Comment ai-je pu tenir là-dedans?
Comment ai-je pu tenir là-dedans? d‘après La Chèvre de M. Seguin d’Alphonse Daudet , une fable de Stéphane Blanquet et Jean Lambert-wild, direction Jean Lambert-wild.
Les contes pour enfants ont la cote auprès des jeunes metteurs en scène ; la plupart traitent de la transgression comme Barbe-Bleue, Le Petit chaperon rouge et combien d’autres … et il y a le plus souvent de la perversion dans l’air. Bref, de quoi plaire à la fois aux enfants et aux adolescents , comme aux adultes qui y trouvent aussi leur compte… mais sans doute pas de la même façon, puisqu’il y a toujours un arrière-plan psychanalytique : » la chèvre blanche, à moitié saoule, se vautrait là-dedans, les jambes en l’air et roulait le long des talus ».
Le spectacle n’a rien d’une illustration du célèbre conte de Daudet mais c’est plutôt une sorte de relecture personnelle de Jean Lambert-wild.Aucune autre personnage que la chèvre incarnée par une jeune artiste allemande: Sike Mansholt, oeuvrant à la fois dans la performance, la vidéo, la danse et l’écriture poétique qui, cette fois, restera muette; le texte étant dit en voix off par ce comédien exemplaire qu’est André Wilms. Composante essentielle du spectacle, un environnement composé d’une table, d’un coffre , d’une chaise et d’une sorte de grande marionnette à la forme évoquant le loup, environnement installé sur un plateau tournant et que l’on va retrouver, un peu modifié , deux autres fois, puisque le plateau est divisé en trois parties séparées par une paroi de papier que la jeune femme franchira en les déchirant d’un coup de cutter. C’est, marque de fabrique de Jean-Lambert Wild, remarquablement conçu et interprété, même si la voix d’André Wilms est un parfois peu trop monocorde. Le spectacle, on l’aura compris , est sans concession aucune, et tient souvent plus de la » performance », puisqu’il associe la voix de Wilms , la musique de Jean-Luc Therminarias, vieux complice du metteur en scène et l’expression gestuelle tout à fait remarquable de Sike Mansholt, privilégiant l’image de ce voyage dans la fable de Daudet. Jean Lambert-wild et ses complices veulent dire à la fois l’enfance, la transgression comme nécessité vitale mais aussi la difficulté à intégrer le monde des adultes. Ce que peut révéler une lecture plus analytique du texte mais ce qu’il n’est pas évident à révéler sur une scène en cinquante cinq minutes… Il y a souvent de fabuleuses images, par exemple quand la jeune femme ouvre le corps du loup et que s’échappent des milliers de pastilles de couleur.
Tout se passe, semble-t-il, comme si l’on avait affaire à un spectacle pour enfants qui tiendrait davantage de la « performance » d’artiste peintre destinée à un public averti qu’à un public d’enfants et d’adolescents. Mais , à quelques bémols près, si étonnant que cela puisse paraître, ce type de dramaturgie fonctionne.. Les enfants étant sans doute plus sensibles à des choses que nous sommes bien incapables de percevoir, avec notre cerveau déjà encombré à l’entré de tas de scories. Et ce genre d’approche du théâtre n’est pas sans parenté avec celui de PIerre Blaise dont nous parlions il y a peu de temps dans Le Théâtre du Blog.
Même exigence, même perfection de la forme et même recherche d’un autre langage dramatique où l’on considère l’enfant encore plus susceptible de saisir la beauté du monde que n’importe que adulte. Avec sa sensibilité à lui qui n’a pas grand chose à voir avec la nôtre. En tout cas, Jean Lambert-wild aura ouvert une des pistes les plus intelligentes à l’heure actuelle dans ce que l’on appelle le théâtre pour enfants.
Philippe du Vignal
Comédie de Caen ( maintenant en tournée: 02-31-46-27-27) En 2013:
Nouveau Théâtre de Montreuil du 21 février au 1er mars et Théâtre de l’Archipel à Perpignan du 17 au 20 mars . L’Hexagone, scène nationale de Meylan, les 28 et 29 mars . La Condition publique, Roubaix Le 21 mai .