Un Tramway, d’après Un Tramway nommé Désir de Tennessee Williams, mise en scène de Krzystof Warlikowski.
Trois semaines après la première, puisque l’occasion nous en est donnée, un petit point sur la dernière création du maître, une fois dissipés les déferlements médiatiques, pour ou contre cette mise en scène. D’abord, les puristes ont tort: on ne peut accuser le metteur en scène polonais d’avoir triché , puisque l’affiche indique en toutes lettres d’après Un Tramway, donc libre à lui de faire ce qu’il veut avec cette œuvre datée.
Avec la meilleure volonté du monde, il est en effet difficile de restituer l’atmosphère de ce pauvre logement du Sud tel que l’ a précisément décrit Tennessee Williams dans les didascalies. Donc le metteur en scène a adopté un autre parti pris qu’on ne saurait , de prime abord, lui reprocher. Et Barbara Petit a tout a fait raison quand elle préconise de laisser ses préjugés au vestiaire.
La scénographie que décrit plus haut notre consœur et amie (1) est bien un peu encombrante avec cette grande galerie en verre à roulettes qui peut faire penser à ces installations branchouille que l’on a déjà vues dans les centres d’art contemporain, et chez la metteuse en scène Deborrah Warner. Mais ces fréquents aller-et-retour sur roulettes du fond vers l’avant scène font un tantinet gadget. Comme ce recours systématique et très vite fatiguant au grossissement vidéo du visage d’Isabelle Huppert qui semble avoir fasciné Warlikowski, au point d’avoir fait de l’actrice le centre de la pièce.
La vidéo règne ici en permanence mais on ne voit pas bien l’intérêt qu’il y à montrer sans cesse la même image , et verticale et horizontale de son visage..Le metteur en scène s’empare de son joujou favori avec délectation.. Mais ce n’est pas toujours vraiment convaincant, malgré de très belles images qui, on le sait, procurent toujours un certain effet.
Cela dit, la mise en scène, la direction et le jeu des comédiens : Isabelle Huppert, Andrzej Chira, Florence Thomassin, Yan Colette, et Cristian Solo ( c’est l’ordre indiqué sur le programme!) sont impeccables, même si les micros HF inévitables à cause de cette cloison de verre tendent comme d’habitude à uniformiser les voix. Les chansons interprétée par Renate Jeff sont tout aussi admirablement interprétées. Tout cela a dû coûter très très cher, sans véritable nécessité, mais bon, Warlikowki n’est pas un adepte d’un théâtre fait de bouts de ficelle et de vieux pendrillons noirs! Et tant mieux, si l’Odéon et les coproducteurs du spectacle en ont les moyens…
On oubliera aussi les déshabillages et rhabillages successifs de la vedette, ce qui est agaçant; le programme prend bien soin de préciser que (sic) » Mademoiselle Huppert est habillée par la Maison Yves saint-Laurent et la Maison Christian Dior « . Cela vous a un air de mauvais théâtre privé..et c’est assez pathétique, quand il s’agit d’un théâtre national!
Enfin le metteur en scène polonais qui a enlevé depuis le début des représentations un quart d’heure de son spectacle aurait pu aussi nous épargner ces ajouts de petits textes qui vont de La Dame aux camélias, à Coluche, Claude Roy, pour finir avec un extrait interminable de La Jérusalem délivrée de Torquato Tasso qui se déroule au dessus du cadre de scène..
En fait, tout se passe un peu comme si Warlikowski s’exprimait avec une certaine condescendance: du genre, je choisis une adaptation opérée à la hache par Wajdi Mouawad , je rajoute ce qui me plaît parce que j’en sens la nécessité personnelle, et que cela m’amuse; au passage ,je me livre à une sorte de petit exorcisme personnel, en choisisssant un acteur polonais pour incarner un émigré…polonais.
Et autrement dit: » si cela ne vous plait pas, tant pis pour vous et ne parlons pas de travail, moi, j’opère dans la sensibilité et cela dépend de votre degré de compréhension quant à ce que j’ai voulu faire; et c’est bien fait pour vous si vous n’êtes pas assez malin pour comprendre toute l’intelligence que j’ai pu y mettre.
Mouais, mouais, mouais…L’ennui en effet, c’est que cela ne fonctionne pas tout à fait- le public est peut-être fait de gens très différents mais ,c’est un des miracles du théâtre, il est loin, très loin même d’être bête et insensible, et avant-hier soir, il semblait n’être pas dupe ! La pièce de T. Williams , passée à la machine à laver Mouawad, ressort de là en charpie, et, mis à part les scènes entre les deux soeurs, et entre Blanche et Stanley, le scénario devient un prétexte à la création de belles images , ( dont certaines déjà vues dans (A)polonnia…).
Le temps parait donc longuet surtout vers la fin de ces deux heures quarante cinq, et bien rares sont les véritables moments d’émotion. Comme si, par delà la tombe, le cher Tennessee s’était un peu vengé du sort fait à sa pièce…. Mais c’est bien le metteur en scène qui a été chercher W. Mouawad! En fait, le système warlikowskien, malgré ses grandes qualités, semble un peu à bout de souffle! Le réalisateur polonais, devenu la véritable coqueluche des festivals occidentaux, devrait sans doute réviser une copie devenue quelque peu narcissique avec le temps…
Alors à voir? C’est selon: si vous avez envie d’aller voir Isabelle Huppert dans quelques scènes cultes du Tramway nommé Désir laissées par bonheur à peu près intactes, et si vous n’avez jamais vu de mise en scène de Warlikowski, cela pourrait être une occasion, sinon on n’est pas obligé d’être béat devant toute cette sophistication et ce raffinement lumineux et sonore, et l’on peut s’abstenir. Le public en tout cas n’avale pas tout ce que l’on veut, comme le croit sans doute naïvement le metteur en scène, et les rappels ont été du genre plutôt pingre… C’est peut-être une leçon qu’il devrait méditer.
L’équation: pièce ultra-connue surtout pour son adaptation au cinéma avec des acteurs culte (mais ici bien charcutée) +une comédienne-vedette de cinéma, et des comédiens solides + une scénographie un peu prétentieuse+ de la musique rock et des lumières sophistiquées… Cela ne fonctionne pas à tous les coups… même si c’est admirablement bien réalisé. Il y manque tout simplement un peu d’âme… » L’humilité est le contre-poison de l’orgueil « , disait déjà Voltaire, et cela vaut aussi pour le théâtre contemporain.
Philippe du Vignal
(1) Un tramway ,voir plus bas dans Le Théâtre du Blog.
Théâtre de l’Odéon jusqu’au 3 avril.