Macbeth
Macbeth de William Shakespeare (création en France).Mise en scène Declan Donnellan, scénographie Nick Ormerod.
Declan Donnellan a beau être né en Angleterre de parents irlandais, il ne rechigne pas à monter une pièce écossaise. Et avec sa compagnie Cheek by Jowl, il n’a cessé de reprendre depuis sa création en 1981 le répertoire britannique, et surtout Shakespeare. Le théâtre des Gémeaux de Sceaux connaît depuis longtemps la qualité du travail de ce metteur en scène, et Macbeth fait l’objet d’un cinquième accueil.
La renommée de la compagnie Cheek by Jowl n’est pas usurpée, elle qui, pour ce Macbeth, a distingué l’essentiel de l’accessoire : aucun décor, aucun objet. Fi des dagues, poignards, lettres, diamant ou autres coupes. Les costumes sont eux aussi réduits au plus simple appareil : pour les hommes, des tenues de style militaire noires; pour Lady Macbeth, une robe noire, pour Lady Macduff, un tailleur noir.
Mais aussi des murs noirs, un sol noir, et à cour et à jardin, de hauts lambris noirs, couleur du deuil, du mal, et de l’âme des damnés. Derrière ces planches s’allumeront parfois des lumières aux teintes de feu, comme pour rappeler l’enfer dans lequel les personnages sont pris au piège. Dans une société d’ultra haute technologie et d’abondance, Declan Donnellan a pris le parti de resserrer l’attention sur le principal : le texte, et son interprétation. Entendre du Shakespeare en langue originale, déclamé avec force et vigueur, offre un plaisir sans égal ! La prédiction des sorcières dans la brume, glaçante, vaut son pesant d’or. Les Français intellectualisent le jeu, mais les Britanniques jouent avec leurs tripes, d’où une interprétation d’une force exceptionnelle : le couple machiavélique, dévoré d’ambition, est aussi torturé que passionné. Macbeth n’est pas tranquille, lui qui « a tué le sommeil ». Littéralement dévoré par l’angoisse et le remords, l’usurpateur est rattrapé par le mal et se livre à un bain de sang. Seul Banquo, cet homme qui n’est pas « né d’une femme », mettra fin à sa folie barbare en le tuant. Lady Macbeth, d’abord séductrice et instigatrice du crime, forte et déterminée, sombre dans la folie puis la mort. L’excellence du jeu s’appuie sur des partis pris de mise en scène originaux. C’est Duncan qui porte des lunettes noires comme un aveugle, et qui ne verra clair dans le jeu de Macbeth qu’une fois assassiné, réapparaissant sous forme de spectre. C’est l’ensemble des comédiens qui seront présents sur scène tout au long du spectacle, dans l’ombre et immobiles, témoins invisibles des crimes les plus crapuleux, incarnation de la mauvaise conscience ou des démons intérieurs qui rongent les assassins. Mais, à l’occasion d’un banquet, ils sont le violon et le tambour qui accompagnent les chants et les danses. C’est la portière dans sa loge qui accueille Macduff, fardée comme une voiture volée, habillée très court et de rose fuchsia, des bijoux breloques en veux-tu en voilà, vulgaire, buvant de la bière, aguicheuse, mais pas bien méchante. Un clin d’œil so british. Car ce Macbeth est aussi une ode à la jeunesse et au Royaume-Uni : certains comédiens interprétant les barons frappent par leur très jeune âge, visible à leur visage adolescent et leur coiffure branchée. Et lorsqu’en chœur, ils crient pour célébrer leur nouveau roi et le soulever dans les airs, ils sont les supporters de la Manchester United.
En Angleterre, on ne se lasse pas de jouer Shakespeare. On peut le comprendre : ce beau spectacle de Declan Donnellan nous montre que l’on peut être révolutionnaire avec de l’ancien, captivant avec une économie de moyens. Une démarche qui donne à réfléchir.
Barbara Petit
Jusqu’ au 21 février au théâtre des Gémeaux de Sceaux. Et de février à mai à Berlin, Lyon, La Haye, Londres, Luxembourg, Milan, Brighton,et Lille.