177 ANS DÉJÀ MON AMOUR

177 ANS DÉJÀ MON AMOUR  

par Anne de Broca, Philippe Dormoy, Fabienne Pralon. Théâtre de l’Epée de bois
Depuis 21 ans, Anne de Broca interprète tous les 15 février un spectacle sur Juliette Drouet qui clame son amour pour Victor Hugo. Chaque année, c’est un nouveau spectacle.
Elle descend les marches du beau cabaret de l’Épée de bois revêtue d’une robe rouge couverte d’un manteau, nous fixe avec sa belle crinière blonde et clame de brûlants mots d’amour, les chante, les brame accompagnée par Fabienne Pralon au piano, avec un complice dans la salle qui lui réplique, image furtive de l’amour absent. C’est un beau vertige amoureux, manière de triompher de l’absence.

Edith Rappoport



Archive pour 16 février, 2010

CIRCENSES

CIRCENSES par le Circus Ronaldo

p797861.jpgDepuis six générations, cette famille de cirque de Gand transmet la flamme des planches. Mais  le clown Danny Ronaldo a transformé profondément et rénové la tradition familiale pour créer des spectacles insolites, décapants et pleins d’humour. Circenses, les jeux du cirque, convient la moitié du public à se placer dans les coulisses. On peut y voir la préparation des numéros des jongleurs avec des massues qui mettent le feu aux pendrillons, des avaleurs de sabre, de la lançeuse de couteaux, les erreurs, les risques de catastrophes avec deux charmants jeunes artistes en herbe tous deux impressionnants, on ne se prive pas de faire irruption dans les rangs, de bousculer les spectateurs, d’en empoigner un pour l’embarquer dans un galop de cheval.
Après l’entracte, on voit le spectacle dans le bon sens, porté par un grand clown triste à la longue tignasse, qui monte sur le fil avec ses grandes chaussures, joue de la trompette, accompagne les numéros des 14 membres de la compagnie avec une grâce insolite. L’orchestre accompagne tous les numéros, chaque artiste a plusieurs cordes à son arc, on en sort revigoré.

Edith Rappoport

Jusqu’au samedi 20 février

www.theatrefirmingemier-lapiscine.fr

Une clé pour deux

Une clé pour deux,  conception et mise en scène de Philippe Martz.

cl.jpgAu milieu de la grande désolation du spectacle pour jeune public, voilà enfin une représentation vive enjouée et respectueuse des enfants . L’argument, léger, est bien tricoté,  les deux comédiennes-clowns semblent vraiment avoir appris leur métier et se donner du mal. Les références culturelles autour de la comédie musicale sont à la portée des petits sans  être vulgaires. A signaler, un superbe numéro de claquettes sur chantons sous la pluie..avec des pelles à poussière
On a bien aimé l’art de s’accommoder de la frugalité des éléments du décor pour s’en servir avec inventivité, tout en utilisant(bien) les moyens traditionnels des clowns: dérision, danse, musique, chant.
Les enfants rient, s’amusent, participent, les comédiennes renvoient la balle… Que demander de plus!

Claudine Chaigneau

Théâtre de la Manufacture des Abbesses à partir de 4 ans . Jusqu’ au 28 mars les samedis à 15h et dimanches à 11h

 

Une fête pour Boris

Une fête pour Boris de Thomas Bernhard,mise en scène de Denis Marleau

   boris.jpgLa  pièce avait été présentée en grande première lors du Festival TransAmérique en 2004, puis au Festival d’Avignon et en tournée européenne.
Trois personnages s’adonnent à des jeux de déguisement et à des métamorphoses technologiques pour créer une atmosphère carnavalesque et macabre: la Bonne Dame (Christiane Pasquier),  bienfaitrice mondaine, a perdu ses jambes à la suite d’un accident.
Cette femme riche entretient plus profondément, un rapport de mépris et d’hostilité avec son entourage. Elle fait souffrir sa dame de compagnie, Johanna (Sébastien Dodge) qui veille sur elle et sur son mari Boris (Guy Pion).Celui-ci est aussi cul-de-jatte, et sort d’un hospice. Pour l’anniversaire de Boris, la Bonne Dame prépare un banquet avec treize culs-de-jatte de  ce même hospice .
Le rideau se lève sur une séance d’essayages de chapeaux et de gants par la Bonne Dame, élément cérémoniel qui initie le rythme de la pièce. Exagération et grotesque: Une  tension violente s’établit entre Johanna et Bonne Dame, jusqu’à ce qu’elle accepte docilement de se déguiser en cochon.
C’est à travers un flux de paroles que la Bonne Dame établit sa tyrannie, en maintenant son mari, Boris, dans une dépendance animale dont le cri et le bruit sont la seule manifestation. Pour la scène du banquet, les treize infirmes sont représentés par des marionnettes aux visages  animés par ordinateur et qui ont la voix de Guy Pion. Par duplication, le comédien ( Boris)  interprète aussi le chœur des treize culs-de-jatte. En fait, sa voix et son visage, sont  masqués  avec  perruques et coiffures pour interpréter les culs-de-jatte invités à la fête.
Ce «mirage théâtral» permet au metteur en scène d’élaborer une nouvelle perception entre l’acteur sur scène et l’acteur modifié par le medium vidéographique. Denis Marleau utilise le procédé traditionnel de marionnettes en les adaptant à la vidéo. Le but du metteur en scène est de troubler le spectateur en présentant sur scène des créatures qui s’animent et qui parlent sans pourtant être vivantes. Le metteur en scène met la technologie au service du texte et l’animation de ces marionnettes constitue une nouvelle approche où il interroge le spectateur sur la nature humaine et où il traite de thèmes comme  les jeux sadiques, l’exercice du pouvoir, la domination et la charité ostentatoire des riches.

Maria Stasinopoulou.

Jusqu’au 20 février  à Usine, Centre de création et de diffusion pluridisciplinaire à Montréal.

Mystère bouffe et fabulages

Mystère bouffe et fabulages de Dario Fo ( version 1) , texte français de Ginette Herry, Claude Perrus, Agnès Gauthier et Valéria Tasca,  mise en scène de Muriel Mayette.

gprmystere0910.jpgDario Fo, 83 ans mais apparemment toujours en pleine forme et l’œil malin, véritable icône vivante du théâtre européen, qui fut un, sinon le seul, des rares acteurs-metteurs en scène-auteurs à recevoir le prix Nobel; il est sans doute aussi celui qui a été le plus joué à la Comédie-Française, après que son Mystère bouffe ait obtenu un triomphe au Festival d’Avignon.  Cette fois-ci, Dario Fo, consécration suprême, entre officiellement au répertoire du Français. Avec une série de solos mis en scène par Muriel Mayette, administrateur de la Maison, à partir de la trame de Mystère bouffe et en deux versions « pour la seule raison que j’avais envie, dit-elle, qu’on entende beaucoup de cette parole » , versions qui finissent toutes les deux par cette fabuleuse Naissance du Jongleur...
Le spectacle que met en scène Muriel Mayette reprend des moments de la pièce fameuse qui a été déclinée un peu partout en Europe  et d’autres textes qu’écrivit Dario Fo, à partir des épisodes bibliques que sont les Noces de Cana, l’arrivée des Rois Mages, La fuite en Egypte la Cène, le massacre des Innocents, etc… mais revus et corrigés dans une langue des plus truculentes, savoureuse et populaire, qui ose dire merde et sexe quand il s’agit de merde et de sexe.
« La pièce étant le théâtre de tous les espaces, du tréteau à la cour extérieure, du théâtre à l’italienne à la salle communale, il était donc tout naturel de lui proposer aussi la Salle Richelieu ». Ce n’est pas aussi évident que le prétend M. Mayette… Le spectacle commence plutôt mal avec une espèce de farandole assez kitch, dont ne sait trop si elle appartient au premier ou au second degré, avant que Catherine Hiegel entre, saluée par de longs applaudissements* pour le premier solo. Puis viennent, chacun en pantalon et pull noirs, quelques comédiens dont Hervé Pierre et Christian Hecq, très brillants, pour d’autres solos entre lesquels Muriel Mayette a glissé, comme en contre-point, des scènes de la Passion du Christ qui se déroulent en silence derrière un tulle transparent avec, de temps en temps, un petit gag pour bien indiquer que l’on n’est pas dans l’illustration de texte. Mais il n’y a pas un gramme d’émotion qui passe. C’est joué par les les élèves-comédiens de la Comédie-Française qui font évidemment ce que l’on leur a demandé…

Tous les comédiens en solo font un travail gestuel et vocal de premier ordre mais le spectacle reste un peu guindé, que ce soit dans la mise en scène ou dans la dramaturgie-les meilleurs textes sont au début du spectacle les dieux savent pourquoi-et il y a un côté répétitif: chaque comédien fait son solo, puis on a droit à une petite ration d’images ( rassurez-vous, bon peuple de France, vous aurez  votre petite louche de vidéo ( nuages qui passent puis petits  cochons à la fin!)  puis un autre comédien lui succède, etc… ce qui provoque un  certain engourdissement. Sans doute et surtout, à cause d’un  formatage et d’un manque de rythme patents, et une longueur(deux heures) inadaptée.

C’est du vieux théâtre , sans doute propre sur soi  et comme toujours servi par une  technique impeccable, mais finalement pas intéressant. Une fois de plus, on a confondu l’efficacité et l’apparence de l’efficacité, un défaut dans l’air du temps et pas seulement au théâtre… L’immense Dario Fo méritait mieux.   Alors à voir? Si vous tenez à entendre la merveilleuse langue de l’auteur et metteur en scène italien mais il existe  de nombreux enregistrements. Sinon… n’y emmenez surtout pas des adolescents, il risquent de ne pas l’oublier… et surtout de ne jamais retourner au théâtre.

* Rappelons que Catherine Hiegel, comme Isabelle Gardien, Yves Gasq et Pierre Vial, ont été priés de devenir sociétaires honoraires lors du dernier comité. Sans commentaires …ou plutôt si: ce genre de décisions stupides et graves ne fait pas très bien dans le tableau et c’est un euphémisme. Quant  au Ministre, il est prudemment resté silencieux, alors qu’il est dans ses pouvoirs d’intervenir. ( Voir Le Théâtre du Blog de janvier).

Philippe du Vignal

Comédie-Française, Salle Richelieu, Paris,  en alternance jusqu’au 19 juin.
Le prochain Nouveau Cahier de la Comédie-Française, consacré à Dario Fo, paraître en mars prochain.

Le bestiaire animé

Le bestiaire animé, cabaret animalier avec deux acteurs et des images. Texte de Jacques Rebotier, conception de Véronique Bellegarde.

 

 Leçon de sciences naturelles, comme on disait : que savez-vous des animaux de transport, comme le kangourou ou l’avion, ou la bête à deux dos ? Que savez-vous des animaux de compagnie, comme la girafe, le touriste, le livre, le rêve, le rouge-gorge et le soutif ? Rien, parce que ce n’est écrit nulle part, sinon épars dans divers textes que Rebotier a permis à Véronique Bellegarde de détricoter ici et là.
Une mosaïque d’images vivantes, même si ce sont des planches d’encyclopédie, car les bestioles courent sur les corps des comédiens, se déforment à la lanterne magique, partent dans les quatre dimensions, répond à la mosaïque du langage. Rebotier est un musicien et un chercheur, un penseur de la langue.
Cela donne une fantaisie réjouissante, et une méditation philosophique qu’il faut bien qualifier de troublante : qu’est-ce que le réel ? Et quelques autres interrogations, turbo-propulseuses des acteurs (Daniel Berlioux et Catherine Matisse), qui font la joie des jeunes enfants et des adultes qui veulent bien se laisser entraîner par cette logique hors normes et cette délicieuse diffraction.

 

Christine Friedel

Vu au Théâtre National de Chaillot à l’occasion du festival Anticodes. À voir au festival Mousson d’hiver,  Pont-à-Mousson, et sur le site arteliveweb.com (disponible six mois !)

Woyzeck

Woyzeck de Georg Büchner, mise en scène et adaptation de Brigitte Haentjens,  musique originale d’Alexandre MacSween, scénographie d’Anick La Bissonnière.

woyzeck03.jpgLa metteure en scène québécoise Brigitte Haentjens, souvent attirée par les grands blessés de notre société, a déjà mis en scène Ingeborg Bachman, Sylvia Plath, Virginia Woolf, Heiner Miller et Bernard-Marie Koltès. Ce mois-ci, elle nous propose une nouvelle adaptation québécoise du texte allemand du jeune révolté Georg Büchner. Franz Woyzeck devait attirer Brigitte Haentjens tôt ou tard, puisqu’il préfigure avant Fanon, la victime emblématique de tous les opprimés, les persécutés et  damnés de la terre. Curieusement, cette mise en espace, perçue comme un collage de fragments scéniques fidèle au manuscrit inachevé de Büchner, évoque déjà la structure épisodique du théâtre brechtien .
Brigitte Haentjens réoriente notre regard par rapport aux mises en scène passées, surtout celle de Thomas Ostermeier (une tragi-comédie urbaine). La version du directeur de la Schaubühne de Berlin était hyperréaliste, et  fondée sur une critique évidente de l’attitude anti-immigration qui sévit actuellement en Europe, et sur la remise en cause ironique d’une certaine hypermasculinité qui masque une homosexualité latente et réprimée.
Mais la création québécoise de Brigitte Haentjens est plutôt un face à face entre des corps mus par une énergie hypermasculine, et la projection délirante d’un esprit trouble, en proie à des hallucinations de plus en plus fortes. En effet, affaibli par son régime de petit pois, Woyzeck ne peut plus se défendre, et se laisse humilier, frapper et insulter par la petite collectivité du village,  microcosme d’une société qui a toujours besoin d’une victime expiatoire, pour accomplir ses rituels de survie en période de crise.   Büchner lance une attaque virulente contre le raisonnement du Docteur, inspirée des ethnologues du XIXe siècle, par une stratégie ironique, soit une lecture raciste du monde, celle d’un Rousseau en délire ou d’un Lévy Strauss lobotomisé.
Le « scientifique » qui se déplace comme une grotesque marionnette, et qui mène cette expérience inhumaine avec sa victime (par un régime de petits pois très strict veut démontrer que Woyzeck qui n’a pas été « civilisé » par la formation militaire, reste très près de sa nature « bestiale », un être instinctuel qui ne mérite que le mépris des autres. Marquée par cette opposition « culture »/« nature » ironique qui alimente les gestes de ces tortionnaires,  la mise en scène de Brigitte Haentjens met en valeur l’opposition profonde entre Woyzeck, (son humanité, sa fragilité, sa sensibilité) et la cruauté des autres. En effet, ce microcosme social qui humilie la pauvre « bête » devient à son tour une machine déshumanisée qui signale sa propre bestialité foncière par une chorégraphie violente, énergique et même tribale, inspirée des danses traditionnelles québécoises.
Est-ce un commentaire sur le Québec? C’est possible. Le groupe se déplace collectivement, et les jambes de cette collectivité deviennent des bâtons qui frappent le sol à l’unisson et font trembler les mur et cette machine collective produit un être  terrifiant qui est le « vrai homme », le Tambour –Majeur, celui qui fait sa danse de « séduction -masculine » devant Marie, la femme de Woyzeck , tout en se transformant  en gorille, incapable de s’exprimer autrement que par des grognements, incapable aussi de se tenir droit sur ses jambes. Le travail corporel et vocal est d’une précision impressionnante et évoque les situations d’abjection possibles dans les rapports entre Woyzeck et ses bourreaux.   Par ailleurs, un brouillard qui recouvre l’arrière du plateau, avale et recrache les comédiens qui émergent, puis qui  se fondent dans son épaisseur, et indique dès le départ la confusion qui envahit l’esprit du personnage principal.  Au-dessus du plateau, se trouve une immense passerelle rouge, qui tranche la scène en deux; ce praticable obligeant les comédiens à se déplacer en rampant, eux aussi, comme des bêtes. Sous la passerelle gisent les poutres d’une voie ferrée, une échelle et les restes d’un chantier industriel, les traces d’un lieu déjà moribond, et qui n’attend que le rituel de la mise à mort pour enfin clore son destin… Le langage corporel,  très fort, semble prendre possession de la scène, au détriment de la parole, et parfois cela semble aller trop loin. Ce qui dérange à la limite, ce sont  ces expressions d’hyperviolence et de colère extrême. Les hurlements deviennent énervants et on se demande si les comédiens, perturbés par l’immensité de cet espace scénique, ressentent le besoin de s’affirmer dans un espace auquel ils n’étaient pas habitués. Cette représentation au Centre des Arts était la première soirée d’une tournée canadienne et on aurait dit que les comédiens ne se rendaie
woyzeck06.jpgnt pas compte de la  diversité des espaces qui les attendaient.
Par aillleurs, la chorégraphie de jambes bottées qui martèlent le sol,  impressionnante au départ, devient peu à peu fatigante: elle n’évolue pas et se transforme à la longue en gag scénique qui perd son effet.  
Heureusement, des moments de jeu individuels viennent racheter le spectacle. La grotesque rencontre entre le Docteur et le Capitaine qui discutent du sort de Woyzeck  évoque parfois la comédie inquiétante des clowns de Beckett. Quant à Marie,  elle est prise entre la volupté d’un corps en manque et le dégoût devant un mari incapable de s’affirmer,  et cela produit des moments de tension intéressantes où la comédienne passe de la mère énervée, à la femme sensuelle et à la putain lubrique.  Il y a surtout la mise à mort rituelle de Marie par Woyzeck où il est pris à la fois  par un élan de jalousie destructrice qui va lui inspirer son acte, et  par une profonde tendresse  pour sa femme. Cette scène, où ses coups meurtriers se transforment en caresses mortelles, est un chef-d’œuvre: Brigitte Haetjens a bien cerné les puissantes contradictions qui font de Woyzeck un personnage profondément tragique.

 

Alvina Ruprecht

 

Woyzeck passe actuellement au Théâtre du Centre national des Arts à Ottawa.

 


 


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