Le Legs et Les Acteurs de bonne foi

  Le  Legs et Les Acteurs de bonne foi de Marivaux, mise en scène de David Géry.


legs.jpgLe Legs  est une courte pièce qui dans la vie de Marivaux -il avait déjà 48 ans- est proche de ses plus grandes pièces. Comme l’indique le titre, il s’agit d’une somme d’argent( 200.000 francs: ce qui n’a rien d’anodin, sans doute plusieurs dizaines de milliers d’euros) dont un Marquis et sa cousine Hortense doivent hériter.
Mais, il y aune clause suspensive comme disent les notaires: si le Marquis n’épouse pas Hortense, ,il devra lui verser sa part. Même chose pour Hortense…. C’est une déclinaison de plus dans l’œuvre de Marivaux d’un thème qui lui est cher: l’argent et le mariage… Dans ce jeu compliqué, il y a une comtesse qui aime le Marquis et  sait que le Marquis l’aime, sans que ce dernier  le sache., et surtout veuille l’avouer… Et Marivaux sait tisser un dialogue des plus subtils entre les maîtres d’abord , et les domestiques qui ,sans  l’air d’y toucher, savent mener le grand bal des sentiments chez leurs maîtres quand ils y trouvent, bien entendu leur intérêt…
Et là, les choses sont très embrouillées.  Même si  la société a bien changé, cela pourrait se passer en 2010, à quelques modifications, tous les notaires savent cela. Le Marquis finit par avouer son amour à la Comtesse et accepte de payer les 200.000 francs. La morale, ou du moins une certaine morale , est sauve: l’argent auquel on renonce ouvre la porte au bonheur ou ,du moins ,à l’amour et au mariage.   » Fierté, raisons, richesse , il faut que tout se rende. Quand l’amour parle, il est le maître », disait  aussi Marivaux, dans Les fausses Confidences.
David Géry s’est emparé de la pièce avec beaucoup d’intelligence et de finesse, et dirige ses comédiens tous très crédibles-dont l’immense Daniel Martin-avec un remarquable sens des nuances. Mais, comme il n’y a aucun  décor et que l’acoustique de  cette ancienne  salle des fêtes  reste des plus défectueuses, beaucoup de répliques échappent à la plupart des spectateurs: c’est plutôt ennuyeux dans le cas de Marivaux….
Les Acteurs de bonne foi que Marivaux écrivit peu de temps avant sa mort est une pièce où fleurit le théâtre dans le théâtre  avec un  dialogue étincelant  mais qui est un peu mince ( trente minutes). Ces acteurs sont en fait   des domestiques qui jouent une comédie le jour du mariage d’Angélique et d’Eraste. Situations réelles et situations jouées: la confusion devient  rapidement ingérable pour les personnages.. et c’est parfois  drôle, parfois seulement. .David Géry s’est servi du même décor  et a employé aussi les même  acteurs que pour Le Legs, et quelques autres,  et s’est servi du même décor : un plan incliné représentant une table de jeu de casino mais dont ,cette fois , quelques uns des éléments de plancher ont été enlevés, sans doute pour signifier cette mise en abyme?
Cela ne semble  pas tellement  réjouir les comédiens , souvent peu rassurés dans leurs  déplacements, quand il leur faut contourner ces trappes béantes. Et David Géry a cru bon- mais c’était sans doute la fausse bonne idée du siècle- de travestir Geoffroy Carey, Philippe Fretun et Daniel Martin pour les trois rôles féminins principaux, mais la pièce vire alors à la farce.
Si le metteur en scène a dû  s’amuser, le public lui reste un peu indifférent à cette mise en scène aussi bien réglée que la précédente mais beaucoup moins convaincante! Alors à voir?  Oui, si vous voulez à tout prix voir ces deux petites pièces  de Marivaux rarement jouées, sinon… ce n’est  pas une priorité Et cette salle n’est pas  le meilleur endroit pour les découvrir… La  ville de Boulogne-Billancourt  possède une remarquable médiathèque mais on attend encore qu’elle ait un théâtre digne de ce nom. Qu’en pense M. Fourcade?

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de l’Ouest Parisien à Boulogne jusqu’au  21 février.

 

 


Archive pour février, 2010

Ceux qui viennent

Ceux qui viennent, texte et mise en scène d’Elisa Ghertman.

  15351372049226.jpgCela se passe dans une friche industrielle reconvertie; oui, Madame, la scène est vaste et silencieuse, même si ce n’est pas le grand confort dans la salle: les sièges « coque » rouges sont prêts pour un musée du design; oui, Madame, il fallait prendre un métro jusqu’à Gennevilliers , puis un bus ( mais on est venu nous chercher en voiture)… C’est là qu’Elisa Ghertman proposait une version plus longue d’un texte qu’elle avait déjà présenté il y a quelques années. Ceux qui viennent , c’est comme une sorte d’exorcisme personnel que prennent à bras le corps quatre jeunes comédiens. Parfois pour le meilleur mais pas toujours… ll y a surtout des monologues, quelques moments de rencontre entre des êtres, et une sorte de patchwork pas mal cousu de théâtre, de rap mais aussi de chant et parfois de danse pendant une petite heure. Le spectacle est très inégal, avec un moment sublime comme ce monologue d’une femme enceinte: Marion Amiaud a, par moments, des faux airs de Zouc, cette comédienne suisse qui fit un tabac dans les années 70. Petite, les cheveux ébouriffés, les yeux brillants ,elle a une gestuelle très élaborée et elle réussit en quelques minutes à construire un personnage et à mettre, comme on dit, le public dans sa poche, avec un texte qu’elle possède de façon absolue. Elle possède un métier solide et une personnalité vraiment étonnante. Et il y a aussi David Lelièvre, un comédien qui a une belle présence et que l’on avait déjà vu comme Marion Amiaud , dans le précédent spectacle d’Elisa Ghertman qui, c’est incontestable, sait diriger ses quatre comédiens. Le rappeur Haimess n’est malheureusement pas un comédien , ne joue pas du tout avec les autres, et cela plombe le spectacle Dommage… Si, donc, la direction d’acteurs, la mise en scène et les éclairages sont d’une remarquable qualité, il faudrait qu’ Elisa Ghertman, au delà des belles images qu’elle sait créer, abandonne son magasin personnel et s’oriente vers de grands textes:  » J’essaye de toucher, ce qui, en étant le plus personnel possible, est aussi ce qui nous appartient à tous et nous lie ». On veut bien, mais la jeune metteuse en scène a du mal à en construire la dramaturgie; et la fabrication de la fiction, à partir du poème dramatique, ne fonctionne pas vraiment. Elisa Ghertman, après ses premières expériences, devra renoncer à certains choix . Cela peut faire grincer les dents mais c’est la condition sine qua non de toute avancée théâtrale. Elisa Ghertman, qui disposait sans doute pour la première fois d’un vrai et beau plateau montre qu’elle possède une solide maîtrise de la  » plastique scénique  » , pour reprendre les mots de Denis Bablet, qu’elle peut mettre, avec beaucoup d’efficacité au service d’un univers dramatique…

Philippe du Vignal

Le spectacle a été créé, après une résidence à l’espace 89 de Villeneuve-la-Garenne le 5 février.

HAMLET

Hamlet de Shakespeare,mise en scène de Nikolaï Kolyada,
hamlet.jpg« Chez nous, dit le metteur en scène russe venu avec sa troupe depuis Ekaterinenbourg,  il n’y a pas d’atelier, pas d’argent, et on travaille avec ce qu’on peut trouver, y compris dans les poubelles. Tous les matins dans la rue, on voit des crottes de chien, des journaux maculés de restes de bouffe, des bouteilles vides. Si c’est Nabokov qui regarde cela, il peut en dire la beauté. C’est ce que j’essaye de faire. Dire la beauté des poubelles. »
Nikolaï Kolyada et ses vingt-trois comédiens se sont jetés dans ce fleuve de Shakespeare, armés d’oripeaux, de détritus, d’objets au rebut comme une grande baignoire en plastique noir, à la fois lit du couple meurtrier et tombe de Yorick, des ossements d’animaux,  et de nombreux chromos dont une douzaine de Joconde, qu’on ne cesse de décrocher.
Le spectacle s’ouvre sur un rituel circulaire primitif, rythmé par une musique lancinante qui envahit toute la pièce, jusqu’à dévorer le monologue d’Hamlet. Cette avant-spectacle est surprenant sans rapport apparent avec Hamlet, et on se demande même si le verbe de Shakespeare aura sa place, mais le texte sur le banc de surtitrage,  est raccourci  mais parfaitement respecté…
Au-delà du désordre surprenant du plateau, les acteurs ne cessent de rassembler et de disperser les ordures qui jonchent le plateau, d’entrer et sortir la baignoire sous l’œil du spectre du défunt roi auréolé de blanc.  La rage étonnante des comédiens finit par nous emporter. Et l
a deuxième partie, surtout, laisse monter une belle émotion.

 Edith Rappoport

 Spectacle vu au Théâtre Jean Arp de Clamart.
Hamlet 11 février à l’Onde de Vélizy, et Le Revizor le 9 février à Brétigny-sur-Orge, le 12 à Vélizy et le 13 à Athis-Mons.

 

RESET

RESET
collectif MxM
Texte et mise en scène de Cyril Teste

 

    reset.jpgReset est le nom d’une énième bonne volonté qui échoue. Pourtant, le projet est ambitieux : « Reset est le croisement de deux présents simultanés, (…) deux histoires parallèles qui posent à la fois les questions d’amnésie, d’identité et de disparition ». Pourquoi pas ? Pour évoquer l’amnésie d’identité, Cyril Teste a travaillé en laboratoire avec des psychiatres et psychothérapeutes. Très bien ! Il s’est appuyé sur de nombreux documents et textes littéraires, philosophiques et médicaux. Parfait ! Avec son équipe, il a effectué un travail très scientifique, et sur scène, des objets programmés par un roboticien vont faire dialoguer art et science. Tant mieux ! Sauf que sur le plateau, on ne retrouve rien de tout ça. En revanche, on récolte des dialogues et des relations humaines mièvres et pauvres, dignes de la série télé « Plus belle la vie ». Tout ce programme alléchant pour un résultat très superficiel, ennuyeux, long et qui ne nous apprend rien sur cette fameuse pathologie (la déflagration visuelle et sonore en ouverture du spectacle était en cela trompeuse, puisqu’elle laissait présager du mouvement, de la vie, de l’énergie, bref quelque chose qui nous bousculerait…).
Oui, le décor est intéressant : il y a un parallélépipède mobile, dont les faces sont des écrans translucides qui peuvent servir de parois opaques ou d’écran de projections pour des vidéos, selon les besoins. Sauf qu’un excellent décor et de bons effets spéciaux n’ont jamais suffi à tromper le public.
Oui, la musique électronique donne une touche expérimentale. Mais quand elle évoque un sonar pendant une heure quinze, ça fatigue.
Dans la vie, c’est vrai, on s’exprime mal parfois, mais au théâtre, cela passe moins bien. De même que les phrases inachevés : « J’aurais jamais pu dire que… Je sais pas… J’aurais pu dire que… Tu crois pas ? » Le texte, d’ailleurs, ne raconte rien. Même si les comédiens parlent dans un micro (pour un côté plus scientifique, on suppose). Comme l’enfant à l’hôpital qui, sur scène, attend qu’un train passe, on attend avec lui qu’il se passe enfin quelque chose.
Dans la foulée, les personnages sont bien stéréotypés : un psychiatre, c’est un homme avec une blouse blanche et qui prend des notes. Un enfant, ça porte un sweat à capuche et ça joue au foot. Aucun comédien n’est convainquant.
N’oublions pas les raccourcis psychologiques et les idées préconçues : la vie d’un homme tient dans un carton. Pour lui faire se remémorer son passé, on lui amène donc une boîte avec ses souvenirs d’enfance (bizarrement, ça ne marche pas). Entre 10 et 60 ans, il n’a rien vécu, rien connu, rencontré personne (attention, prémonition : son nounours n’avait pas de nom, lui non plus…). Heureusement que la famille est là, parce qu’il n’a ni activité professionnelle, ni collègue, ni relation, ni loisir d’adulte. Et elle est là pour vous rappeler qu’il est hors de question que vous changiez de nom, même si ça vous chante.
Au final, Reset est une pièce sur la mémoire dont on a envie de ne pas se souvenir. Bref, faire reset.

 

Barbara Petit
Du 4 au 21 février au théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis

Shakespeare’s Danish Play

Shakespeare’s Danish Play (La pièce danoise de Shakespeare), création collective et spectacle musical des Fools( la Compagnie des Fous), mise  en scène d’Andy Massingham.

  alvinashakespeare.jpgCette seule troupe shakespearienne professionnelle d’Ottawa, est de retour avec une nouvelle parodie  : La pièce danoise de Shakespeare,  qui doit son titre à une superstition à propos de   Macbeth. En effet dans le milieu théâtral ,on n’ose pas  prononcer ce rôle titre,  de peur de subir un mauvais sort,  c’est à dire un accident grave qui ferait  annuler le spectacle. On parle donc plus volontiers  de The Scottish Play (La pièce écossaise)  pour éviter de dire « Macbeth ».
Bien sûr, un tel sort n’est  pas réservé à Hamlet,  et, comme les Fools aiment bien créer leurs propres traditions, ils ont fabriqué un  Macbeth effrayant ,  où le fantôme du père d’ Hamlet,  terrifie les comédiens et perturbe le déroulement du spectacle.  En effet, dans cette mise en abyme théâtrale oừ la pièce est  jouée par des clowns, le fantôme en colère est un véritable personnage qui produit des vrombissements effroyables, et il y a  des clignotements de lumière inattendus, des éclairages d’une couleur verdâtre écœurante et  enfin des bruits assourdissants.
Et le spectacle devient inquiétant:  Shakespeare est subverti par ces acteurs/clowns et par ce monstre coléreux qui ne les laisse jamais en paix. Malgré  cela, les gentils clowns  réalisent un résumé rapide d’ Hamlet en quinze minutes et  sélectionnent  certains grands monologues (« être on ne pas être », la mort de Polonius, la folie d’Ophélie)  pour les transformer en jeux acrobatiques inspirés des grands acteurs comiques du cinéma américain : Laurel et Hardy, Les Frères Marx, Abbott et Costello , et bien d’autres. Mais, malgré un travail corporel fantaisiste impeccable,  où  chaque clown brille  grâce à ses prouesses  personnelles, et où il y a nombre de blagues d’accompagnements musicaux et de recherches visuelles ( le décor est un cirque),le travail sur la textualité,  dont la troupe faisait preuve auparavant  fait ici défaut.
Mais la réécriture très spirituelle, une parodie à la fois ironique et provocante, a disparu. Les comédiens ont  surtout envie de démolir  les conventions théâtrales de Shakespeare par un travail physique. Une de leurs cibles préférées: le tas de cadavres à la fin du cinquième acte. Les clowns,  en fin de compte, remettent  tout en question, mais  les spectateurs bénéficient  d’un geste sympathique, puisqu’ils  leur  distribuent leurs  fameux  petits pots  de crème glacée fétiches  à la fin du spectacle. Mais  le truc déjà vu est devenu  fatigant…

Alvina Ruprecht

 

Théâtre Gladstone qu’au 28 février à Ottawa.

Cercles/ Fictions

 Cercles / Fictions, texte et mise en scène de Joël Pommerat.

  La nouvelle création de Joël Pommerat , que Peter Brook a invité il y a deux ans à venir travailler au Théâtre des Bouffes du Nord à Paris,  est fondée sur un nouveau rapport au public; en effet  Joël Pommerat n’avait jusque là,  dit-il, envisagé que la seule scène frontale . Mais , cette fois ,il a imaginé, avec l’aide de son scénographe Eric Soyer,  de transformer le théâtre en fermant totalement le cercle du public comme dans un cirque. Si la proposition  est parfois dangereuse pour des comédiens débutants, elle peut aussi être d’une grand apport et d’un grand enrichissement pour ceux- tous formidables de métier et de vérité-de la Compagnie Louis Brouillard.
  La seconde proposition de travail de Pomerat qui n’est pas sans lien avec la précédente, pose la question, non pas de la fiction en général mais de la représentation de cette fiction, puisque, dit-il, tous les personnages  de la pièce, à l’exception d’un seul,  sont, comme les situations authentiques, le concernent lui directement et cercle.jpg sont partie prenantes de ce qu’il est aujourd’hui.
  Ce sont de courtes scènes, même parfois presque muettes, et elles se jouent au centre de ce plateau rond séparé du public par un muret de contre-plaqué noir. Peu de lumière: des éclairages  surtout latéraux et zénithaux absolument sublimes signés Eric Soyer , pour donner naissance à des images faites de trois fois rien mais d’une beauté incontestable.
Sa
ns doute les petits scènes qui se succèdent pendant plus de deux heures sont de qualité inégale-il y a quelques longueurs- mais la plupart sont d’une vérité et d’une émotion étonnantes: un grand bourgeois qui explique à ses domestiques les nouvelles règles appliquer qu’il entend , le licenciement par son épouse de la nourrice, des histoires de guerre traumatisantes  le dialogue surréaliste  d’un cadre d’une sorte de Pôle-Emploi avec des demandeurs d’emploi, la  rencontre dans un parking souterrain d’un directeur commercial avec deux jeunes femmes S.D.F. ..

  Il faut parfois suivre Joël Pommerat dans les méandres du conte qu’il veut nous faire entendre mais les images sont tellement fortes et belles,  et soutenues par une bande son et des compositions musicales tout à fait remarquables de François, Antonin et Grégoire Leymarie qu’on se laisse emporter…
D’autant plus que tous les acteurs,impeccablement dirigés , et dont beaucoup ont déjà travaillé avec le metteur en scène sont  tous d’un niveau exceptionnel: Jacob Ahrend, Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Gilbert Beugniat, Serge Larivière, Frédéric Laurent, Ruth Olaizola, Dominique Tack. Et grâce aux micros HF, pour une fois  justifiés, ils nous sont tout à fait proches, et  la moindre nuance, le moindre chuchotement est aussitôt perceptible, ce qui change aussi de façon radicale la relation avec le public.

  Pas un à-coup dans la mise en place , où chaque scène s’enchaîne à l’autre comme par miracle, alors que les comédiens entrent et sortent dans un noir presque absolu. C’est un vrai travail d’orfèvre, d’une incomparable précision et en même temps d’une géniale poésie.Il y a sans doute , on l’a dit, quelques longueurs mais la puissance des images comparable- comme celle de la fabuleuse et dernière scène( on vous laisse la surprise)- à celle du Wilson d’autrefois (désolé, on a chacun nos petites nostalgies!) et la solidité à toute épreuve de l’interprétation en font un spectacle peut-être difficile à appréhender au début mais où il y a des moments que l’on ne peut trouver nulle part ailleurs dans le théâtre actuel.
  Alors à voir? Oui, à condition de faire un petit effort pour entrer dans la dramaturgie parfois un peu compliquée de Pommerat mais, comme dirait Céline, tout se paye dans la vie, le bien comme le mal, mais le bien, c’est plus cher….Et croyez-nous, on ne ressort pas de là indemne et les images continueront à vous poursuivre bien après que vous aurez quitté les Bouffes du Nord.

 

Philippe du Vignal

Jusqu’au 6 mars et ensuite au Manège de Maubeuge le 13 et 14 mars; à la Scène nationale de Cavaillon du 31 mars au 2 avril, et Théâtre de la Communauté française de Belgique à Bruxelles du 20 au 24 avril.
 

Le Vertige des animaux avant l’abattage

Le Vertige des animaux avant l’abattage de Dimitri Dimitriadis,  mise en scène et scénographie de Caterina Gozzi.

vertige.jpg Après le Britannique Howard Barker l’an dernier, c’est le Grec Dimitri Dimitriadis qui, cette saison, est l’auteur européen invité de l’Odéon. Le Vertige des animaux avant l’abattage est sa seconde pièce présentée au public, à la suite de Je meurs comme un pays (mise en scène Michael Marmarinos, en novembre dernier,  et avant La Ronde du carré ,mise en scène par Giorgio Barberio Corsetti, qui sera présenté en mai-juin 2010).
La pièce  qui dure trois heures et demi … est simple : Philon Philippis et Nilos Lakmos sont amis. Quand Nilos décide de se marier avec Militssa, Philon devient fou de jalousie, et lui prédit  mille maux : après avoir acquis toute les richesses, il mourra dans le dénuement le plus total, sera assassiné par des voyous, et sa famille subira un destin digne des Atrides : inceste, meurtre, suicide. Le temps passe sans encombre. Les amis se retrouvent vingt ans plus tard, à la soirée d’anniversaire de mariage de Nilos et Militssa.
Mais ces retrouvailles activent, on ne sait pourquoi, un engrenage, qui fait se réaliser la prédiction (retenez votre souffle) : désormais, Emilios et Starlet, frères et sœurs, sont amants ; Evgénios est l’amant de sa mère Militssa qu’il met enceinte, mais elle tuera leur bébé ; Nilos  a une liaison avec sa fille Starlet ; les deux frères sont amants ; Emilios finit assassiné par des bandits, Evgénios se suicide, Nilos tue Mitlissa,avant d’être tué par des voyous et Starlet mourra folle..
Dans des scènes intermédiaires, trois personnages, A, B, C, dont on ne saura jamais l’identité ni le rôle, s’amusent à voir s’agiter cette petite famille en tous sens. Avec une froideur scientifique, une attitude glaciale et un discours abscons, ils observent et commentent les faits et gestes des membres de la famille comme s’ils étaient des cobayes. A, B, C évoluent dans des décors d’acier et de verre, chaussés de bottes en caoutchouc,  en blouse blanche et tablier, ou en imperméable gris, comme des inspecteurs de police des années cinquante. Ils semblent être la personnification du destin antique.
Certes, le jeu des comédiens est irréprochable : Thierry Frémont, Claude Perron pour les plus connus, mais aussi Faustine Tournan ou Thomas Matalou pour les étoiles montantes, font une prestation remarquable. Les décors sont intelligents et il y a des costumes somptueux qui font rêver…      Tout cela ne parvient  pas à masquer la faiblesse d’un texte  qui ne nous apprend rien de nouveau sur la nature humaine (ni sur le théâtre, d’ailleurs). Il n’y a aucune performance à créer une tragédie à gros coups de spalters, quand Eschyle, Sophocle et Euripide ont œuvré avec des pinceaux délicats, et qu’ils en ont eux-mêmes fabriqué les pigments. Le texte, hermétique pour A, B, C  et parfois redondant pour la petite famille, n’a rien de  révolutionnaire…   C’est peut-être la raison pour laquelle Dimitri Dimitriadis est peu joué en France, alors qu’il a tout de même 66 ans et huit pièces à son actif. Ce genre de spectacle ne parvient pas vraiment à nous émouvoir, et l’on n’est peu concerné par ce qui se passe sur  scène. Dommage, vu la qualité des comédiens, et les moyens  utilisés…

Barbara Petit

Jusqu’ au 20 février  aux Ateliers Berthier, Odéon-Théâtre de l’Europe.

L’Automne précoce

L’Automne précoce, texte et mise en scène de Kazem Shahryari

  Deuxième et dernier volet de la résidence de Kazem Shahryari au théâtre Jean Vilar de Vitry-sur-Seine, L’Automne précoce porte bien son nom : le spectacle est  triste comme un jour de Toussaint.
liant7sml499ac.jpgCertes, la démarche de Kazem Shahryari est aussi louable qu’intéressante : travailler sur la place des femmes dans la société moderne, et sur  la violence qui leur est faite. Il est en effet question d’une jeune fille, Leila, mariée de force et qui s’est suicidée, faute de  pouvoir accomplir son destin de danseuse.
       Après elle, c’est son mari qui, par désespoir, s’est défenestré. L’histoire est ancienne (même si au cinéma, cela a été traité dans Mariée de force, Le Cerf-volant…). Aujourd’hui, une jeune femme enceinte, Lola (notez la paronymie des deux prénoms), s’installe dans l’appartement où a eu  lieu le drame dix ans plus tôt. Pleine de vie et dénuée de tout préjugé, cette amoureuse du genre humain, bonne et généreuse, va chasser les fantômes du passé… En  accouchant même dans l’appartement même, et en quelques minutes seulement,  déjà fringante l’instant d’après.
La pièce est constituée de  scènes qui alternent passé et présent comme des flashbacks. Pardon, non pas « scènes » mais  « sutures » (pourquoi faire  simple, quand on peut faire compliqué) : « les différentes scènes s’appellent « sutures ». Définition du mot « suture » : jonction entre passé et présent, réparation, en psychanalyse, zone limite entre deux aspects ou tentative d’abolition du manque »,  indique le programme. Tout de suite, on change de sphère!
  Kazem Shahryari a-t-il manqué de moyens financiers ? C’est à croire, vu  la pauvreté du décor : table et chaises sont des cartons et barils de poudre à laver tapissés de papier journal, les comédiens ont trouvé leurs costumes chez Emmaüs, semble-t-il. On peut se revendiquer d’un théâtre social  et faire quand même rêver… Quant  à la mère, qui incarne aussi la gardienne, elle a  une perruque incroyable qui évoque les coiffures afro des années 70!
Le jeu des comédiens, inégal, est  peu convaincant. Les scènes de chuchotement sont souvent  inaudibles, comme  celles où plusieurs comédiens parlent/chantent en même temps,  ou les uns à la suite des autres et  à toute allure.  Sont aussi incompréhensibles certains dialogues , constitués uniquement de métaphores et d’images, antinaturels au possible, comme ceux  entre le père et la tante Mali. On cherche encore le sens de : « posséder une étoffe ne signifie pas que l’on ait une chemise ». Le personnage du père  est  un être hors-du-commun: très amusant, qui  s’exprime en racontant des histoires (à ses petites filles, à sa femme, à sa sœur…) et passe sa vie, semble-t-il, à lire le journal.  
  Les personnages sont  caricaturaux ( gardienne bourrue,  tante entremetteuse,  mère effacée mais souriante,  père hyper sympa mais lâche,  sœurs chipies et canailles)… Bref, pendant toute la pièce, les bons sentiments prospèrent : grâce à Lola, et à son nouvel ami du moment, Africa, un Noir comme son nom l’indique, déséquilibré mais gentil (un Rain Man de banlieue), la gardienne  n’est plus raciste  en quelques heures seulement. Comme quoi les préjugés peuvent être facilement balayés… Même déception pour les poèmes-ennuyeux et simplistes- déclamés par Leïla, sur la nature, la vie:  envolées lyriques auxquelles on ne croit pas un instant.
Enfin, qui sont ces personnages  ouvrant la pièce (le petit programme nous indique que ce sont des « arbitres », des « fantômes masqués »)  qui racontent de façon  inaudible des massacres de femmes, dont par la suite on n’entendra plus parler, mais qui plantent certainement l’atmosphère ? Ce chœur antique, aux  apparitions  fugitives, est habillé de sweat-shirts noirs à capuche, de pantalons baggys, et porte des masques en papier mâché. Il  reviendra par intermittence pour bouger le décor. Bref, un choeur sans utilité dramatique mais à l’efficacité technique indéniable….
 Quant à  la note de mise en scène, elle  n’est pas à jour : une jeune femme Rom qui a  besoin d’un refuge, est censée débarquer durant l’accouchement de Lola. Mais nous ne l’avons pas vue…
Pour finir, le Lucernaire pourrait-il éviter d’enchaîner les représentations ? Les spectateurs avaient à peine fini d’applaudir que les comédiens démontaient le décor , et que le  régisseur  lumières sortait de sa cabine, cassant toute la magie du théâtre…

Barbara Petit
Jusqu’ au 21 février au  Lucernaire.
 

LE ROI NU

Le Roi nu d’Evgueni Schwartz, mise en scène de Philippe Awat


Après Têtes rondes et têtes pointues de Brecht et Pantagleize de Ghelderode, deux spectacles importants réalisés, chose rare, par une vraie compagnie, Philippe Awat concrétise un projet caressé de longue date, Le Roi nu de Schwartz, interdit par les autorités soviétiques comme le reste de son œuvre.
Librement inspiré de plusieurs contes d’Andersen, Le Porcher amoureux, La Princesse au petit pois et Les Habits neufs de l’Empereur, Le Roi nu relate les amours insolites de la princesse Henriette et du porcher Henri, contrariées par le père de la jeune fille qui veut la marier à un roi terriblement autoritaire.
Le porcher, aidé de son ami, invente un stratagème pour faire échouer le mariage : ils se déguisent en tisserands pour fabriquer un costume du mariage, visible seulement aux yeux des honnêtes gens. Ministres et courtisans font alors semblant d’admirer ce qu’ils ne voient pas, jusqu’à l’apocalypse de la cérémonie finale. Avec une distribution solide-pétillante Pascale Oudot en princesse, imposant et fantasque Eddy Chignara dans le rôle-titre-et une scénographie efficace de Valérie Yung: un immense escalier adossé à un mur de tissu où disparaissent et apparaissent comme par magie les personnages, ce Roi nu a été accueilli avec enthousiasme. On peut en effet y lire des ressemblances avec une actualité française très contemporaine…

Edith Rappoport

C’est effectivement un spectacle solide et brillant où rien n’a été négligé; la mise en scène avec ses gags de tout premier ordre, les lumières, la scénographie des plus intelligentes, les projections d’ombres pour figurer les décors de lieu, la musique et le jeu des comédiens- en particulier, Eddy Chignara, dont la gestuelle vaudrait à elle seule le déplacement, et François Frappier. Le soir de la dernière au Théâtre de la Tempête, le spectacle était impeccable.
Et cela  faisait un drôle d’effet de voir cette critique de la dictature hitlérienne ..et stalinienne sans doute quand on avait vu la veille le film Une exécution ordinaire de Marc Dugain. Pas très fameux le film, malgré de belles images et la présence d’André Dussolier, Marina Hands et Edouard Baer…
Reste à savoir s’il  fallait garder l’intégralité du texte? Le spectacle a en effet un peu de mal à démarrer et accuse une baisse sensible de régime par moments? Malgré  les trouvailles fabuleuses de langage et de poésie visuelle d’Evguéni Schwarz, et la direction d’acteurs de Philippe Awat. Avec un demi-heure de moins, cette mise en scène serait beaucoup plus convaincante, surtout dans sa dénonciation d’une régime dictatorial..

Philippe du Vignal


Spectacle créé au Théâtre de Villejuif puis au Théâtre de la Tempête, et en tournée: le 17 février à l’Avant-Scène-Théâtre de Colombes;  le 9 mars à Lannion;le 12 mars au Théâtre du Kremlin-Bicêtre; puis du 17 au 21 mars au Théâtre de L’Ouest Parisien à Boulogne-Billancourt; le 9  avril au Théâtre des Sources à Fontenay-aux-Roses et le 9 avril au Théâtre de Choisy.

Le nouveau théâtre 1947-1968, un combat au jour le jour de Jacques Lemarchand.

9782070122271.jpgÀ ceux qui rechignent à aller voir un spectacle à cause du mauvais temps, les éditions Gallimard proposent de passer un bon moment en compagnie d’un passionné de théâtre. Vous verrez, c’est un critique hors pair, un défricheur de talents, quelqu’un qui a su sentir l’air du temps.
Si le nom de Jacques Lemarchand (1908-1974) n’est pas très familier à la génération d’après 1968, il a autrefois été fameux. C’est d’ailleurs Albert Camus lui-même (dont nous vous avons parlé récemment) qui l’a recruté pour être critique dramatique à Combat.
Mais, plus qu’un critique, Jacques Lemarchand est un véritable conteur, un poète, dont les articles vous entraînent dans sa fougue, vous donnent à voir la scène et vous convainquent du bien-fondé de son jugement.
Il  a consacré sa vie au théâtre et écrit des milliers de critiques, et  ce volume rassemble celles de Combat, du Figaro littéraire et de la Nouvelle Revue Française de 1947 à 1968.

Durant cette période d’après-guerre, n’appartenir à aucun camp était suspicieux. Et Lemarchand, comme Camus, en fera les frais en termes de calomnies et d’injures. Ce qui n’entachera pas leur indépendance. Viscérale, donc inaliénable. Leur courage est lié à leur éthique, et leur honnêteté intellectuelle est toute naturelle pour eux. Donc, depuis la Libération, l’art dramatique est au cœur du débat intellectuel, artistique et social, et sa critique est primordiale. Cette époque, marquée par une effervescence créatrice, voit la naissance d’un théâtre populaire moderne, dans la lignée d’un Jean Vilar. D’origine provinciale , Jacques Lemarchand sera attaché toute sa vie à la décentralisation . « il n’y a pas de théâtre de distraction. Mais il s’agit de théâtre tout court, et de ce qui peut, et doit, dans le théâtre, toucher l’homme ».
  Ce théâtre émergent, aussi appelé « avant-garde », « théâtre de rupture », « nouveau théâtre », incompris et dénigré par les « perruches », les « autruches », ou les « bavards hautains », nécessitait que l’on se batte pour lui. D’emblée, Jacques Lemarchand en est tombé amoureux, et s’en est fait l’interprète auprès du grand public.
C’est sous sa plume, dans les critiques reproduites dans ce livre que les lecteurs de journaux ont pu découvrir Genet, Beckett, Ionesco, Adamov, Duras, Vinaver, aujourd’hui au panthéon des auteurs classiques, et d’autres aujourd’hui un peu oubliés : Jean Vauthier, Georges Schéhadé, Michel de Ghelderode, Romain Weingarten, Henri Pichette, Jean Duvignaud… Originalité et charme d’un homme qui était aussi proche du public que des gens  de théâtre, et dont les chroniques s’adressaient autant aux uns qu’aux autres.

On aurait aimé être aux Épiphanies d’Henri Pichette au Théâtre des Noctambules à ses côtés, et voir sur la scène Gérard Philippe, Maria Casarès, Roger Blin, Paul Oettly…, assister avec lui à des mises en scène de Jean-Louis Barrault, de Jean Vilar, voir des décors et costumes de Pierre Soulages…
Avec nostalgie, méditons sur ce propos enthousiaste, témoignant d’une époque révolue, au sujet de l’adaptation de J’irai cracher sur vos tombes, de Boris Vian, au Théâtre Verlaine : « Restait cette redoutable masse populaire que le théâtre seul peut atteindre, grâce aux facilités qu’un État compréhensif, doublé d’un fisc indulgent, accorde à qui veut enseigner sur scène ».

Barbara Petit

Textes réunis et présentés par Véronique Hoffmann-Martinot, Préface de Robert Abirached. Collection « Les Cahiers de la NRF », Gallimard, 28,90 euros, 452 pages.

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