Le Mystère du bouquet de roses, de Manuel Puig, traduction de Gilberte Tsaï et Albert Bensoussan mise en scène de Gilberte Tsaï
Christiane Cohendy et Sylvie Debrun, deux fortes et belles présences, au service d’un texte plein de délicatesse. C’est la confrontation, dans la chambre impersonnelle d’une clinique, d’une femme déjà âgée, une bourgeoise aux habitudes autoritaires, à l’esprit vif, acerbe et piquant, saisie dans un moment de détresse absolue – elle vient de perdre son petit-fils dans un accident – et de son infirmière, timide, sérieuse, barricadée dans son existence modeste, sa solitude, son renoncement. L’auteur ne farfouille pas, comme on pourrait s’y attendre, dans le sac des rapports de force d’un violent huis clos, non, il décline une compréhension amusée des pitoyables ressorts de l’amour propre, une subtile rêverie autour des rapprochements, des froissements, des coïncidences, des manipulations, des accointances, des ajustements, de ces deux êtres en souffrance qui vont chercher, envers et contre tout, en premier lieu envers eux-mêmes, à communiquer.
Manuel Puig est un brillant dialoguiste, ses nombreux fils s’entrecroisent avec bonheur à travers une conversation qui semble toute simple, mais il s’agit, ni plus ni moins, de l’importance de l’estime de soi, vue du côté des femmes, que l’on soit riche ou pauvre, de l’influence des parents, de l’amour et de l’abandon, du poids des contraintes sociales. La mort est là, les choix de vie de chacune apparaissent nettement.
Beaucoup d’humour dans ce parcours et une certaine sérénité car rien ne semble irrémédiable tant que la vie est là. D’ailleurs la rencontre elle-même, une simple rencontre que l’on ne peut même pas qualifier d’amitié, reste une fenêtre ouverte. C’est cette constatation qui, au final, réunit et guérit, tant la malade que l’infirmière.
La chambre, à travers la belle scénographie de Laurent Peduzzi et les lumières d’Hervé Audibert, occupe aisément, de façon épurée et aérienne, le grand plateau. L’espace bascule avec fluidité entre monde réel et monde intérieur.
La mise en scène est intelligente et nous entraîne dans ces méandres existentiels sans surligner quoi que ce soit, grâces lui en soit rendues ! Christiane Cohendy et Sylvie Debrun sont drôles et touchantes, heureusement accordées. Un spectacle tendre, qui apaise.
Manuel Puig (1932-1990), grand écrivain argentin, auteur de romans, de pièces de théâtre et de scenarii, est connu notamment pour Le Plus beau tango du monde et Le Baiser de la femme araignée. Cette pièce, écrite en 1983, est présentée pour la première fois en France.
Evelyne Loew
Au Nouveau Théâtre de Montreuil / CDN jusqu’au 15 avril.