Les Naufragés du Fol Espoir

  Les Naufragés du Fol Espoir, une création collective mi-écrite par Hélène Cixous, librement inspirée d’un mystérieux roman posthume de Jules Verne. (sic)

    nauf.jpgLe spectacle au titre merveilleux porte un peu le titre d’un roman posthume de Jules Verne Les naufragés de Jonathan, qui , en fait , fut écrit par son fils Michel d’après En Magellanie qui, lui, fut bien  écrit par Jules Verne… Vous suivez toujours? Et dont Hélène Cixous a repris le scénario et et un certain nombre de dialogues.
Les choses se situent au moment de la grande révolution industrielle: le chemin de fer existe déjà depuis un bon moment mais  Thomas Edison invente en 77 le phonographe, et Muybridge le mouvement cinématographique; quant à l’avion, il  ne va pas tarder à s’ envoler.
Mais c’est aussi en 89 à Mayerling, l’assassinat resté mystérieux de l’Archiduc Rodolphe de Hasbourg-Lorraine, héritier du trône d’Autriche-Hongrie et de sa maîtresse Maria Vetsera qui fit l’objet de nombreux films.  Le patron d’un petit café Le fol Espoir va prêter un grenier à Jean qui a envie de réaliser un film qui raconterait l’aventure de pauvres émigrés embarqués à Cardiff , partis pour l’Australie et qui échouent finalement en Terre de Feu où les populations se mélangent: on y trouve de très méchants capitalistes venus faire fortune à n’importe quel prix, des missionnaires et des bonnes soeurs mais aussi des Indiens Alakalufs démunis contre la violence des Occidentaux qui se croient chez eux.
Mais en Europe, la guerre menace,l’Autriche menace la Serbie d’un ultimatum la tension monte et ce sera bientôt l’assassinat de Jaurès, opposé à la guerre, par un jeune nationaliste qui sera plus tard acquitté..Un mois plus tard, l’Allemagne déclarait la guerre à la France. Non, on n’était pas le moyen-Age mais il y a à peine cent ans…
Hélène Cixous s’est donc emparée de ce roman des Verne père et fils, et a imaginé cette histoire de tournage de film avec les moyens de l’époque : Jean qui s’est autoproclamé réalisateur , son épouse Gabrielle qui est à la manivelle , et toute une équipe d’amis venus prêter main-forte vont se mettre au travail pour faire ce film. Avec toute une série d’éléments de décors absolument fabuleux- de vraies et belles toiles peintes comme  Bob Wilson et Alfredo Arias les ont refaites dans les années 70.
On assiste si on veut bien ne pas laisser son âme d’enfant au vestiaire à une sorte de plongée dans une autre époque, avec tout ce qu’il faut pour créer des images de toute beauté: remarquables costumes et accessoires, éclairages de tout premier ordre, musique symphonique et sons de Jean-Jacques Lemêtre impeccables: bref, la grande classe.
Ariane Mnouchkine-qui n’a pas signé la mise en scène,  est quand même bien là,  et c’est bien elle qui a dirigé d’une main de fer les trente deux comédiens: aucun doute là-dessus: il y a peu de metteurs en scène français qui sont capables d’une pareille performance scénique. Et le parcours est absolument sans faute …
Tout est faux bien sûr, plus que faux, mais cette mise en abyme du théâtre dans le cinéma avec cette fausse naïveté: la mer en furie, le bateau dans les glaces, le naufrage, le vent qui souffle sur la banquise, la neige qui tourbillonne, rend encore les choses plus vraies.Les comédiens ne parlent jamais quand ils sont sur le plateau et les dialogues sont projetés comme ils l’étaient dans le cinéma muet.
Reste que, comme le scénario et le dialogue sont d’une faiblesse insigne ( d’accord, on est dans le second degré mais quand même!) et que les scènes ont une singulière tendance à se répéter, on sature assez vite. Et ce livre d’images, au départ très séduisant, passé la première heure, devient d’un ennui accablant. Il y a bien quelques petites et pauvrettes digressions sur le féminisme, le racisme et le capitalisme, source de tous les malheurs de l’humanité, mais le dialogue est vraiment trop faible, ce qui serait sans doute un vrai bonheur si la chose durait une heure et demi, devient franchement d’un ennui à couper au couteau. Et comme après l’entracte on a encore droit à une louche d’une heure et demi, on se demande bien ce que l’on est venu faire là.
La faute à quoi? Ni à la mise en scène ni aux comédiens, à la fois, rigoureux, humbles et solides, mais à la dramaturgie inexistante concoctée par Hélène Cixous. Là, il y a vraiment eu une erreur de tir…Très franchement, cela ne se passerait pas au Théâtre du Soleil, le public ne viendrait sans doute pas aussi nombreux.
Oui, mais voilà: c’est le Théâtre du Soleil et  il y a toujours cet accueil simple et généreux, où les serveurs du bar vous souhaitent gentiment un bon spectacle , où il y a  un mélange assez étonnant de générations, un restaurant pas cher où les gens font l’effort de se respecter, et de se parler. D’autant plus qu’ils savent plus ou moins tout ce que l’on doit à cet endroit mythique et connu du monde entier, et où nombre d’acteurs, et non des moindres, sont passés, et où a été créé l’illustrissime 1789.
La Cartoucherie, c’est un peu le Théâtre du Vieux-Colombier pour toute une génération, un lieu où se sont forgés de nouveaux outils théâtraux, comme une espèce de trésor national inestimable. Oui, inestimable. C’est vrai qu’à chaque fois que l’on pénètre dans ce lieu, on se dit que, sans Ariane Mnouchkine et tous les premiers compagnons de cette troupe maintenant âgés ou disparus, le théâtre français contemporain ne serait pas du tout, mais vraiment pas du tout ce qu’il est.
Et dans ces temps de froidure artistique et de grande bêtise politique, cela fait chaud au coeur. Alors y aller ou pas? Si vous avez le courage de tenir quatre heures pour un spectacle interminable que l’on oubliera  assez vite, peut-être;  mais on vous aura prévenu; et le public? Il restait assez partagé: de très jeunes filles se sont levées à la fin pour applaudir, éblouies par la prouesse technique mais les autres spectateurs, un peu assommés, trouvaient sans doute qu’il y avait  surdose, et il n’est pas certain que si la salle avait été configurée autrement et qu’il y avait eu une navette prête à partir, il n’y aurait pas eu nombre de défections…

Philippe du Vignal

Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes.

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LES NAUFRAGÉS DU FOL ESPOIR création collective du Théâtre du Soleil, mi-écrite par Hélène Cixous sur une proposition d’Ariane Mnouchkine, librement inspirée d’un mystérieux roman posthume de Jules Verne.

 

image3.jpg  Comme toujours, Ariane Mnouchkine prend le temps de la maturation, ce spectacle qui aurait dû naître en novembre 2009 n’a pu éclore que le 3 février 2010, et encore, considérant qu’il n’était pas prêt, elle a remboursé les spectateurs ! Le 28 septembre 2009, nous avions été accueillis au Théâtre du Soleil, des tables avaient été dressées dehors devant le théâtre, et nous avions pu voir le film réalisé par la compagnie à la manière de Jules Verne, pour aller chercher le prix décerné par la Norvège qui leur avait permis de monter le spectacle.
Après un buffet collectif généreux permettant les rencontres entre les amis du Soleil, nous étions conviés à l’intérieur où Ariane avait annoncé, comme d’habitude, le retard probable de la création. En effet, elle ne pouvait à la fois mettre en scène et commenter l’action du spectacle, et elle a consenti à se faire remplacer seulement 15 jours auparavant ! Comme toujours, nous pénétrons dans l’accueil revêtu comme les beaux livres rouge et or de Jules Verne de notre enfance, peints par Didier Martin, Erol Gulgonen et Marion Lefebvre.
Au bar, nous sommes servis par des acteurs, on peut enfin pénétrer dans la salle, un vrai privilège de vieux amoureux d’avoir pu obtenir des places au début des représentations ! Il s’agit de la réalisation d’un film tourné en 1914, à la veille de la première guerre mondiale. 31 comédiens assistés d’une équipe technique étonnante s’y attellent, nous sommes dans une guinguette, tout le monde s’y met, les serveuses, les garçons, les clients, tout le monde en grande tenue. On filme la colonisation des îles Falkland en Patagonie par l’Angleterre, c’est Maurice Durozier vieux complice du Soleil qui mène la danse , metteur en scène impatient malgré les aléas techniques. Les 31 comédiens font merveille, ils réalisent d’étonnantes prouesses en transformant le plateau en quelques secondes, déployant d’immenses toiles de splendides marines, accompagnés par Jean-Jacques Lemêtre qui a « convoqué les âmes de ses grands ancêtres du XIXe et du XXe siècle », Beethoven, Berlioz, Carl Orff etc. Et toujours Monsieur Jean la Palette le metteur en scène demande à Madame Gabrielle (Juliana Carneiro de Cunha): » tourne la manivelle, tourne la manivelle ». Après une première partie un peu brouillonne, on se laisse emporter dans ce flot tumultueux et généreux issu de En Magellanie, le dernier voyage de Jules Verne publié après sa mort. A revoir, c’est comme toujours du grand art !

 

Edith Rappoport

 

Théâtre du Soleil. Cartoucherie de Vincennes.

 

 

 


Archive pour février, 2010

Les présentations d’ateliers au Conservatoire national d’art dramatique.

          Daniel Mesguich, lors d’une récente conférence de presse a souligné les changements qu’il avait apportés depuis sa nomination à la tête de cette vénérable école: d’abord la modification significative du recrutement, puisque l’âge limité est désormais repoussé à moins de 26 ans l’année du concours, puis la, disparition dans  certaines limites de la notion d’année,  l’accent mis sur la valeur pédagogique d’ateliers spécifiques regroupant plusieurs disciplines. Il a  aussi été créé des conférences ouvertes au public le lundi soir et obligatoires pour les élèves, ce qui est loin d’être une mauvaise chose, et les passerelles avec l’enseignement supérieur dépendant de l’Education nationale ont été encore renforcées.
Daniel Mesgich, juste entouré du seul Jean-Damien Barbien, comédien et professeur ( les autres ne semblaient pas avoir été conviés?) s’est aussi félicité de la mise en place systématique de séjours dans des  écoles étrangères, que ce soit à Princeton, Rome, Moscou ou Pékin, grâce à l’appui financier de la SPEDIDAM, dont  Jean-Paul Bazin le président et François Nowak, le directeur administratif, ,présents à la conférence,  ont souligné tout le bien qu’ils pensaient de cette opération très fructueuse à leurs yeux. Les voyages forment la jeunesse, air bien connu, et cela ne fait jamais de mal de sortir de l’hexagone mais,  même si Daniel Mesguich en avait des trémolos dans la voix, il n’ a pas vraiment réussi à nous convaincre des bienfaits pédagogiques d’une seule semaine à Pékin pour quelques unes de ses brebis encadrées par un de leurs enseignants… Daniel Mesguich a aussi insisté sur le fait qu’il considérait avant tout les élèves comme des artistes, et non comme des étudiants que l’on formerait pour qu’ils deviennent des artistes, et il s’est félicité de l’excellence du dernier recrutement et du nombre croissant de candidats.(Plus de 1600!). Et certains anciens élèves peuvent revenir faire un petit tour de galop pour se perfectionner, ce qui est plutôt bien vu. Cela dit, tant mieux pour le Cons qui fait fonctionner à fond son aspirateur , que ce soit pour les élèves comme pour les professeurs… et tant pis pour les autres écoles françaises dont les meilleurs éléments ne résistent pas aux sirènes de cet établissement très richement doté. Ce qui, de toute évidence,  fragilise les choses et oriente une partie de l’ enseignement vers la réussite de ce fameux concours.Toujours injuste comme tous les concours… Comment faire autrement?  A terme, faudrait-il envisager que le Cons de Paris se décentralise en partie en province ; après tout le Centre Georges Pompidou et le Louvre l’ont bien fait… Et quid des heureux élèves après leur sortie? Il y a d’abord le fameux jeune Théâtre national qui leur permet d’être engagé gratuitement par leur employeur, ce qui constitue un sacré marche-pied … mais, pour la suite, les chiffres indiqués sont moins explicites, et à regarder de près les distributions des spectacles, par bonheur, il n’y pas que des élèves sortant du Conservatoire national, mais aussi des Conservatoires de province, de l’ENSATT, de feue l’Ecole du Théâtre National de Chaillot exécutée par Goldenberg, de l’Ecole du T.N.S. et d’écoles privées.
Si 95 % des anciens élèves du Cons  travaillent bien dans le milieu ou la profession du spectacle, ils ne deviennent pas tous ni comédiens ni metteurs en scène sur des plateaux de théâtre, de cinéma ou de télévision. Il y a là un curieux monopole spécifique à la  France qui a un parfum encore très 19 ème siècle…
Il y a eu cette semaine deux présentations d’ateliers dits transversaux: l’un  Casting, dirigé par l’excellent metteur en scène Yann-Joël Collin regroupait 23 élèves venus des classe qu’il a dirigées pendant deux ans , avec comme thème-prétexte , l’audition pour un spectacle de comédie musicale. Et plutôt que de monter un livret déjà existant, précise Yann-Jël Collin, nous avons constitué notre propre histoire. Bon, après tout, comment peut-on faire  quand l’on est obligé de présenter chacun des élèves en en commettant aucune injustice. Seulement voilà, le metteur en scène s’est un peu pris les pieds dans le tapis… Cela commence par un gros plan de visages des jeunes comédiens dans les coulisses attenantes et les couloirs avec un petit sketch parodique… et cela n’en finit pas de finir. Encore une fois la vidéo est convoquée sans que l’on sache trop pourquoi…Et ensuite, on prend les mêmes et on recommence: petit sketch,chanson, petite danse le plus souvent en solo voire à deux, toujours sur le mode parodique,sur la base d’airs bien connus de Michel Legrand, des Dix Commandements, de West Side Story;  si l’on sourit parfois , cela n’en finit pas non plus de finir, sans que l’on puisse remarquer plus spécialement l’un ou l’autre de ces jeunes acteurs très à l’aise qui défilent l’un après l’autre sur la belle scène du théâtre du Conservatoire. Le public composé à l’évidence des copains et des familles est assez complaisant mais l’idée-usée jusqu’à la corde- de l’audition, était à l’évidence une fausse bonne idée. Des extraits même courts de véritables comédies musicales où chacun aurait eu , c’est à tour de rôle, une présence plus ou moins importante, aurait été plus gratifiant, et pour les élèves, et  pour le public… Daniel Mesguich qui ne semble pas avare de réformes devrait faire étudier la question…
Quant  à Hier pour aujourd’hui ( nos Cerisaies) d’après La Cerisaie d’Anton Tchekov et les textes d’Antoine, Artaud, Brecht, Diderot, Grotowski, Meyerhold, Stanislavski, dirigé par Andrzej Seweryn, nous somme situés aussitôt dans un tout autre registre. Cela fait plus de vingt ans déjà que nous connaissons ses formidables dons de pédagogue et de metteur en scène, et m
cons.jpgême si l’exercice présenté est artificiel et revendiqué comme tel, il possède une belle intelligence et une immense rigueur, même s’ il a un côté  réservé aux seul initiés. Et l’on se dit que les élèves de cet atelier ne seront pas passés inutilement parmi ces écrits théoriques bien connus, surtout quand  Seweryn les  fait interpréter sur un plateau. Même avec des réussites inégales.  ( Les conseils de Diderot comme théâtre grec et la dernière partie qui est une sorte de parodie de Grotowski que peu de gens aujourd’hui ont pu voir autrement que par des films n’ont rien de très convaincant ; quant aux scènes de La Cerisaie interprétées selon  tel ou tel théoricien, mieux vaut être un bon spécialiste du théâtre pour essayer d’en percevoir les nuances. mais il y a des choses très drôles comme cette scène où Brecht -joué par Nadine Bïer, explique sa pensée, ou celle de La Parole de Stanislasvki prononçant un discours, dont la traduction est assurée par une jeune fille raide, et commentée par un ministre français sont de tout premier ordre:  Fehmi Karaaslan, Laure-Lucile Simon et Maxime Dambrin font ici un travail des plus remarquables. Il y a aussi, presque parodique La Parole d’Artaud, où Mathurin Voltz  prononce la fameuse conférence Pour en finir avec le Jugement de Dieu. Il n’est  pas possible de les citer tous les douze  mais il y a aussi la célébrissime fin de La Cerisaie ; Andrzej Seweryn a confié le rôle de Firs, le vieux domestique à Manon Kneusé: ce n’est pas  long, juste quelques minutes mais la jeune actrice, le corps complètement cassé, en en proie à la solitude la plus totale, s’appuyant sur une canne dont le bruit résonne sur le plancher de la salle Louis Jouvet,  est un  moment vraiment très fort. Ce qui frappe le plus dans cet immense travail, c’est  la discipline, l’humilité  et la cohésion du groupe: que ce soit dans l’interprétation des scènes de La Cerisaie, ou dans celle des textes théoriques, ou bien encore dans la mise ne place du plateau avant chaque scène. Seweryn, depuis que nous le connaissons, quand il avait monté de façon remarquable  Peins d’amour perdues avec une promotion d’élèves de Chaillot, n’est pas un enseignant des plus tendres mais- et il a raison- il a toujours su faire preuve de la  rigueur et de la générosité indispensable aux grands pédagogues de théâtre

Philippe  du Vignal

Les couteaux dans le dos

Les couteaux dans le dos, texte et mise en scène de Pierre Notte

couteaux.jpgLa famille : comment s’en sortir, ou pas ? Le chemin de la vie : vers où aller, puisqu’à chaque fois ce n’est pas ce qu’on espérait, ou voulait, ou s’était représenté ? Comment dire, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, et d’ailleurs, est-ce qu’on aime ? Et ainsi de suite. Les adolescents, dit l’auteur, portent les lourdes ailes de leur avenir, qui les empêchent précisément de s’élancer « comme des couteaux plantés dans le dos ». Sa petite héroïne a pourtant du ressort : insolente au lycée, fugueuse et automutilée en famille, jamais contente, et « on ne me touche pas, moi », capable de convoquer la Mort, et puis non, de la renvoyer – la Mort s’en fout elle a assez à faire-. Son chemin l’a conduite – pour rien, jusqu’à ce que…- vers les fjords du grand Nord, hommage de l’auteur à Strindberg et Ibsen. Pierre Notte mène ce qu’il appelle son « petit Peer Gynt » comme une série de croquis à la plume, acérés, condensés, vifs, forcément simplistes et forcément bien ajustés, droit au but. Les cinq comédiennes passent avec une réjouissante vélocité par tous les rôles, sauf l’adolescente pivot de l’affaire :  jeu choral et pépites individuelles. C’est drôle, touchant – eh oui, Mademoiselle, vous finirez par être touchée…-, jamais méchant.
Pierre Notte, auteur de la pièce à succès Moi aussi je suis Catherine Deneuve (et de bien d’autres choses), pilier de Centres Dramatiques Nationaux, est aussi intervenant artistique au lycée Saint-Louis-Saint-Clément de Viry-Châtillon : apparemment, il trouve là un bon terrain d’expérimentation, et une pépinière de fines comédiennes.


Christine Friedel

Théâtre La Bruyère – 19h – 01 48 74 76 99

VARIATIONS SUR LE DÉSIR

VARIATIONS SUR LE DÉSIR

de et par Geneviève de Kermabon, avec Christian Dassie ténor et Patrick Villet baryton, musiques de Jean-Marie Sénia et Xavier le Masne.

   Geneviève de Kermabon, femme de cirque, acrobate, fragile et forte à la fois mène son chemin de metteur en scène et de comédienne. En 1988, elle s’était révélée avec Freaks (d’après le film de Tod Browning tourné en 1932), au Théâtre des Bouffes du Nord avec une équipe d’acteurs étonnants, géant, femme de 450 kilos, acteurs dépourvus de bras ou de jambes, qui s’était joué pendant plusieurs années sur un plan international. Puis Le Grand cabaret de la peur et un spectacle sur le Grand guignol l’avaient confirmée dans son parcours de metteur en scène.
Cette fois elle reprend un spectacle sur le désir amoureux qu’elle avait esquissé en solo avec une marionnette au Théâtre de la Tempête, il y a deux ans. Elle a interrogé pendant quatre ans des personnes jeunes ou âgées sur l’évolution de leurs désirs amoureux, elle les incarne en scène avec sa chevelure flamboyante,  avec d’étranges demi-masques, s’effeuillant, s’enveloppant tel un paquet, dansant un troublant ballet de quatre jambes, le néant ou le surgissement du désir incompatible avec la vie quotidienne.
Deux musiciens l’accompagnent, l’un au piano, l’autre dans une étrange apparition de travesti descendant de sa balançoire qui chante un émouvant lamento. Le final du spectacle n’est pas encore trouvé, il faut que les musiciens parviennent à mieux équilibrer leur partition et prendre toute leur place dans ces variations dont cette première représentation ouvre bien des promesses.

Edith Rappoport

 

Théâtre de Montbéliard

L’Invisible

L’Invisible, une création de Marie Brassard.

     capturedcran20100227173955.jpgCréée pour le Festival TransAmériques de Montréal en 2008,  L’Invisible constitue une expérience artistique fondée à la fois sur une performance scénique et l’application de technologies de pointe. La metteure en scène et créatrice, Marie Brassard considère que le théâtre est un art où dominent les multimédias et où le texte s’écrit au cours des répétitions. Dans L’Invisible, sa plus récente création, elle est à la recherche de la frontière entre vie et  mort,  passé et  présent,  réel et  fiction. Grâce à l’utilisation impressionniste du son et de l’éclairage, elle arrive à créer t une atmosphère onirique entre  réalité et  subconscient.
     Trois éléments, bien que sans lien apparent, sont ses sources d’inspiration pour L’Invisible. D’abord, le phénomène des ectoplasmes: figures fantomatiques extériorisées par un médium en état de transport spirituel. Puis la curieuse histoire de l’écrivain Jeremiah «Terminator» LeRoy, pseudonyme utilisé par Laura Albert qui s’est longtemps fait passer pour un transsexuel  fréquentant le monde underground; sa véritable  identité  ne fut révélée qu’en 2005, lors d’une enquête journalistique. Et enfin, la chute de Berlin dont on ressent la présence , bien que les traces en aient disparu.  
     Ces trois éléments, sans être  évoqués, ont inspiré Marie Brassard qui a créé un spectacle où elle cherche à rendre visible ce qui ne l’est pas d’habitude. «Ce qui était invisible devient visible, dit-elle,  et, dans la pénombre, les présences se manifestent brièvement, lumières fugaces comme celles des mouches à feu. Il est  ici question de percer les cloisons pour tenter de voir de l’autre côté: là où les histoires sont peut-être irracontables de la manière que l’on connaît, puisqu’ici, ce sont les sons qui deviennent visibles et c’est la lumière qui parle».
  La metteure en scène construit son spectacle à travers en utilisant  la voix, le son et la lumière qui s’interpénètrent pour s’articuler en un tout. Ce que les mots ne peuvent  exprimer, c’est à la musique ou au son de le faire en évoquant une atmosphère pénétrante et pleine d’émotions pour le spectateur. Une telle approche globale exige l’installation de micros partout sur scène, de sorte que les moindres sons provoqués par la lumière puissent  être amplifiés. Les matériaux utilisés  légers et très sensibles aux plus petits mouvements, bougent lorsque Marie Brassard marche  , reflètent la lumière et produisent des sons.
   Ces transitions qui exigent une maîtrise technologique de pointe sont assurés par Mikko Hynninen, Alexander MacSween et Simon Guilbault qui ont conçu les lumières, la musique et la scénographie.
 La voix de Marie Brassard a des nuances douces et  naïves,  où l’introspection, les séquences narratives, les gémissements chantés et soupirés sont amplifiés par des effets d’écho et d’étranges explorations sonores. Cela  crée des atmosphères indéfinissables, changeantes avec des images  dépaysantes grâce auxquelles elle sait nous faire passer avec une singulière aisance du monde des songes au monde réel. Et Marie Brassard réussit bien à traduire cette  relativisation de la réalité qui est à la base des questionnements  concernant l’homme, la connaissance de soi et  l’univers qui l’entoure.

Maria Stasinopoulou

 Le spectacle a été présenté du 10 au 12 février, dans le cadre du Festival des arts multidisciplinaires et électroniques (Mois Multi), à Québec.

 

PARI’S CABARET ABC

PARI’S CABARET  

 

Carte blanche à Denis Guénoun et Denis Lavant.


Ce chaleureux petit centre culturel de la Chaux de Fonds travaille sur les rencontres… Yvan Cuche,  le directeur met en pratique ette phrase de Guénoun : « Sans un peu de pensée, les théâtres sont cuits .» En première partie, c’est Patrick le Mauff, vieux complice de l’Attroupement, merveilleux comédien, qui lit un extrait d’ Après la révolution de Guénoun. Ensuite, il accompagne Denis et sa fille Léonore dans la lecture d’extraits du livre sur son père Un sémite.
Le récit de l’attentat perpétré par l’OAS détruisant l’école dirigée par son père à Oran,  qui fit fuir cette famille attachée à la culture, luttant pour une vraie fraternité entre arabes et juifs, est un grand moment. On sent l’émotion de Denis Guénoun qui revit ses terreurs enfantines. En deuxième partie, c’est Denis Lavant qui nous précipite dans un torrent de lave poétique avec Donc ! de Marcel Moreau, poète belge.
Armé d’une liasse de grands feuillets qu’il lit avec rage et disperse au fur et à mesure, il éructe, clame, mâche un verbe surprenant, le danse, le saute, le projette dans tous les sens. C’est de la lave bouillante. Il raconte une « mise au monde par une matrice langagière (…) Donc j’écris en possédé (…) crucifié par le verbe ». Malgré d’ inévitables longueurs, Denis Lavant termine en dévorant avec rage les feuillets, jonglant avec les tables, c’ est le funambule de Genet qui touchera au sublime une fois le spectacle terminé. À l’issue de la soirée, nous sommes accueillis autour d’une soupe revigorante. La pensée peut se libérer.

Edith Rappoport

 

ABC Culture La Chaux de Fonds

Maison de poupée

Maison de poupée d’Heinrick Ibsen,  traduction de Terje Sinding, mise en scène de Michel Fau.

    audreytautoumaisondepoupee.jpgCela commence fort ! Une adorable poupée tout en bleu, Nora/Audrey Tautou, qui s’anime, et anime, un hallucinant intérieur petit-bourgeois. Le décor étonnant de Bernard Fau, éclairé avec beaucoup d’art par Joël Fabing, les costumes raffinés  de David Belugou aux lignes nettes, en particulier cette robe bleue entravée qu’Audrey Tautou sait faire bouger à merveille, voilà un excellent début, très maîtrisé, qui place cette pièce d’Ibsen dans son époque.
Michel Fau, en metteur en scène avisé, donne le « la » : un réalisme fantasmagorique et grinçant. Donc, cela commence très bien, notre curiosité est aiguisée. Et la pièce démarre. La Nora d’Audrey Tautou, en femme au foyer aussi séduisante qu’horripilante, surjoue la joie, fait une époustouflante démonstration de vélocité vocale et physique, une pile électrique, une alouette au ressort remonté à bloc. C’est amusant. Et c’est bien dans l’esprit du début de la pièce.
Quant à Michel Fau qui interprète son mari, Helmer, il a une vraie intelligence du rôle. Un Helmer tout en paternalisme naïf, en autosatisfaction, plein d’amour aussi pour sa Nora chérie, amour dans lequel l’amour-propre tient la place d’honneur. C’est un comédien merveilleusement à l’aise sur le plateau, à son habitude. Il offre son jeu à Nora/Audrey avec une générosité évidente. Il est formidable. Là où ça se gâte sérieusement, c’est quand ça devient « sérieux », pour parler vulgairement. Car la Nora d’Audrey Tautou peine à trouver dans la gravité la même force que dans la frivolité.
Mais la pièce est construite sur ce parcours. Après le mensonge, la vérité. C’est à travers une douloureuse épreuve qu’elle tombe le masque et qu’elle grandit. Au final, elle sera plus forte que son mari qui, lui, reste accroché à ses faux-semblants. Cette angoisse, puis cette révélation d’elle-même, Audrey Tautou a bien du mal à nous les faire partager. Elle n’arrive pas à changer de registre. Peut-être cela viendra-t-il petit à petit au cours des représentations ? Dans le virage vers le drame, un seul moment m’a paru probant – d’ailleurs la salle l’a senti, elle est restée suspendue – c’est un silence, un long silence avant la conversation finale du couple. Un silence qui pèse, un échange de regards, l’émotion passait alors du plateau à la salle.
Autre grave problème : le docteur Rank, madame Linde, Krogstad, ne doivent pas être traités en personnages secondaires ! Ici, ils sont joués comme à la charge, d’un bloc. Les comédiens sont bons, certainement, mais ils ne rendent pas compte de la complexité des caractères et des situations. Les scènes entre Madame Linde et Krogstad, entre Nora et le docteur, sont merveilleusement écrites, elles éclairent en facettes la relation centrale, elles devraient révéler d’autres aspects de Nora.
Bref, elles méritent mieux qu’un jeu à gros traits.  On peut espérer que la pièce, sur la durée,  trouvera sa voie naturelle vers plus de profondeur. La salle était archi-remplie, pas un strapontin de libre, un public jeune malgré le prix très élevé des places (50 euros)!
L’image cinématographique d’Audrey Tautou, comme un double, se superpose-t-elle pour ce public à son interprétation de Nora ?

Evelyne Loew 

Théâtre de la Madeleine.

Les Suppliantes

Les Suppliantes, tragédie grecque d’après Eschyle, texte français, adaptation et mise en scène d’Olivier Py.

  84068unesuppleante.jpgOn a longtemps cru que la pièce datait des début d’Eschyle alors qu’il semblerait plutôt qu’il l’ait écrite à la fin de sa vie. Enfin qu’importe! La pièce n’a sans doute pas les vertus des Perses ni de l’Orestie mais il y a la même écriture, la même force et la même économie de moyens dramatiques qu’admirait tant Victor Hugo qui disait qu’on peut tester les intelligences sur Eschyle. …
Un groupe de femmes arrive de bien au delà des mers: elles ont fui leur patrie parce que leurs cousins ont voulu les épouser de force et conduites par leur père, elle viennent en Grèce demander asile et protection au roi d’Argos. On sait combien l’hospitalité était une loi et un devoir absolus dans la Grèce ancienne, quelques soient les moyens des royaumes. Le roi d’Argos est pris entre deux feux: s’il accepte d’accueillir ces femmes, il prend le risque grave d’une guerre et il a bien conscience d’être le représentant de son peuple qui   doit décider en son nom. Mais s’il refuse de les accueillir, il remet en cause le droit des plus faibles et des plus démunis à être secourus. Ce qui frappe sans doute le plus dans le texte d’Eschyle, c’est le côté « contes et légendes » qu’il ne cherche pas du tout à esquiver, comme pour mieux montrer la force du propos. Vous avez dit distanciation, du Vignal ? Texte grec en main  ( on ne se refait pas) , on y a été voir et l’on peut vous dire que l’adaptation d’Olivier Py est à la fois d’une intelligence et d’une pureté remarquables. Il a eu raison de gommer toutes les allusions mythologiques que de toute façon le public n’aurait pas compris mais en  une heure, tout est dit et bien dit de cette très vieille et lumineuse histoire: il faut simplement se laisser un peu emporter par le verbe magistral du poète. Cela se passe dans l’ancien petit foyer de l’Odéon, rebaptisé salon Roger Blin, avec un praticable au centre et deux rangées de chaises pour 80 spectateurs. Les trois comédiens : Philippe Girard, Frédéric Giroutrou et Mireille Herbstmeyer, habillés de noir, impeccablement dirigés sont exemplaires de force et de sobriété.  Cette histoire d’exilés qui demandent accueil et protection auprès d’un pays étranger ne vous rappellera sans doute rien….
Le spectacle a été conçu comme une « petite forme » pour reprendre les termes de Vitez, ce qui ne veut bien entendu pas dire une forme mineure  et est destinée à des représentations hors les murs , dans des lycées , collèges,et écoles parisiens et de banlieue mais ouvert à tout public.
Il faut  signaler que Jacques Albert-Canque,  monte aussi Les Suppliantes à Bordeaux dont nous vous rendrons compte prochainement.

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon jusqu’au 27 février à 18h 30,  et hors les murs: 01-44-85-40-40
Aix-en -Provence : 8 représentations du 2 au 5 mars 2010
Paris Hors les murs : du lundi 8 mars au jeudi 8 avril, relâche les dimanches et lundi de Pâques : 42 représentations prévues.(voir le site: odéon)

 

BURN BABY BURN

BURN BABY BURN de Carole Lacroix, mise en scène Anne-Laure Liégeois

  84065uneburn.jpg A la demande de Muriel Mayette qui répondait ainsi au vote du bureau des lecteurs de la Comédie- Française et à celui du public qui avait assisté aux lectures des textes sélectionnés, Anne-Laure Liégeois a mis en scène au Studio-Théâtre, après « Le bruit des os qui craquent » de la Québécoise Suzanne Lebeau, » Burn Baby Burn » de la Française Carine Lacroix. »Le bruit des os qui craquent » était une traversée de la forêt et de l’horreur, par deux enfants qui fuient un camp de rebelles où on les dresse à tuer et à beaucoup d’autres choses, « Burn Baby Burn » est une immersion dans les délires de l’adolescence. D’un côté, l’enfance massacrée, quel que soit le pays, quelle que soit l’époque, de l’autre, l’adolescence grisée par sa solitude même quand le monde est à portée de voix.Ce qui relie les deux pièces, c’est le besoin de raconter, Elikia dans « Le bruit des os qui craquent » livre à Josef qu’elle aide à fuir et à son cahier lu par l’infirmière qui les a recueillis, son calvaire de gamine confrontée à la barbarie , Hirip et Violette, Hirip surtout, dans « Burn Baby Burn » se font leur cinéma à coups de délires.  Dans un no man’s land très Etats-Unis, une station service désaffectée sur  une route où personne ne passe, une jeune femme, Hirip, attend d’aller chercher un héritage en Italie et  vit d’on ne sait quoi. Violette, en panne d’essence,  s’arrête là avec sa mobylette. Rencontre obligée mais difficile. L’une raconte des histoires insensées sorties de feuilletons télévisés et de son imagination; l’autre lâche peu à peu des bribes de vie moins glamour: le salon de coiffure où elle est stagiaire, les parents scotchés devant la télévision, ses amours et ses débrouilles plutôt glauques. Une fille gentille barrée dans ses rêves de midinette, et une autre qui est une boule de nerfs et de haine.   Les rêves d’Hirip vont finir par déteindre sur ceux de Violette, mais un jeune livreur de pizzas en fera les frais, et mourra sous les coups.Nous sommes dans la logique du rêve, tout est vrai et rien n’est vrai:  le monde n’est pas loin, on entend les cloches de l’église du village voisin, Hirip a des visites, et l’ on peut se faire livrer des pizzas. Mais les deux jeunes femmes  ne sont pas encore faites pour vivre dans le monde réel, et  partent en vrille, chacune à sa façon.Le texte de Carine Lacroix est drôle et grave, et sa façon de décoller du réalisme pour dire les angoisses de l’adolescence, est toujours juste dans sa fantaisie,  comme était juste la dénonciation sans pathos de Suzanne Lebeau. Les mêmes comédiens passent avec un grand professionnalisme et un  plaisir visible d’un univers à l’autre, Suliane Brahim et Isabelle Gardien , Benjamin Jungers aussi juste en jeune garçon qu’en adolescent perdu, et Gilles David et sa présence ironique..en commentateur de l’action.

Françoise du Chaxel

Au Studio-Théâtre de la Comédie Française, Carrousel du Louvre, jusqu’ au 5 Mars
01 44 58 98 58.

Un Tramway, d’après Un Tramway nommé Désir

Un Tramway, d’après Un Tramway nommé Désir de Tennessee Williams, mise en scène de Krzystof Warlikowski.

1832.jpgTrois semaines après la première, puisque l’occasion nous en est donnée, un petit point sur la dernière création du maître, une fois dissipés les déferlements médiatiques, pour ou contre  cette mise en scène. D’abord,  les puristes ont tort: on ne peut accuser le metteur en scène polonais d’avoir triché , puisque l’affiche indique en toutes lettres d’après Un Tramway, donc libre à lui de faire ce qu’il veut avec cette œuvre  datée.
Avec la meilleure volonté du monde, il est en effet difficile de restituer l’atmosphère de ce pauvre logement du Sud tel que l’ a précisément décrit Tennessee Williams dans les didascalies. Donc le metteur en scène a adopté un autre parti pris qu’on ne saurait , de prime abord,  lui reprocher. Et Barbara Petit  a tout a fait raison quand elle préconise de laisser ses préjugés au vestiaire.

 La scénographie que décrit plus haut  notre consœur et amie (1) est bien un peu encombrante avec cette grande galerie en verre à roulettes qui peut faire penser à ces installations branchouille que l’on a  déjà vues dans les centres d’art contemporain, et chez la metteuse en scène Deborrah Warner. Mais ces fréquents aller-et-retour sur roulettes du fond vers l’avant scène font un tantinet gadget. Comme ce recours systématique et très vite fatiguant au grossissement vidéo du visage d’Isabelle Huppert  qui semble avoir fasciné Warlikowski, au point d’avoir fait de l’actrice le centre de la pièce.
La vidéo règne ici en permanence mais on ne  voit pas bien l’intérêt qu’il y à montrer sans cesse la même image , et verticale et horizontale de son visage..Le metteur en scène s’empare de son joujou favori avec délectation.. Mais ce n’est pas toujours vraiment convaincant, malgré de très belles images qui, on le sait, procurent toujours un certain effet.
C
ela dit, la mise en scène, la direction  et le jeu des comédiens : Isabelle Huppert, Andrzej Chira, Florence Thomassin, Yan Colette, et Cristian Solo ( c’est l’ordre indiqué sur le programme!) sont  impeccables, même si les micros HF inévitables à cause de cette cloison de verre tendent comme d’habitude à uniformiser les voix. Les chansons interprétée par Renate Jeff sont tout aussi admirablement interprétées. Tout cela a dû coûter très très cher, sans véritable nécessité, mais bon, Warlikowki n’est pas un adepte d’un théâtre fait de bouts de ficelle et de vieux pendrillons noirs! Et tant mieux, si l’Odéon et les coproducteurs du spectacle en ont les moyens…
On oubliera aussi les déshabillages et rhabillages successifs de la vedette, ce qui est agaçant; le programme prend bien soin de préciser que (sic)  » Mademoiselle Huppert est habillée par la Maison Yves saint-Laurent et la Maison Christian Dior « . Cela vous  a un air de mauvais théâtre privé..et c’est
assez pathétique, quand il s’agit d’un théâtre national!
tramway1.jpg  Enfin le metteur en scène polonais qui a  enlevé depuis le début des représentations un quart d’heure de son spectacle  aurait pu aussi nous épargner ces ajouts de petits textes  qui vont de La Dame aux camélias, à Coluche, Claude Roy,  pour finir avec un extrait interminable de La Jérusalem délivrée de Torquato Tasso qui se déroule au dessus du cadre de scène..
En fait, tout se passe un peu comme si Warlikowski s’exprimait avec une certaine condescendance: du genre, je choisis une adaptation opérée à la hache par Wajdi Mouawad , je rajoute ce qui me plaît parce que j’en sens la nécessité  personnelle, et que cela m’amuse; au passage ,je me livre à une sorte de petit exorcisme personnel, en choisisssant un acteur polonais pour incarner un émigré…polonais.
Et autrement dit:  » si cela ne vous plait pas, tant pis pour vous et ne parlons pas de travail, moi, j’opère dans la sensibilité et cela dépend de votre degré de compréhension  quant à ce que j’ai voulu faire; et c’est bien fait pour vous si vous n’êtes pas assez malin pour comprendre toute l’intelligence que j’ai pu y mettre.

Mouais, mouais, mouais…L’ennui en effet,  c’est que cela ne fonctionne pas tout à fait- le public est peut-être fait de gens très différents mais ,c’est un des miracles du théâtre, il est loin, très loin même d’être bête et insensible, et avant-hier soir, il semblait n’être pas dupe ! La pièce  de T. Williams , passée à la machine à laver Mouawad, ressort de là  en charpie, et, mis à part les scènes entre les deux soeurs, et entre Blanche et Stanley, le scénario devient  un prétexte à la création de belles images , ( dont certaines déjà vues dans (A)polonnia…).
Le temps parait donc  longuet surtout vers la fin de ces deux heures quarante cinq, et bien rares sont les véritables moments d’émotion. Comme si, par delà la tombe, le cher Tennessee s’était un peu vengé du sort fait à sa pièce….   Mais  c’est bien le metteur en scène qui a été chercher W. Mouawad! En fait,  le système warlikowskien, malgré ses grandes qualités, semble un peu à bout de souffle! Le réalisateur polonais, devenu la véritable coqueluche des festivals  occidentaux, devrait sans doute réviser une copie devenue quelque peu narcissique avec le temps

 Alors à voir? C’est selon: si vous avez envie d’aller voir  Isabelle Huppert  dans quelques scènes cultes du Tramway nommé Désir laissées par bonheur à peu près intactes, et si vous n’avez jamais vu de mise en scène de Warlikowski,  cela pourrait être une occasion, sinon on n’est pas obligé d’être béat devant toute cette sophistication et ce raffinement lumineux et sonore, et l’on peut s’abstenir. Le public en tout cas n’avale pas tout ce que l’on veut, comme le croit sans doute naïvement le metteur en scène, et les rappels ont été du genre plutôt pingre… C’est peut-être une leçon qu’il devrait méditer.
L’équation:  pièce ultra-connue surtout pour son adaptation au cinéma avec des acteurs culte (mais ici bien charcutée) +une comédienne-vedette de cinéma, et des comédiens solides + une scénographie un peu prétentieuse+ de la musique rock et des lumières sophistiquées… Cela ne fonctionne pas à tous les coups… même si c’est admirablement bien réalisé. Il y manque tout simplement un peu d’âme… » L’humilité est le contre-poison de l’orgueil « , disait déjà Voltaire, et cela vaut aussi pour le théâtre contemporain.

 

Philippe du Vignal

(1) Un tramway ,voir plus bas dans Le Théâtre du Blog.
Théâtre de l’Odéon jusqu’au 3 avril.

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