Camus par Virgil Tanase
Camus par Virgil Tanase
Si l’entrée au Panthéon d’Albert Camus a alimenté bien des tempêtes médiatiques, le cinquantième anniversaire de sa mort, lui, suscite de nombreuses éditions et rééditions en tous genres. Parmi les inédits, Virgil Tanase, écrivain et homme de théâtre, réussit une très belle biographie.
Composées dans un style fluide et léger, ces quatre cents pages passionnantes se lisent d’une traite. Virgil Tanase marie une plume alerte à la précision des sources sans s’égarer en détails inutiles. Et il peint la vie étonnante de Camus, si intrinsèquement liée à l’Histoire, comme son œuvre. Une vie marquée du sceau de la révolte, alternant avec des phases de profond découragement.
Le biographe revient bien sûr sur son lien indéfectible à l’Algérie et à sa mère, ses affinités électives, sa maladie des poumons , ses démêlés avec l’intelligentsia parisienne, le journalisme à Combat, le travail de lecteur chez Gallimard, l’échec de ses relations avec les femmes… Mais surtout la probité, l’indépendance, l’amour des humbles, l’engagement qui l’agitent, viscéralement ancrés en lui.
Et pour ce qui nous rassemble autour de ce blog: la passion du théâtre, Virgil Tanase offre des pages savoureuses, intenses. Sur ses pièces (Le Malentendu, Caligula, Les Justes), les mises en scènes et les critiques qu’elles reçoivent, l’auteur nous immerge dans une scène théâtrale aujourd’hui disparue et, pour nous, souvent déroutante. Cela se passe au Théâtre Hébertot, au Théâtre Récamier, et au Palais-Royal. Camus et le théâtre, c’est une histoire d’amour incommensurable et pérenne. Car « le théâtre est un refuge, la création une façon d’aimer apaisante pour la conscience (…) Le théâtre, à la différence de l’écriture, est un travail concret et protège l’artiste de l’abstraction (…) C’est aussi un travail qui préserve de la solitude : il s’effectue dans la solidarité d’un groupe où fonctionnent émulations et engagements réciproques. ».
Pour Camus, le théâtre est avant tout populaire, dans la lignée de Romain Rolland, Firmin Gémier, et surtout de Jacques Copeau qu’il admire beaucoup, ou politique à l’instar d’Erwin Piscator à Berlin. « Militant et homme de lettres, Camus trouve dans le théâtre un moyen d’être les deux à la fois ». Ce qu’il souhaite ? « La victoire du théâtre de participation sur celui de la distanciation ». À la demande de Malraux, il écrira un texte sur un projet qui lui est cher, celui d’un nouveau Théâtre pour « glaner le public populaire ».
À Alger, déjà, où il œuvre au Théâtre du Travail, il monte Gorki, Machiavel, Fernando de Rojas, adapte Balzac. Les adaptations, Camus les affectionne et les entreprendra toute sa vie : Les Esprits de Pierre de Larivey, Requiem pour une nonne de Faulkner, Lope de Vega, Buzzati, Dostoïevski et à Paris, il rencontre Jean-Louis Barrault, Pierre Brasseur, Madeleine Renaud, Gérard Philipe, et surtout Maria Casarès, sa sœur en exil, miroir d’une réussite, avec laquelle il entretient une liaison aussi passionnée que tumultueuse pendant des années. Pour elle, il compose une adaptation de La Dévotion à la croix de Calderon, « taillée sur mesure ».
Sartre, qui le trahira plus d’une fois, il lui propose de monter Huis-Clos puis se rétracte. Certains spectacles l’inspirent : « Suréna de Corneille jouée à la Comédie Française lui donne des pistes pour son travail de dramaturge à la recherche d’une tragédie moderne capable d’émouvoir sans tomber dans le vérisme du théâtre bourgeois ». D’autres non : « Claudel. Esprit vulgaire ». Avec des amis, il lit Le Diable attrapé par la queue de Picasso.
Une biographie très intéressante qui appelle quelques réserves. Virgil Tanase fait parfois preuve de mauvaise foi ou d’aveuglement, lorsqu’il écrit : « Catherine (la mère de Camus) aime tendrement ses enfants, mais lorsque leur grand-mère leur donne le fouet, elle ne les défend pas, murée dans son silence qui d’une obéissance est devenue une résignation, puis une façon de vivre (…) Albert Camus est un enfant heureux. Son père ne lui manque pas car, ne l’ayant jamais connu, il n’imagine pas ce qu’il a perdu. La pauvreté ne le gêne pas parce qu’autour de lui tout le monde est logé à la même enseigne ». Est-il à ce point ignorant en psychologie ? D’autant que les faits qu’il rapporte contredisent quelques pages plus loin ses propos…
On lui serait gré également de nous épargner ses jugements de valeur concernant ses semblables : « Dans l’hôtel minable de Montmartre, Camus côtoie des putes, des maquereaux, des artistes ratés et des paumés de toutes sortes. » Tanase aimerait-il que l’on parle de lui de la sorte ? Enfin, comment peut-il prétendre : « Camus exagère sans doute mais il est sincère dans son exagération » ? Qu’en sait-il ?
Ces réserves mises à part, ce petit livre permet de traverser la vie incroyable et douloureuse d’un grand homme, qui n’était d’aucun parti, excepté celui de l’Homme. Une invite à redécouvrir son œuvre autrement…
Barbara Petit
Camus Par Virgil Tanase, folio biographies, Gallimard, 416 pages, 8,20 euros.