Richard III Le roi Lear
Richard III de Shakespeare, mise en scène Jean-Claude Fall
La prise du pouvoir, son exercice, sa légitimité, sa perte, relié au thème de l’héritage: Jean-Claude Fall met en scène Le roi Lear et Richard III de Shakespeare réunis en diptyque. Avec la troupe du Théâtre des Treize Vents et ses compagnons de route: en tout, seize acteurs pour jouer Richard III, l’histoire sanglante du monstrueux duc de Gloucester, boiteux, bossu, féroce, qui va allègrement de meurtre en meurtre, en supprimant tous les héritiers légitimes et ses adversaires pour s’emparer du trône.
Dans la lecture de la pièce proposée par Jean-Claude Fall , Richard III est un « enfant roi » pour qui la vie, l’amour, la mort sont un jeu , et le pouvoir devient la source d’une jouissance sans limites et sans loi. Il inscrit ce jeu de massacre dans un décor unique, simple et efficace de Gérard Didier : un grand pan courbe en métal incliné avec au milieu une faille traversée par des planches. Un espace mental, intemporel pour divers lieux intérieurs et extérieurs. Cette pente mettant en déséquilibre les victimes de la folie meurtrière de Richard.
Les costumes : tenues militaires et complets 1950 pour les hommes, et robes longues pour les femmes. Quant aux sbires de Richard, c’est costumes croisés et lunettes noires, rappelant ceux des mafieux italiens: cette histoire de Richard a bien pour scène le monde contemporain. Les projections au sol qui ponctuent le spectacle sont marquées parfois d’un sigle comme ceux des chaînes de télévision.
Canettes ,micros, mobiles sont quelques uns des objets usuels dans cet univers de bruit et de fureur. Le portable en particulier est omniprésent et Richard ne s’en sépare jamais, il téléphone, prend des photos, les montre à ses sbires ; quand ils égorgent un homme et lui coupent la tête avec un grand couteau, la mettent dans un sac en plastique et se la passent comme un ballon de football, après avoir pris eux aussi une photo.
Le cadavre du prince de Galles assassiné repose dans un sac sur une table à roulettes et Richard, en sortant de dessous la table, dit au téléphone : « Je ne peux pas te parler , je suis à la morgue ». Des gags, des répliques, voire des petites scènes rajoutées parasitent la belle traduction de Jean-Michel Déprats, mais amusent le public. Ainsi , par exemple, Richard avec un masque de cochon et Buckingham avec celui d’un lièvre, se livrent-ils à une séance comique de grognements et de gesticulations.
Richard et Buckingham jouent à imiter Al Pacino, Chirac, etc. Quand le Lord-Maire et les notables de la ville viennent demander à Richard d’accepter la couronne, on assiste à un échange de brefs discours prononcés au micro à l’avant-scène. Quand il lit son discours d’acceptation, Richard reprend un passage d’un discours électoral de Sarkozy, etc… Richard III, histrionique, prothèses sur un bras et une jambe, boite de temps en temps, court, saute, crache, s’amuse comme un petit fou, grimace, fait des mines entendues vers le public chaque fois qu’il berne une de ses victimes. Pour les autres personnages, Jean-Claude Fall a choisi un jeu plutôt réaliste, parfois caricatural.
Bref, la tragédie de Shakespeare est ici transformée en farce et réduite à un sitcom. On se demande si Jean-Claude Fall ne s’est pas trompé de pièce en montant Richard III à la place d’Ubu Roi.
Irène Sadowska Guillon
Théâtre d’Ivry – Antoine Vitez
jusqu’au 31 janvier 2010
01 43 90 11 11
Le Roi Lear de William Shakespeare, mise en scène de Jean-Claude Fall
Lear : roi de mots croisés, le seul roi que connaissent ceux qui ne sont jamais allés au théâtre, roi du délire, phénomène et phénix, il règne inépuisablement depuis Shakespeare.Jean-Claude Fall a choisi de l’aborder naïvement, dans l’action. Il joue lui-même un infatigable Lear qui met toute son énergie à ne pas voir ce qui lui crève les yeux – que son camarade Gloucester, à qui les méchants arracheront les yeux, nous pardonne ce jeu sur les mots – mais, en abandonnant son pouvoir royal, il n’abandonne rien, puisqu’il compte en garder les privilèges, et qu’en donnant tout à ses filles il ne donne rien, puisqu’il attend de ce don une gratitude perpétuelle.
Lear, c’est vraiment l’homme qui se trompe, aussi sourd qu’aveugle, incapable d’entendre le maquillage du discours de ses deux filles aînées, tant ces joliesses sonnent bien à ses oreilles avides de flatteries, et il est tout aussi incapable de reconnaître, dans sa déchéance, le loyal Kent sous le grossier bouffon. Lear, dit-il en effet, c’est celui que le pouvoir a empêché de grandir, et qui est devenu vieux sans être sage. Est-ce aussi le malheur de son ami Gloucester ? Le penchant de ce noble seigneur pour Edmond son fils bâtard , peut-être autrefois conçu avec plus de plaisir que le légitime Edgar, le fait tomber dans la plus grande et la plus injuste suspicion envers de ce dernier.
Curieusement, ou logiquement, ce sont les enfants maltraités qui prennent en charge ces pères perdus : comme la petite Cordelia, jetée sans dot au roi de France, qui revient à la tête d’une armée sauver son père trop tard repentant. Mais surtout – la tradition en remonte à Shakespeare – la comédienne revient en fou, guide doucement impitoyable, porteur de lumineuses et simples vérités : « A vous de voir », dit-elle au vieux roi.
Quant à Edgar, il pousse plus loin encore la punition qu’il s’inflige pour n’avoir pas su inspirer confiance à son père : il devient le pauvre Tom, débile, dénué de tout, livré aux éléments déchaînés, et ne retrouve sa force qu’en guide philosophe de son père aveugle. Shakespeare fournit, autant que la tragédie grecque, des mythes solides pour éclairer l’inconscient familial..
La représentation va vite, haletante, active, avec la seule pause d’une longue pluie qui tombe comme une épreuve apaisante. Un beau Roi Lear, qui laisse évidemment la voie ouverte à d’autres Roi Lear…
Christine Friedel
Théâtre des Quartiers d’Ivry en alternance avec Richard III jusqu’au 31 janvier.
