Une fête pour Boris

Une fête pour Boris de Thomas Bernhard,mise en scène de Denis Marleau

   boris.jpgLa  pièce avait été présentée en grande première lors du Festival TransAmérique en 2004, puis au Festival d’Avignon et en tournée européenne.
Trois personnages s’adonnent à des jeux de déguisement et à des métamorphoses technologiques pour créer une atmosphère carnavalesque et macabre: la Bonne Dame (Christiane Pasquier),  bienfaitrice mondaine, a perdu ses jambes à la suite d’un accident.
Cette femme riche entretient plus profondément, un rapport de mépris et d’hostilité avec son entourage. Elle fait souffrir sa dame de compagnie, Johanna (Sébastien Dodge) qui veille sur elle et sur son mari Boris (Guy Pion).Celui-ci est aussi cul-de-jatte, et sort d’un hospice. Pour l’anniversaire de Boris, la Bonne Dame prépare un banquet avec treize culs-de-jatte de  ce même hospice .
Le rideau se lève sur une séance d’essayages de chapeaux et de gants par la Bonne Dame, élément cérémoniel qui initie le rythme de la pièce. Exagération et grotesque: Une  tension violente s’établit entre Johanna et Bonne Dame, jusqu’à ce qu’elle accepte docilement de se déguiser en cochon.
C’est à travers un flux de paroles que la Bonne Dame établit sa tyrannie, en maintenant son mari, Boris, dans une dépendance animale dont le cri et le bruit sont la seule manifestation. Pour la scène du banquet, les treize infirmes sont représentés par des marionnettes aux visages  animés par ordinateur et qui ont la voix de Guy Pion. Par duplication, le comédien ( Boris)  interprète aussi le chœur des treize culs-de-jatte. En fait, sa voix et son visage, sont  masqués  avec  perruques et coiffures pour interpréter les culs-de-jatte invités à la fête.
Ce «mirage théâtral» permet au metteur en scène d’élaborer une nouvelle perception entre l’acteur sur scène et l’acteur modifié par le medium vidéographique. Denis Marleau utilise le procédé traditionnel de marionnettes en les adaptant à la vidéo. Le but du metteur en scène est de troubler le spectateur en présentant sur scène des créatures qui s’animent et qui parlent sans pourtant être vivantes. Le metteur en scène met la technologie au service du texte et l’animation de ces marionnettes constitue une nouvelle approche où il interroge le spectateur sur la nature humaine et où il traite de thèmes comme  les jeux sadiques, l’exercice du pouvoir, la domination et la charité ostentatoire des riches.

Maria Stasinopoulou.

Jusqu’au 20 février  à Usine, Centre de création et de diffusion pluridisciplinaire à Montréal.


Archive pour février, 2010

Mystère bouffe et fabulages

Mystère bouffe et fabulages de Dario Fo ( version 1) , texte français de Ginette Herry, Claude Perrus, Agnès Gauthier et Valéria Tasca,  mise en scène de Muriel Mayette.

gprmystere0910.jpgDario Fo, 83 ans mais apparemment toujours en pleine forme et l’œil malin, véritable icône vivante du théâtre européen, qui fut un, sinon le seul, des rares acteurs-metteurs en scène-auteurs à recevoir le prix Nobel; il est sans doute aussi celui qui a été le plus joué à la Comédie-Française, après que son Mystère bouffe ait obtenu un triomphe au Festival d’Avignon.  Cette fois-ci, Dario Fo, consécration suprême, entre officiellement au répertoire du Français. Avec une série de solos mis en scène par Muriel Mayette, administrateur de la Maison, à partir de la trame de Mystère bouffe et en deux versions « pour la seule raison que j’avais envie, dit-elle, qu’on entende beaucoup de cette parole » , versions qui finissent toutes les deux par cette fabuleuse Naissance du Jongleur...
Le spectacle que met en scène Muriel Mayette reprend des moments de la pièce fameuse qui a été déclinée un peu partout en Europe  et d’autres textes qu’écrivit Dario Fo, à partir des épisodes bibliques que sont les Noces de Cana, l’arrivée des Rois Mages, La fuite en Egypte la Cène, le massacre des Innocents, etc… mais revus et corrigés dans une langue des plus truculentes, savoureuse et populaire, qui ose dire merde et sexe quand il s’agit de merde et de sexe.
« La pièce étant le théâtre de tous les espaces, du tréteau à la cour extérieure, du théâtre à l’italienne à la salle communale, il était donc tout naturel de lui proposer aussi la Salle Richelieu ». Ce n’est pas aussi évident que le prétend M. Mayette… Le spectacle commence plutôt mal avec une espèce de farandole assez kitch, dont ne sait trop si elle appartient au premier ou au second degré, avant que Catherine Hiegel entre, saluée par de longs applaudissements* pour le premier solo. Puis viennent, chacun en pantalon et pull noirs, quelques comédiens dont Hervé Pierre et Christian Hecq, très brillants, pour d’autres solos entre lesquels Muriel Mayette a glissé, comme en contre-point, des scènes de la Passion du Christ qui se déroulent en silence derrière un tulle transparent avec, de temps en temps, un petit gag pour bien indiquer que l’on n’est pas dans l’illustration de texte. Mais il n’y a pas un gramme d’émotion qui passe. C’est joué par les les élèves-comédiens de la Comédie-Française qui font évidemment ce que l’on leur a demandé…

Tous les comédiens en solo font un travail gestuel et vocal de premier ordre mais le spectacle reste un peu guindé, que ce soit dans la mise en scène ou dans la dramaturgie-les meilleurs textes sont au début du spectacle les dieux savent pourquoi-et il y a un côté répétitif: chaque comédien fait son solo, puis on a droit à une petite ration d’images ( rassurez-vous, bon peuple de France, vous aurez  votre petite louche de vidéo ( nuages qui passent puis petits  cochons à la fin!)  puis un autre comédien lui succède, etc… ce qui provoque un  certain engourdissement. Sans doute et surtout, à cause d’un  formatage et d’un manque de rythme patents, et une longueur(deux heures) inadaptée.

C’est du vieux théâtre , sans doute propre sur soi  et comme toujours servi par une  technique impeccable, mais finalement pas intéressant. Une fois de plus, on a confondu l’efficacité et l’apparence de l’efficacité, un défaut dans l’air du temps et pas seulement au théâtre… L’immense Dario Fo méritait mieux.   Alors à voir? Si vous tenez à entendre la merveilleuse langue de l’auteur et metteur en scène italien mais il existe  de nombreux enregistrements. Sinon… n’y emmenez surtout pas des adolescents, il risquent de ne pas l’oublier… et surtout de ne jamais retourner au théâtre.

* Rappelons que Catherine Hiegel, comme Isabelle Gardien, Yves Gasq et Pierre Vial, ont été priés de devenir sociétaires honoraires lors du dernier comité. Sans commentaires …ou plutôt si: ce genre de décisions stupides et graves ne fait pas très bien dans le tableau et c’est un euphémisme. Quant  au Ministre, il est prudemment resté silencieux, alors qu’il est dans ses pouvoirs d’intervenir. ( Voir Le Théâtre du Blog de janvier).

Philippe du Vignal

Comédie-Française, Salle Richelieu, Paris,  en alternance jusqu’au 19 juin.
Le prochain Nouveau Cahier de la Comédie-Française, consacré à Dario Fo, paraître en mars prochain.

Le bestiaire animé

Le bestiaire animé, cabaret animalier avec deux acteurs et des images. Texte de Jacques Rebotier, conception de Véronique Bellegarde.

 

 Leçon de sciences naturelles, comme on disait : que savez-vous des animaux de transport, comme le kangourou ou l’avion, ou la bête à deux dos ? Que savez-vous des animaux de compagnie, comme la girafe, le touriste, le livre, le rêve, le rouge-gorge et le soutif ? Rien, parce que ce n’est écrit nulle part, sinon épars dans divers textes que Rebotier a permis à Véronique Bellegarde de détricoter ici et là.
Une mosaïque d’images vivantes, même si ce sont des planches d’encyclopédie, car les bestioles courent sur les corps des comédiens, se déforment à la lanterne magique, partent dans les quatre dimensions, répond à la mosaïque du langage. Rebotier est un musicien et un chercheur, un penseur de la langue.
Cela donne une fantaisie réjouissante, et une méditation philosophique qu’il faut bien qualifier de troublante : qu’est-ce que le réel ? Et quelques autres interrogations, turbo-propulseuses des acteurs (Daniel Berlioux et Catherine Matisse), qui font la joie des jeunes enfants et des adultes qui veulent bien se laisser entraîner par cette logique hors normes et cette délicieuse diffraction.

 

Christine Friedel

Vu au Théâtre National de Chaillot à l’occasion du festival Anticodes. À voir au festival Mousson d’hiver,  Pont-à-Mousson, et sur le site arteliveweb.com (disponible six mois !)

Woyzeck

Woyzeck de Georg Büchner, mise en scène et adaptation de Brigitte Haentjens,  musique originale d’Alexandre MacSween, scénographie d’Anick La Bissonnière.

woyzeck03.jpgLa metteure en scène québécoise Brigitte Haentjens, souvent attirée par les grands blessés de notre société, a déjà mis en scène Ingeborg Bachman, Sylvia Plath, Virginia Woolf, Heiner Miller et Bernard-Marie Koltès. Ce mois-ci, elle nous propose une nouvelle adaptation québécoise du texte allemand du jeune révolté Georg Büchner. Franz Woyzeck devait attirer Brigitte Haentjens tôt ou tard, puisqu’il préfigure avant Fanon, la victime emblématique de tous les opprimés, les persécutés et  damnés de la terre. Curieusement, cette mise en espace, perçue comme un collage de fragments scéniques fidèle au manuscrit inachevé de Büchner, évoque déjà la structure épisodique du théâtre brechtien .
Brigitte Haentjens réoriente notre regard par rapport aux mises en scène passées, surtout celle de Thomas Ostermeier (une tragi-comédie urbaine). La version du directeur de la Schaubühne de Berlin était hyperréaliste, et  fondée sur une critique évidente de l’attitude anti-immigration qui sévit actuellement en Europe, et sur la remise en cause ironique d’une certaine hypermasculinité qui masque une homosexualité latente et réprimée.
Mais la création québécoise de Brigitte Haentjens est plutôt un face à face entre des corps mus par une énergie hypermasculine, et la projection délirante d’un esprit trouble, en proie à des hallucinations de plus en plus fortes. En effet, affaibli par son régime de petit pois, Woyzeck ne peut plus se défendre, et se laisse humilier, frapper et insulter par la petite collectivité du village,  microcosme d’une société qui a toujours besoin d’une victime expiatoire, pour accomplir ses rituels de survie en période de crise.   Büchner lance une attaque virulente contre le raisonnement du Docteur, inspirée des ethnologues du XIXe siècle, par une stratégie ironique, soit une lecture raciste du monde, celle d’un Rousseau en délire ou d’un Lévy Strauss lobotomisé.
Le « scientifique » qui se déplace comme une grotesque marionnette, et qui mène cette expérience inhumaine avec sa victime (par un régime de petits pois très strict veut démontrer que Woyzeck qui n’a pas été « civilisé » par la formation militaire, reste très près de sa nature « bestiale », un être instinctuel qui ne mérite que le mépris des autres. Marquée par cette opposition « culture »/« nature » ironique qui alimente les gestes de ces tortionnaires,  la mise en scène de Brigitte Haentjens met en valeur l’opposition profonde entre Woyzeck, (son humanité, sa fragilité, sa sensibilité) et la cruauté des autres. En effet, ce microcosme social qui humilie la pauvre « bête » devient à son tour une machine déshumanisée qui signale sa propre bestialité foncière par une chorégraphie violente, énergique et même tribale, inspirée des danses traditionnelles québécoises.
Est-ce un commentaire sur le Québec? C’est possible. Le groupe se déplace collectivement, et les jambes de cette collectivité deviennent des bâtons qui frappent le sol à l’unisson et font trembler les mur et cette machine collective produit un être  terrifiant qui est le « vrai homme », le Tambour –Majeur, celui qui fait sa danse de « séduction -masculine » devant Marie, la femme de Woyzeck , tout en se transformant  en gorille, incapable de s’exprimer autrement que par des grognements, incapable aussi de se tenir droit sur ses jambes. Le travail corporel et vocal est d’une précision impressionnante et évoque les situations d’abjection possibles dans les rapports entre Woyzeck et ses bourreaux.   Par ailleurs, un brouillard qui recouvre l’arrière du plateau, avale et recrache les comédiens qui émergent, puis qui  se fondent dans son épaisseur, et indique dès le départ la confusion qui envahit l’esprit du personnage principal.  Au-dessus du plateau, se trouve une immense passerelle rouge, qui tranche la scène en deux; ce praticable obligeant les comédiens à se déplacer en rampant, eux aussi, comme des bêtes. Sous la passerelle gisent les poutres d’une voie ferrée, une échelle et les restes d’un chantier industriel, les traces d’un lieu déjà moribond, et qui n’attend que le rituel de la mise à mort pour enfin clore son destin… Le langage corporel,  très fort, semble prendre possession de la scène, au détriment de la parole, et parfois cela semble aller trop loin. Ce qui dérange à la limite, ce sont  ces expressions d’hyperviolence et de colère extrême. Les hurlements deviennent énervants et on se demande si les comédiens, perturbés par l’immensité de cet espace scénique, ressentent le besoin de s’affirmer dans un espace auquel ils n’étaient pas habitués. Cette représentation au Centre des Arts était la première soirée d’une tournée canadienne et on aurait dit que les comédiens ne se rendaie
woyzeck06.jpgnt pas compte de la  diversité des espaces qui les attendaient.
Par aillleurs, la chorégraphie de jambes bottées qui martèlent le sol,  impressionnante au départ, devient peu à peu fatigante: elle n’évolue pas et se transforme à la longue en gag scénique qui perd son effet.  
Heureusement, des moments de jeu individuels viennent racheter le spectacle. La grotesque rencontre entre le Docteur et le Capitaine qui discutent du sort de Woyzeck  évoque parfois la comédie inquiétante des clowns de Beckett. Quant à Marie,  elle est prise entre la volupté d’un corps en manque et le dégoût devant un mari incapable de s’affirmer,  et cela produit des moments de tension intéressantes où la comédienne passe de la mère énervée, à la femme sensuelle et à la putain lubrique.  Il y a surtout la mise à mort rituelle de Marie par Woyzeck où il est pris à la fois  par un élan de jalousie destructrice qui va lui inspirer son acte, et  par une profonde tendresse  pour sa femme. Cette scène, où ses coups meurtriers se transforment en caresses mortelles, est un chef-d’œuvre: Brigitte Haetjens a bien cerné les puissantes contradictions qui font de Woyzeck un personnage profondément tragique.

 

Alvina Ruprecht

 

Woyzeck passe actuellement au Théâtre du Centre national des Arts à Ottawa.

 


 


Tangos, slams et coplas

Tangos, slams et coplas, de Miguel Angel Sevilla

C’est le théâtre du presque rien, le théâtre le plus vrai qui soit. Une jeune et charmante androgyne (tout compte fait, au féminin) accompagne à la  guitare un léger et chenu Miguel Angel Sevilla, et tous les deux nous emmènent pour un voyage en poésie. En espagnol, la légende du frère Soleil et de la sœur Lune qui nous font de larmes de pluie : et la langue est si belle, si rythmée que les images nous parviennent, avant même que l’auteur ne nous en donne la traduction. Les coplas andalouses mènent au tango, dirons-nous argentin ? On entend dans cette musique qui tient en quatre pas quelque chose de l’Europe de l’Est, de l’Italie, le chagrin et les rires des immigrés qui ont fait leur part d’Argentine, à la rencontre d’autres peuples inconnus. Oui, il faut dire tango argentin.
Histoires de fraternité, dit l’auteur, et il nous fait entrer, de la voix, d’un pas de danse esquissé, d’une esquive et d’une absence, dans les bars des pauvres, oui, ceux d’une Argentine désargentée. Et il continue à tenir la langue comme une monture docile et passe au slam. Histoires de vie, histoires d’amour, chacun peut, à les entendre, construire son rêve lointain, et très proche, de l’autre, celui-là, le frère qu’on ne voit pas.
Une soirée à guetter dans les petites salles, les bars, les cafés où elle va se glisser et emmener, on l’a dit, en Poésie.

Christine Friedel

La Lutine

La Lutine, de Calderon adaptation et mise en scène d’ Hervé Petit.

   lutine.jpgAffaires d’honneur empilées comme des assiettes, dilemmes cornéliens avant la lettre : faut-il affronter en duel le frère de son hôte pour protéger une mystérieuse inconnue voilée? Assauts de grandeur d’âme : chacun à son tour dépose son épée aux pieds de son noble ennemi, pour la reprendre aussitôt, pour cause d’honneur effleuré. Et les femmes, pendant ce temps-là ? Elles s’ennuient, l’une recluse, veuve récente, l’autre accablée par la cour jalouse et sinistre que lui fait le jeune frère de celui qu’elle aime – et qu’elle agrée, mais il est toujours trop tôt pour le dire, tant qu’on n’est pas au dénouement. C’est une comédie, donc, ça finit bien, les femmes auront ce qu’elles veulent, les hommes se calmeront, et le public aura bien ri.
Car l’auteur gigantesque de La Vie est un songe est aussi un roi de la comédie : intrigue, caractères, et adresses au public désamorçant la scène pour mieux la faire rebondir, tout y est. Il invente une armoire pivotante, machine à illusions et malentendus : on est à la fois devant le lit escamotable de La Puce à l’oreille, et renvoyé à La vie est un songe. Et, revers du machisme, la Lutine  qui sème le trouble jusque dans l’esprit du chevalier rationaliste – sans parler de son valet, un Sganarelle joyeux, crédule, paresseux et ivrogne – , qui fait vaciller les certitudes et le pouvoir installé (ici celui des frères) n’est que l’esprit de liberté des femmes. Ce que femme veut ! On est en pleine illusion comique.
C’est joué parfois à la louche, les perspectives menant à La Vie est un songe ne sont guère explorées, mais peu importe : on les voit se dessiner, et l’on est emmené vivement par le rythme de la comédie et l’adaptation savoureuse d’Hervé Petit.

 

Christine Friedel

Théâtre de l’Opprimé – 01 43 44 44  – jusqu’au 7 mars

Un tramway

Un tramway, création d’après Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams mise en scène de Krzysztof Warlikowski, texte français de Wajdi Mouawad.
tramwayodeon.jpgOubliez tout ce que vous savez sur la pièce de Tennessee Williams, ne pensez plus à l’adaptation d’Elia Kazan pour le cinéma. Arrivez l’esprit vierge et prêt à être nouvellement imprégné, venez dénués de toute attente particulière, sans idées préconçues ni préjugés. Vous ne serez pas déçus.
En effet, la création de Krzysztof Warlikowski est une belle réussite, et une proposition vraiment intéressante.
L’oeuvre de Williams a été, pour le metteur en scène et pour son associé Wajdi Mouawad, davantage le prétexte à une réécriture contemporaine, le point de départ pour une nouvelle pièce, qu’une œuvre à suivre à la lettre. Ce qui n’est peut-être pas une mauvaise idée, puisque la Nouvelle-Orléans des années 40 et son atmosphère étouffante sont moins parlantes aujourd’hui. Autant transposer le tout dans un ailleurs plus universel.

N’en déplaise aux puritains, le texte original a été lifté, et d’autres morceaux ont été greffés : de Claude Roy à  Flaubert, de Dumas à Wilde ou Platon… Mais le tout a bien pris. À spectacle total, proposition musicale : l’interprète Renate Jett chante l’amour (ou ce qu’il en reste) sur scène : implorant All by myself ou Follow me, déplorant Qualsevol nit pot sortir el sol.
L’argument de la pièce est simple, c’est l’histoire d’une trahison : Blanche DuBois a subi des mésaventures. Elle vient s’installer chez sa sœur, Stella. Celle-ci et son mari finiront par faire interner cette femme encombrante, pour eux dérangée et dérangeante, mais , pour nous spectateurs, terriblement attachante.
Isabelle Huppert est époustouflante et subjuguante. Elle incarne à son meilleur la femme au bout du rouleau, assoiffée d’amour, si perdue, si sensible… d’où ce déplorable et triste refuge dans l’alcool. Yann Collette propose un Mitch très convaincant : séducteur velléitaire, infantile et lâche qui se laisse gouverner par sa mère et les ont-dit. Autres temps, autres mœurs… Andrzej Chyra se coule dans la peau d’un Stanley primitif, homme violent qui bat sa femme, la tatoue comme son chien, l’engrosse. C’est un cheval mal débourré qui insulte sa belle-sœur et la viole avant de lui offrir un aller-simple pour qu’elle rentre chez elle, en guise de cadeau d’anniversaire. Florence Thomassin joue une Stella effacée et soumise, qui ne sait pas trop sur quel pied danser. D’ailleurs, on se demande laquelle des deux sœurs vient réellement en aide à l’autre.
Le décor est aussi dépouillé que magnifique : à l’avant-scène, côté jardin, une table de salon avec des chaises, et un canapé-lit, sur lesquels on vient s’asseoir ou se battre. Côté cour, un lit où l’on séduit, où l’on pleure, sous lequel on se cache. Au fond de la scène, un plateau sur roues, qui peut avancer pour laisser apparaître la salle de bain, ou reculer pour révéler la salle de bowling. Ses parois transparentes peuvent astucieusement se faire opaques pour plus de trouble. La mise en scène joue avec ingéniosité de la vidéo. Ainsi, la web cam affichant le visage de Blanche déformé, de manière saccadée, accentue son côté « déglingué ».
Une réserve : certains passages sont un peu longs, ainsi la scène du tatouage ou le chant de La Jérusalem délivrée. En somme, ce Tramway est le fruit d’un très beau travail d’équipe, vivier de talents divers et passionnés. Cette réinterprétation collective d’un texte mythique, entre hommage et régénération, offre à Tennessee Williams une nouvelle jeunesse.

Barbara Petit


Jusqu’au 3 avril à l’Odéon – Théâtre de l’Europe.
Et du 10 au 14 avril à Varsovie, puis en 2010-2011 à Berlin, Grenoble, Luxembourg, Amsterdam, La Haye, Genève.

 

 

Le Bruit des os qui craquent

Le Bruit des os qui craquent de Suzanne Lebeau, mise en scène d’Anne-Laure Liégeois.

 

C’est le récit de la vie d’une très jeune fille Elikia; elle a 13 ans mais elle vit dans un pays en proie à la guerre civile … Enlevée à ses parents, elle est incorporée de force comme soldat et se comportera donc comme un soldat, c’est à dire plus comme un bourreau sans pitié que comme la victime qu’elle était auparavant, même si elle essaye de donner un sens à sa vie… qui basculera encore une fois quand elle sera victime du sida et en mourra à quinze ans. L’écriture de Suzanne Lebeau est à la fois précise et d’une belle poésie mais ne fait pas vraiment sens sur un plateau de théâtre.
Anne-Laure Liégeois, qui, à la suite d’une commande de Muriel Mayette, a réalisé la mise en scène, s’est inspirée des livres qui traitent de la pauvre vie de ces enfants soldats et des images terrifiantes d’Afrique que nous avons tous vues un peu partout. Mais cette réalisation où les lumières restent jusqu’au bout des plus parcimonieuses et où ces bons comédiens que sont Isabelle Gardien, Benjamin Jungers, et Suliane Brahim- sont immobiles, debout la plupart du temps, est décevante, sauf à la fin quand des photos d’ enfants défilent en silence. Et ces soixante minutes presque dans le noir paraissent durer une éternité… mais c’était sans doute déjà un fausse bonne idée que de porter cette histoire d’ enfants soldats à la scène….
A voir? Si vous y tenez, mais on vous aura prévenu!

 

Philippe du Vignal

 


Studio de la Comédie-Française jusqu’au 21 février.

La Mélancolie des dragons

La Mélancolie des dragons

 

lamelancoliedesdragonsphilippequesne443.jpg   Philippe Quesne, issu de l’Ecole Nationale des Arts Déco, était surtout connu pour ses nombreuses scénographies de théâtre et d’opéra; il a réuni autour lui quelques comédiens, musiciens et peintres, ainsi qu’un beau chien noir Hermès et a fondé sa compagnie le Vivarium Studio avec lequel il aborde le théâtre plutôt comme un peintre et un auteur de performances.
Après plusieurs spectacles dont Nature et L’Effet de Serge, il avait remporté un beau succès au Festival d’Avignon l’an passé avec cette Mélancolie des Dragons qui est repris au Rond-Point et en tournée. Dans un belle clairière enneigée, aux arbres couvert de givre, il y a, cette nuit-là,  un vieux break  Citröen AX  blanc qui remorque une sorte de boutique pour forains mais d’un curieux format, presque carrée et assez haute. Dans la voiture, sans doute en panne, on peut apercevoir quatre jeunes gens aux cheveux très longs et un chien noir, qui grignotent des chips et boivent des bières en écoutant du hard rock.
Cela dure plusieurs minutes où il ne se passe rigoureusement rien. Puis une jeune femme arrive à vélo derrière les arbres. Elle va les voir, ils s’embrassent puis elle entreprend de soulever le capot de la voiture et de regarder le moteur dont s’ échappe tout d’un coup une épaisse fumée. Elle téléphone pour demander une tête de delco à un garagiste… Tout est singulièrement banal( vêtements , bribes de dialogues , attitudes des jeunes gens, et en même temps, il y e une réelle poésie qui naît de l’indicible: qui sont ces gens, que vient faire cette jeune femme, quel est ce parc d’attractions que ces hommes aux cheveux longs doivent bientôt mettre en place et dont la remorque blanche constitue l’un des éléments ? L ‘on n’est pas loin des premiers et merveilleux spectacles de Bob Wilson, comme le célébrissime Regard du sourd.
Ils proposent à la jeune femme de lui montrer plusieurs de ces attractions: le dialogue est d’un sérieux affligeant, comme seul peuvent en concocter certaines revues d’art et Philippe Quesne n’est pas sorti des Arts Déco pour rien: il sait s’exprimer et se livre à une descente en flèche de l’art contemporain: c’est à la fois impitoyable et drôle. Mais aussi loufoque, faussement naïf que crédible. Et les images sont de toute beauté; le metteur en scène s’est sans doute souvenu des coussins d’air créés en 1968 par Andy Warhol pour Rain Forest, ballet de Merce Cunningham, et ses complices se mettent à gonfler d’abord un gros coussin blanc  qu’ils placent sur  leur voiture et sur lequel ils projettent plusieurs graphismes différents pour indiquer leur Parc d’attractions: c’est dérisoire et drôle, parce que là aussi, argumenté avec le plus grand sérieux, et soutenu par de la musique classique, façon publicité ringarde.
Il y a aussi leur attraction préférée: une présentation de perruques accrochées à un fil nylon au plafond de la fameuse remorque qui se balancent grâce au souffle d’un ventilateur , éclairées par des projecteurs rouges.Et ils expliquent, tous serrés debout dans la remorque en prenant leur temps qu’il y a même des micros de façon à diffuser le son à l’extérieur…. Ils montrent aussi à Isabelle la jeune femme les merveilles que peut créer une machine à faire des bulles ou un petit canon à neige, comme de grands enfant émerveillés qu’ils doivent être un peu restés, le tout sur dond de hard rock ou de musique classique. Philippe Quesne rejette toute dramaturgie classique: mais le spectacle est impeccablement élaboré et construit, même s ‘il y a sur la fin  une petite baisse de rythme. Et une dernière image admirable pour la route :les comédiens gonflent de grands coussins noirs de plusieurs mètres de hauteur qui viennent envahir la clairière enneigée…Vraiment rare et encore une fois wilsonien. Comme en plus, c’est bien joué, en particulier par Isabelle Angottti, plus vraie que nature, on se laisse vite prendre par la poésie du Vivarium Studio. Alors à voir? Pas du tout, si vous n’aimez que le théâtre de texte pur et dur (quelques spectateurs s’enfuient un peu affolés) mais à voir absolument, si vous avez envie de rêver à un spectacle court (75 minutes) qui participe du geste pictural et de l’installation plastique au meilleur sens du terme. Le public, pour une fois assez jeune, a longuement applaudi les comédiens: c’est un signe qui, en général, qui ne trompe pas…

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre du Rond-Point jusqu’au 21 février

 


Les Autres ( Michu, Les Vacances, Rixe)

Les Autres ( Michu, Les Vacances, Rixe) de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Daniel Colas.

  Le spectacle créé en septembre dernier fêtait hier soir sa 150 ème, ce qui est du genre rare, à l’heure actuelle, que ce soit dans le théâtre privé ou public. Cela se passe au Théâtres Mathurins, celui des Pitoëff, où il y  a encore dans le hall l’ affiche de la saison 1937, avec la création de Six personnages en quête d’auteur , et d’Hamlet… Les deux dernières de ces trois petites pièces de Grumberg avaient été créées à la Comédie-Française :  Les Vacances , en 84 que jouent de nombreuses troupe d’amateurs et Rixe en 70, trois ans après son écriture. Henri,la cinquantaine est accueilli chaque soir par son épouse,  quand il rentre, épuisé par les remarques de son collègue de bureau. Mais, de jour en jour, elle le voit changer…

  Les Vacances raconte l’épopée d’une famille de  Français dans un pays méditerranéen ensoleillé: Henri et Aimée Laurent, et leurs deux adolescents attendent dans un petit restaurant au bord d’une plage. Le père déverse des bordées d’injures xénophobes sur le pays,se plaint  de tout:  du climat trop chaud, de sa femme,  de la nourriture immonde en général , et du  restaurant en particulier, dont le patron, c’est sûr, va les rouler; quant à la mère- absolument idiote- elle se plaint aussi, et les deux garçons se font engueuler sans arrêt et  copieusement  par le père…  ne comprend pas la modicité de l’addition et croit bon d’insulter en français le patron de l’auberge qui le saluera… en français. Michu est plus un sketch qui offre peu d’intérêt et Les Vacances un autre sketch un peu étiré qui mériterait d’être élagué, même s’il y a quelques bons moments où l’on rit devant ce torrent de bêtise.
De ces trois petites pièces,  c’est Rixe qui est la plus drôle,  la plus intéressante, et qui déjà au Panthéon des oeuvres théâtrales contemporaines: cela se passe toujours chez Henri et Aimée Laurent, dans leur appartement de la  banlieue parisienne, où Henri raconte à Aimée un banal accrochage dont il a été l’auteur. Et c’est un déluge d’insultes racistes,de mauvaise foi totale, de chauvinisme approuvé par son épouse. Et Henri part en vrille, dans une  parano soutenue à grands coup de verres de vin. Jusqu’au moment où croyant reconnaître le propriétaire arabe de la voiture qu’il a accroché et qui serait venu jusqu’au pied de  son immeuble pour l’agresser, il prend un fusil et tire par le fenêtre…
Le texte est d’une virulence et d’une précision dans le dialogue qui  nous étonne encore chez un auteur qui n’avait que 28 ans à l’époque. C’est solidement mis en scène par Daniel Colas, avec,  en bonus, pendant  les changements de décor et de costumes, quelques extraits d’actualité de cinéma de l’époque avec en vrac: de Gaulle , Pompidou, Brigitte Bardot à Cannes, la voix chaude de Barbara qui commençait à être bien connue, et celle de Dutronc qui chante: « Et moi, et moi », la première et immense catastrophe écologique avec le naufrage du Torrey Canyon, André Malraux, ministre de la Culture visitant l’exposition de Touthankamon: bref,  c’était hier et autrefois, et pour beaucoup , le Moyen-Age ou presque…
Et puis, il y a surtout l’ étonnant personnage que Daniel Russo a réussi à construire. Gestuelle et jeu impeccable: il n’y pas un faux pli, pas une hésitation ou un léger défaut de concentration: une vraie performance après 150 représentations. Et Evelyne Buyle possède une intelligence remarquable de la scène et du texte pour jouer une telle idiote: un  travail exemplaire de comédienne qui ne cherche jamais à en faire trop: admirables tous les deux.
Alors à voir? C’est selon ce que vous y cherchez: les deux premières pièces servent de complément à Rixe dont le propos n’a malheureusement pas vieilli, même si le texte , assez conformiste, ne fait pas dans la nuance et caresse le public dans le sens du poil. Mais reste, de toute façon, la  grande et belle leçon de théâtre donnée par Daniel Russo et Evelyne Buyle…

Philippe du Vignal

Théâtre des Mathurins.

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