Tangos, slams et coplas

Tangos, slams et coplas, de Miguel Angel Sevilla

C’est le théâtre du presque rien, le théâtre le plus vrai qui soit. Une jeune et charmante androgyne (tout compte fait, au féminin) accompagne à la  guitare un léger et chenu Miguel Angel Sevilla, et tous les deux nous emmènent pour un voyage en poésie. En espagnol, la légende du frère Soleil et de la sœur Lune qui nous font de larmes de pluie : et la langue est si belle, si rythmée que les images nous parviennent, avant même que l’auteur ne nous en donne la traduction. Les coplas andalouses mènent au tango, dirons-nous argentin ? On entend dans cette musique qui tient en quatre pas quelque chose de l’Europe de l’Est, de l’Italie, le chagrin et les rires des immigrés qui ont fait leur part d’Argentine, à la rencontre d’autres peuples inconnus. Oui, il faut dire tango argentin.
Histoires de fraternité, dit l’auteur, et il nous fait entrer, de la voix, d’un pas de danse esquissé, d’une esquive et d’une absence, dans les bars des pauvres, oui, ceux d’une Argentine désargentée. Et il continue à tenir la langue comme une monture docile et passe au slam. Histoires de vie, histoires d’amour, chacun peut, à les entendre, construire son rêve lointain, et très proche, de l’autre, celui-là, le frère qu’on ne voit pas.
Une soirée à guetter dans les petites salles, les bars, les cafés où elle va se glisser et emmener, on l’a dit, en Poésie.

Christine Friedel


Archive pour 15 février, 2010

La Lutine

La Lutine, de Calderon adaptation et mise en scène d’ Hervé Petit.

   lutine.jpgAffaires d’honneur empilées comme des assiettes, dilemmes cornéliens avant la lettre : faut-il affronter en duel le frère de son hôte pour protéger une mystérieuse inconnue voilée? Assauts de grandeur d’âme : chacun à son tour dépose son épée aux pieds de son noble ennemi, pour la reprendre aussitôt, pour cause d’honneur effleuré. Et les femmes, pendant ce temps-là ? Elles s’ennuient, l’une recluse, veuve récente, l’autre accablée par la cour jalouse et sinistre que lui fait le jeune frère de celui qu’elle aime – et qu’elle agrée, mais il est toujours trop tôt pour le dire, tant qu’on n’est pas au dénouement. C’est une comédie, donc, ça finit bien, les femmes auront ce qu’elles veulent, les hommes se calmeront, et le public aura bien ri.
Car l’auteur gigantesque de La Vie est un songe est aussi un roi de la comédie : intrigue, caractères, et adresses au public désamorçant la scène pour mieux la faire rebondir, tout y est. Il invente une armoire pivotante, machine à illusions et malentendus : on est à la fois devant le lit escamotable de La Puce à l’oreille, et renvoyé à La vie est un songe. Et, revers du machisme, la Lutine  qui sème le trouble jusque dans l’esprit du chevalier rationaliste – sans parler de son valet, un Sganarelle joyeux, crédule, paresseux et ivrogne – , qui fait vaciller les certitudes et le pouvoir installé (ici celui des frères) n’est que l’esprit de liberté des femmes. Ce que femme veut ! On est en pleine illusion comique.
C’est joué parfois à la louche, les perspectives menant à La Vie est un songe ne sont guère explorées, mais peu importe : on les voit se dessiner, et l’on est emmené vivement par le rythme de la comédie et l’adaptation savoureuse d’Hervé Petit.

 

Christine Friedel

Théâtre de l’Opprimé – 01 43 44 44  – jusqu’au 7 mars

Un tramway

Un tramway, création d’après Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams mise en scène de Krzysztof Warlikowski, texte français de Wajdi Mouawad.
tramwayodeon.jpgOubliez tout ce que vous savez sur la pièce de Tennessee Williams, ne pensez plus à l’adaptation d’Elia Kazan pour le cinéma. Arrivez l’esprit vierge et prêt à être nouvellement imprégné, venez dénués de toute attente particulière, sans idées préconçues ni préjugés. Vous ne serez pas déçus.
En effet, la création de Krzysztof Warlikowski est une belle réussite, et une proposition vraiment intéressante.
L’oeuvre de Williams a été, pour le metteur en scène et pour son associé Wajdi Mouawad, davantage le prétexte à une réécriture contemporaine, le point de départ pour une nouvelle pièce, qu’une œuvre à suivre à la lettre. Ce qui n’est peut-être pas une mauvaise idée, puisque la Nouvelle-Orléans des années 40 et son atmosphère étouffante sont moins parlantes aujourd’hui. Autant transposer le tout dans un ailleurs plus universel.

N’en déplaise aux puritains, le texte original a été lifté, et d’autres morceaux ont été greffés : de Claude Roy à  Flaubert, de Dumas à Wilde ou Platon… Mais le tout a bien pris. À spectacle total, proposition musicale : l’interprète Renate Jett chante l’amour (ou ce qu’il en reste) sur scène : implorant All by myself ou Follow me, déplorant Qualsevol nit pot sortir el sol.
L’argument de la pièce est simple, c’est l’histoire d’une trahison : Blanche DuBois a subi des mésaventures. Elle vient s’installer chez sa sœur, Stella. Celle-ci et son mari finiront par faire interner cette femme encombrante, pour eux dérangée et dérangeante, mais , pour nous spectateurs, terriblement attachante.
Isabelle Huppert est époustouflante et subjuguante. Elle incarne à son meilleur la femme au bout du rouleau, assoiffée d’amour, si perdue, si sensible… d’où ce déplorable et triste refuge dans l’alcool. Yann Collette propose un Mitch très convaincant : séducteur velléitaire, infantile et lâche qui se laisse gouverner par sa mère et les ont-dit. Autres temps, autres mœurs… Andrzej Chyra se coule dans la peau d’un Stanley primitif, homme violent qui bat sa femme, la tatoue comme son chien, l’engrosse. C’est un cheval mal débourré qui insulte sa belle-sœur et la viole avant de lui offrir un aller-simple pour qu’elle rentre chez elle, en guise de cadeau d’anniversaire. Florence Thomassin joue une Stella effacée et soumise, qui ne sait pas trop sur quel pied danser. D’ailleurs, on se demande laquelle des deux sœurs vient réellement en aide à l’autre.
Le décor est aussi dépouillé que magnifique : à l’avant-scène, côté jardin, une table de salon avec des chaises, et un canapé-lit, sur lesquels on vient s’asseoir ou se battre. Côté cour, un lit où l’on séduit, où l’on pleure, sous lequel on se cache. Au fond de la scène, un plateau sur roues, qui peut avancer pour laisser apparaître la salle de bain, ou reculer pour révéler la salle de bowling. Ses parois transparentes peuvent astucieusement se faire opaques pour plus de trouble. La mise en scène joue avec ingéniosité de la vidéo. Ainsi, la web cam affichant le visage de Blanche déformé, de manière saccadée, accentue son côté « déglingué ».
Une réserve : certains passages sont un peu longs, ainsi la scène du tatouage ou le chant de La Jérusalem délivrée. En somme, ce Tramway est le fruit d’un très beau travail d’équipe, vivier de talents divers et passionnés. Cette réinterprétation collective d’un texte mythique, entre hommage et régénération, offre à Tennessee Williams une nouvelle jeunesse.

Barbara Petit


Jusqu’au 3 avril à l’Odéon – Théâtre de l’Europe.
Et du 10 au 14 avril à Varsovie, puis en 2010-2011 à Berlin, Grenoble, Luxembourg, Amsterdam, La Haye, Genève.

 

 

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...