Les Autres ( Michu, Les Vacances, Rixe) de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Daniel Colas.
Le spectacle créé en septembre dernier fêtait hier soir sa 150 ème, ce qui est du genre rare, à l’heure actuelle, que ce soit dans le théâtre privé ou public. Cela se passe au Théâtres Mathurins, celui des Pitoëff, où il y a encore dans le hall l’ affiche de la saison 1937, avec la création de Six personnages en quête d’auteur , et d’Hamlet… Les deux dernières de ces trois petites pièces de Grumberg avaient été créées à la Comédie-Française : Les Vacances , en 84 que jouent de nombreuses troupe d’amateurs et Rixe en 70, trois ans après son écriture. Henri,la cinquantaine est accueilli chaque soir par son épouse, quand il rentre, épuisé par les remarques de son collègue de bureau. Mais, de jour en jour, elle le voit changer…
Les Vacances raconte l’épopée d’une famille de Français dans un pays méditerranéen ensoleillé: Henri et Aimée Laurent, et leurs deux adolescents attendent dans un petit restaurant au bord d’une plage. Le père déverse des bordées d’injures xénophobes sur le pays,se plaint de tout: du climat trop chaud, de sa femme, de la nourriture immonde en général , et du restaurant en particulier, dont le patron, c’est sûr, va les rouler; quant à la mère- absolument idiote- elle se plaint aussi, et les deux garçons se font engueuler sans arrêt et copieusement par le père… ne comprend pas la modicité de l’addition et croit bon d’insulter en français le patron de l’auberge qui le saluera… en français. Michu est plus un sketch qui offre peu d’intérêt et Les Vacances un autre sketch un peu étiré qui mériterait d’être élagué, même s’il y a quelques bons moments où l’on rit devant ce torrent de bêtise.
De ces trois petites pièces, c’est Rixe qui est la plus drôle, la plus intéressante, et qui déjà au Panthéon des oeuvres théâtrales contemporaines: cela se passe toujours chez Henri et Aimée Laurent, dans leur appartement de la banlieue parisienne, où Henri raconte à Aimée un banal accrochage dont il a été l’auteur. Et c’est un déluge d’insultes racistes,de mauvaise foi totale, de chauvinisme approuvé par son épouse. Et Henri part en vrille, dans une parano soutenue à grands coup de verres de vin. Jusqu’au moment où croyant reconnaître le propriétaire arabe de la voiture qu’il a accroché et qui serait venu jusqu’au pied de son immeuble pour l’agresser, il prend un fusil et tire par le fenêtre…
Le texte est d’une virulence et d’une précision dans le dialogue qui nous étonne encore chez un auteur qui n’avait que 28 ans à l’époque. C’est solidement mis en scène par Daniel Colas, avec, en bonus, pendant les changements de décor et de costumes, quelques extraits d’actualité de cinéma de l’époque avec en vrac: de Gaulle , Pompidou, Brigitte Bardot à Cannes, la voix chaude de Barbara qui commençait à être bien connue, et celle de Dutronc qui chante: « Et moi, et moi », la première et immense catastrophe écologique avec le naufrage du Torrey Canyon, André Malraux, ministre de la Culture visitant l’exposition de Touthankamon: bref, c’était hier et autrefois, et pour beaucoup , le Moyen-Age ou presque…
Et puis, il y a surtout l’ étonnant personnage que Daniel Russo a réussi à construire. Gestuelle et jeu impeccable: il n’y pas un faux pli, pas une hésitation ou un léger défaut de concentration: une vraie performance après 150 représentations. Et Evelyne Buyle possède une intelligence remarquable de la scène et du texte pour jouer une telle idiote: un travail exemplaire de comédienne qui ne cherche jamais à en faire trop: admirables tous les deux.
Alors à voir? C’est selon ce que vous y cherchez: les deux premières pièces servent de complément à Rixe dont le propos n’a malheureusement pas vieilli, même si le texte , assez conformiste, ne fait pas dans la nuance et caresse le public dans le sens du poil. Mais reste, de toute façon, la grande et belle leçon de théâtre donnée par Daniel Russo et Evelyne Buyle…
Philippe du Vignal
Théâtre des Mathurins.