourner: ce sera le mot de la fin.

Philippe du Vignal

Théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 28 février.

TOUS LES CHOISYENS DU MONDE

 

TOUS LES CHOISYENS DU MONDE 

   Depuis dix ans, le Théâtre Paul Éluard organise Tous les Choisyens du monde, opération de plusieurs mois visant à retrouver la vocation essentielle de leur théâtre , en faisant des habitants l’origine des œuvres autant que leurs destinataires. Cette année s’ouvre sur une exposition du photographe Pierre de Vallombreuse qui a séjourné sur la ville, et a photographié notamment la dalle, vaste espace commercial hérissé de tours en pleine déshérence et en cours de réaménagement.Mais bien peu de gens semblent s’intéresser à ces photos…. Le théâtre est plein de jeunes qui s’apprêtent à monter sur le plateau, accompagnés de leurs familles, le bar est accueillant, le maire fait son discours sans langue de bois et nous sommes admis dans la salle, divisés en groupes distingués par une  couleur différente, sous la conduite d’un guide qui nous emmène dans plusieurs espaces pour voir sept artistes.
La chanteuse Françoise le Golvan  ouvre la soirée accompagnée par Sébastien Libolt:  elle a son petit charme quand elle évoque les rencontres à Choisy qu’elle a mises en musique. Valérie Grail avec cinq acteurs professionnels, accompagné de trois jeunes amateurs de Choisy lance ses Paroles d’ici pour images de là, dialogue pertinent entre des photos de Pierre de Vallombreuse et des paroles, des lettres échangées recueillies dans la ville.
Mais  le clou de la soirée est sans aucun doute  le spectacle de danse monté par Pascaline Verrier avec cinq  garçons tout juste entrés au collège, mobilisés après bien des efforts pour faire des confidences
pendant des semaines sur leur vie quotidienne , plutôt que d’aller jouer au foot, et pour en faire ensuite  de la danse. Ils ont une réelle maîtrise de leur corps, de l’humour et de la fraîcheur !
Le reste de la soirée est plus aléatoire; comme  le temps d’attente entre les différents espaces est en effet trop long, et que  la technique est mal maîtrisée, le public s’évapore peu à peu. Bernard Sultan, vieux complice du Théâtre Paul Éluard, joue un étrange personnage, « occidental accidentel (…) issu de ce tourbillon qu’on appelle ville » en faisant irruption  d’un ascenseur extérieur au théâtre, mais  son discours est un peu désordonné et énigmatique.
Le  texte de   Praline Gay Para ,  conteuse,   semble un peu  crispé comme celui   de Jean-Pierre Siméon, mis en scène par Cendre Chassanne, pourtant interprété par deux  bons comédiens professionnels. C’est paradoxal mais  sont les amateurs qui ont fait le sel de la soirée !

Edith Rappoport

Théâtre Paul Eluard de Choisy-le-Roi

On purge bébé et Léonie est en avance

On purge bébé et Léonie est en avance de Georges Feydeau mise en scène de Gildas Bourdet.

  onpurgebebeleonieestenavancetheatrefichespectacleune.jpg  Feydeau a été beaucoup joué la saison passée, y compris dans les grands centres dramatiques comme celui de Nanterre avec Les Fiancés de Loches, mise en scène de Jean-Louis Martinelli et au théâtre de l’Athénée avec  La Puce à l’oreille montée par Georges Golub. Cette fois, il s’agit de deux pièces mineures de cet auteur adulé du public  décédé il y a déjà presque un siècle, dont la seconde avait été mise en scène par Didier Bezace en 84 pour le Festival d’Avignon, et plus récemment par Laurent Laffargue avec une actrice:(si, si) comme la grande Nada Stancar.
 Œuvres  mineures donc,  et loin de l’excellence des grandes pièces de Feydeau. Comme écrites assez vite sur un coin de table et-heureusement- pas très souvent jouées…. On purge Bébé est une sorte de farce: Monsieur Follavoine dirige une entreprise industrielle de porcelaine et cherche à décrocher un marché particulièrement juteux, celui de pots de chambre incassables pour l’armée française. Et il a invité son ami Chouillou , fonctionnaire important au Ministère de la Guerre, son épouse et l’amant de son épouse à dîner, pour essayer de faire avancer ses affaires.
Mais le petit garçon des Follavoine est constipé et refuse de prendre un médicament purgatoire… Comme vous l’avez tous deviné, l’intrigue est tout à fait passionnante! Bien entendu, comme vous ne vous y attendez sans doute pas , le pot de chambre réputé incassable par Follavoine ne résistera pas à deux lancers expérimentaux, et Follavoine s’en trouvera fort dépité….

 Dans  un décor de salon bourgeois maquillé de grandes marbrures  comme sur les pages de garde des livres du 19 ème siècle, les acteurs essayent de donner vie à cet ersatz de Feydeau en criant et en surjouant, ce qui est sans doute la pire des méthodes pour être un tant soit peu convaincant.
Seul Dominique Pinon, ( Chouillou) , dès qu’il arrive, réussit par sa présence et la précision de son jeu à imposer son personnage. Tout se passe comme si Gildas Bourdet  avait répondu à une commande mais ne s’était guère soucié de la qualité des textes qu’il avait à mettre en scène ni de la façon de les faire jouer;  sans doute, aurait-fallu surtout les monter avec plus de sobriété et  sur un rythme plus rapide.

 Léonie est en avance, qui  fait parfois l’affaire de jeunes compagnies dans le off d’Avignon,  n’offre guère plus d’intérêt… La jeune et belle Léonie est sur le point d’accoucher: affolement généralisé dans la famille: le mari de Léonie  désemparé , semble  dépourvu de tout sens pratique et se fait ridiculiser par son beau-père qui a  envie de régler quelques comptes avec son gendre ; il l’ accuse en effet de ternir sa réputation à lui, homme respectable;  en effet le bébé va faire son entrée dans le monde au bout de huit mois de mariage seulement… Et cela va faire jaser!
 Quant à la mère de Léonie, elle est évidemment odieuse… Arrive enfin  alors une  sage-femme autoritaire qui veut tout régenter dans la maison. Bref, les femmes sont mesquines, jalouses  et les hommes prétentieux et ridicules:  comme souvent chez Feydeau, l’humanité n’a rien de très séduisant!   Mais rassurez-vous, bonnes gens, tout va rentrer dans l’ordre quand on s’apercevra que la grossesse de Léonie n’était que nerveuse…. Vous ne riez pas ? Tant pis pour vous!
 La plaisanterie dure quand même quelque deux heures et demi avec, en plus,  vingt minutes d’entracte!  Reste maintenant à savoir pourquoi et comment un metteur en scène comme Gildas Bourdet qui, autrefois, a conçu de belles et intelligentes mises en scène peut  avoir eu envie de s’attaquer à deux pièces vraiment très faibles  comme celles-ci, dont le seul dénominateur commun semble être les à-coup du fonctionnement du corps  humain.
Reste à savoir aussi comment un théâtre comme celui du Palais-Royal peut penser trouver un public concerné par une soirée aussi pimentée. Et le public? C’est un peu rassurant; certes il saluait poliment  des comédiens connus comme Cristina Reali, Pierre Casssignard et Dominique Pinon mais les applaudissements n’avaient rien de délirant.

 Alors à voir? A moins d’être pervers , sûrement pas… Feydeau, oui, bien sûr mais quand il s’agit de ses grandes pièces, et correctement montées.

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre du Palais-Royal.

Manhattan Medea

Manhattan Medea, de Dea Loher, mise en scène Sophie Loucachevsky

  0393035001263376789.jpgÇa se passe en pleine rue, en plein fracas urbain, ces retrouvailles entre  ces deux sans papiers: Jason, arrivé le premier, et Médée, venue le rejoindre dans cette Amérique qui devrait être leur Amérique.

  Des flots d’amour et de tendresse se mettent à couler : Jason comble avec des baisers le vide qu’il a creusé en partant le premier, mais… il y a eu l’océan entre eux, et une nouvelle femme qu’il aime, Claire, et la nouvelle vie qui ira avec, si Médée ne met pas de bâtons dans cette roue de la fortune. En effet, cette Claire-qu’on ne verra pas- est riche, ou plutôt c’est son père, émigré, comme Jason, qui, depuis s’est enrichi, au point d’accepter un gendre qui n’a rien. C’est tout simple:  Jason garderait bien Médée , par exemple, comme nounou pour son fils, chez sa nouvelle épouse, mais…
Médée, quel qu’en soit l’auteur, est une histoire de « mais. » Elle, Médée, est entière : elle a tué, pour Jason, et si Jason l’a oublié, elle, non. Elle a encore son couteau, et bien affûté; elle a encore sa passion intacte, qui roucoule et qui croasse. Sorcière ? Quelle plaisanterie ! Juste une femme, qui ne plaisante pas avec la loi de l’amour, et qu’importe toute autre loi!  Une femme qui dispose d’elle-même. Corneille l’avait déjà bien vu avec son :« Que me reste-t-il ? Moi – Moi, dis-je, et c’est assez ».
Anne Benoît nous donne une Médée cent pour cent femme. Après ça, les adjectifs sont inutiles. Essayons quand même : forte, blessée, bornée – c’est ça la passion -, banale, grandiose dans sa folie. Du reste , pas si folle, simplement dépassée, impuissante devant la gentille lâcheté de Jason, devant son infantilisme : « Aide-moi », dit-il. Aide-moi à te lâcher, à te confiner aux cuisines, à t’écarter de notre fils ». Et quoi encore! Christophe Odent joue le double rôle de Jason et de Sweatshop-Boss, l’homme riche : le même à trente ou quarante ans d’intervalle, parti de rien, puis parvenu. Jason a encore des larmes, mais l’homme riche, lui  n’a plus d’âme, fauchée dans sa bataille pour le fric. C’est comme ça.
Médée est accompagnée, dans Manhattan, d’une sorte de double ange gardien, Velasquez, le gardien d’immeuble –lui plutôt “psychopompe“, gardien des âmes et des enfers – et Deaf Daisy, la chanteuse des rues sourde mais qui entend bien ce que lui demande Médée: lui trouver une robe empoisonnée, par exemple. Les deux sont joués par un prodigieux et très jeune musicien, Marcus Borja.
Dea Loher et Sophie Loucachesvsky nous donnent une Médée d’aujourd’hui, ni exotique, ni monstrueuse, ce qui est presque pire : le tragique est dans la rue, au pied des immeubles, dans le cœur des femmes sacrifiées,  et à la liberté explosive. Le spectacle, impeccable, est parfois drôle. Il ose un regard sensible et  sensuel, sur le féminin -pas la féminité, pas le féminisme – et sereinement.

Christine Friedel

Théâtre National de la Colline, jusqu’au 20 février. 01 44 62 52 52

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