Le nouveau théâtre 1947-1968, un combat au jour le jour de Jacques Lemarchand.
À ceux qui rechignent à aller voir un spectacle à cause du mauvais temps, les éditions Gallimard proposent de passer un bon moment en compagnie d’un passionné de théâtre. Vous verrez, c’est un critique hors pair, un défricheur de talents, quelqu’un qui a su sentir l’air du temps.
Si le nom de Jacques Lemarchand (1908-1974) n’est pas très familier à la génération d’après 1968, il a autrefois été fameux. C’est d’ailleurs Albert Camus lui-même (dont nous vous avons parlé récemment) qui l’a recruté pour être critique dramatique à Combat.
Mais, plus qu’un critique, Jacques Lemarchand est un véritable conteur, un poète, dont les articles vous entraînent dans sa fougue, vous donnent à voir la scène et vous convainquent du bien-fondé de son jugement.Il a consacré sa vie au théâtre et écrit des milliers de critiques, et ce volume rassemble celles de Combat, du Figaro littéraire et de la Nouvelle Revue Française de 1947 à 1968.
Durant cette période d’après-guerre, n’appartenir à aucun camp était suspicieux. Et Lemarchand, comme Camus, en fera les frais en termes de calomnies et d’injures. Ce qui n’entachera pas leur indépendance. Viscérale, donc inaliénable. Leur courage est lié à leur éthique, et leur honnêteté intellectuelle est toute naturelle pour eux. Donc, depuis la Libération, l’art dramatique est au cœur du débat intellectuel, artistique et social, et sa critique est primordiale. Cette époque, marquée par une effervescence créatrice, voit la naissance d’un théâtre populaire moderne, dans la lignée d’un Jean Vilar. D’origine provinciale , Jacques Lemarchand sera attaché toute sa vie à la décentralisation . « il n’y a pas de théâtre de distraction. Mais il s’agit de théâtre tout court, et de ce qui peut, et doit, dans le théâtre, toucher l’homme ».
Ce théâtre émergent, aussi appelé « avant-garde », « théâtre de rupture », « nouveau théâtre », incompris et dénigré par les « perruches », les « autruches », ou les « bavards hautains », nécessitait que l’on se batte pour lui. D’emblée, Jacques Lemarchand en est tombé amoureux, et s’en est fait l’interprète auprès du grand public.
C’est sous sa plume, dans les critiques reproduites dans ce livre que les lecteurs de journaux ont pu découvrir Genet, Beckett, Ionesco, Adamov, Duras, Vinaver, aujourd’hui au panthéon des auteurs classiques, et d’autres aujourd’hui un peu oubliés : Jean Vauthier, Georges Schéhadé, Michel de Ghelderode, Romain Weingarten, Henri Pichette, Jean Duvignaud… Originalité et charme d’un homme qui était aussi proche du public que des gens de théâtre, et dont les chroniques s’adressaient autant aux uns qu’aux autres.
On aurait aimé être aux Épiphanies d’Henri Pichette au Théâtre des Noctambules à ses côtés, et voir sur la scène Gérard Philippe, Maria Casarès, Roger Blin, Paul Oettly…, assister avec lui à des mises en scène de Jean-Louis Barrault, de Jean Vilar, voir des décors et costumes de Pierre Soulages…
Avec nostalgie, méditons sur ce propos enthousiaste, témoignant d’une époque révolue, au sujet de l’adaptation de J’irai cracher sur vos tombes, de Boris Vian, au Théâtre Verlaine : « Restait cette redoutable masse populaire que le théâtre seul peut atteindre, grâce aux facilités qu’un État compréhensif, doublé d’un fisc indulgent, accorde à qui veut enseigner sur scène ».
Barbara Petit
Textes réunis et présentés par Véronique Hoffmann-Martinot, Préface de Robert Abirached. Collection « Les Cahiers de la NRF », Gallimard, 28,90 euros, 452 pages.