LE ROI NU

Le Roi nu d’Evgueni Schwartz, mise en scène de Philippe Awat


Après Têtes rondes et têtes pointues de Brecht et Pantagleize de Ghelderode, deux spectacles importants réalisés, chose rare, par une vraie compagnie, Philippe Awat concrétise un projet caressé de longue date, Le Roi nu de Schwartz, interdit par les autorités soviétiques comme le reste de son œuvre.
Librement inspiré de plusieurs contes d’Andersen, Le Porcher amoureux, La Princesse au petit pois et Les Habits neufs de l’Empereur, Le Roi nu relate les amours insolites de la princesse Henriette et du porcher Henri, contrariées par le père de la jeune fille qui veut la marier à un roi terriblement autoritaire.
Le porcher, aidé de son ami, invente un stratagème pour faire échouer le mariage : ils se déguisent en tisserands pour fabriquer un costume du mariage, visible seulement aux yeux des honnêtes gens. Ministres et courtisans font alors semblant d’admirer ce qu’ils ne voient pas, jusqu’à l’apocalypse de la cérémonie finale. Avec une distribution solide-pétillante Pascale Oudot en princesse, imposant et fantasque Eddy Chignara dans le rôle-titre-et une scénographie efficace de Valérie Yung: un immense escalier adossé à un mur de tissu où disparaissent et apparaissent comme par magie les personnages, ce Roi nu a été accueilli avec enthousiasme. On peut en effet y lire des ressemblances avec une actualité française très contemporaine…

Edith Rappoport

C’est effectivement un spectacle solide et brillant où rien n’a été négligé; la mise en scène avec ses gags de tout premier ordre, les lumières, la scénographie des plus intelligentes, les projections d’ombres pour figurer les décors de lieu, la musique et le jeu des comédiens- en particulier, Eddy Chignara, dont la gestuelle vaudrait à elle seule le déplacement, et François Frappier. Le soir de la dernière au Théâtre de la Tempête, le spectacle était impeccable.
Et cela  faisait un drôle d’effet de voir cette critique de la dictature hitlérienne ..et stalinienne sans doute quand on avait vu la veille le film Une exécution ordinaire de Marc Dugain. Pas très fameux le film, malgré de belles images et la présence d’André Dussolier, Marina Hands et Edouard Baer…
Reste à savoir s’il  fallait garder l’intégralité du texte? Le spectacle a en effet un peu de mal à démarrer et accuse une baisse sensible de régime par moments? Malgré  les trouvailles fabuleuses de langage et de poésie visuelle d’Evguéni Schwarz, et la direction d’acteurs de Philippe Awat. Avec un demi-heure de moins, cette mise en scène serait beaucoup plus convaincante, surtout dans sa dénonciation d’une régime dictatorial..

Philippe du Vignal


Spectacle créé au Théâtre de Villejuif puis au Théâtre de la Tempête, et en tournée: le 17 février à l’Avant-Scène-Théâtre de Colombes;  le 9 mars à Lannion;le 12 mars au Théâtre du Kremlin-Bicêtre; puis du 17 au 21 mars au Théâtre de L’Ouest Parisien à Boulogne-Billancourt; le 9  avril au Théâtre des Sources à Fontenay-aux-Roses et le 9 avril au Théâtre de Choisy.


Archive pour 4 février, 2010

Le nouveau théâtre 1947-1968, un combat au jour le jour de Jacques Lemarchand.

9782070122271.jpgÀ ceux qui rechignent à aller voir un spectacle à cause du mauvais temps, les éditions Gallimard proposent de passer un bon moment en compagnie d’un passionné de théâtre. Vous verrez, c’est un critique hors pair, un défricheur de talents, quelqu’un qui a su sentir l’air du temps.
Si le nom de Jacques Lemarchand (1908-1974) n’est pas très familier à la génération d’après 1968, il a autrefois été fameux. C’est d’ailleurs Albert Camus lui-même (dont nous vous avons parlé récemment) qui l’a recruté pour être critique dramatique à Combat.
Mais, plus qu’un critique, Jacques Lemarchand est un véritable conteur, un poète, dont les articles vous entraînent dans sa fougue, vous donnent à voir la scène et vous convainquent du bien-fondé de son jugement.
Il  a consacré sa vie au théâtre et écrit des milliers de critiques, et  ce volume rassemble celles de Combat, du Figaro littéraire et de la Nouvelle Revue Française de 1947 à 1968.

Durant cette période d’après-guerre, n’appartenir à aucun camp était suspicieux. Et Lemarchand, comme Camus, en fera les frais en termes de calomnies et d’injures. Ce qui n’entachera pas leur indépendance. Viscérale, donc inaliénable. Leur courage est lié à leur éthique, et leur honnêteté intellectuelle est toute naturelle pour eux. Donc, depuis la Libération, l’art dramatique est au cœur du débat intellectuel, artistique et social, et sa critique est primordiale. Cette époque, marquée par une effervescence créatrice, voit la naissance d’un théâtre populaire moderne, dans la lignée d’un Jean Vilar. D’origine provinciale , Jacques Lemarchand sera attaché toute sa vie à la décentralisation . « il n’y a pas de théâtre de distraction. Mais il s’agit de théâtre tout court, et de ce qui peut, et doit, dans le théâtre, toucher l’homme ».
  Ce théâtre émergent, aussi appelé « avant-garde », « théâtre de rupture », « nouveau théâtre », incompris et dénigré par les « perruches », les « autruches », ou les « bavards hautains », nécessitait que l’on se batte pour lui. D’emblée, Jacques Lemarchand en est tombé amoureux, et s’en est fait l’interprète auprès du grand public.
C’est sous sa plume, dans les critiques reproduites dans ce livre que les lecteurs de journaux ont pu découvrir Genet, Beckett, Ionesco, Adamov, Duras, Vinaver, aujourd’hui au panthéon des auteurs classiques, et d’autres aujourd’hui un peu oubliés : Jean Vauthier, Georges Schéhadé, Michel de Ghelderode, Romain Weingarten, Henri Pichette, Jean Duvignaud… Originalité et charme d’un homme qui était aussi proche du public que des gens  de théâtre, et dont les chroniques s’adressaient autant aux uns qu’aux autres.

On aurait aimé être aux Épiphanies d’Henri Pichette au Théâtre des Noctambules à ses côtés, et voir sur la scène Gérard Philippe, Maria Casarès, Roger Blin, Paul Oettly…, assister avec lui à des mises en scène de Jean-Louis Barrault, de Jean Vilar, voir des décors et costumes de Pierre Soulages…
Avec nostalgie, méditons sur ce propos enthousiaste, témoignant d’une époque révolue, au sujet de l’adaptation de J’irai cracher sur vos tombes, de Boris Vian, au Théâtre Verlaine : « Restait cette redoutable masse populaire que le théâtre seul peut atteindre, grâce aux facilités qu’un État compréhensif, doublé d’un fisc indulgent, accorde à qui veut enseigner sur scène ».

Barbara Petit

Textes réunis et présentés par Véronique Hoffmann-Martinot, Préface de Robert Abirached. Collection « Les Cahiers de la NRF », Gallimard, 28,90 euros, 452 pages.

LA NOCE

LA NOCE  de Bertolt Brecht, traduction de Magali Rigaill, mise en scène Patrick Pineau.  

   C’est une des premières pièces du jeune Brecht, rebaptisée plus tard La noce chez les petits-bourgeois, une description joyeusement féroce du rituel du mariage dans la petite bourgeoisie. Sylvie Orcier a planté un décor immaculé: le mobilier est recouvert d’un voile d’une blancheur chirurgicale que les mariés enlèvent avant l’arrivée des invités, tous de noir vêtus. La mère du marié s’affaire à servir les invités, et les propos sont amènes jusqu’à des réflexions désagréables sur le poisson.
La conversation s’enlise:  on parle des meubles que le marié a fabriqué lui-même pendant des mois, et dont il a même  préparé même la colle. Devant le vide qui s’installe, les invités demandent à examiner de près ces meubles dont les mariés sont si fiers. Mais la belle armoire Bauhaus est de guingois,  et catastrophe, on ne parvient pas à l’ouvrir, et la grande banquette s’effondre sous le poids de la belle-sœur. Le marié et la belle-mère servent  du vin, et l’on essaye de danser au son des maigres accords d’une guitare, mais le marié n’ouvre même pas la danse avec sa femme et tout se déglingue.  La soirée sombre alors dans le cauchemar quand on apprend que la mariée est enceinte. Les invités partis, le couple se retrouve face à face  dans un appartement saccagé, pour une vie dont ils n’ont pas rêvé… Patrick Pineau a réalisé un tableau allègrement méchant et  lucide de cette société ordinaire qui a engendré la montée du nazisme.

Edith Rappoport

 

Les Garçons et Guillaume, à table!

Les Garçons et Guillaume, à table!  spectacle de et avec Guillaume Gallienne , mise en scène de Claude Mathieu.

   » galienne.jpgLe premier souvenir que j’ai de ma mère, dit Guillaume Galienne, c’est quand j’avais quatre ou cinq ans. Elle nous appelle mes deux frères et moi pour le dîner, en disant:  » Les garçons et Guillaume à table! » et la dernière fois que je lui ai parlé au téléphone, elle raccroche en disant : « Je t’embrasse ma chérie »; eh! bien, disons qu’entre ces deux phrases, il y a quelques malentendus ».
 Malentendus qui vont fournir la trame du solo brillantissime où Guillaume Gallienne, en pantalon noir ,  veste de velours bleu, et pull-over  très années cinquante,  évoque toute une série de ses personnages: sa mère bien sûr, qui semble quelque peu envahissante d’affection, sa grand-mère russe avec un fort accent et qui roule les r de façon incomparable, ses camarades de lycée, la dame espagnole qui l’accueille pour un séjour linguistique et qui lui apprendra la sévillane mais… pour une fille, ce qui fait hurler de rire la famille  alors que lui, ne comprend pas, jusqu’au moment où une jeune fille lui lance crûment: « Quand je danse la sévillanne, je veux danser avec un garçon pas avec une fille! « . Mais est-ce vraiment la faute à pas de chance si ce genre d’incidents émaille sa vie? Le juen homme de l’époque commence à y perdre son identité…
Il incarne aussi le temps de quelques répliques le médecin  et le psychiatre militaires qui le prennent  pour un véritable taré, comme le second psychiatre qui griffonne la moindre des ses paroles avec un superbe mépris, le professeur de théâtre  qui lui demande une petite improvisation, ou les  jeunes homos banlieusards qu’il a rencontré par hasard.   C’est toujours bien vu, magistralement interprété- Gallienne fait preuve d’un solide métier et passe d’un personnage à l’autre avec une  facilité exemplaire mais sans jamais en faire des tonnes,  dirigé avec beaucoup de précision et d’intelligence par  Claude Matthieu,  sa complice de la Comédie-Française.

 Mais  cet exorcisme, à la fois intime ,  autodérisoire et plein d’un humour parfois acide, reste cependant très pudique, même quand les situations évoquées frisent le scabreux. C’est vraiment un exercice de haute voltige où le comédien se sent parfaitement à l’aise, avec juste quelques accessoires, et le public, qui rit pratiquement tout le temps,  lui fait un triomphe tout à fait justifié. Dans le théâtre contemporain, Guillaume Gallienne renouvelle l’art du conteur, un peu dans la  veine que le premier et brillant Philippe Caubère d’ il y a quelque vingt ans …
 Vous aurez sûrement du mal à avoir des places mais tentez votre chance, et plutôt pour  le dimanche; ensuite le grand comédien rejoindra la Comédie-Française où il a, dit-il très envie de rejouer avec ses partenaires. Sans doute, ce genre de monologues ne suffit-il pas à cet acteur boulimique mais ce serait dommage qu’il ne s’aventure pas de temps à autre dans cette voie. Reprendra-t-il ce spectacle,  avec ce titre/ réplique qui est en passe de devenir une phrase-culte? On peut vraiment l’espérer; par les temps qui courent, ce n’est pas tous les jours que l’on a l’occasion de rire au théâtre. En tout cas, Patrice Martinet a bien fait de l’inviter dans son théâtre dont le plateau lui convient parfaitement.

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Athénée jusqu’au 20 février. 

Le spectacle se joue à guichets fermés mais sera repris dans ce même théâtre du 26 juin au 17 juillet.

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