Les Naufragés du Fol Espoir
Les Naufragés du Fol Espoir, une création collective mi-écrite par Hélène Cixous, librement inspirée d’un mystérieux roman posthume de Jules Verne. (sic)
Le spectacle au titre merveilleux porte un peu le titre d’un roman posthume de Jules Verne Les naufragés de Jonathan, qui , en fait , fut écrit par son fils Michel d’après En Magellanie qui, lui, fut bien écrit par Jules Verne… Vous suivez toujours? Et dont Hélène Cixous a repris le scénario et et un certain nombre de dialogues.
Les choses se situent au moment de la grande révolution industrielle: le chemin de fer existe déjà depuis un bon moment mais Thomas Edison invente en 77 le phonographe, et Muybridge le mouvement cinématographique; quant à l’avion, il ne va pas tarder à s’ envoler.
Mais c’est aussi en 89 à Mayerling, l’assassinat resté mystérieux de l’Archiduc Rodolphe de Hasbourg-Lorraine, héritier du trône d’Autriche-Hongrie et de sa maîtresse Maria Vetsera qui fit l’objet de nombreux films. Le patron d’un petit café Le fol Espoir va prêter un grenier à Jean qui a envie de réaliser un film qui raconterait l’aventure de pauvres émigrés embarqués à Cardiff , partis pour l’Australie et qui échouent finalement en Terre de Feu où les populations se mélangent: on y trouve de très méchants capitalistes venus faire fortune à n’importe quel prix, des missionnaires et des bonnes soeurs mais aussi des Indiens Alakalufs démunis contre la violence des Occidentaux qui se croient chez eux.
Mais en Europe, la guerre menace,l’Autriche menace la Serbie d’un ultimatum la tension monte et ce sera bientôt l’assassinat de Jaurès, opposé à la guerre, par un jeune nationaliste qui sera plus tard acquitté..Un mois plus tard, l’Allemagne déclarait la guerre à la France. Non, on n’était pas le moyen-Age mais il y a à peine cent ans…
Hélène Cixous s’est donc emparée de ce roman des Verne père et fils, et a imaginé cette histoire de tournage de film avec les moyens de l’époque : Jean qui s’est autoproclamé réalisateur , son épouse Gabrielle qui est à la manivelle , et toute une équipe d’amis venus prêter main-forte vont se mettre au travail pour faire ce film. Avec toute une série d’éléments de décors absolument fabuleux- de vraies et belles toiles peintes comme Bob Wilson et Alfredo Arias les ont refaites dans les années 70.
On assiste si on veut bien ne pas laisser son âme d’enfant au vestiaire à une sorte de plongée dans une autre époque, avec tout ce qu’il faut pour créer des images de toute beauté: remarquables costumes et accessoires, éclairages de tout premier ordre, musique symphonique et sons de Jean-Jacques Lemêtre impeccables: bref, la grande classe.
Ariane Mnouchkine-qui n’a pas signé la mise en scène, est quand même bien là, et c’est bien elle qui a dirigé d’une main de fer les trente deux comédiens: aucun doute là-dessus: il y a peu de metteurs en scène français qui sont capables d’une pareille performance scénique. Et le parcours est absolument sans faute …
Tout est faux bien sûr, plus que faux, mais cette mise en abyme du théâtre dans le cinéma avec cette fausse naïveté: la mer en furie, le bateau dans les glaces, le naufrage, le vent qui souffle sur la banquise, la neige qui tourbillonne, rend encore les choses plus vraies.Les comédiens ne parlent jamais quand ils sont sur le plateau et les dialogues sont projetés comme ils l’étaient dans le cinéma muet.
Reste que, comme le scénario et le dialogue sont d’une faiblesse insigne ( d’accord, on est dans le second degré mais quand même!) et que les scènes ont une singulière tendance à se répéter, on sature assez vite. Et ce livre d’images, au départ très séduisant, passé la première heure, devient d’un ennui accablant. Il y a bien quelques petites et pauvrettes digressions sur le féminisme, le racisme et le capitalisme, source de tous les malheurs de l’humanité, mais le dialogue est vraiment trop faible, ce qui serait sans doute un vrai bonheur si la chose durait une heure et demi, devient franchement d’un ennui à couper au couteau. Et comme après l’entracte on a encore droit à une louche d’une heure et demi, on se demande bien ce que l’on est venu faire là.
La faute à quoi? Ni à la mise en scène ni aux comédiens, à la fois, rigoureux, humbles et solides, mais à la dramaturgie inexistante concoctée par Hélène Cixous. Là, il y a vraiment eu une erreur de tir…Très franchement, cela ne se passerait pas au Théâtre du Soleil, le public ne viendrait sans doute pas aussi nombreux.
Oui, mais voilà: c’est le Théâtre du Soleil et il y a toujours cet accueil simple et généreux, où les serveurs du bar vous souhaitent gentiment un bon spectacle , où il y a un mélange assez étonnant de générations, un restaurant pas cher où les gens font l’effort de se respecter, et de se parler. D’autant plus qu’ils savent plus ou moins tout ce que l’on doit à cet endroit mythique et connu du monde entier, et où nombre d’acteurs, et non des moindres, sont passés, et où a été créé l’illustrissime 1789.
La Cartoucherie, c’est un peu le Théâtre du Vieux-Colombier pour toute une génération, un lieu où se sont forgés de nouveaux outils théâtraux, comme une espèce de trésor national inestimable. Oui, inestimable. C’est vrai qu’à chaque fois que l’on pénètre dans ce lieu, on se dit que, sans Ariane Mnouchkine et tous les premiers compagnons de cette troupe maintenant âgés ou disparus, le théâtre français contemporain ne serait pas du tout, mais vraiment pas du tout ce qu’il est.
Et dans ces temps de froidure artistique et de grande bêtise politique, cela fait chaud au coeur. Alors y aller ou pas? Si vous avez le courage de tenir quatre heures pour un spectacle interminable que l’on oubliera assez vite, peut-être; mais on vous aura prévenu; et le public? Il restait assez partagé: de très jeunes filles se sont levées à la fin pour applaudir, éblouies par la prouesse technique mais les autres spectateurs, un peu assommés, trouvaient sans doute qu’il y avait surdose, et il n’est pas certain que si la salle avait été configurée autrement et qu’il y avait eu une navette prête à partir, il n’y aurait pas eu nombre de défections…
Philippe du Vignal
Théâtre du Soleil à la Cartoucherie de Vincennes.
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LES NAUFRAGÉS DU FOL ESPOIR création collective du Théâtre du Soleil, mi-écrite par Hélène Cixous sur une proposition d’Ariane Mnouchkine, librement inspirée d’un mystérieux roman posthume de Jules Verne.
Comme toujours, Ariane Mnouchkine prend le temps de la maturation, ce spectacle qui aurait dû naître en novembre 2009 n’a pu éclore que le 3 février 2010, et encore, considérant qu’il n’était pas prêt, elle a remboursé les spectateurs ! Le 28 septembre 2009, nous avions été accueillis au Théâtre du Soleil, des tables avaient été dressées dehors devant le théâtre, et nous avions pu voir le film réalisé par la compagnie à la manière de Jules Verne, pour aller chercher le prix décerné par la Norvège qui leur avait permis de monter le spectacle.
Après un buffet collectif généreux permettant les rencontres entre les amis du Soleil, nous étions conviés à l’intérieur où Ariane avait annoncé, comme d’habitude, le retard probable de la création. En effet, elle ne pouvait à la fois mettre en scène et commenter l’action du spectacle, et elle a consenti à se faire remplacer seulement 15 jours auparavant ! Comme toujours, nous pénétrons dans l’accueil revêtu comme les beaux livres rouge et or de Jules Verne de notre enfance, peints par Didier Martin, Erol Gulgonen et Marion Lefebvre.
Au bar, nous sommes servis par des acteurs, on peut enfin pénétrer dans la salle, un vrai privilège de vieux amoureux d’avoir pu obtenir des places au début des représentations ! Il s’agit de la réalisation d’un film tourné en 1914, à la veille de la première guerre mondiale. 31 comédiens assistés d’une équipe technique étonnante s’y attellent, nous sommes dans une guinguette, tout le monde s’y met, les serveuses, les garçons, les clients, tout le monde en grande tenue. On filme la colonisation des îles Falkland en Patagonie par l’Angleterre, c’est Maurice Durozier vieux complice du Soleil qui mène la danse , metteur en scène impatient malgré les aléas techniques. Les 31 comédiens font merveille, ils réalisent d’étonnantes prouesses en transformant le plateau en quelques secondes, déployant d’immenses toiles de splendides marines, accompagnés par Jean-Jacques Lemêtre qui a « convoqué les âmes de ses grands ancêtres du XIXe et du XXe siècle », Beethoven, Berlioz, Carl Orff etc. Et toujours Monsieur Jean la Palette le metteur en scène demande à Madame Gabrielle (Juliana Carneiro de Cunha): » tourne la manivelle, tourne la manivelle ». Après une première partie un peu brouillonne, on se laisse emporter dans ce flot tumultueux et généreux issu de En Magellanie, le dernier voyage de Jules Verne publié après sa mort. A revoir, c’est comme toujours du grand art !
Edith Rappoport
Théâtre du Soleil. Cartoucherie de Vincennes.

ême si l’exercice présenté est artificiel et revendiqué comme tel, il possède une belle intelligence et une immense rigueur, même s’ il a un côté réservé aux seul initiés. Et l’on se dit que les élèves de cet atelier ne seront pas passés inutilement parmi ces écrits théoriques bien connus, surtout quand Seweryn les fait interpréter sur un plateau. Même avec des réussites inégales. ( Les conseils de Diderot comme théâtre grec et la dernière partie qui est une sorte de parodie de Grotowski que peu de gens aujourd’hui ont pu voir autrement que par des films n’ont rien de très convaincant ; quant aux scènes de La Cerisaie interprétées selon tel ou tel théoricien, mieux vaut être un bon spécialiste du théâtre pour essayer d’en percevoir les nuances. mais il y a des choses très drôles comme cette scène où Brecht -joué par Nadine Bïer, explique sa pensée, ou celle de La Parole de Stanislasvki prononçant un discours, dont la traduction est assurée par une jeune fille raide, et commentée par un ministre français sont de tout premier ordre: Fehmi Karaaslan, Laure-Lucile Simon et Maxime Dambrin font ici un travail des plus remarquables. Il y a aussi, presque parodique La Parole d’Artaud, où Mathurin Voltz prononce la fameuse conférence Pour en finir avec le Jugement de Dieu. Il n’est pas possible de les citer tous les douze mais il y a aussi la célébrissime fin de La Cerisaie ; Andrzej Seweryn a confié le rôle de Firs, le vieux domestique à Manon Kneusé: ce n’est pas long, juste quelques minutes mais la jeune actrice, le corps complètement cassé, en en proie à la solitude la plus totale, s’appuyant sur une canne dont le bruit résonne sur le plancher de la salle Louis Jouvet, est un moment vraiment très fort. Ce qui frappe le plus dans cet immense travail, c’est la discipline, l’humilité et la cohésion du groupe: que ce soit dans l’interprétation des scènes de La Cerisaie, ou dans celle des textes théoriques, ou bien encore dans la mise ne place du plateau avant chaque scène. Seweryn, depuis que nous le connaissons, quand il avait monté de façon remarquable Peins d’amour perdues avec une promotion d’élèves de Chaillot, n’est pas un enseignant des plus tendres mais- et il a raison- il a toujours su faire preuve de la rigueur et de la générosité indispensable aux grands pédagogues de théâtre

Créée pour le Festival TransAmériques de Montréal en 2008, L’Invisible constitue une expérience artistique fondée à la fois sur une performance scénique et l’application de technologies de pointe. La metteure en scène et créatrice, Marie Brassard considère que le théâtre est un art où dominent les multimédias et où le texte s’écrit au cours des répétitions. Dans L’Invisible, sa plus récente création, elle est à la recherche de la frontière entre vie et mort, passé et présent, réel et fiction. Grâce à l’utilisation impressionniste du son et de l’éclairage, elle arrive à créer t une atmosphère onirique entre réalité et subconscient.
Cela commence fort ! Une adorable poupée tout en bleu, Nora/Audrey Tautou, qui s’anime, et anime, un hallucinant intérieur petit-bourgeois. Le décor étonnant de Bernard Fau, éclairé avec beaucoup d’art par Joël Fabing, les costumes raffinés de David Belugou aux lignes nettes, en particulier cette robe bleue entravée qu’Audrey Tautou sait faire bouger à merveille, voilà un excellent début, très maîtrisé, qui place cette pièce d’Ibsen dans son époque.
On a longtemps cru que la pièce datait des début d’Eschyle alors qu’il semblerait plutôt qu’il l’ait écrite à la fin de sa vie. Enfin qu’importe! La pièce n’a sans doute pas les vertus des Perses ni de l’Orestie mais il y a la même écriture, la même force et la même économie de moyens dramatiques qu’admirait tant Victor Hugo qui disait qu’on peut tester les intelligences sur Eschyle. …
A la demande de Muriel Mayette qui répondait ainsi au vote du bureau des lecteurs de la Comédie- Française et à celui du public qui avait assisté aux lectures des textes sélectionnés, Anne-Laure Liégeois a mis en scène au Studio-Théâtre, après « Le bruit des os qui craquent » de la Québécoise Suzanne Lebeau, » Burn Baby Burn » de la Française Carine Lacroix. »Le bruit des os qui craquent » était une traversée de la forêt et de l’horreur, par deux enfants qui fuient un camp de rebelles où on les dresse à tuer et à beaucoup d’autres choses, « Burn Baby Burn » est une immersion dans les délires de l’adolescence. D’un côté, l’enfance massacrée, quel que soit le pays, quelle que soit l’époque, de l’autre, l’adolescence grisée par sa solitude même quand le monde est à portée de voix.Ce qui relie les deux pièces, c’est le besoin de raconter, Elikia dans « Le bruit des os qui craquent » livre à Josef qu’elle aide à fuir et à son cahier lu par l’infirmière qui les a recueillis, son calvaire de gamine confrontée à la barbarie , Hirip et Violette, Hirip surtout, dans « Burn Baby Burn » se font leur cinéma à coups de délires. Dans un no man’s land très Etats-Unis, une station service désaffectée sur une route où personne ne passe, une jeune femme, Hirip, attend d’aller chercher un héritage en Italie et vit d’on ne sait quoi. Violette, en panne d’essence, s’arrête là avec sa mobylette. Rencontre obligée mais difficile. L’une raconte des histoires insensées sorties de feuilletons télévisés et de son imagination; l’autre lâche peu à peu des bribes de vie moins glamour: le salon de coiffure où elle est stagiaire, les parents scotchés devant la télévision, ses amours et ses débrouilles plutôt glauques. Une fille gentille barrée dans ses rêves de midinette, et une autre qui est une boule de nerfs et de haine. Les rêves d’Hirip vont finir par déteindre sur ceux de Violette, mais un jeune livreur de pizzas en fera les frais, et mourra sous les coups.Nous sommes dans la logique du rêve, tout est vrai et rien n’est vrai: le monde n’est pas loin, on entend les cloches de l’église du village voisin, Hirip a des visites, et l’ on peut se faire livrer des pizzas. Mais les deux jeunes femmes ne sont pas encore faites pour vivre dans le monde réel, et partent en vrille, chacune à sa façon.Le texte de Carine Lacroix est drôle et grave, et sa façon de décoller du réalisme pour dire les angoisses de l’adolescence, est toujours juste dans sa fantaisie, comme était juste la dénonciation sans pathos de Suzanne Lebeau. Les mêmes comédiens passent avec un grand professionnalisme et un plaisir visible d’un univers à l’autre, Suliane Brahim et Isabelle Gardien , Benjamin Jungers aussi juste en jeune garçon qu’en adolescent perdu, et Gilles David et sa présence ironique..en commentateur de l’action.
Trois semaines après la première, puisque l’occasion nous en est donnée, un petit point sur la dernière création du maître, une fois dissipés les déferlements médiatiques, pour ou contre cette mise en scène. D’abord, les puristes ont tort: on ne peut accuser le metteur en scène polonais d’avoir triché , puisque l’affiche indique en toutes lettres d’après Un Tramway, donc libre à lui de faire ce qu’il veut avec cette œuvre datée.
Enfin le metteur en scène polonais qui a enlevé depuis le début des représentations un quart d’heure de son spectacle aurait pu aussi nous épargner ces ajouts de petits textes qui vont de La Dame aux camélias, à Coluche, Claude Roy, pour finir avec un extrait interminable de La Jérusalem délivrée de Torquato Tasso qui se déroule au dessus du cadre de scène..