Mère Courage et ses enfants

Mère Courage et ses enfants,  de Bertolt Brecht, adaptation de Peter Hinton, mise en scène de Peter Hinton, et  adaptation par Alain Cole  des partitions de Kurt Weil et des chansons de Paul Dessau.

  nacmotherdress0294.jpgLa pièce,  écrite en 1939, fut  créée à Zurich en 1941. Toutefois, depuis la sortie du film Mutter Courage und ihre Kinder (en deux versions,  1955 et 1961) à partir des scénarios de Brecht, avec Helene Weigel dans le rôle titre, il est  difficile de ne pas penser au jeu  de la célèbre comédienne qui avait superbement incarné ce personnage emblématique qui survit en traînant sa carriole à travers l’Europe dans le sillage de l’armée suédoise en guerre contre la Pologne.
  Courage observe et profite de tout le mal semé par cette  «  bonne guerre » …de Trente ans: la famine, la peste, la terreur et la ruine, dont le  prétexte était de protéger les habitants contre les méfaits de l’autre religion …   Comme les  recruteurs , qui vivent de la guerre, le constatent : « la paix c’est la pagaille », « seule la guerre crée de l’ordre »  et  Mère Courage  symbolise cette éthique perverse : elle  profite de la conflagration  pour faire de bonnes affaires, même si elle y perd ses fils et sa fille.  Courage  peut réagir  lorsqu’un de ses enfants  meurt mais elle récupère vite sa carriole et ne cesse de penser à ses affaires aux dépens de toutes les victimes de cette violence. 
 Brecht n’annonce-t-il pas déjà les vendeurs d’armes des compagnies multi-nationales qui profitent du chaos et de l’horreur provoqués par les  guerres pour s’enrichir? Plus triste encore: Courage ne se rend pas  compte que la guerre est absurde, que la mort de ses proches n’est pas nécessaire et que son activité de vieille bête de proie  est profondément immorale , puisqu’il lui  faut avant tout  récupérer de la marchandise et poursuivre sa route pour continuer à gagner de l’argent!
Il y a quand même une lueur d’espoir   à la fin du sixième des douze  épisodes:  tout de suite après que les soldats aient brutalisé sa fille Catherine,  Courage s’affole  et se souvient des événements qui ont rendu sa fille muette. « La guerre doit être maudite »,  crie-t-elle mais elle  voit  aussi que c’est « une belle source de profit » et  elle aura toujours  cette obsession d’acheter et de vendre, sur le dos des morts. Obsession typique de cette dialectique brechtienne  solidement ancrée dans la pièce. 

  Le metteur en scène Peter Hinton, est parti directement du texte de Brecht  pour refaire une traduction/adaptation plus actuelle et  tout à fait satisfaisante. Et clin d’oeil de Peter Hinton: pendant l’entracte, on diffuse l’ enregistrement  d’un dialogue entre  Brecht  et McCarthy, lors de la fameuse chasse aux communistes aux États-Unis dans les années 1950, quand le dramaturge dût comparaître devant le comité du Sénat dirigé  par McCarthy.   Cette triste période  avait inspiré Les Sorcières de Salem  à Arthur Miller et, en l’évoquant, Hinton  fait un clin d’œil à son public anglophone : comme Miller dénonçait les fanatiques de la guerre froide, Brecht et Hinton  dénoncent les profiteurs de la guerre.
Malheureusement, la lecture que fait Hinton de Mère Courage perd beaucoup de son mordant. Et Madame  Jacobs,  (Mère Courage) manque de l’indispensable énergie vocale mais aussi de la colère, de  la rage, et l’indépendance  de cette créature légendaire qui devient un microcosme de l’avarice capitaliste. Mais les effusions d’émotion font de cette Mère Courage un personnage trop sensible,  sans que le côté mercantile vienne rééquilibrer les choses
   Brecht réfléchissait souvent sur les techniques de Stanislavski par rapport à son propre théâtre « épique », et l’évocation possible d’une affectivité de  l’acteur n’est certainement pas exclue mais ici,  Hinton a sans doute trop  cherché  un effet d’identification avec le public. Ces glissements  faciles vers le désespoir, déséquilibrent le jeu de Courage et nous empêchent de réfléchir  aux mobiles économiques de son personnage. Elle est, tout simplement, trop sympathique, et ici ,c’est un contre-sens total.
La musique, adaptée par Alan Cole des partitions de Kurt Weil  et des chansons de Paul Dessau est efficace et plus intéressante que les chansons écrites par Dessau. Mais  la seule comédienne capable de chanter/dire ces vers et de leur donner toute leur  puissance dramatique est  Yvette, la prostituée (Jani Lauzon).  Les autres comédiens sont dépassés par cette musique qui exige une qualité de voix particulière pour s’adapter  aux  ruptures atonales voulues par Kurt Weill. 
 Mais  le travail scénographique est remarquable. Des couchers de soleil  orange et sang, sont  projetés sur le fond de scène et  des spots  transforment les soldats en ombres lugubres qui se traînent à travers le paysage en ruines. Cette beauté funeste est bien mise en valeur par les musiciens assis à des pianos  qui se déplaçent sur le plateau, et par le rythme effréné des percussions. Hinton a ainsi  astucieusement militarisé la troupe des pianistes.
Et, malgré les défauts que nous avons signalés plus haut, il  faut reconnaître le courage de cette jeune troupe,  pour  avoir monté cette œuvre célèbre qui ferait hésiter bien des  compagnies  plus expérimentées…

Alvina Ruprecht 
Mother Courage and her children,  production du Théâtre anglais  du Centre national des Arts à Ottawa,  s’est jouée jusqu’au 27 janvier, puis ensuite partira en tournée au Canada.

 


Un commentaire

  1. Asseke dit :

    je suis un passionné ameteur de litterature epique et je voudrais savoir les rapports entre mere courage et ses enfants dans cette meme oeuvre. repondez moi a desireasseke@yahoo.fr . merci

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