Ciels , texte et mise en scène de Wajdi Mouawad.
C’est le quatrième volet de l’œuvre de l’auteur/metteur en scène/comédien; ainsi donc après Littoral, Incendie, Forêts, voici donc Ciels créé l’an passé au Festival d’Avignon. C’est une sorte d’une équipe de cinq spécialistes dont une seule femme: Charlie Eliot Johns, le patron, Blaise Centier, Dolorosa, Vincent Chef-chef qui vivent dans une sorte de huis clos et tentent de déjouer un attentat terroriste qui frapperait dans les semaines à venir Paris, New York, Londres, Paris, Saint-Petersbourg, Berlin, Tokyo et Montréal, toutes capitales de pays engagés dans la seconde guerre mondiale… Pour trouver une solution, une détermination , un engagement total chez ces spécialistes et un matériel ultra-sophistiqué à base de puissants ordinateurs et de moyens d’écoute et de vidéo-conférence exceptionnels.
Mais rançon de ces moyens de lutte antiterroriste: cette petite équipe est absolument coupée du monde extérieur et de leurs familles et l’enquête n’avance guère jusqu’à l’arrivée d’un certain Clément Szymanowski, personnage pour le moins curieux, génial informaticien, qui va essayer de décrypter un message poétique, mais fondé sur des équations mathématiques complexes. laissé par un ami, qui, horrifié par sa découverte, s’est suicidé, Le jeune ingénieur en informatique découvrira le plan d’attaque de ces dangereux terroristes en décryptant le message, grâce à une analyse très pointue de L’Annonciation du Tintoret. pourquoi ce complot à l’échelle mondiale? il s’agirait non d’une véritable attaque de redoutables islamistes mais d’une sorte de nébuleuse de gens qui ne se connaissent même pas, avides de régler leurs comptes avec la génération de leurs pères responsables de la seconde guerre mondiale. Peine à moitié perdue, puisqu’on annoncera à la fin qu’un attentat a déjà bien eu lieu à Montréal, ville où vit le fils d’un des spécialistes…On aurait pu le deviner: sur toute cette intrigue plane évidemment le spectre du 11 septembre, dont quelques images vidéo, mêlées à ceux de guerres récentes ou non, viendront rappeler l’horreur.
Pour réaliser Ciels, Wajdi Mouawad a demandé à Emmanuel Clolus une scénographie quadri frontale où sur chaque côté, à environ un mètre cinquante de hauteur, il y a des cellules blanches, très peu profondes: grande salles de bureau avec de petites tables et des ordinateurs partout, et une chambre pour chacun des spécialistes. Le public étant lui assis a u milieu sur des tabourets sans dossier mais tournants de façon à regarder sans difficultés dans chacune des quatre directions. Les murs servant aussi d’écrans , notamment pour une importante vidéo-conférence ou pour des projections en grande dimension d’images documentaires,de formules mathématiques , de liaison type Skype entre le père et le fils resté au Canada, et enfin de fragments de tableaux classiques et modernes et l’on sent que Wajdi Mouawad est absolument fasciné par ces petites merveilles électroniques qui modifient complètement le rapport avec le public. En effet, une fois n’est pas coutume, il n’y pas de caméra filmant les coulisses ou de grossissement de visages comme on nous en assène régulièrement, mais une utilisation à la fois intelligente et efficace des moyens vidéo qui participent complètement du projet dramaturgique.
De ce côté-là, l’auteur/metteur en scène a réussi un beau coup, même si les quelque 250 pauvres spectateurs n’ ont pas d’autre choix que de rester assis sur son petit tabouret tournant pendant deux heures et demi ( sic). Cela dit, le temps passe relativement vite au début du moins, l’éternité se faisant longue surtout vers la fin. Cet tentative de révolution scénographique n’est quand même pas neuve et Luca Ronconi comme le Théâtre du Soleil, notamment avec Méphisto l’avaient expérimenté depuis longtemps avec un certain bonheur.
Quant au texte, il fait souvent penser malgré quelques belles envolées poétiques à un dialogue assez plat de bande dessinée; on nous rétorquera sans doute que l’on n’a rien compris et que c’est au second degré mais, dans le théâtre contemporain, ce second degré rejoint souvent le premier. D’autant que si les comédiens ne sont pas n’importe qui: John Arnold, Georges Bigot, Valérie Blanchon, Olivier Constant et Stanislas Nordey qui joue avec beaucoup de vie intérieure le personnage principal du jeune et brillant informaticien, ils sont quelque peu livrés à eux-mêmes et la direction d’acteurs semble avoir disparu des écrans radar, comme si Mouawad était occupé à autre chose. Il y a aurait urgence à resserrer les boulons! Cris injustifiés, gestuelle souvent approximative: la mise en scène, qui se voudrait réaliste à base d’effets cinéma, et en même temps poétique, peine à s’imposer ; cette fable qui pourrait passer pendant une heure et demi, a du mal à être crédible et à délivrer une véritable émotion.
Et il est curieux de constater que le public de théâtre, à la différence de celui de cinéma, arrive à supporter quand même un spectacle de cette longueur, même si, encore une fois, il y a une bande-son d’une qualité exceptionnelle et des images d’une grande beauté plastique empruntées à l’art conceptuel avec des textes projetés dont les lettres s’envolent, ou cette vidéo-conférence avec ces visages qui nous encerclent tout autour de la salle.
Alors à voir ? Oui, si vous êtes un fan absolu de Mouawad; non, si vous avez du mal à supporter ce type d’épreuve presque physique et si vous attendez quand même un peu plus d’un spectacle de théâtre…
Philippe du Vignal
Odéon-Théâtre de l’Europe, Ateliers Berthier (17e) jusqu’au 10 avril.