WHERE WERE YOU ON JANUARY 8th

WHERE WERE YOU ON JANUARY 8th  scénographie et mise en scène Amir Reza Koohestani, Mehr Theatre Group de Téhéran

Depuis le début des années 2000, Amir Reza Koohestani s’est révélé en Iran, il s’est ensuite imposé en Europe grâce à la productrice Françoise Lebeau, avec notamment Amid the clouds, Recent expériences et Des utopies réalisé en 2009 avec Sylvain Maurice et Oriza Hirata qui a tourné en France et au Japon. Dans un dispositif bi-frontal cerné de deux écrans géants, six jeunes gens sont assis sur des bancs, c’est une troupe de théâtre rassemblée dans la banlieue de Téhéran pour la dernière répétition des Bonnes de Genet que Fati présente pour son diplôme universitaire. Son fiancé Ali qui fait son service militaire, a dû dormir chez elle bloqué par la neige, il se réveille, tout le monde est parti pour l’université et il découvre que son arme de service a été subtilisée, ce qui peut lui coûter de graves ennuis.
Toute la pièce se résume à un échange de communications téléphoniques sur des portables pour retrouver ce revolver dont on ne saura pas à quelle fin il a été subtilisé, entre personnages qui se côtoient. On sent le poids de l’oppression policière omniprésente cernant ces jeunes gens qui veulent simplement mener une vie normale, mais on aimerait bien qu’il y ait un peu plus de véritable chair théâtrale, au delà de projections et d’une technologie soignées.

Edith Rappoport

 

Festival EXIT  Maison de la Culture de Créteil.


Archive pour mars, 2010

La Contrebasse

La Contrebasse, de Patrick Süskind, mise en scène de Natascha Rudolf.

Pudeur de l‘orchestre symphonique : le musicien est souvent appelé du nom de son instrument, derrière lequel il se cache, particulièrement quand il s’agit de la contrebasse. Pudeur exacerbée de celle-ci : elle fait le poids, soutient tous les autres pupitres, mais est priée de se faire oublier, de côté, derrière.
Le texte de Süskind fait sauter cette réserve : la
contrebasse parle. L’homme, de son amour fou pour une jeune cantatrice qui ne fera attention à lui que s’il se fait entendre par le seul moyen – suicidaire – à sa portée : la fausse note.     L’instrument, en faisant entendre enfin tous les sons qui sont en elle, de la vibration de sa pique traînée sur le sol, au gémissement de sa caisse caressée, avec ses percussions profondes, ses petits cris aigus, et cette grande voix, que le musicien dit désagréable, qui emplit toutes les cavités résonantes de la salle de concert et du corps.
Depuis la création à l’automne 2008, le spectacle d’ Hubertus Biermann et Natascha Rudolf s’est encore affûté, si possible : le jeu entre l’acteur et sa contrebasse tourne à la lutte, à la punition, à la scène d’amour, sur fond de concert qui se prépare et de tragédie qui ne se jouera pas..Il ne fera pas sa fausse note. Quoique… Ce contrebassiste-là a quelque chose d’un sportif de haut niveau – il faut ça, avec son mastodonte – et d’un travailleur de la scène à la Hugo, mouillant sa chemise soir après soir en serrant les dents sur son amour impossible, et sur son cœur, comme un “doudou“, la housse de son instrument …

Christine Friedel
MC93, Bobigny jusqu’au 28 mars  01 41 60 72 72 -

 

http://www.dailymotion.com/video/xcmfc3_la-contrebasse-suskind-rudolf-bierm_creation

 

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Les noces du rétameur et La fontaine aux saints

Les Noces du rétameur et La Fontaine aux saints de J.M. Synge, mise en scène de Guy-Pierre Couleau

  Au bout du bout du monde à l’ouest, il y a encore ceux qui sont encore plus loin, de côté. Ceux que John Millington Synge est allé chercher vers les îles d’Aran. Juste avant le tournant du XXe siècle, il a écouté la langue des paysans, photographié leurs chaumières et leur travail de ramasseurs de tourbe, et attrapé du coin de l’œil les rétameurs errants et les mendiants des routes.
De ce voyage, il a tiré son bref et sidérant théâtre, aujourd’hui remarquablement traduit par Françoise Morvan. La traductrice a mis au service de la langue théâtrale forgée par Synge sa double culture de lettrée française et de petite-fille de Bretons, certes soumis au Français de la République, mais pratiquant une syntaxe toute celtique. Cela donne une langue rugueuse et poétique, pleine d’obstacles qui sont autant de tremplins pour le jeu des comédiens. Mollesse, conformisme : impossibles, avec une langue pareille. En revanche, elle vous donne de ces claques de vent…

Donc, là-bas, là-haut, il était une fois une « fille du voyage » qui avait bien envie d’épouser son compagnon le rétameur. Pour ça, il faut un curé. Pour avoir celui-là, il faut payer. Et pour payer, il faudrait que la maman du rétameur ne pique pas les sous pour aller les boire… Bref, de boire en déboires, de curé pingre en fille têtue, de fiancé traînant la patte en mère changeant tout en liquide – à fort taux d’alcool -, peut-être bien qu’ils ne se marieront pas, et peut-être bien que les gens bien ce seront eux, finalement, pour avoir reconquis leur liberté.

vx.jpgBon. Une autre histoire : Martin et Mary Doul sont aveugles et mendient au bord du chemin, elle tissant vaguement des roseaux. Ils s‘aiment comme ils sont, beaux en rêve, et sourient aux plaisanteries des voisins. Et puis voilà que…, et puis voilà que… – car c’est ainsi que commencent les pièces de théâtre-, voilà que leur voisin le forgeron leur trouve un « saint » qui va faire un miracle et leur rendre la vue. Aïe ! Évidemment ce sera dur, et pas seulement pour ce qu’il y a à voir. Plus question de mendier, maintenant, il faut mouiller sa chemise comme les autres.
Heureusement, les miracles ne durent pas, et ils pourront chercher un autre chemin, d’autres roseaux, chanceux d’être redevenus aveugles dans un monde finalement bien plus aveugle qu’eux. En un beau rire métaphysique, Martin et Mary Doul cousinent ici avec Tirésias et Œdipe, les grands aveugles clairvoyants de la tragédie. Ici, le metteur en scène a eu un trait de génie : ces deux « vieux » que les villageois disent laids, il les a choisis beaux, exaspérants de charme. Philippe Mercier et Flore Lefebvre des Noëttes irradient littéralement d’énergie, de plaisir de jouer, en face de quoi leurs partenaires tiennent crânement le coup.
Un sol inégal, un rideau derrière lequel passent en ombres les diableries de chacune des pièces à jouer : ça danse, ça boite, ça vacille, ça va de l’avant. Un théâtre concentré, fort de son dépouillement, qui est celui de ces hommes et de ces femmes au bout de ce bout du monde, ne craignant que Dieu et le diable, ou ni l’un ni l’autre.

Christine Friedel

Théâtre Firmin Gémier à Antony, jusqu’au 28 mars 01 46 66 02 74

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Les Estivants

Les Estivants  de Maxime Gorki, adaptation et mise en scène d’Eric Lacascade


indexestivants1.jpg  Après sa superbe adaptation  des Barbares  en 2006, Eric Lacascade  réalise une nouvelle mise en scène d’une pièce bien connue du dramaturge russe, Les Estivants.

 Le metteur en scène, et interprète lui-même, s’est entouré de fidèles : Daria Lippi, Jean Boissery, Elisabetta Pogliani… Et le résultat, excellent, vaut le détour : les deux quarante de spectacle passent comme une succulente vodka russe. L’intrigue de la pièce, qui se déroule est terriblement d’actualité : de nouveaux bourgeois, enfants d’ouvriers, passent leurs vacances ensemble à la plage, du matin au soir et du soir au matin. Ils sont médecin, avocat ou architecte, et leur mesquinerie n’a d’égale que leur frustration.
Tous sont jaloux les uns des autres, mais la haine souterraine n’empêche pas la vie en communauté, et l’ennui est apparemment le corollaire d’une amitié de façade. Par désœuvrement, insatisfaction ou lâcheté, tous boivent pour oublier leur misérabilisme. Car tous se sentent malheureux; ils sont dénués de convictions, si bien que n’importe quelle de leur entreprise : amoureuse, professionnelle, relationnelle… avorte.
Tout s’accélère quand l’écrivain Chalimov arrive : la triste Barbara projetait sur lui bien des qualités humaines qu’il ne possède pas, et sa déception est à la hauteur de son aveuglement. Tous  se sont coupés de leurs racines et  se sont élevés socialement pour obtenir la sécurité, la tranquillité, le confort. Ils ne veulent qu’une place au soleil, mais cela semble plus difficile à obtenir que prévu.
C’est quoi profiter de la vie ? C’est quoi d’être heureux ?   Lors d’un banquet final, tout va dégénérer, et les masques vont alors se briser. Bagarres, insultes, violences, règlements de compte, paroles assassines… la déshumanisation se fait jour dans toute sa splendeur.
Ce sont là  thèmes chers à Gorki, mais aussi à Lacascade : il y a un  moment  où l’équilibre vacille, avant l’explosion apocalyptique .  Les acteurs incarnent à merveille chaque personnage : le médecin stupide, la mère de famille désœuvrée, la poétesse ratée, l’architecte malhonnête, l’écrivain grossier…Mais sans tomber dans la caricature. Le décor est intelligent  : les datchas  se convertissent  en cabines de plage, et leurs volets démontables se transforment en bains de soleil ou en tables.   Eric Lacascade nous offre ici un spectacle drôle et pathétique, admirable et tragique, et on en redemande.

Barbara Petit

Théâtre de Sceaux Les Gémeaux. Et du  14 au 16 avril à Bordeaux, et du 28 au 29 avril à Evreux.

VOYAGE A TRAVERS LES OMBRES

 

VOYAGE A TRAVERS LES OMBRES , librement inspiré du journal Voyage à travers la folie de Mary Barnes, mise en scène et interprétation de Véronique Vidock.

  Véronique Widock a fondé il y a une quinzaine d’années le Hublot, petit “lieu dit” à Colombes et l’a fait vivre, après l’avoir  joliment rénové. Après avoir accueilli d’autres artistes depuis le début de la saison (Ombline de Benque et Rachid Akbal entre autres), elle se lance dans le douloureux parcours solitaire de cette infirmière de 42 ans frappée par la schizophrénie, retrouvant une santé au bout d’un parcours de quatre ans à Kingsley Hall, communauté expérimentale opposée aux traitements traditionnels.
Du récit de son enfance douloureuse, son amour inassouvi pour sa mère, de sa jalousie violente et de son amour pour son petit frère devenu fou lui aussi, des aspects terrifiants de son traitement, elle tire une beauté, une théâtralité très humaine.

Edith Rappoport


20, 24, 26, 27 mars à 20 h 30, et le  25 mars à 14 h 30.

Les Justes

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Les Justes
D’Albert Camus
Mise en scène Stanislas Nordey

«Je ne compte plus sur le rendez-vous avec Dieu. Mais, en mourant, je serai exact au rendez-vous que j’ai pris avec ceux que j’aime, mes frères qui pensent à moi en ce moment », s’exprime Kaliayev, l’un des protagonistes des Justes. Kaliayev, comme Camus, a choisi l’homme, non pas Dieu. Leur combat est le même, et leurs rendez-vous sont sur cette terre. Sur la Terre, ou sur la scène d’un théâtre, car, après Incendies de Wajdi Mouawad, Stanislas Nordey récidive sur la question du terrorisme en choisissant d’y porter Les Justes de Camus. L’argument de la pièce est simple : en Russie, en 1905, un groupe de quatre étudiants révolutionnaires, Kaliayev, Dora, Stepan, Boris, décide de libérer le peuple russe du grand-duc. Après l’attentat, Kaliayev est arrêté. Skouratov, le directeur du département de la police, fait chanter Kaliayev : s’il ne dénonce pas ses camarades, il publiera dans la presse l’aveu de son repentir. Mais Kaliayev ne cède pas. Et, au moment de son exécution, Dora demande à Boris d’être la prochaine à lancer la bombe, pour pouvoir le rejoindre.
Côté décor, Stanislas Nordey a pris le parti de la simplicité : l’espace scénique est immense et dépouillé pour les premiers actes. Aucun mobilier. Pour les scènes finales en prison, une table ; dans la cachette des terroristes, des matelas au so
just1.jpgl. Seule une musique mélancolique et haletante vient rythmer les scènes. L’attention se resserre donc sur le jeu des comédiens. Et Stanislas Nordey s’est entouré d’interprètes exceptionnels : Emmanuelle Béart campe une Dora douce mais solide et déterminée ;  Frédéric Leidgens un Boris tourmenté, parfois glacial ; Wajdi Mouawad un Stepan exalté, sanguin, passionné ; Laurent Sauvage un Skouratov rusé, exigeant, cabotin.
Le texte de Camus est bien mis en valeur par la déclamation des acteurs : un texte sublime sur des questions intemporelles, non seulement le terrorisme, mais aussi la justice, la conscience d’un assassin, la révolte, la violence, l’idéalisme… Mais le jeu des comédiens, lui, est particulier : la plupart du temps, même dans les scènes dialoguées, les acteurs déclament face au public, ne se regardant presque jamais, se tenant à une grande distance les uns des autres. Et il y a un certain temps entre les répliques. Au lieu de s’enchaîner, elles sont séparées par du silence. C’est donc un jeu pour le moins « antinaturel », l’émotion peine parfois à passer et les premiers actes (jusqu’à l’attentat) sont longs. Mais apparemment, c’est le parti pris de Stanislas Nordey : que le spectateur n’oublie pas qu’il est au théâtre. Peut-être pour l’enjoindre à réfléchir sur ce qu’il voit, non pas à se laisser transporter. Peut-être que pour Nordey, le moment est venu d’agir. Avec lui, par le théâtre d’abord.

Barbara Petit


Théâtre national de La Colline du 19 mars au 23 avril 2010.
Tournée du 27 au 30 avril à Montpellier et du 4 au 6 mai à Clermont-Ferrand.

La Maison de Carlo Goldoni

 

La Maison de Carlo Goldoni (Venise)
    marionnetteteste.jpgCe palais gothique, qui présente aujourd’hui encore les caractéristiques de l’architecture civile vénitienne comprise entre le XIVème et le XVème siècle,  est « une invitation au voyage ».A travers ce lieu nous redécouvrons ce dramaturge surnommé le « Molière italien ». Les Goldoni, originaires de Modène, vinrent y habiter vers la fin du XVIIème siècle  et c’est le 25 février 1707 que nacquit Carlo Goldoni. Il y vécut jusqu’à l’âge de douze ans et garda, malgré les difficultés financières de la gestion de la maison assombrissant l’atmosphère familiale,  un souvenir idéal de cette période passée à Ca’ Centani où s’est dessiné le destin artistique qui l’attendait: « je revois mentalement la maison de Venise, où je suis né: je revois cette grande porte gothique entre le pont de Nomboli et le pont de Donna Onesta, dans la Paroisse de San Tommaso, sur le côté de la Calle di Caccentanni; j’ai l’impression de revoir encore cette haute loggia couverte, que nous appelons dans notre langue, terrazza, où était installé un théâtre de marionnettes très actif, que vous-même, mon Père, et d’autres compagnons à vous actionniez admirablement; et voici que le destin, qui voulait me conduire au théâtre, commençait dès cette époque à en semer les graines dans mon imagination et dans mon cour » (extrait de la dédicace à Antonio Maria Zanetti, 1761). En 1914, naît le désir de dédier cet espace à Carlo Goldoni et à l’art dramatique italien. En 1953, elle sera restaurée et ouverte au public avec l’inauguration d’une Bibliothèque-Musée qui su très vite s’imposer comme un grand centre culturel. A l’issue de considérables interventions d’assainissement et de restauration, elle se présente aujourd’hui avec un tout autre visage: les visiteurs et les chercheurs peuvent y découvrir une vie entière consacrée au théâtre, et consulter les nombreux supports (archives, bibliothèque, instrument multimédia) leur permettant de connaître un théâtre qui a voulu et a su être la vie. Dans le portego (ou grand salon): on trouve l’évocation le théâtre de Carlo Goldoni qui facade.jpgdécrit  avec fidélité et acuité le monde vénitien du XVIIIème siècle avec ses transformations culturelles et les conflits sociaux, le rôle de la femme et son émancipation progressive, la naissance de figures et de rôles inconnus jusque-là. La première salle et la principale nous met au contact du monde de Goldoni : de grandes sérigraphies  reproduisent des gravures illustrant les volumes de la dernière édition de l’ouvre goldoniennne (Venise, Zatta 1788-1795). Il s’agit d’images recréées en une libre association analogique, visant à reconstituer les thématiques autour desquelles gravitent les pièces de Goldoni: masques et personnages, le monde des femmes, le théâtre comique, voyageurs et aventuriers, la famille, les nobles, marchands et hommes du peuple. Une fiche explicative les accompagne et nous explique les principaux points critiques que  Goldoni a voulu et a su aborder, au sein d’une Venise qui occupait encore une place d’avant-garde dans la civilisation théâtrale européenne.  Dans une autre salle, on retrouve son théâtre de marionnettes: « Un délicieux divertissement »  que son père avait fait construire pour son plaisir personnel. Ce théâtre constituait une sorte de « théâtre de chambre », s’opposant au « théâtre de rue », auquel donnaient vie les spectacles de marionnettes qui datent du XVIIIème siècle et qui  proviennent de la collection  que la famille Grimani conservait dans son palais (situé dans le Sestiere de Cannaregio);elles témoignent de l’excellence atteinte par l’artisanat vénitien, raffiné et authentique: richesse des costumes (tissus précieux et coupes à la mode). Les interprètes de la vie cosmopolite vénitienne de l’époque sont en représentation. Le mécanisme des marionnettes est ingénieux et sophistiqué.

 

Un tableau du XVIIIème siècle , »Le parloir », orne un des murs: un musicien ambulant fait danser, grâce à un fil attaché à la jambe, » trois marionnettes à la planchette ». Les murs latéraux présentent des agrandissements de scènes extraites de célèbres tableaux de Pietro Longhi, qui estimait sincèrement Goldoni et avec qui il partageait de nombreuses affinités culturelles et artistiques.
Dans une autre salle » Goldoni entre la vie et le théâtre sont exposés différents portraits de Goldoni: d’une gravure anonyme à d’autres plus célèbres qui marquèrent sa carrière ( réalisés par le graveur Marco Pitteri sur un dessin de Giambattista Piazzetta). Les différents visages de son existence sont présentées, à même les murs et sont les illustrations d’ouverture de chacun des tomes de l’édition de Pasquali (Venise,1761-1780).
L’auteur avait voulu représenter par ces images, certains moments significatifs de sa vie, racontées par épisodes dans les préfaces générales de chacun marionnettef.jpgdes tomes. Antonio Baratti a réalisé ces gravures, elles semblent encadrées « par un petit rideau de théâtre » accompagnées par une citation latine. Une légende descriptive accompagne les images et nous comprenons combien le parcours de formation et l’exercice de sa profession « écrivain de théâtre » ont été accidentés. Etudiant pas toujours exemplaire, apprenti médecin, fonctionnaire public, consul, avocat; ce n’est qu’à l’âge de quarante ans qu’il se serait entièrement dédié à sa profession d’auteur de théâtre. Des triomphes contrariés sur la scène vénitienne et nationale, à la conquête exaltante de la scène parisienne. Mais le célèbre auteur  finira sa vie dans l’amertume et abandonnera le théâtre.
Au centre de la salle se trouve une reproduction de la carte topographique de Lodovico Ughi (1729), le dernier et le plus détaillé document cartographique et urbanistique représentant la ville de Venise où sont indiqués les différentes demeures où a vécu Goldoni ainsi que les édifices qui, au XVIIIème siècle, faisaient de Venise une des capitales de la vie théâtrale européenne.
Enfin, cette intensité de vie théâtrale vénitienne est illustrée par quelques exemplaires des plus célèbres éditions goldoniennes du XVIIIème siècle ainsi que par le manuscrit du Giustino, une tragi-comédie de ses débuts où nous trouvons le dernier autographe préservé de l’énorme corpus théâtral de Carlo Goldoni. Quand vous irez à Venise, laissez-vous tenter par ce voyage à travers le temps et le théâtre du XVIIIème siècle.
Nathalie Markovics.

 

 

Musée Carlo Goldoni,Santa Croce, San Polo 2794, Venise

 

L’araignée de l’éternel

L’araignée de l’éternel d’après les textes et chansons de Claude Nougaro, mise en scène Christophe Rauck

araigne.jpgUn vrai régal ! Un superbe spectacle à recommander à tous.Le verbe se fait chair, les images rythme, les mots musique, dessin, cinéma, lumière, on reste tout émerveillé de l’apparente simplicité et de la richesse de cet univers poétique. Christophe Rauck, metteur en scène, Cécile Garcia Fogel et Philippe Bérodot, comédiens/ chanteurs, avec, à la guitare en alternance, Anthony Winzenrieth ou Syvain Dubrez, ont réussi un spectacle de toute beauté à la gloire de l’imagination poétique.
Ils font honneur à la double « paternité » qui est celle de Nougaro : une paternité littéraire – la marque de Jacques Audiberti, son mentor, son modèle, son « encourageur-accoucheur », est sous-jacente mais bien présente – et la paternité réelle, le père de Nougaro, baryton, se produisait sur la grande scène du Capitole de Toulouse dans les rôles de l’opéra romantique devant les yeux ébahis de son fils. Ce spectacle, lui aussi, réussit une magnifique alliance entre culture littéraire et culture populaire.
Courts récits, interviews, chansons (déjà entrées dans la mémoire collective, ou bien totalement inconnues), poésies, les textes sont très variés, bien choisis (on sent que le metteur en scène a beaucoup cherché, a pesé et soupesé chaque élément), agencés en une construction élégante et sûre. Ils sont donnés nets, dépouillés, comme des œuvres brèves à part entière. Beaucoup de sensibilité, de sensualité, de sève, aucune sensiblerie. On découvrira, entre autres, le dialogue entre Père et Fils qui s’avèrent se nommer Dieu et Jésus, ou encore les aventures de Victor au cerveau d’or, et puis ce texte magnifique dont est extrait le titre du spectacle évoquant la toile d’étoiles de la patiente araignée de l’éternel.
Les deux comédiens se complètent comme le yin et le yang, jamais opposés mais comme enroulés en spirale. Deux faces qui s’entremêlent, à l’image de tout artiste : femme dans l’homme, homme dans la femme. Hémisphère droit, hémisphère gauche unis dans le même cerveau. Solaire Philippe Bérodot et lunaire Cécile Garcia Fogel. Avec aisance, élégance, humour, l’air de rien, mais avec un sens du rythme parfait et une grande virtuosité, ils font voir les mots. Ils sont formidables. Un spectacle à vraiment recommander…

Evelyne Loew

Théâtre Gérard Philipe CDN de Saint-Denis jusqu’au 4 avril.

Les nouvelles Brèves de comptoir

Les nouvelles Brèves de comptoir texte de Jean-Marie Gourio , adaptation et mise en scène de  Jean-Michel Ribes.

breves.jpgEsprit du peuple es-tu là ? Oui, il est là ! Il répond : présent ! Naïf, poussant l’aplomb et le gros bon sens jusqu’à l’absurdité, frondeur, touchant, souvent philosophe malgré lui, en tous cas rafraîchissant par des angles de vision pour le moins inattendus. En 2010, il fleurit au comptoir, malgré télé, Internet, et autres concurrences médiatiques. Jean-Marie Gourio en témoigne. Il a noté patiemment ces « perles » dans les cafés. Rien n’a été réécrit, nous dit le programme. Expressions, tournures, dits, non-dits, et surtout « à peu près dits », des pataquès qui, au final, font mouche. Bravo l’ethnographe ! Merci l’ethnographe ! Il a su écouter, il a su choisir. Nous ne savions pas pouvoir être si drôles.
Sur scène, une équipe de huit comédiens décline styles, âges, professions, sexes, caractères. Un vrai microcosme : la jeune liane blonde craquante, pétulante, avec son carton à dessins, le vieux philosophe rêveur pilier de bistrot qui vient quasiment en chaussons, le duo des égoutiers, les vendeuses en plein air du marché, le joyeux jeune homme, le pince sans rire, la dame aux frisettes et au grand cœur, la fofolle en tailleur, le patron comme un lion dans sa tanière … jusqu’aux croque-morts !
Et bien d’autres surprises qu’il serait dommage de dévoiler. Des costumes dignes eux aussi d’une ethnographie de notre début de siècle. Et surtout un chœur excellent dans lequel les comédiens – tous de fortes personnalités – investissent totalement la folie, la cocasserie des réflexions recueillies. Et ce n’est pas une mince affaire. Des personnages comme ceux-là, il faut y croire à fond, dès la première seconde. Les rendre crédibles immédiatement. La parole n’est que le sommet de l’iceberg, pour paraphraser un moment du spectacle. Avoir l’évidence d’un iceberg, ce n’est pas évident pour un comédien ! Or ils sont tous très forts et très justes.
On s’amuse beaucoup. On se demande si cela va tenir sur la durée. Le spectacle va-t-il enchaîner les « perles » non-stop pendant une heure quarante ? Oui. Et ça marche ! Jean-Michel  Ribes a trouvé, à travers ambiances différentes et coups de théâtre, le moyen de renouveler l’attention. C’est très bien mené, bien composé, bien dirigé. L’espace est beau avec un décor en lignes de fuite.
Derrière la porte du douillet petit café où se déroule le rituel de la conversation à bâtons rompus, les murs de la ville menacent, froids, gris, propres, trop propres. Vive la vie à l’intérieur ! Avec son grouillement et sa folie !   Et une pour la route : « Moi je n’ai jamais pris l’avion, mais si je dois le prendre un jour, avec tous ces accidents qu’on voit dans les journaux, je demande une place dans la boîte noire ! »

Evelyne Loew

Théâtre du Rond-Point jusqu’au 7 mai.

La Guerre n’a pas un visage de femme et Les Cercueils de zinc

laguerre.jpgLa Guerre n’a pas un visage de femme et Les Cercueils de zinc, de Svetlana Alexievitch, mise en scène de Stéphanie Loïk

Des jeunettes, ces femmes qui se sont engagées dans la “grande guerre patriotique“ en juin 1941, quand l’URSS a été envahie par les troupes allemandes. Des têtues, contre le scepticisme un peu protecteur des hommes : on veut aller au front, on peut combattre, on apprendra. Elles ont appris, elles sont devenues tireurs d’élite – le mot n’existe pas au féminin – elles ont tué, sauvé des vies, perdu leurs camarades de combat. Elles ont aimé les morts, les vivants, petites Antigones fraternelles pour qui la famille est tout le peuple. Cinquante ans plus tard, quand elles racontent leur guerre à Svetalana Alexievitch, elles ont retrouvé des voix jeunes, elles n’ont rien oublié, rien idéalisé.  Le choc du premier tué est là, le tremblement de tout le corps : c’est moi qui ai fait ça ? Et on le fait, c’est le travail. Sauver la patrie, vaincre le nazisme, rien que cela.

Pour La guerre n’a pas un visage de femme, les hommes sont présents, très présents même, avec le regard qu’ils portent sur ces travailleuses de la guerre, mais en retrait. Pour Les cercueils de zinc, ce sont les femmes qui sont en retrait, très fortes pourtant, avec leur deuil et leur colère. Des gamins sont partis « planter des arbres et construire des ponts » en Afghanistan, aider un pays frère. En fait, on apprend qu’il s’agit d’une sale guerre, enlisée, perdue d’avance. Les corps des tués sont renvoyés dans des cercueils plombés, interdiction de voir ce qu’ils contiennent : à peine des corps, des bouts de chair mélangés à de la terre, du lest pour faire bonne mesure. Le poids du mensonge et de la honte. Et le pire est pour les survivants, qui ont vu dégouliner les entrailles de leurs camarades, qui ont appris à s’habituer à tuer.
Svetlana Alexievitch parle aussi du témoignage, de cette femme qui a tout raconté, et voulu ensuite effacer ce qui ne leur semblait pas  conforme à l’histoire officielle, de ce garçon qui dit ce que disent tous les revenants de guerres honteuses - vous ne pouvez pas comprendre, qui êtes-vous pour parler de nous ? – et finit par parler, parler, parler, vidant une plaie aussi inépuisable que celle de Philoctète.

Aucun pathétique, ni dans les paroles recueillies, ni dans le jeu : le spectateur est mis en présence d’une tragédie moderne, où se partagent les destins individuels et le destin collectif. Chaque mort est celle d’une personne, chaque acte est celui d’une responsabilité, et en même temps celui d’une génération, et, au fond, de l’humanité entière. D’où le travail de la mise en scène : aucun effet d’illustration, la guerre est suggérée par les sons et par la lumière, et surtout par le chœur de jeunes acteurs qui la portent. Poids des capotes militaires, poids des gilets pare-balles, poids des fusils portés sur la poitrine comme des bébés ou des guitares… Stéphanie Loïk a tenu ferme sa troupe, en une chorégraphie implacable et très douce, et l’émotion est d’autant plus vive qu’elle est contrainte, farouchement pudique. Il faut croire que le chant et la danse sont essentiels à la tragédie : les chœurs – magnifiquement chantés en russe – donnent une résonance universelle à ces récits. Tous tendent vers la même question : si c’est un homme… et vers le même soleil, même caché, l’amour de la vie.

Christine Friedel
Théâtre des Quartiers d’Ivry, jusqu’au 20 mars, avec un troisième texte de Svetlana Alexievitch, Ensorcelés par la mort,  mis en scène par Nicolas Struve, du 23 au 27 mars. 01 43 90 11 11

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LA GUERRE N’A PAS UN VISAGE DE FEMME  Théâtre des quartiers du monde Studio Casanova Ivry

de Svetlana Alexeïevitch, mise en scène Stéphanie Loïk
Stéphanie Loïk travaille depuis plusieurs années sur l’histoire passée et présente, celle d’ici et celle d’ailleurs. Dans le cadre des Théâtres des quartiers du monde organisé depuis des années par Adel Hakim et Élisabeth Chailloux au début du printemps, trois textes de Svetlana Alexeïevitch sont présentés, celui-ci et Les cercueils de zinc (dont Didier Gabily avait réalisé une mise en scène percutante au Théâtre de la Bastille peu de temps avant sa mort), et Ensorcelés par la mort monté par Nicolas Struve.
Interprété par 9 comédiens, quatre hommes et cinq femmes, cet oratorio relate l’engagement enthousiaste de femmes très jeunes en Union soviétique dans la guerre contre l’Allemagne. Leurs luttes, leurs douleurs, leurs deuils, leur courage sont chantés dans une mise en scène géométrique rigoureuse, sur une création musicale de Jacques Labarrière. Aucun pathos, une belle fermeté dans le jeu des comédiens (extraordinaire Sara Llorca, belle Coryphée entre autres), de beaux chants russes de l’armée rouge fort bien mâchés, on en sort émus par ces courages, mais pas désespérés. Comme l’affirme Svetlana Alexeïevitch, « mon livre est un livre sur la vie et non pas sur la guerre ! ».
Edith Rappoport

 

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