Cercles/ Fictions

 Cercles / Fictions, texte et mise en scène de Joël Pommerat.

  La nouvelle création de Joël Pommerat , que Peter Brook a invité il y a deux ans à venir travailler au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris,  est fondée sur un nouveau rapport au public; en effet  Joël Pommerat n’avait jusque là,  dit-il, envisagé que la seule scène frontale . Mais , cette fois ,il a imaginé, avec l’aide de son scénographe Eric Soyer,  de transformer le théâtre en fermant totalement le cercle du public comme dans un cirque. Si la proposition  est parfois dangereuse pour des comédiens débutants, elle peut aussi être d’une grand apport et d’un grand enrichissement pour ceux- tous formidables de métier et de vérité-de la Compagnie Louis Brouillard.
  La seconde proposition de travail de Pomerat qui n’est pas sans lien avec la précédente, pose la question, non pas de la fiction en général mais de la représentation de cette fiction, puisque, dit-il, tous les personnages  de la pièce, à l’exception d’un seul,  sont, comme les situations authentiques, le concernent lui directement et cercle.jpg sont partie prenantes de ce qu’il est aujourd’hui.
  Ce sont de courtes scènes, même parfois presque muettes, et elles se jouent au centre de ce plateau rond séparé du public par un muret de contre-plaqué noir. Peu de lumière: des éclairages  surtout latéraux et zénithaux absolument sublimes signés Eric Soyer , pour donner naissance à des images faites de trois fois rien mais d’une beauté incontestable.
Sa
ns doute les petits scènes qui se succèdent pendant plus de deux heures sont de qualité inégale-il y a quelques longueurs- mais la plupart sont d’une vérité et d’une émotion étonnantes: un grand bourgeois qui explique à ses domestiques les nouvelles règles appliquer qu’il entend , le licenciement par son épouse de la nourrice, des histoires de guerre traumatisantes  le dialogue surréaliste  d’un cadre d’une sorte de Pôle-Emploi avec des demandeurs d’emploi, la  rencontre dans un parking souterrain d’un directeur commercial avec deux jeunes femmes S.D.F. ..

  Il faut parfois suivre Joël Pommerat dans les méandres du conte qu’il veut nous faire entendre mais les images sont tellement fortes et belles,  et soutenues par une bande son et des compositions musicales tout à fait remarquables de François, Antonin et Grégoire Leymarie qu’on se laisse emporter…
D’autant plus que tous les acteurs,impeccablement dirigés , et dont beaucoup ont déjà travaillé avec le metteur en scène sont  tous d’un niveau exceptionnel: Jacob Ahrend, Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Gilbert Beugniat, Serge Larivière, Frédéric Laurent, Ruth Olaizola, Dominique Tack. Et grâce aux micros HF, pour une fois  justifiés, ils nous sont tout à fait proches, et  la moindre nuance, le moindre chuchotement est aussitôt perceptible, ce qui change aussi de façon radicale la relation avec le public.

  Pas un à-coup dans la mise en place , où chaque scène s’enchaîne à l’autre comme par miracle, alors que les comédiens entrent et sortent dans un noir presque absolu. C’est un vrai travail d’orfèvre, d’une incomparable précision et en même temps d’une géniale poésie.Il y a sans doute , on l’a dit, quelques longueurs mais la puissance des images comparable- comme celle de la fabuleuse et dernière scène( on vous laisse la surprise)- à celle du Wilson d’autrefois (désolé, on a chacun nos petites nostalgies!) et la solidité à toute épreuve de l’interprétation en font un spectacle peut-être difficile à appréhender au début mais où il y a des moments que l’on ne peut trouver nulle part ailleurs dans le théâtre actuel.
  Alors à voir? Oui, à condition de faire un petit effort pour entrer dans la dramaturgie parfois un peu compliquée de Pommerat mais, comme dirait Céline, tout se paye dans la vie, le bien comme le mal, mais le bien, c’est plus cher….Et croyez-nous, on ne ressort pas de là indemne et les images continueront à vous poursuivre bien après que vous aurez quitté les Bouffes du Nord.

 

Philippe du Vignal

Jusqu’au 6 mars et ensuite au Manège de Maubeuge le 13 et 14 mars; à la Scène nationale de Cavaillon du 31 mars au 2 avril, et Théâtre de la Communauté française de Belgique à Bruxelles du 20 au 24 avril.
 


Archive pour 5 février, 2010

Le Vertige des animaux avant l’abattage

Le Vertige des animaux avant l’abattage de Dimitri Dimitriadis,  mise en scène et scénographie de Caterina Gozzi.

vertige.jpg Après le Britannique Howard Barker l’an dernier, c’est le Grec Dimitri Dimitriadis qui, cette saison, est l’auteur européen invité de l’Odéon. Le Vertige des animaux avant l’abattage est sa seconde pièce présentée au public, à la suite de Je meurs comme un pays (mise en scène Michael Marmarinos, en novembre dernier,  et avant La Ronde du carré ,mise en scène par Giorgio Barberio Corsetti, qui sera présenté en mai-juin 2010).
La pièce  qui dure trois heures et demi … est simple : Philon Philippis et Nilos Lakmos sont amis. Quand Nilos décide de se marier avec Militssa, Philon devient fou de jalousie, et lui prédit  mille maux : après avoir acquis toute les richesses, il mourra dans le dénuement le plus total, sera assassiné par des voyous, et sa famille subira un destin digne des Atrides : inceste, meurtre, suicide. Le temps passe sans encombre. Les amis se retrouvent vingt ans plus tard, à la soirée d’anniversaire de mariage de Nilos et Militssa.
Mais ces retrouvailles activent, on ne sait pourquoi, un engrenage, qui fait se réaliser la prédiction (retenez votre souffle) : désormais, Emilios et Starlet, frères et sœurs, sont amants ; Evgénios est l’amant de sa mère Militssa qu’il met enceinte, mais elle tuera leur bébé ; Nilos  a une liaison avec sa fille Starlet ; les deux frères sont amants ; Emilios finit assassiné par des bandits, Evgénios se suicide, Nilos tue Mitlissa,avant d’être tué par des voyous et Starlet mourra folle..
Dans des scènes intermédiaires, trois personnages, A, B, C, dont on ne saura jamais l’identité ni le rôle, s’amusent à voir s’agiter cette petite famille en tous sens. Avec une froideur scientifique, une attitude glaciale et un discours abscons, ils observent et commentent les faits et gestes des membres de la famille comme s’ils étaient des cobayes. A, B, C évoluent dans des décors d’acier et de verre, chaussés de bottes en caoutchouc,  en blouse blanche et tablier, ou en imperméable gris, comme des inspecteurs de police des années cinquante. Ils semblent être la personnification du destin antique.
Certes, le jeu des comédiens est irréprochable : Thierry Frémont, Claude Perron pour les plus connus, mais aussi Faustine Tournan ou Thomas Matalou pour les étoiles montantes, font une prestation remarquable. Les décors sont intelligents et il y a des costumes somptueux qui font rêver…      Tout cela ne parvient  pas à masquer la faiblesse d’un texte  qui ne nous apprend rien de nouveau sur la nature humaine (ni sur le théâtre, d’ailleurs). Il n’y a aucune performance à créer une tragédie à gros coups de spalters, quand Eschyle, Sophocle et Euripide ont œuvré avec des pinceaux délicats, et qu’ils en ont eux-mêmes fabriqué les pigments. Le texte, hermétique pour A, B, C  et parfois redondant pour la petite famille, n’a rien de  révolutionnaire…   C’est peut-être la raison pour laquelle Dimitri Dimitriadis est peu joué en France, alors qu’il a tout de même 66 ans et huit pièces à son actif. Ce genre de spectacle ne parvient pas vraiment à nous émouvoir, et l’on n’est peu concerné par ce qui se passe sur  scène. Dommage, vu la qualité des comédiens, et les moyens  utilisés…

Barbara Petit

Jusqu’ au 20 février  aux Ateliers Berthier, Odéon-Théâtre de l’Europe.

L’Automne précoce

L’Automne précoce, texte et mise en scène de Kazem Shahryari

  Deuxième et dernier volet de la résidence de Kazem Shahryari au théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, L’Automne précoce porte bien son nom : le spectacle est  triste comme un jour de Toussaint.
liant7sml499ac.jpgCertes, la démarche de Kazem Shahryari est aussi louable qu’intéressante : travailler sur la place des femmes dans la société moderne, et sur  la violence qui leur est faite. Il est en effet question d’une jeune fille, Leila, mariée de force et qui s’est suicidée, faute de  pouvoir accomplir son destin de danseuse.
       Après elle, c’est son mari qui, par désespoir, s’est défenestré. L’histoire est ancienne (même si au cinéma, cela a été traité dans Mariée de force, Le Cerf-volant…). Aujourd’hui, une jeune femme enceinte, Lola (notez la paronymie des deux prénoms), s’installe dans l’appartement où a eu  lieu le drame dix ans plus tôt. Pleine de vie et dénuée de tout préjugé, cette amoureuse du genre humain, bonne et généreuse, va chasser les fantômes du passé… En  accouchant même dans l’appartement même, et en quelques minutes seulement,  déjà fringante l’instant d’après.
La pièce est constituée de  scènes qui alternent passé et présent comme des flashbacks. Pardon, non pas « scènes » mais  « sutures » (pourquoi faire  simple, quand on peut faire compliqué) : « les différentes scènes s’appellent « sutures ». Définition du mot « suture » : jonction entre passé et présent, réparation, en psychanalyse, zone limite entre deux aspects ou tentative d’abolition du manque »,  indique le programme. Tout de suite, on change de sphère!
  Kazem Shahryari a-t-il manqué de moyens financiers ? C’est à croire, vu  la pauvreté du décor : table et chaises sont des cartons et barils de poudre à laver tapissés de papier journal, les comédiens ont trouvé leurs costumes chez Emmaüs, semble-t-il. On peut se revendiquer d’un théâtre social  et faire quand même rêver… Quant  à la mère, qui incarne aussi la gardienne, elle a  une perruque incroyable qui évoque les coiffures afro des années 70!
Le jeu des comédiens, inégal, est  peu convaincant. Les scènes de chuchotement sont souvent  inaudibles, comme  celles où plusieurs comédiens parlent/chantent en même temps,  ou les uns à la suite des autres et  à toute allure.  Sont aussi incompréhensibles certains dialogues , constitués uniquement de métaphores et d’images, antinaturels au possible, comme ceux  entre le père et la tante Mali. On cherche encore le sens de : « posséder une étoffe ne signifie pas que l’on ait une chemise ». Le personnage du père  est  un être hors-du-commun: très amusant, qui  s’exprime en racontant des histoires (à ses petites filles, à sa femme, à sa sœur…) et passe sa vie, semble-t-il, à lire le journal.  
  Les personnages sont  caricaturaux ( gardienne bourrue,  tante entremetteuse,  mère effacée mais souriante,  père hyper sympa mais lâche,  sœurs chipies et canailles)… Bref, pendant toute la pièce, les bons sentiments prospèrent : grâce à Lola, et à son nouvel ami du moment, Africa, un Noir comme son nom l’indique, déséquilibré mais gentil (un Rain Man de banlieue), la gardienne  n’est plus raciste  en quelques heures seulement. Comme quoi les préjugés peuvent être facilement balayés… Même déception pour les poèmes-ennuyeux et simplistes- déclamés par Leïla, sur la nature, la vie:  envolées lyriques auxquelles on ne croit pas un instant.
Enfin, qui sont ces personnages  ouvrant la pièce (le petit programme nous indique que ce sont des « arbitres », des « fantômes masqués »)  qui racontent de façon  inaudible des massacres de femmes, dont par la suite on n’entendra plus parler, mais qui plantent certainement l’atmosphère ? Ce chœur antique, aux  apparitions  fugitives, est habillé de sweat-shirts noirs à capuche, de pantalons baggys, et porte des masques en papier mâché. Il  reviendra par intermittence pour bouger le décor. Bref, un choeur sans utilité dramatique mais à l’efficacité technique indéniable….
 Quant à  la note de mise en scène, elle  n’est pas à jour : une jeune femme Rom qui a  besoin d’un refuge, est censée débarquer durant l’accouchement de Lola. Mais nous ne l’avons pas vue…
Pour finir, le Lucernaire pourrait-il éviter d’enchaîner les représentations ? Les spectateurs avaient à peine fini d’applaudir que les comédiens démontaient le décor , et que le  régisseur  lumières sortait de sa cabine, cassant toute la magie du théâtre…

Barbara Petit
Jusqu’ au 21 février au  Lucernaire.
 

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