Les Suppliantes

Les Suppliantes, tragédie grecque d’après Eschyle, texte français, adaptation et mise en scène d’Olivier Py.

  84068unesuppleante.jpgOn a longtemps cru que la pièce datait des début d’Eschyle alors qu’il semblerait plutôt qu’il l’ait écrite à la fin de sa vie. Enfin qu’importe! La pièce n’a sans doute pas les vertus des Perses ni de l’Orestie mais il y a la même écriture, la même force et la même économie de moyens dramatiques qu’admirait tant Victor Hugo qui disait qu’on peut tester les intelligences sur Eschyle. …
Un groupe de femmes arrive de bien au delà des mers: elles ont fui leur patrie parce que leurs cousins ont voulu les épouser de force et conduites par leur père, elle viennent en Grèce demander asile et protection au roi d’Argos. On sait combien l’hospitalité était une loi et un devoir absolus dans la Grèce ancienne, quelques soient les moyens des royaumes. Le roi d’Argos est pris entre deux feux: s’il accepte d’accueillir ces femmes, il prend le risque grave d’une guerre et il a bien conscience d’être le représentant de son peuple qui   doit décider en son nom. Mais s’il refuse de les accueillir, il remet en cause le droit des plus faibles et des plus démunis à être secourus. Ce qui frappe sans doute le plus dans le texte d’Eschyle, c’est le côté « contes et légendes » qu’il ne cherche pas du tout à esquiver, comme pour mieux montrer la force du propos. Vous avez dit distanciation, du Vignal ? Texte grec en main  ( on ne se refait pas) , on y a été voir et l’on peut vous dire que l’adaptation d’Olivier Py est à la fois d’une intelligence et d’une pureté remarquables. Il a eu raison de gommer toutes les allusions mythologiques que de toute façon le public n’aurait pas compris mais en  une heure, tout est dit et bien dit de cette très vieille et lumineuse histoire: il faut simplement se laisser un peu emporter par le verbe magistral du poète. Cela se passe dans l’ancien petit foyer de l’Odéon, rebaptisé salon Roger Blin, avec un praticable au centre et deux rangées de chaises pour 80 spectateurs. Les trois comédiens : Philippe Girard, Frédéric Giroutrou et Mireille Herbstmeyer, habillés de noir, impeccablement dirigés sont exemplaires de force et de sobriété.  Cette histoire d’exilés qui demandent accueil et protection auprès d’un pays étranger ne vous rappellera sans doute rien….
Le spectacle a été conçu comme une « petite forme » pour reprendre les termes de Vitez, ce qui ne veut bien entendu pas dire une forme mineure  et est destinée à des représentations hors les murs , dans des lycées , collèges,et écoles parisiens et de banlieue mais ouvert à tout public.
Il faut  signaler que Jacques Albert-Canque,  monte aussi Les Suppliantes à Bordeaux dont nous vous rendrons compte prochainement.

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Odéon jusqu’au 27 février à 18h 30,  et hors les murs: 01-44-85-40-40
Aix-en -Provence : 8 représentations du 2 au 5 mars 2010
Paris Hors les murs : du lundi 8 mars au jeudi 8 avril, relâche les dimanches et lundi de Pâques : 42 représentations prévues.(voir le site: odéon)

 


Archive pour 26 février, 2010

BURN BABY BURN

BURN BABY BURN de Carole Lacroix, mise en scène Anne-Laure Liégeois

  84065uneburn.jpg A la demande de Muriel Mayette qui répondait ainsi au vote du bureau des lecteurs de la Comédie- Française et à celui du public qui avait assisté aux lectures des textes sélectionnés, Anne-Laure Liégeois a mis en scène au Studio-Théâtre, après « Le bruit des os qui craquent » de la Québécoise Suzanne Lebeau, » Burn Baby Burn » de la Française Carine Lacroix. »Le bruit des os qui craquent » était une traversée de la forêt et de l’horreur, par deux enfants qui fuient un camp de rebelles où on les dresse à tuer et à beaucoup d’autres choses, « Burn Baby Burn » est une immersion dans les délires de l’adolescence. D’un côté, l’enfance massacrée, quel que soit le pays, quelle que soit l’époque, de l’autre, l’adolescence grisée par sa solitude même quand le monde est à portée de voix.Ce qui relie les deux pièces, c’est le besoin de raconter, Elikia dans « Le bruit des os qui craquent » livre à Josef qu’elle aide à fuir et à son cahier lu par l’infirmière qui les a recueillis, son calvaire de gamine confrontée à la barbarie , Hirip et Violette, Hirip surtout, dans « Burn Baby Burn » se font leur cinéma à coups de délires.  Dans un no man’s land très Etats-Unis, une station service désaffectée sur  une route où personne ne passe, une jeune femme, Hirip, attend d’aller chercher un héritage en Italie et  vit d’on ne sait quoi. Violette, en panne d’essence,  s’arrête là avec sa mobylette. Rencontre obligée mais difficile. L’une raconte des histoires insensées sorties de feuilletons télévisés et de son imagination; l’autre lâche peu à peu des bribes de vie moins glamour: le salon de coiffure où elle est stagiaire, les parents scotchés devant la télévision, ses amours et ses débrouilles plutôt glauques. Une fille gentille barrée dans ses rêves de midinette, et une autre qui est une boule de nerfs et de haine.   Les rêves d’Hirip vont finir par déteindre sur ceux de Violette, mais un jeune livreur de pizzas en fera les frais, et mourra sous les coups.Nous sommes dans la logique du rêve, tout est vrai et rien n’est vrai:  le monde n’est pas loin, on entend les cloches de l’église du village voisin, Hirip a des visites, et l’ on peut se faire livrer des pizzas. Mais les deux jeunes femmes  ne sont pas encore faites pour vivre dans le monde réel, et  partent en vrille, chacune à sa façon.Le texte de Carine Lacroix est drôle et grave, et sa façon de décoller du réalisme pour dire les angoisses de l’adolescence, est toujours juste dans sa fantaisie,  comme était juste la dénonciation sans pathos de Suzanne Lebeau. Les mêmes comédiens passent avec un grand professionnalisme et un  plaisir visible d’un univers à l’autre, Suliane Brahim et Isabelle Gardien , Benjamin Jungers aussi juste en jeune garçon qu’en adolescent perdu, et Gilles David et sa présence ironique..en commentateur de l’action.

Françoise du Chaxel

Au Studio-Théâtre de la Comédie Française, Carrousel du Louvre, jusqu’ au 5 Mars
01 44 58 98 58.

Un Tramway, d’après Un Tramway nommé Désir

Un Tramway, d’après Un Tramway nommé Désir de Tennessee Williams, mise en scène de Krzystof Warlikowski.

1832.jpgTrois semaines après la première, puisque l’occasion nous en est donnée, un petit point sur la dernière création du maître, une fois dissipés les déferlements médiatiques, pour ou contre  cette mise en scène. D’abord,  les puristes ont tort: on ne peut accuser le metteur en scène polonais d’avoir triché , puisque l’affiche indique en toutes lettres d’après Un Tramway, donc libre à lui de faire ce qu’il veut avec cette œuvre  datée.
Avec la meilleure volonté du monde, il est en effet difficile de restituer l’atmosphère de ce pauvre logement du Sud tel que l’ a précisément décrit Tennessee Williams dans les didascalies. Donc le metteur en scène a adopté un autre parti pris qu’on ne saurait , de prime abord,  lui reprocher. Et Barbara Petit  a tout a fait raison quand elle préconise de laisser ses préjugés au vestiaire.

 La scénographie que décrit plus haut  notre consœur et amie (1) est bien un peu encombrante avec cette grande galerie en verre à roulettes qui peut faire penser à ces installations branchouille que l’on a  déjà vues dans les centres d’art contemporain, et chez la metteuse en scène Deborrah Warner. Mais ces fréquents aller-et-retour sur roulettes du fond vers l’avant scène font un tantinet gadget. Comme ce recours systématique et très vite fatiguant au grossissement vidéo du visage d’Isabelle Huppert  qui semble avoir fasciné Warlikowski, au point d’avoir fait de l’actrice le centre de la pièce.
La vidéo règne ici en permanence mais on ne  voit pas bien l’intérêt qu’il y à montrer sans cesse la même image , et verticale et horizontale de son visage..Le metteur en scène s’empare de son joujou favori avec délectation.. Mais ce n’est pas toujours vraiment convaincant, malgré de très belles images qui, on le sait, procurent toujours un certain effet.
C
ela dit, la mise en scène, la direction  et le jeu des comédiens : Isabelle Huppert, Andrzej Chira, Florence Thomassin, Yan Colette, et Cristian Solo ( c’est l’ordre indiqué sur le programme!) sont  impeccables, même si les micros HF inévitables à cause de cette cloison de verre tendent comme d’habitude à uniformiser les voix. Les chansons interprétée par Renate Jeff sont tout aussi admirablement interprétées. Tout cela a dû coûter très très cher, sans véritable nécessité, mais bon, Warlikowki n’est pas un adepte d’un théâtre fait de bouts de ficelle et de vieux pendrillons noirs! Et tant mieux, si l’Odéon et les coproducteurs du spectacle en ont les moyens…
On oubliera aussi les déshabillages et rhabillages successifs de la vedette, ce qui est agaçant; le programme prend bien soin de préciser que (sic)  » Mademoiselle Huppert est habillée par la Maison Yves saint-Laurent et la Maison Christian Dior « . Cela vous  a un air de mauvais théâtre privé..et c’est
assez pathétique, quand il s’agit d’un théâtre national!
tramway1.jpg  Enfin le metteur en scène polonais qui a  enlevé depuis le début des représentations un quart d’heure de son spectacle  aurait pu aussi nous épargner ces ajouts de petits textes  qui vont de La Dame aux camélias, à Coluche, Claude Roy,  pour finir avec un extrait interminable de La Jérusalem délivrée de Torquato Tasso qui se déroule au dessus du cadre de scène..
En fait, tout se passe un peu comme si Warlikowski s’exprimait avec une certaine condescendance: du genre, je choisis une adaptation opérée à la hache par Wajdi Mouawad , je rajoute ce qui me plaît parce que j’en sens la nécessité  personnelle, et que cela m’amuse; au passage ,je me livre à une sorte de petit exorcisme personnel, en choisisssant un acteur polonais pour incarner un émigré…polonais.
Et autrement dit:  » si cela ne vous plait pas, tant pis pour vous et ne parlons pas de travail, moi, j’opère dans la sensibilité et cela dépend de votre degré de compréhension  quant à ce que j’ai voulu faire; et c’est bien fait pour vous si vous n’êtes pas assez malin pour comprendre toute l’intelligence que j’ai pu y mettre.

Mouais, mouais, mouais…L’ennui en effet,  c’est que cela ne fonctionne pas tout à fait- le public est peut-être fait de gens très différents mais ,c’est un des miracles du théâtre, il est loin, très loin même d’être bête et insensible, et avant-hier soir, il semblait n’être pas dupe ! La pièce  de T. Williams , passée à la machine à laver Mouawad, ressort de là  en charpie, et, mis à part les scènes entre les deux soeurs, et entre Blanche et Stanley, le scénario devient  un prétexte à la création de belles images , ( dont certaines déjà vues dans (A)polonnia…).
Le temps parait donc  longuet surtout vers la fin de ces deux heures quarante cinq, et bien rares sont les véritables moments d’émotion. Comme si, par delà la tombe, le cher Tennessee s’était un peu vengé du sort fait à sa pièce….   Mais  c’est bien le metteur en scène qui a été chercher W. Mouawad! En fait,  le système warlikowskien, malgré ses grandes qualités, semble un peu à bout de souffle! Le réalisateur polonais, devenu la véritable coqueluche des festivals  occidentaux, devrait sans doute réviser une copie devenue quelque peu narcissique avec le temps

 Alors à voir? C’est selon: si vous avez envie d’aller voir  Isabelle Huppert  dans quelques scènes cultes du Tramway nommé Désir laissées par bonheur à peu près intactes, et si vous n’avez jamais vu de mise en scène de Warlikowski,  cela pourrait être une occasion, sinon on n’est pas obligé d’être béat devant toute cette sophistication et ce raffinement lumineux et sonore, et l’on peut s’abstenir. Le public en tout cas n’avale pas tout ce que l’on veut, comme le croit sans doute naïvement le metteur en scène, et les rappels ont été du genre plutôt pingre… C’est peut-être une leçon qu’il devrait méditer.
L’équation:  pièce ultra-connue surtout pour son adaptation au cinéma avec des acteurs culte (mais ici bien charcutée) +une comédienne-vedette de cinéma, et des comédiens solides + une scénographie un peu prétentieuse+ de la musique rock et des lumières sophistiquées… Cela ne fonctionne pas à tous les coups… même si c’est admirablement bien réalisé. Il y manque tout simplement un peu d’âme… » L’humilité est le contre-poison de l’orgueil « , disait déjà Voltaire, et cela vaut aussi pour le théâtre contemporain.

 

Philippe du Vignal

(1) Un tramway ,voir plus bas dans Le Théâtre du Blog.
Théâtre de l’Odéon jusqu’au 3 avril.

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