Un tramway, création d’après Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams mise en scène de Krzysztof Warlikowski, texte français de Wajdi Mouawad.
Oubliez tout ce que vous savez sur la pièce de Tennessee Williams, ne pensez plus à l’adaptation d’Elia Kazan pour le cinéma. Arrivez l’esprit vierge et prêt à être nouvellement imprégné, venez dénués de toute attente particulière, sans idées préconçues ni préjugés. Vous ne serez pas déçus.
En effet, la création de Krzysztof Warlikowski est une belle réussite, et une proposition vraiment intéressante.
L’oeuvre de Williams a été, pour le metteur en scène et pour son associé Wajdi Mouawad, davantage le prétexte à une réécriture contemporaine, le point de départ pour une nouvelle pièce, qu’une œuvre à suivre à la lettre. Ce qui n’est peut-être pas une mauvaise idée, puisque la Nouvelle-Orléans des années 40 et son atmosphère étouffante sont moins parlantes aujourd’hui. Autant transposer le tout dans un ailleurs plus universel.
N’en déplaise aux puritains, le texte original a été lifté, et d’autres morceaux ont été greffés : de Claude Roy à Flaubert, de Dumas à Wilde ou Platon… Mais le tout a bien pris. À spectacle total, proposition musicale : l’interprète Renate Jett chante l’amour (ou ce qu’il en reste) sur scène : implorant All by myself ou Follow me, déplorant Qualsevol nit pot sortir el sol.
L’argument de la pièce est simple, c’est l’histoire d’une trahison : Blanche DuBois a subi des mésaventures. Elle vient s’installer chez sa sœur, Stella. Celle-ci et son mari finiront par faire interner cette femme encombrante, pour eux dérangée et dérangeante, mais , pour nous spectateurs, terriblement attachante.
Isabelle Huppert est époustouflante et subjuguante. Elle incarne à son meilleur la femme au bout du rouleau, assoiffée d’amour, si perdue, si sensible… d’où ce déplorable et triste refuge dans l’alcool. Yann Collette propose un Mitch très convaincant : séducteur velléitaire, infantile et lâche qui se laisse gouverner par sa mère et les ont-dit. Autres temps, autres mœurs… Andrzej Chyra se coule dans la peau d’un Stanley primitif, homme violent qui bat sa femme, la tatoue comme son chien, l’engrosse. C’est un cheval mal débourré qui insulte sa belle-sœur et la viole avant de lui offrir un aller-simple pour qu’elle rentre chez elle, en guise de cadeau d’anniversaire. Florence Thomassin joue une Stella effacée et soumise, qui ne sait pas trop sur quel pied danser. D’ailleurs, on se demande laquelle des deux sœurs vient réellement en aide à l’autre.
Le décor est aussi dépouillé que magnifique : à l’avant-scène, côté jardin, une table de salon avec des chaises, et un canapé-lit, sur lesquels on vient s’asseoir ou se battre. Côté cour, un lit où l’on séduit, où l’on pleure, sous lequel on se cache. Au fond de la scène, un plateau sur roues, qui peut avancer pour laisser apparaître la salle de bain, ou reculer pour révéler la salle de bowling. Ses parois transparentes peuvent astucieusement se faire opaques pour plus de trouble. La mise en scène joue avec ingéniosité de la vidéo. Ainsi, la web cam affichant le visage de Blanche déformé, de manière saccadée, accentue son côté « déglingué ».
Une réserve : certains passages sont un peu longs, ainsi la scène du tatouage ou le chant de La Jérusalem délivrée. En somme, ce Tramway est le fruit d’un très beau travail d’équipe, vivier de talents divers et passionnés. Cette réinterprétation collective d’un texte mythique, entre hommage et régénération, offre à Tennessee Williams une nouvelle jeunesse.
Barbara Petit
Jusqu’au 3 avril à l’Odéon – Théâtre de l’Europe. Et du 10 au 14 avril à Varsovie, puis en 2010-2011 à Berlin, Grenoble, Luxembourg, Amsterdam, La Haye, Genève.