Portrait d’une femme

Portrait d’une femme de Michel Vinaver, mise en scène d’Anne-Marie Lazarini.

femme.jpgC’est un pièce très peu connue de Michel Vinaver, auteur lui plus que reconnu et joué à la Comédie-Française mais que vous ne verrez pas à Paris, parce qu’il ne l’a pas souhaité pour des raisons très personnelles.
Elle a donc été créée au Théâtre des Sources à Fontenay-aux-Roses, et sera reprise en tournée (voir plus bas). Cela se passe dans un Palais de justice habilement scénographié par  François Cabanat. Un panneau lumineux indique la date du procès en assises: 1953, puis  les autres lieux et dates où se sont déroulés les principaux épisodes de la vie amoureuse  d’une jeune femme  du Nord de la France qui  a fait le voyage jusqu’à Paris  pour tuer d’un coup de revolver Xavier Bergeret :il avait été son amant et  l’avait  quitté pour se marier avec un autre. L’histoire est  celle d’un fait divers authentique: Pauline Dubuisson avait tué son amant par dépit amoureux et ce crime avait aussi inspiré Clouzot pour son film La Vérité
Quand on on entre dans la salle, les personnages sont déjà en place: Président, Procureur, avocats, témoins et parents de la jeune femme. Le procès d’assises est depuis longtemps un thème exploité à la scène comme au cinéma, que ce soit pour une histoire banale comme celle-ci , ou pour un cas célèbre et jamais élucidé comme celui de l’affaire  Seznec dont Robert Hossein a tiré un spectacle au Théâtre de Paris.
Le Président passe en revue la vie personnelle de cette jeune femme dont la moindre aventure amoureuse est passée au peigne fin, surtout quand il s’agit de relations  avec un médecin allemand pendant l’Occupation. Le Procureur de la République est dans son rôle, comme l’avocat de la partie adverse qui relève la moindre des choses qui ne serait pas en accord avec l’ordre moral de ces années-là…L’avocat de la jeune femme, lui,  manque singulièrement  de volonté de défendre sa cliente.
De temps à autre , une scène du passé de la jeune femme ressurgit: les retrouvailles avec ses parents très protecteurs dans le jardin familial,  sa tentative de suicide ,  la rencontre avec son amie qui lui apprend le mariage de Xavier Bergeret, etc… Ces petites scènes plus anecdotiques que véritablement révélatrices ponctuent ainsi la pièce, mais on ne comprendra jamais vraiment les mobiles du crime, comme dans le véritable procès de Pauline Dubuisson. Jusqu’ au moment où  le Président  annonce le verdict: la condamnation à mort, puisque le jury n’a accordé  aucune circonstance atténuante à l’accusée..
La mise en scène d’Anne Marie-Lazarini est sobre et précise: pas d’effets inutiles, un bon rythme,  et c’est plutôt bien joué, en particulier par Michel Guedj, Isabelle Mentré, Michel Ouimet et Gérard Chatelain dans le rôle d’un père un peu dans les nuages, mais Jocelyne Desverdère ( la jeune femme) n’est pas vraiment  convaincante.. Il faut dire aussi que le texte- probablement issu d’une sténotypie du procès plutôt brute de décoffrage- n’a rien d’un chef d’oeuvre, et c’est un euphémisme…   Alors que la véritable vie de Pauline Dubuisson est beaucoup plus intéressante , puisque la révélation de sa véritable identité mettra fin à son projet de mariage et qu’elle finira par se suicider en 1963, au Maroc où elle exerçait comme médecin.
Ce qu’il manque à ce semblant de pièce ? Pas mal de choses:  sans doute et surtout une construction  solide,  caractéristique des pièces réussies qui ont pour cadre un tribunal correctionnel ou d’assises.   On ne s’ennuie pas vraiment pendant cette heure et demi mais on a peu d’empathie avec ces personnages assez falots qui n’arrivent pas à nous passionner… Dommage! On attendait mieux de Vinaver, et s’il n’y avait pas son nom sur l’affiche, on pourrait  vraiment douter qu’il en soit l’auteur. Alors à voir? Peut-être (et encore!) pour les passionnés de Vinaver;  pour les autres, ce n’est pas vraiment indispensable….

 

Philippe du Vignal

 

Le 9 février au Théâtre du Passage à Neufchâtel ( Suisse); du 17 au 20 mars au Théâtre des Deux Rives à Rouen; du 23 mars au 1 er avril au T.O.P. de Boulogne ( Hauts de Seine); du 6 au 10 avril au Théâtre de la Criée  à Marseille et enfin,  du 20 au 30 avril à la Comédie de Genève.

 


Archive pour 3 février, 2010

La Pierre

  La Pierre  de Marius von Mayenburg, mise en scène de Bernard  Sobel, en collaboration avec Michèle Raoul-Davis

   lapierre.jpg Marius von Mayenburg a déjà- à 37 ans encore pour quelque jours- une solide réputation d’auteur dramatique ( quelques douze pièces dont certaine  comme L’enfant froid montée par Christophe Perton au Rond-Point et Visage de Feu par Alain Françon à la Colline. Il est aussi dramaturge et traducteur la prestigieuse Shaubühne de Berlin.
  La Pierre, l’un des es dernières pièces, se passe après la chute du Mur de Berlin en 93. C’est l’histoire d’une grand-mère, de sa fille et de sa petite fille qui retrouvent leur maison à Berlin-Est, après l’avoir abandonnée et avoir fui à l’Ouesta. La grand-mère et le grand-père maintenant disparu l’ont racheté en 1935 à une famille juive contrainte à l’exil. Mais on ne le sait que trop: le présent colle souvent très mal avec le passé, surtout quand ce foutu passé n’est pas identique pour des personnes pourtant très proches. La grand-mère en a des cauchemars, sa fille n’est pas vraiment à l’aise et la petite-fille n’a qu’une envie: celle de s’enfuir au plus vite de cet univers qui ne la concerne en rien.
 Bref, il y a  des cadavres dans tous les placards. Et Marius von Mayenburg avec beaucoup d’intelligence nous convie à un voyage dans la mémoire de plusieurs générations du peuple berlinois de 35 à 93. sans logique apparente autre que celle du souvenir. « Lorsqu’on se remémore un événement, notre cheminement n’est pas logique, écrivait l’auteur à propos de l’Enfant froid, la mémoire ne suit pas un ordre chronologique: les événements nous reviennent entremêlés, parce que nos émotions les ont mélangés. C’est ce phénomène que j’ai tenté en tant que dramaturge de retranscrire.. »
 Et ce n’est pas pour rien que von Mayenburg a choisi comme personnages trois femmes d’une même lignée pour essayer de de dire les regrets et le sentiment de  culpabilité  qui continue sournoisement à hanter l’Allemagne un demi-siècle après la faillite de l’aventure nazie, puis le déchirement  de voir son pays coupé ,et enfin le choc qu’ a dû être la réunification tant attendue mais qui a encore souvent chassé les gens de chez eux cette fois pour des raisons économiques.
Et Bernard Sobel dit qu’il a abordé ce poème parce que d’une certaine façon, il a dû affronter le problème de ce qui reste aujourd’hui de l’héritage communiste. « J’ai travaillé, précise-t-il, cinq ans dans un pays qui n’existe plus ». Et  sa direction d’acteurs est , comme toujours, d’une grande précision ( même si Edith Scob surjoue ) mais La Pierre qui,  dit-il,   » met en scène des fantômes qui ne veulent pas être oubliés, qui interdisent d’être tranquilles »ressemble par trop à un canevas pour que l’on ait envie de s’y intéresser vraiment.
 Si l’on comprend bien les raisons qui ont conduit Sobel à choisir ce poème (sic),  on a du mal à cause de la structure répétitive de courtes scènes ,  à s’attacher à ces   personnages  trop  rapidement cernés et cette parabole familiale sur la RDA disparue , même si elle ne dure qu’une heure et quart, devient vite ennuyeuse. Sans doute le grand plateau noir de la  Colline où il n’y a que quelques meubles de salon n’était-il pas la scène idéal pour ce genre de poème, et la ponctuation permanente de dates en tubes fluo imaginée par Lucio Fanti n’arrange pas les choses, mais de toute façon, c’était mission impossible:  le texte de Marius von Mayenbourg n’a très franchement rien de très passionnant. Rien à faire: l’émotion qui devrait être tangible n’est pas au rendez-vous.
 Alors y aller ou pas? Ce n’est peut-être pas la bonne pièce pour découvrir cet auteur, malgré le travail de Sobel et de ses acteurs. Et il y  a sûrement d’autres priorités à Paris…

 

Philippe du Vignal

Théâtre de la Colline jusqu’au 17 février.

Le Bout de la Route

Le Bout de la Route de Jean Giono mise scène de François Rancillac.

  surlaroute.jpgLe théâtre de Jean Giono est sans doute moins connu que ses romans célèbres comme Colline (1929) , Regain ( 1930)  ou Le Hussard sur le toit (1947), , et pourtant si l’on connaît et l’on joue souvent La Femme du Boulanger, Le Bout de la Route- qui est sa première pièce et  qu’il écrivit en 1931, ne manque pas non plus d’attraits. L’histoire est, comme souvent chez Giono se passe en Provence dans des paysages magnifiques mais où les villages petit à petit commençaient à sombrer dans l’abandon, et, un peu par miracle, grâce à quelqu’un venu d’ailleurs, se sont mis à renaître .
Et la ferme au milieu de nulle part où Jean arrive un soir, fourbu par une longue marche et mort de faim a été ravagée par le deuil: le père de famille est mort brutalement et sa petite soeur  a été tuée par un  rocher tombée de la montagne toute proche. La grand-mère vit recluse dans sa chambre, Rosine, la veuve est devenue impitoyable et autoritaire. Quant à Mina, la plus jeune des filles, elle arrive à se tirer de ce  chaos familial quand elle rencontre Albert un jeune forestier qui vient la voir chaque mardi. Jean donc débarque un soir, parmi ces gens qui ne l’ont jamais vu: il possède un indéniable bonté et il irradie, calme et un peu triste; on devine très vite et il va le dire qu’il est lui aussi en deuil: celle qu’il aimait l’a quitté et il se retrouve seul mais solide, avide d’en découdre
Il aime raconter des histoires ; Albert, émerveillé et compatissant  offre un peu du lait qui ne lui appartient pas; quant à  Mina, elle l’écoute avec avidité; Rosine, après s’être montrée méfiante et plutôt agressive, sent bien malgré tout qu’un homme jeune comme cela, c’est un vrai cadeau tombé du ciel qu’on ne peut pas refuser. Et la grand-mère elle-même quittera la prison qu’elle s’est elle-même construite pour parler avec lui. Et Jean se lie aussi  d’amitié avec le garde-champêtre, le vieux Barnabé qu’ il aide à  pétrir puis à  cuire le pain dans le four banal  du village. Et l’on entend la musique du petit bal où Mariette et Mina essayent en vain d’entraîner Jean. Mina, bien entendu, est depuis longtemps  tombée follement amoureuse de Jean qui  s’en est bien aperçu maissemble ailleurs, perdu dans un autre monde. Et c’est lui qui la remettra dans les bras de son fiancé…. François Rancillac a bien compris qu’il était impossible de concevoir une mise  en scène naturaliste et de faire ainsi tomber la pièce dans un pittoresque à la Pagnol, avec ce que cela suppose de clichés et de bêtises. Encore aurait-il fallu ne pas  créer avec son scénographe Jacques Mollon cet espace noir  avec un sol et des murs couverts de cette pâte striée de réglisse à la Soulages. On veut bien que, chez Soulages, cette « pâte épaisse et pétrolifère donnant à son noir uniforme une dynamique et une profondeur incroyable » ait sa raison d’être  chez le peintre  aveyronnais ( et encore pas toujours, il y a un peu du système dans l’air depuis une bonne vingtaine d’années, et les vitraux de la cathédrale de Conques* sont de qualité  inégale) .
C’est quand même à un curieux syllogisme que se livre François Rancillac qui en rajoute encore une couche (excusez le mauvais jeu de mots pictural!) en de en transposant  Soulages dans l’univers de Giono et en demandant de plus à Cyrille Chabert de concevoir une lumière, disons, des plus économiques. Pas la peine de convoquer et Soulages et Le Corbusier  pour essayer de justifier un système scénique qui ne fonctionne pas, et dessert plutôt la pièce. Enfin, bon…
Encore une fois, sans tomber dans le naturalisme du genre:  vieille cheminée, rideaux en coton Vichy rouge et blanc et lampe à pétrole suspendue au dessus de la table où règne la grosse tourte de pain familiale, il y avait sans doute moyen de faire autrement. D’autant que la pièce de Giono, malgré une langue d’une richesse et d’une beauté remarquable a quand même du mal à décoller. Giono, dont c’était le premier texte théâtral n’a pas encore tout à fait pris la mesure du temps théâtral. Et les scènes d’exposition sont plutôt du genre longuet…
Mais, passée la première heure, François Rancillac maîtrise parfaitement les choses, et sa mise en scène et sa direction d’acteurs sont d’une qualité exemplaire.Chaque comédien est remarquable: et il n’y a aucune fausse note, en particulier Eric Challier ( Jean) et Tiphaine Rabaud-Fournier ( Mina) sont plus qu’émouvants . Emmanuèle Stochl est aussi formidable de vérité, même si elle a parfois tendance à surjouer un peu. mais quel régal et les scènes de la fin que l’on ne vous dévoilera pas sont des moments d’émotion très rares  au théâtre. Les comédiens, sous la houlette de Rancillac,  se sont emparés de cette langue qui fait penser parfois à du Claudel ( ce n’est sans doute pas pour rien si Alain Cuny avait créé le rôle de Jean) avec un bonheur visible. Certes la pièce est un peu longue et aurait sans doute bénéficié au début de quelques coupes… Certes la Cartoucherie n’est sans doute pas près de chez vous… mais vraiment cela vaut le coup.Et on ne vous le redira pas…

 

Philippe du Vignal

 

* Comme disait une brave touriste  sans doute peu fait de l’art contemporain en s’adressant à son hôtellière:  » Madame, savez-vous quand seront enlevés les vitraux provisoires de l’église de Conques? ( Authentique et aussi  savoureux qu’un bon aligot dans la froidure de janvier mais Soulages n’apprécierait sans doute pas!)

Théâtre de l’Aquarium jusqu’au 28 février.

La pièce est éditée aux Editions Folio/ Gallimard

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